CA Bordeaux, 2e ch. civ., 15 mai 2025, n° 24/02911
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
France Boissons Loire Sud-Ouest (SARL)
Défendeur :
Fayat Entreprise TP (SAS), GSE Régions (SAS), LPF TP (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
Mme Delaquys, Mme de Vivie
Avocats :
Me Le Barazer, Me Boyer, Me Peltier, Me Schontz, Me Fonrouge, Me de Bengy, Me Meziane
FAITS ET PROCÉDURE :
1. Au cours de l'année 2011, la société civile immobilière Etche France, aux droits de laquelle vient la société Etche [Localité 4] (ci après 'la société Etche'), a entrepris la construction d'un bâtiment à usage d'entrepôts et de bureaux sur la commune de [Localité 4], Parc d'Activités Paysager du Bosplan, destiné à être loué à la société à responsabilité limitée France Boissons Loire Sud-Ouest (la société France Boissons) avec laquelle elle a régularisé un bail en l'état futur d'achèvement en date du 30 juin 2011.
2. A cette fin, la société Etche France a signé un contrat de promotion immobilière avec la société CCR aujourd'hui dénommée GSE Régions (ci-après 'la société GSE') avant de se substituer Etche [Localité 4] pour assurer la construction de l'immeuble, ainsi qu'un contrat de crédit-bail avec la société GENEFIM, crédit-bailleur pour assurer le financement de l'acquisition du terrain et de la construction de l'immeuble.
3. Une réserve incendie de 360 mètres cubes, alimentée par une canalisation d'eau indépendante ayant son compteur propre, et le bassin de rétention auquel elle est reliée, ont été creusés et aménagés par la société par actions simplifiées Fayat Entreprise TP (ci-après 'la société Fayat)'qui a sous-traité la fourniture et la pose de la colonne aspiration pompier et du flotteur de remplissage à l'Eurl Eugetec Environnement Etanchéité (ci-après la société 'Eugetec') laquelle a ensuite fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 8 janvier 2014, la Selarl [J] [P] ayant été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Axa Corporate Solutions Assurances.
Cette réserve incendie dispose d'un trop-plein qui s'écoule vers un bassin de rétention .Elle est alimentée par une canalisation d'eau indépendante ayant son compteur propre.
Un robinet flotteur asservi à un niveau de remplissage doit couper l'alimentation en eau lorsque le niveau d'eau requis est atteint.
4. La livraison des travaux a été réalisée le 8 octobre 2012, date de la prise de possession des locaux loués par la société France Boissons.
5. L'ensemble des interventions à l'opération est résumé dans le tableau suivant:
sociétés
rôles
assureurs
Etche [Localité 4]
bailleur - maître de
l'ouvrage
Axa
corporate
solution
(D.O)
France Boissons
Locataire
GSE Régions
venant aux droits
de CCR
Maître d'oeuvre (contrat
de promotion
immobilière)
Axa
Corporate
Solutions
Assurances
Fayat Entrepris TP
constructeur de la réserve
incendie (donc réalisation
des plans d'exécution)
Eugetec (LJ) -
mandataire = Ekip'
Sous-traitant de Fayat -
fournisseur et poseur
Elite
Insurance
Suez
Distributeur d'eau
LPF TP
remplace le flotteur
6. Ayant observé une surconsommation d'eau à l'examen de la facture de la société Lyonnaise des Eaux du 13 août 2014 relative à la consommation de la réserve incendie depuis le mois d'août 2013, la société France Boissons s'est rapprochée de la société GSE Régions qui a mandaté la société Geoscope pour une recherche de fuite puis, courant décembre 2014, a demandé à la société Fayat Entreprise TP d'intervenir.
L'intervention a été jugée impossible en raison d'une trop forte pression sur l'alimentation en eau du bassin.
7. La société GSE Régions a signé courant juin 2015 un bon de commande auprès de la société par actions simplifiées LPF Travaux Public (la société LPF TP) pour la fourniture et la pose d'un flotteur et d'un limiteur de pression.
