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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 20 mai 2025, n° 23/00293

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Smabtp (Sté), Groupama Val De Loire (Sté)

Défendeur :

Smabtp (Sté), Groupama Val De Loire (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Conseillers :

Mme Chouvin-Galliard, Mme Grua

Avoués :

Me Devauchelle, Me Desplanques, Me Derec

Avocats :

Me Chevallier, SCP Hervouet/Chevallier/Godeau, Me Gendre, SELARL Cabinet Gendre & Associés

TJ Blois, du 8 déc. 2022

8 décembre 2022

FAITS ET PROCEDURE :

Selon contrat du 12 juillet 2001, M. et Mme [F] ont conclu un contrat de construction d'une maison individuelle, située [Adresse 9] à [Localité 8], avec la société David Construction, assurée par la SMABTP.

Les travaux de gros 'uvre ont été confiés à la société Gaëtan et Laëtitia, assurée par la société Groupama [Localité 11] Val de Loire au titre de sa responsabilité décennale.

Le 30 octobre 2002, M. et Mme [F] ont signé un procès-verbal de réception des travaux sans réserve.

Par courrier du 11 septembre 2012, M. et Mme [F] ont déclaré un sinistre auprès de la SMABTP, consistant en l'apparition de fissures sur leur maison.

Par acte d'huissier en date du 30 octobre 2012, M. et Mme [F] ont assigné la SMABTP devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Blois aux fins de voir ordonner une expertise.

Par acte d'huissier en date du 19 novembre 2012, la SMABTP a attrait en extension des opérations d'expertise la société Groupama.

Par ordonnance du 15 janvier 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Blois a mis hors de cause la société Groupama et a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [T] [E].

Par arrêt du 23 septembre 2013, la cour d'appel d'Orléans a infirmé l'ordonnance de référé pour dire que les opérations d'expertise devraient se tenir au contradictoire de la société Groupama.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 6 juin 2016.

Par acte d'huissier en date du 20 février 2017, M. et Mme [F] ont assigné la SMABTP devant le tribunal de grande instance de Blois en indemnisation de leurs préjudices.

Par acte d'huissier en date du 7 septembre 2017, la SMABTP a assigné la société Groupama en intervention forcée.

Par ordonnance en date du 26 septembre 2017, les deux instances ont été jointes.

Par ordonnance en date du 11 juin 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Blois a, notamment, ordonné un complément d'expertise.

Le rapport complémentaire d'expertise a été établi par M. [E] le 20 janvier 2020.

Par jugement en date du 8 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Blois a :

- débouté M. et Mme [F] de leurs demandes au titre des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil concernant le sinistre déclaré le 11 septembre 2012,

- débouté M. et Mme [F] de leur demande subsidiaire relative à l'organisation d'une étude des sols,

- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande en garantie formée par la SMABTP à l'encontre de la société Groupama [Localité 11] Val de Loire,

- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes, à ce titre, de la société Groupama [Localité 11] Val de Loire,

- débouté M. et Mme [F] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SMABTP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Groupama [Localité 11] Val de Loire de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [F] aux entiers dépens incluant les frais afférents à l'expertise initiale du 6 juin 2016 et ceux afférents à l'expertise complémentaire du 20 janvier 2020.

Par déclaration en date du 23 janvier 2023, M. et Mme [F] ont relevé appel de l'intégralité des chefs de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté la SMABTP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Groupama [Localité 11] Val de Loire de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par acte d'huissier en date du 30 mai 2023, la SMABTP a formé appel provoqué à l'encontre de la société Groupama [Localité 11] Val de Loire.

Les parties ont constitué avocat et ont conclu.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 6 avril 2023, M. et Mme [F] demandent à la cour de :

- déclarer recevables et bien fondés Mr et Mme [F] dans leur appel en toutes fins qu'il comporte.

En conséquence,

- infirmer purement et simplement la décision du tribunal judiciaire de Blois en date du 8 décembre 2022 en toutes ses dispositions.

- condamner la SMABTP à payer à Mr et Mme [F] la somme de 14.920,40 euros,

conformément au devis URETEK, en date du 6 avril 2020, au titre des travaux d'injection de résine après étude géotechnique, actualisée en fonction de la variation du coût de la construction INSEE entre le dernier indice publié au 20 janvier 2020, date du dépôt du rapport de l'expert judiciaire et le dernier indice publié à la date du jugement, outre les intérêts au taux légal postérieurement au jugement.

- condamner la SMABTP à payer à Mr et Mme [F] la somme de 6.791,91 euros au titre des travaux de calfeutrement des fissures, travaux de ravalement sur façades garage, conformément au devis d'[Localité 10] Isolation, en date du 19 mai 2020, actualisée en fonction de la variation du coût de la construction INSEE entre le dernier indice publié au 20 janvier 2020, date du dépôt du rapport de l'expert judiciaire et le dernier indice publié à la date du jugement, outre les intérêts au taux légal postérieurement au jugement.

- condamner la SMABTP à payer à Mr et Mme [F], la somme de 17.850,00 euros à titre de dommages intérêts au titre du préjudice de jouissance pour la période comprise entre le 1er novembre 2012 jusqu'au 31 juillet 2020.

- condamner la SMABTP à payer à Mr et Mme [F], la somme 4.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement et avant dire droit,

- enjoindre à la SMABTP de réaliser effectivement l'étude de sol qu'appelait de ses v'ux son expert conseil à l'effet de vérifier la nature et la mécanique du sol constituant l'assise du bien immobilier de Mr et Mme [F] sous les modalités qu'il appartiendra au tribunal de fixer.

- condamner la SMABTP aux entiers dépens qui comprendront le coût de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire notamment, dont distraction au profit de Maître Devauchelle avocat aux offres de droit.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 17 janvier 2024, la société Groupama [Localité 11] Val de Loire demande à la cour de :

- déclarer mal fondé l'appel principal de M. et Mme [F] à l'encontre du jugement déféré à la censure de la cour.

- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel provoqué formé par la SMABTP contre la société Groupama [Localité 11] Val de Loire.

En conséquence,

- rejeter toutes les demandes de la SMABTP contre société Groupama [Localité 11] Val de Loire.

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, y ajoutant,

- condamner la SMABTP à verser à société Groupama [Localité 11] Val de Loire la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de justice.

- condamner la SMABTP au paiement des dépens de première instance et d'appel, et accorder à la Selarl DEREC, avocat, le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

En toute hypothèse,

- rejeter comme irrecevables et subsidiairement mal fondées toutes les demandes de la SMABTP dirigées contre la société Groupama [Localité 11] Val de Loire.

- condamner la SMABTP à verser à la société Groupama [Localité 11] Val de Loire la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de justice.

- condamner la SMABTP au paiement des dépens de première instance et d'appel, et accorder à la Selarl DEREC, avocat, le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Très subsidiairement,

- limiter la garantie de la société Groupama [Localité 11] Val de Loire à 10 % du montant des dommages matériels de réparation, à l'exclusion de tout dommage consécutif ou immatériel, avec application de la franchise contractuelle de 10 % des dommages avec un minimum de 0,75BT01 et un maximum de 3,80 BT01.

Et en toute hypothèse encore,

- rejeter toutes demandes dirigées contre la société Groupama [Localité 11] Val de Loire plus amples ou contraires aux présentes, y compris au titre des frais de justice.

- condamner la SMABTP au paiement des dépens, et accorder à la Selarl DEREC, avocat, le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 17 octobre 2023, la SMABTP demande à la cour de :

- juger recevables mais mal fondés les époux [F] en leur appel principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Blois le 8 décembre 2022.

Subsidiairement,

- juger mal fondées les demandes en indemnisation d'un préjudice de jouissance alors qu'il n'est pas justifié d'une non-utilisation ou d'une sous-utilisation du garage litigieux.

Subsidiairement,

Statuant sur l'appel provoqué régularisé par SMABTP,

- juger la SMABTP recevable et bien fondée à solliciter la garantie de la société Groupama [Localité 11] Val de Loire.

- condamner la société Groupama [Localité 11] Val de Loire, es qualité d'assureur de la société Gaëtan et Laëtitia à relever et garantir SMABTP de toutes condamnations susceptibles d'intervenir contre elle, en principal, intérêts, dommages et intérêts ou frais.