8. A la réception d'une nouvelle facture datée du 20 août 2015, portant sur une consommation de 141 823 m3 depuis le 4 août 2014, la société France Boissons a régularisé une déclaration de sinistre, le 11 septembre 2015, et une expertise dommages-ouvrage a été confiée à la société Saretec Construction.
9. Par ordonnance de référé en date du 29 février 2016, prise à la demande de la société France Boissons France, M. [L] [U] a été désigné en qualité d'expert judiciaire, lequel a déposé son rapport le 23 février 2017.
10. La société Etche [Localité 4], par exploit introductif d'instance en date du 29 mai 2017, a fait assigner en lecture de rapport devant le tribunal de grande instance de Bordeaux la société GSE Régions, la Compagnie Axa Corporate Solutions Assurances, la société Fayat Entreprise TP, la société LPF TP, la Lyonnaise des Eaux et la société France Boissons aux fins d'indemnisation à hauteur du coût des travaux réparatoires, sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil et L.242-1 du code des assurances, demandant que soit limité le préjudice de surconsommation d'eau à hauteur de la somme de 20 000 euros, sur le fondement de l'article 1721 du code civil, ainsi qu'aux fins de condamnations sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
11. Par jugement rendu le 9 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
- rejeté les demandes dirigées contre la société GSE Régions,
- déclaré les demandes dirigées contre l'Eurl Eugetec Environnement Etanchéité (EEE)
représentée par son mandataire liquidateur la Selarl [J] [P] irrecevables,
- rejeté les demandes formées contre la société Axa Corporate Solutions Assurances en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, la société GSE Régions et contre la société Elite Insurance en sa qualité d'assureur de l'Eurl Eugetec Environnement Etanchéité,
- condamné en conséquence la SAS Fayat Entreprise TP à verser à la société Etche [Localité 4] la somme de 5 919,58 euros TTC au titre des travaux de reprise,
- dit que dans leurs rapports entre elles, la société LPF TP sera condamnée à garantir et relever indemne la société Fayat Entreprise TP à hauteur de 5 % de la condamnation au titre du préjudice matériel,
- condamné la société France Boissons Loire Sud Ouest à verser à la société anonyme Suez Eau France la somme de 4 690,41 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation au fond et jusqu'à complet règlement, sans recours en garantie contre quiconque,
- condamné la société Fayat Entreprise TP à indemniser la société France Boissons Loire Sud Ouest au titre du préjudice financier lié à la surconsommation d'eau à hauteur de 20 000 euros,
- dit que dans leurs rapports entre elles, la société LPF TP est condamnée à garantir et relever indemne la société Fayat Entreprise TP à hauteur de 5 000 euros de la condamnation prononcée au titre du préjudice financier de la société France Boissons Loire Sud Ouest,
- condamné la société Fayat Entreprise TP à verser à la société Etche [Localité 4] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, et rejeté plus amples demandes à ce titre,
- dit que la société Fayat Entreprise TP sera condamnée aux dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
12. La société France Boissons relevé appel du jugement le 20 décembre 2018.
Par arrêt du 30 juin 2022, la cour d'appel de Bordeaux a :
- donné acte à la société XL Insurance Company SE de son intervention volontaire venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurances,
- infirmé partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Fayat Entreprise TP à verser à la société Etche [Localité 4] la somme de 5 919,58 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres matériels (trop-plein et flotteur) et en ce qu'il a condamné la société Fayat Entreprise TP à indemniser la société France Boissons Loire Sud Ouest au titre du préjudice financier lié à la surconsommation d'eau à hauteur de 20 000 euros,
statuant à nouveau des chefs réformés,
- dit que le désordre affectant le trop plein de la réserve à incendie est de nature décennale,
- condamné in solidum la Sas Fayat Entreprise et la Sas GSE Régions à payer à la société Etche [Localité 4] la somme de 2 316,48 euros TTC au titre du désordre affectant le trop-plein,
- dit que la société Fayat Entreprise devra garantir et relever indemne la société GSE Région de cette condamnation,
- déclaré forclose l'action en indemnisation du désordre affectant le robinet flotteur,
- débouté la société France Boissons de ses demandes indemnitaires,
- confirmé le jugement entrepris pour le surplus des chefs déférés et y ajoutant,
- rejeté les demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl France Boissons Loire Sud Ouest aux dépens du présent recours.