- condamner les époux [F] et/ou la société Groupama [Localité 11] Val de Loire au paiement de la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Plus subsidiairement encore,

- faire application du plafond de garantie prévu à l'article 5.3 pour les dommages immatériels soit 100.000 francs par sinistre ou 15.244,90 euros,

- condamner les époux [F] et/ou la société Groupama [Localité 11] Val de Loire aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 janvier 2025.

MOTIFS

Sur la garantie décennale

Moyens des parties

M. et Mme [F] font valoir que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les désordres relèvent de la garantie décennale.

Ils soulignent que s'agissant des fissures, l'expert mentionne, en page 5, que les désordres 'sont incontestablement de nature décennale puisque relatifs à un défaut de structure', ce qui n'est combattu par aucune pièce versée aux débats. S'agissant du noquet/solin sur le pignon est entre garage et habitation : l'expert judiciaire a reconnu qu'il y avait un problème relatif à un défaut de structure, puisqu'il écrit que 'si l'affaissement évolue dans le temps... il ne sera pas possible à ce jour de se prononcer avec sérieux sur la solidité de l'ouvrage'. Il résulte des rapports d'expertise que la cause est un tassement des fondations en raison de la nature du sol. Ils en déduisent que la cause en étant un défaut de structure, les désordres relèvent bien de la garnatie décennale.

La SMABTP soutient à l'inverse que les désordres ne sont pas de nature décennale, l'expert judiciaire ne caractérisant en aucun cas que les désordres compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination. L'expert conclut que l'origine des désordres proviendrait d'un affaissement ponctuel et localisé aux droits des fondations de la structure porteuse. Il constate que les désordres sont stabilisés depuis le premier rapport d'expertise et de fait, aucune aggravation n'a été constatée par l'expert en 2020.

Réponse de la cour

En application de l'article 1792 du code civil :

'Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère'.

Il convient de rechercher si les désordres dont M. et Mme [F] demandent réparation entrent dans le cadre de cette garantie.

Dans son 'pré-rapport' n°1 daté du 2 mai 2016, l'expert judiciaire décrit que les désordres sont constitués de plusieurs fissures. Il décrit notamment :

- angle sous la gouttière au droit du refend entre cellier et garage : constat d'une fissure avec décollement de l'enduit sous le débord de la couverture au-dessus de la bande porte soline ;

- angle sous le débord de couverture en prologenemtn de la photo n°1 :

- fissures vertibales avec une prolongation honrizontale ;

- décollement de l'enduit au droit de l'angle du linteau ou chaînage

- décollement à l'angle porte garage et refend maçonné ;

- fissures au sol perpendiculaire aux façades sud/est et nord/ouest.

L'une des fissures au moins est traversante, puisqu'il précise dans son rapport du 2019 que 'la fissure traversante relevée sur la façade S/O n'a pas évolué entre 2016 et 2019".

Dans ses rapports déposés en 2019 et 2020, il constate que ces fissures n'ont pas évolué depuis 2016.

Il estime que la cause de ces fissures est un affaiblissement ponctuel de la fondation transversale du mur porteur séparant la zone 'habitation' de la zone 'garage', en raison d'un tassement du sol à l'aplomb de cette fondation, probablement causé par un retrait de la couche d'argile sur laquelle elle repose, en raison d'une sécheresse périodique sur la région Centre. Il précise que la structure verticale réalisée en parpaing de ciment n'est pas 'harpée' sur les rangs supérieurs aux angles du garage avec le refend maçonné perpendiculaire de la maison principale. Il relève qu'aucune étude de sol préalable ni étude de structure préalable n'ont été réalisées.

A la question de savoir si ces désordres compromettent la solidité de l'ouvrage ou sa destination, il indique tout d'abord, dans son rapport de 2016, que 'l'affaissement de 4 mm constaté au droit de l'angle et au droit du refend entre cellier et garage ne présente aucun risque futur sur la solidité de l'ouvrage en super-structure'. Il estime qu'il y a lieu de prendre des mesures pour stabiliser les fondations de la partie garage, soit par l'intérieur, soit par l'extérieur.