La société France boissons Loire sud-ouest a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
13. Par arrêt du 2 mai 2024, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé mais seulement en ce qu'il rejette les demandes indemnitaires de la société France boissons Loire sud-ouest et en ce qu'il statue sur les dépens d'appel et l'application en appel de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux,
- mit hors de cause la société Suez eau France,
- remis sur ces points les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoiées devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée,
- condamné les sociétés Fayat entreprise TP et GSE aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes,
La cour d'appel de Bordeaux a été saisie le 24 juin 2024 pars la Sarl France Boissons Loire Sud-Ouest suite à un renvoi après cassation.
14. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 mars 2025, la Sarl France Boissons Loire Sud-Ouest demande à la cour, sur le fondement des articles1382 du code civil (aujourd'hui articles 1240 et 1241), 367, 480, 515, 699 et 700 du code de procédure civile :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- de faire droit l'appel qu'elle a interjeté,
- d'infirmer le jugement rendu le 9 octobre 2018 par le tribunal de grande Instance
de Bordeaux en ce qu'il a :
- rejeté les demandes dirigées contre la Sas Gse Regions,
- condamné la société Fayat Entreprise TP à indemniser la société France Boissons Loire Sud Ouest du préjudice financier lié à la surconsommation d'eau à hauteur de 20 000 euros,
statuant à nouveau :
- de condamner in solidum la Société Gse Regions, LPF TP et la Société Fayat Entreprise TP à lui payer la somme de 241 760,58 euros HT à titre de dommages et intérêts,
- de débouter la société Gse Regions, LPF TP et la société Fayat Entreprise TP de toutes leurs demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées à son encontre,
- de condamner in solidum la société Gse Regions, LPF TP et la Société Fayat Entreprise TP à lui payer la somme de 30 000euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des deux procédures d'appel, outre les entiers dépens de ces instances.
15. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2025, la Sas Fayat entreprises TP demande à la cour, sur le fondement de l'article 1240 du code civil :
- d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 9 octobre 2018 en ce qu'il :
- l'a condamné à indemniser la société France Boissons Loire Sud Ouest du préjudice financier lié à la surconsommation d'eau à hauteur de 20 000 euros,
- a dit que dans leurs rapports entre elles, la société LPF TP sera condamnée à la garantir et la relever indemne à hauteur de 5 000 euros de la condamnation prononcée au titre du préjudice financier de la société France Boissons Loire Sud Ouest,
- a rejeté les demandes dirigées contre la Sas Gse Régions,
- de rejeter l'appel de la société France Boissons Loire Sud Ouest ,
statuant à nouveau,
- de juger que la société France Boissons Loire Sud Ouest ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre d'une part la fuite et/ou la surconsommation d'eau, d'autre part les travaux réalisés par la concluante,
- de juger que l'intervention de la société LPF TP sur l'ouvrage de la concluante en 2015, ne permet plus de déterminer avec précision et certitude le lien de causalité entre l'ouvrage initial et le dysfonctionnement, objet du présent litige,
- de juger en toute hypothèse qu'elle ne saurait à l'égard de la société France Boissons Loire Sud Ouest, locataire et donc tiers au contrat de louage d'ouvrage, répondre des défaillances des travaux de son sous-traitant, la société Eugetec,
- de débouter en conséquence la Société France Boissons Loire Sud Ouest de ses demandes formulées à son encontre,
- de débouter les autres parties de leurs appels en garantie,
subsidiairement,
- de juger que la part de responsabilité de la concluante ne peut qu'être très limitée, l'expert retenant la responsabilité du maître d''uvre qu'est la Société Gse Regions, tant dans le suivi, le contrôle de l'exécution des travaux des travaux d'origine, que dans la maîtrise de la réparation du sinistre du sinistre,
- de rejeter toute demande de prise en charge par la concluante d'une quelconque somme au titre du préjudice financier consécutif à la consommation d'eau, déduction faite de la consommation normale, des frais d'abonnement, de TVA, de la redevance, préjudice imputable à la seule carence du locataire et de l'impéritie tant de Gse Regions, que de la société LPF TP,