Ensuite, dans son rapport de 2019, il indique : 'Nous ne pouvons pas certifier que les désordres constatés dans ces éléments constitutifs sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, même si n'avons constaté aucune évolution des fissures sur les trois dernières années. A ce jour, nous ne pouvons savoir si les désordres vont évoluer dans leur dégradation ou, au contraire, si la stabilisation que nous avons constatée se maintiendra dans le temps'. Il indique également : 'Quant à la solidité de l'ouvrage, nous ne pensons pas qu'elle soit compromise, au vu de ce que nous avons constaté lors des deux dernières réunions contradictoires effectuées sur site'.

Enfin, le même expert, en réponse à un dire de la SMABTP qui estimait qu'il concluait à juste titre dans son rapport au caractère non décennal des désordres, répond : 'J'ai déjà émis des nuances sur le caractère décennal ou non des désordres constatés. En effet, les désordres constatés au droit des fissures de 2016 repérées n°1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et fissures naissantes sur la façade principale et photos 1 et 2 : ces désordres sont incontestablement de nature décennale puisque relatif à un défaut de structure'.

M. [U] [K], expert commis par la SMABTP, assureur dommages-ouvrages, indique quant à lui dans son rapport, réalisé le 16 octobre 2012 :

' désordre n°1 :

Façade arrière : fissures à l'arrière de la maison ainsi que des petites se dessinant à l'avant : 'On observe à l'angle supérieur gauche de l aporte d'accès au garage, une fissure qui présente une ouverture de l'ordre de 3 mm au niveau du garage et environ 5 mm au droit de la maison d'habitation. Lorsque l'on regarde la couverture, on observe un début d'arrachement de l'enduit, au dessus de la bande porte-soline. On n'observe aucun autre désordre sur cette façade.

Façade avant : à la jonction du garage et de l'habitation, un début d'arrachement. Au droit de la bande porte-soline, on peut voir ponctuellement un léger début d'arrachement.

Cause du désordre : 'Selon toute vraisemblance, ces désordres sont consécutifs à un tassement des fondations, entraînant un arrachement entre l'habitation et le garage. Ce tassement est vraisemblablement lié aux caractéristiques de l'argile qui constitue les fondations. D'autre part, une haie est proche de ce pignon, et constitue, de toute évidence, un facteur aggravant dans l'apparition des désordres. Une étude de sol est impérative pour déterminer les caractéristisques du sol, et définir plus précisément les remèdes à envisager'.

Le cabinet Cunningham O'Lindsey, commis par l'assurance protection juridique de M. et Mme [F], qui a établi un rapport d'expertise amiable le 24 octobre 2012, décrit comme suit les désordres constatés :

'désordre n°1 : nous avons observé la présence d'une fissure à la jonction entre le volume garage et le volume habitation, fissure dont l'ouverture est de l'ordre de 3 mm en vertical et environ 1,5 mm en horizontale, au niveau de l'appui du linteau. Cette fissure se situe en façade nord de l'habitation. Une microfissure, quant à elle, est également visible à cette même jonction sur la façade avant, exposée sud, mais limitée à la jonciton seule entre les deux volumes sans retour au niveau de l'appui du linteau.

Origine et cause : la fissure, telle que nous l'avons observée, traduit incontestablement un léger basculement du volume garage par rapport au bâtiment d'habitation

Classement du désordre selon les garanties : ces désordres sont de nature décenale'.

********

La garantie décennale est due, selon l'article 1792 du code civil, lorsque la solidité de l'ouvrage est compromise ou lorsqu'il est impropre à sa destination.

Les murs de façade sont incontestablement des éléments constitutifs d'un bâtiment. Or il résulte des constatations de l'expert que les murs sont affectés de plusieurs fissures, dont une au moins est traversante.

Il résulte de l'avis concordant des différents techniciens et experts ayant examiné les désordres, que l'apparition de fissures résulte d'une inadaptation des fondations au sous-sol, de sorte que le garage est affecté d'un vice de construction à l'origine du phénomène de fissuration des murs.

Il convient de relever que s'il n'a pas été constaté d'évolution des désordres entre 2016 et 2019, en revanche, les désordres se sont notablement aggravés entre 2012 et 2016 puisque les fissures décrites par les deux experts commis par les compagnies d'assurances en 2012 sont bien moins nombreuses que celles décrites par l'expert judiciaire en 2016.