- de condamner en tout état de cause sur le fondement des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, la société Gse Regions à garantir et relever indemne la concluante de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la société France Boissons Loire Sud-ouest,
- de condamner tout succombant à lui verser à une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
16. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mars 2025, la Sas GSE demande à la cour, sur le fondement des articles 1231-1, 1240 et 1241 du code civil, :
- de l'accueillir en ses demandes, fins et conclusions,
à titre principal,
- de constater que la Cour de cassation ne remets pas en cause sa mise hors de cause au titre des surplus d'eau,
à titre subsidiaire,
- de constater son absence de faute et de responsabilité,
en tout état de cause,
- de débouter France Boisson, LPF TP et Fayat de toutes leurs demandes dirigées contre elle, lesquelles sont irrecevables et en tout état de cause mal fondées,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de condamner in solidum les sociétés France Boisson, LPF TP et Fayat à la garantir de toutes condamnations qui pourrait être dirigée contre elle,
- de condamner in solidum France Boisson, LPF TP et Fayat à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner in solidum France Boisson, LPF TP et Fayat à payer les entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Pierre Fonrouge, Avocat au Barreau de Bordeaux, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
17. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2025, la Sas LPF TP demande à la cour, sur le fondement des articles 1382 ancien du code civil :
- de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 09 octobre 2018 en ce qu'il a :
- retenu la responsabilité de la société Fayat Entreprise TP dans la survenance du dysfonctionnement du robinet flotteur de la réserve incendie et des préjudices consécutifs,
- jugé que la société France Boissons Loire Sud Ouest a participé à l'aggravation de son préjudice financier consécutif à la surconsommation d'eau- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,
y faisant droit,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il :
- a rejeté les demandes dirigées à l'encontre de la Société Gse Regions,
- a alloué à la société France Boissons Loire Sud Ouest la somme de 20 000 euros en indemnisation de son préjudice financier consécutif à la surconsommation d'eau,
- l'a condamné à garantir et relever indemne la Société Fayat Entreprise TP à hauteur de 5 000 euros de la condamnation prononcée au titre du préjudice financier de la société France Boissons Loire Sud Ouest,
statuant à nouveau,
- de débouter la société France Boissons Loire Sud Ouest de sa demande au titre de son préjudicie financier consécutif à la surconsommation d'eau,
subsidiairement,
- de juger que la quote-part incombant à la société LPF TP au titre du préjudice financier consécutif à la surconsommation d'eau ne saurait excéder 5%,
- de condamner la Société Gse Regions et la Société Fayat Entreprise TP à la garantir et la relever indemne de toutes condamnations au titre du préjudice financier consécutif à la surconsommation d'eau excédant 5%,
en tout état de cause,
- de juger que le coût de la surconsommation d'eau antérieure à son intervention doit être exclusivement et intégralement supporté in solidum par la Société Gse Regions, la Société Fayat Entreprise TP et la société France Boissons Loire Sud Ouest,
- de condamner in solidum la Société Gse Regions, la société Fayat Entreprise TP et la société France Boissons Loire Sud Ouest à la garantir et la relever intégralement indemne de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au titre de la surconsommation d'eau antérieure à son intervention,
- de débouter la société Fayat Entreprise TP, et de manière générale toutes parties, de ses prétentions dirigées à son encontre,
- de condamner in solidum la société Gse Regions et la société Fayat Entreprise TP, ou toutes parties succombantes, à payer à la société LPF TP la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Gse Régions et la société Fayant entreprise TP, ou toutes parties succombantes, aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mars 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Préambule et rappel des faits
18. Il convient de rappeler que le bassin à usage de réserve d'incendie a été livré le 8 octobre 2012.
19. Selon les éléments fournis par la société France Boissons, locataire des lieux, une première facture, en date du 13 août 2014, faisait état d'une consommation de 9567 m3 pour la période courue de juillet 2013 à août 2014.
Le relevé opéré le 22 juillet 2013 portait sur un index de 11 m3.
Le relevé effectué le 4 août 2014 affichait le chiffre 9578.
On pourrait en déduire que la consommation depuis la mise en place de l'ouvrage, 10 mois plus tôt, n'a représenté que 11 m3.
Selon ce qu'elle indique à la SCI Etche [Localité 4] dans un courrier de réclamation du 7 septembre 2015, ce n'est que le 21 novembre 2014, en validant la facture de la société Lyonnaise des Eaux, que la société France Boissons a découvert une consommation anormale d'eau.
Elle aurait alors fermé la vanne d'alimentation en eau après avoir constaté que l'index affichait le chiffre de 140 426.
Dans cette hypothèse, la consommation aurait donc crû de 130 848 m3 en 6 mois.
20. Une seconde facture produite aux débats, du 20 août 2015, faisait état d'une consommation de 141 823 m3 pour la période d'août 2014 à juillet 2015.
Les index relevés sont à 9578 au 4 août 2014 et à 151 401 au 24 juillet 2015.
Il y a donc eu au cours de cette période d'un an, une consommation sans commune mesure avec celle observée au cours des deux années précédentes surtout si, à en croire les affirmations de la société France Boissons, la vanne d'alimentation en eau est restée fermée de novembre 2014 à juin 2015.
21. A la demande de la société CCR Aquitaine, devenue société GSE par la suite, une recherche de fuite à été confiée à la société Géoscope qui a remis un rapport, après s'être rendue sur place, le 21 novembre 2014.
Cette société estimait que la surconsommation observée était due à un dysfonctionnement de la poire de niveau.
22. A la suite de ce constat, s'ensuivront des échanges de messages électroniques entre la société Fayat et la société CCR.
Dans un message du 5 janvier 2015, un conducteur de travaux de la société Fayat estimait qu'il n'existait pas de dysfonctionnement de la poire de niveau mais une pression du réseau trop importante de sorte qu'il convenait de mettre en place un réducteur de pression.
23. Le 11 juin 2015, la société CCR a passé commande à la société LPF TP de la fourniture et de la pose d'un flotteur et d'un limiteur de pression.
Les travaux seront effectués dans les jours suivants.
24. Selon la société France Boissons (courrier du 7 septembre 2015 susvisé), cette réparation s'est avérée inutile puisqu'après avoir rouvert la vanne d'alimentation qui avait été fermée en novembre précédent avec un index à 140 426, le relevé opéré le 24 juillet mentionnait déjà 151 405 m3 et qu'il a pu être constaté, le 31 août 2015, un index de 153 567 m3.
25. Selon le rapport de l'expert-comptable de la société France Boissons (pièce 20), alors que le relevé opéré le 24 juillet 2015 mentionnait un montant de 151 405, l'index observé le 12 décembre 2018, est de 160 558, soit une consommation de 9153 m3 en plus de trois ans mais la vanne d'alimentation serait restée fermée d'octobre 2015 à décembre 2018.
En effet, entre-temps, il n'est fait état que de relevés estimés.