Ce défaut de structure, s'il n'affecte pas selon l'expert judiciaire la solidité de l'ouvrage, le rend en revanche impropre à sa destination de garage puisqu'il a conduit à l'apparition d'un décollement entre le garage et l'habitation sur la façade arrière, traduisant selon l'un des techniciens un 'léger basculement du garage'. Ce mouvement du garage, quand bien même il n'a pas évolué depuis 2016, et la présence sur celui-ci d'une fissure importante puisque traversante, le rend impropre à sa destination de garage accolé à la maison, laquelle implique qu'il soit, ainsi que les fondations qui le supportent, stable et hermétiquement clos.

Il convient de relever d'ailleurs que dans son courrier du 24 octobre 2012, la SMABTP admettait le caractère décennal du désordre constaté par M. [K] puisqu'elle indiquait à M. [F] que 'les désordres présentant un caractère décennal sont limités au décollement entre l'habitation et le garage sur la façade arrière'.

En conséquence, il convient de retenir que ce désordre relève de la garantie décennale des constructeurs.

M. et Mme [F] ont en l'espèce conclu avec la société David Construction, exerçant sous l'enseigne [T] et Terre, un contrat de construction de maison individuelle le 12 juillet 2001.

La société David construction, en sa qualité de constructeur de cette maison, doit donc répondre, à l'égard de M. et Mme [F], des désordres de nature décennale affectant la maison construite.

Il convient donc de condamner la société SMABTP, en sa qualité d'assureur décennal de la société David construction, à réparer les préjudices résultant de ces désordres pour M. et Mme [F].

Sur l'indemnisation des préjudices

Moyens des parties

M. et Mme [F] sollicitent :

- au titre de leur préjudice matériel :

- une somme de 14 920,40 euros correspondant au devis de la société Uretek du 6 avril 2020 ;

- une somme de 6 791,91 euros correspondant au devis de la société [Localité 10] isolation du 19 mai 2020.

- au titre de leur préjudice de jouissance, une somme de 170 euros par mois à compter du 30 octobre 2012.

La SMABTP soutient qu'il résulte de l'expertise judiciaire que l'étude de sol n'était pas nécessaire pour déterminer l'origine des désordres et qu'il n'y a pas lieu à indemnisation de ce chef. Concernant le préjudice de jouissance, elle soutient que la preuve n'est pas rapportée d'un préjudice de jouissance, les fissures n'étant pas infiltrantes et ne privant pas M. et Mme [F] de la jouissance de leur garage.

Réponse de la cour

S'agissant en premier lieu de leur préjudice matériel, M. et Mme [F] versent aux débats :

- un devis de la société URETEK pour des travaux de traitement du sol par injection, outre une étude géotechnique, pour un montant hors taxe de 13 564 euros, soit 14.920,40 euros TTC (pièce 17)

- un devis de la société [Localité 10] isolation pour le calfeutrement des fissures et le traitement d'imperméabilité de la façade pour un montant TTC de 6 791,91 euros (pièce 18).

L'expert judiciaire indique que pour remédier aux désordres, il convient de prendre des mesures pour stabiliser les fondations :

- en premier lieu, faire une analyse du sol ;

- selon les résultats de l'analyse du sol, stabiliser les fondations selon la méthode la plus adaptée.

La SMABTP conteste la nécessité de procéder à une étude géotechnique.

Toutefois, l'expert judiciaire précise que cette étude est nécessaire pour déterminer la méthode à mettre en oeuvre pour stabiliser les fondations.

Et la société Uretek précise dans son devis 'Notre intervention nécessite de connaître plus précisément la configuration des fondations (et/ou du dallage) ainsi que la nature et la portance des sols'.

Il en résulte que la réalisation de cette étude géotechnique est un préalable nécessaire à aux travaux d'injection et doit donc être prise en compte au titre des travaux de reprise des désordres.

Il conviendra ensuite de réparer les fissures et la façade, prestations prévues par le devis de la société [Localité 10] isolation. Il convient donc d'accueillir la demande de M. et Mme [F] en indemnisation de leur préjudice à ce titre à hauteur de 6 791,91 euros correspondant au devis de cette société, en date du 19 mai 2020.

S'agissant du préjudice de jouissance, M. et Mme [F] soulignent que l'expert a relevé que les préjudices d'utilisation subis concernent :

- l'aménagement intérieur du garage, au droit des désordres, zone non aménagée dans l'attente de décision des réparations à entreprendre ;

- l'aspect esthétique des façades fissurées ;

- les aménagements extérieurs de proximité sont dans l'attente des travaux à entreprendre.

Toutefois, il convient d'une part de relever qu'il n'est ni soutenu ni allégué que M. et Mme [F] auraient été privés de l'usage de leur garage, seul un défaut d'aménagement au droit des désordres, donc de façon très localisée, étant évoqué par l'expert, défaut d'aménagement qui n'est au demeurant étayé par aucune pièce permettant d'en déterminer l'ampleur et les incidences pratiques, et étant en tout état de cause situé dans une pièce non habitable. En outre, aucune pièce ne permet d'établir que depuis 2020, tel est toujours le cas.

Le préjudice esthétique en raison des fissures est en revanche avéré et justifie une indemnisation, celles-ci affectant l'aspect extérieur de l'immeuble.

S'agissant en revanche des aménagements extérieurs non réalisés, les éléments du dossier ne permettent pas d'établir en quoi les fissures affectant la façade privent les époux [F] de la possibilité d'aménager l'extérieur de leur maison, étant précisé d'une part que la maison était achevée depuis quasiment dix ans lorsque les premières fissures sont apparues, de sorte que le défaut éventuel des aménagements extérieurs ne saurait être imputé aux fissures. Et ne sont en tout état de cause versés aux débats aucun élément permettant de rapporter la preuve de ce poste de préjudice, les photographies jointes par la société Uretek à son devis du 6 avril 2020 ne corroborant pas un défaut d'aménagement des extérieurs de la maison.

Enfin, M. et Mme [F] subiront un préjudice de jouissance durant la durée des travaux.

En conséquence, il convient d'allouer à M. et Mme [F] une somme de 1000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance en raison du préjudice esthétique subi et des troubles dans leur jouissance durant la réalisation des travaux.

Cette somme étant inférieure au plafond de garantie prévu à l'article 5.3 pour les dommages immatériels (15 244,90 euros par sinistre), il n'y a pas lieu de faire application du plafond de garantie du contrat de la SMABTP.

Sur l'appel en garantie de la SMABTP contre la société GROUPAMA, en qualité d'assureur de la société Gaetan et Laetitia

Moyens des parties

La SMABTP indique qu'elle a mis en cause Groupama dès le 22 octobre 2012, qui en a accusé réception le 2 novembre 2012, de sorte que sa mise en cause est antérieure à l'expiration du délai de prescription.

En outre, l'article 1792-4 du code civil institue au profit du maître de l'ouvrage une responsabilité solidaire des intervenants à l'oeuvre de construction, et l'article 1206 du code civil précise que les poursuites faites contre l'un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l'égard de tous. Il en résulte que les poursuites diligentées par les époux [F] à l'égard de la SMABTP le 30 octobre 2012 ont interrompu la prescription à l'égard de Groupama, assureur de l'entreprise de maçonnerie.

Elle ajoute que l'assureur dommage-ouvrage bénéficie pour les actions à l'encontre des constructeurs responsables et de leurs assureurs respectifs des interruptions de prescription faites par le maître de l'ouvrage dans ce délai.

Enfin, elle fait valoir qu'assignée le 30 octobre 2012, la SMABTP a assigné Groupama le 19 novembre suivant, soit 3 semaines plus tard, et ne peut donc être prescrite en sa demande.

La société Groupama répond que la demande est prescrite car ni la société Gaetan et Laetitia, ni Groupama n'ont été assignées dans le délai de garantie décennale. La réception de l'ouvrage ayant été prononcée le 30 octobre 2002, le délai de prescription a donc expiré le 30 octobre 2012. Or la SMABTP ne l'a assignée que le 10 novembre 2012 de sorte que son action est prescrite. Elle souligne que le courrier du 22 octobre 2012 dont se prévaut la SMABTP n'a pas pu interrompre la prescription, puisqu'il ne s'agit pas d'une des causes d'interruption de prescription prévues par les articles 2240 et suivants du code civil.

En outre, l'article 1792-4 du code civil n'est pas applicable en l'espèce, la SMABTP entretenant une confusion entre la notion de fabricant et celle d'intervenant à l'acte de construire, et cite des dispositions qui ne s'appliquent qu'au fabricant et qui ne s'appliqent pas à la société Gaetan et Laetitia, sous-traitante du lot gros-oeuvre.

Enfin, à supposer que la SMABTP soit subrogée dans les droits et actions des époux [F], elle ne pourrait pas se prévaloir de plus de droits qu'eux, or ceux-ci n'ont jamais intenté une quelconque action ni interrompu la prescription à l'égard de la société Gaetan et Laetitia.

Réponse de la cour

La SMABTP a été condamnée à indemniser M. et Mme [F] sur le fondement de la garantie décennale.

Il est constant que l'action d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par 5 ans à compter de la date à laquelle le maître de l'ouvrage a assigné le constructeur demandeur aux fins d'indemnisation de ses préjudices (Cass. 3e civ. 14-12-2022 n° 21-21.305).

En l'espèce, la SMABTP a assigné la compagnie Groupama le 19 novembre 2012, après avoir été elle-même assignée en référé le 30 octobre 2012 par M. et Mme [F].

Son action n'est donc pas prescrite.

La société Groupama soutient que l'action directe de la société SMABTP à son encontre est irrecevable en ce que la SMABTP n'a pas indemnisé le maître de l'ouvrage, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir ni de la subrogation légale, ni de la subrogation conventionnelle dans les droits de la société David construction.

Toutefois, en application de l'article 334 du code de procédure civile, une partie assignée en justice est en droit d'en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle.

L'action de la société SMABTP, qui n'est pas fondée sur le mécanisme de la subrogation, mais s'analyse en un appel en garantie des condamnations mises à sa charge, est donc recevable.

En revanche, sur le fond, force est de constater que la responsabilité de la société Gaetan et Laetitia étant recherchée sur un fondement contractuel, la société Groupama ne peut être condamnée à ce titre que s'il est démontré qu'elle assure la responsabilité contractuelle de son assuré. Or aucune des pièces versés aux débats n'établit que la société Groupama, qui était l'assureur responsabilité décennale de cette société, assurait également la responsabilité contractuelle de la société Gaetan et Laetitia, cette garantie ne faisant pas partie des garanties dites 'de base' dans le contrat versé aux débats et ne présentant aucun caractère obligatoire, contrairement à la garantie décennale.

La demande dirigée par la SMABTP contre la société Groupama ne peut donc qu'être rejetée.

Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

La SMABTP sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire.

Les circonstances de la cause justifient de condamner la SMABTP à verser à M. et Mme [F] une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de rejeter les autres demandes à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME en ses dispositions critiquées le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

CONDAMNE la SMABTP à payer à M. et Mme [F] une somme de 14 920,40 euros au titre des travaux d'étude géotechnique et d'injections de résine, indexée sur l'indice BT01 du coût de la construction publié par l'Insee en la multipliant par le dernier indice publié à la date du prononcé de la présente décision et en la divisant par le dernier indice publié au 6 avril 2020 ;

CONDAMNE la SMABTP à payer à M. et Mme [F] une somme de 6 791,91 euros au tirte des travaux de calfeutrement des fissures et de réfection de la façade, indexée sur l'indice BT01 du coût de la construction publié par l'Insee en la multipliant par le dernier indice publié à la date du prononcé de la présente décision et en la divisant par le dernier indice publié au 19 mai 2020 ;

CONDAMNE la SMABTP à payer à M. et Mme [F] une somme de 1000 (mille) euros en réparation de leur préjudice de jouissance ;

DECLARE recevable l'appel en garantie de la SMABTP contre la société GROUPAMA [Localité 11] VAL DE LOIRE ;

REJETTE les demandes formées par la SMABTP contre la société GROUPAMA [Localité 11] VAL DE LOIRE ;

CONDAMNE la SMABTP à payer à M. et Mme [F] une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et rejette les autres demandes à ce titre;

CONDAMNE la SMABTP aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de l'instance et en référé et celui de l'expertise judiciaire, dont distraction au profit de Maître Devauchelle et de Maître Derec, avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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