26. Il sera rappelé que l'expert judiciaire notait dans son rapport:
'Notre constat est le suivant : le robinet flotteur tel qu'il est posé ne permet pas de fermer le robinet pour les raisons suivantes : il est posé sur un embout de tuyau souple (polyéthylène) qui remonte avec le niveau d'eau sans opposer la résistance suffisante au flotteur pour qu'il ferme le robinet'.
27. Il ajoutait que :
« Les désordres sont liés directement à la conception des travaux : la pose d'un robinet flotteur sur un embout souple mobile ne permet pas de fermer le robinet par l'action du flotteur (qui ne trouve pas de réaction suffisante pour opérer la fermeture) à l'altitude voulue du niveau d'eau. L'entreprise chargée des travaux, compte-tenu de son expérience, aurait peut-être pu poser la question de respect des niveaux avec un tuyau souple, au maître d''uvre chargé de la direction des travaux ».
28. Selon lui, « L'erreur de fonctionnement est typiquement un problème de conception :
l'entreprise doit être sollicitée pour exécuter la pose du robinet avec une définition précise du résultat à obtenir ; les documents d'exécution sont ensuite validés par le maître d''uvre chargé de la direction de l'exécution.
Si l'intervenant chargé de faire les documents d'exécution s'est trompé en proposant un embout souple en polyéthylène, le maître d''uvre doit le lui faire changer avant validation'.
II- Sur la portée de la cassation
29. Conformément aux dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.
Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
30. La cassation annule intégralement le chef de dispositif qu'elle atteint quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation et la cour de renvoi n'est pas liée par les motifs de l'arrêt cassé, étant tenue d'examiner tous les moyens soulevés devant elle.
Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 625 du même code que sur les points qu'elle atteint la décision replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé.
La cour de renvoi est ainsi saisie par l'acte d'appel initial, dans les limites du dispositif de l'arrêt de cassation.
31. Selon l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris ceux afférents à la décision cassée.
32. En l'espèce, seule a été cassée la disposition de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 30 juin 2022 qui a rejeté les demandes indemnitaires de la société France Boissons Loire sud-ouest.
La Cour de cassation a en effet relevé :
'Pour rejeter les demandes indemnitaires, l'arrêt retient que si le préjudice de la société France Boissons est en lien avec l'opération de construction, celle-ci se contente de verser aux débats des factures portant sur les périodes litigieuses sans produire celles émises après la réparation du désordre, lesquelles auraient permis d'établir sa consommation moyenne d'eau et d'en déduire sa surconsommation, que les autres éléments produits ne sont ni certifiés ni probants et qu'elle ne propose aucun mode de calcul de cette surconsommation, de sorte qu'elle ne justifie pas du montant de son préjudice.
En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence, la cour d'appel a violé le texte susvisé', c'est-à-dire l'article 4 du code civil.
33. La société GSE Régions soutient qu'il en résulte que la question des imputabilités et des responsabilités ne peut plus être discutées puisqu'elle a été tranchée par la cour et que ce point n'est pas affecté par la cassation.
Elle rappelle qu'en effet, dans l'arrêt cassé, examinant la teneur du contrat de maîtrise d'oeuvre la liant au maître de l'ouvrage, la cour d'appel avait estimé que le défaut de conception du robinet-flotteur défaillant relevait des plans d'exécution dont elle n'avait pas la charge, à telle enseigne qu'elle avait condamné la société Fayat à la relever indemne de toute condamnation .
Elle en déduit que par conséquent, il en résulte une autorité de chose jugée quant à l'absence de faute susceptible de lui être reprochée.
34. De la même manière, la société France Boissons souligne que le tribunal avait retenu la responsabilité de la société Fayat et celle de la société LPF TP, que la cour d'appel ne l'a nullement infirmé sur ce point mais a simplement rejeté la demande faute de justification du préjudice.
Elle considère donc que puisque la cassation ne porte que sur ce point précis, la question de la responsabilité de ces sociétés ne peut plus être remise en cause.
35. En réalité, la motivation de l'arrêt de la cour du 30 juin 2022 dont se prévaut la société GSE ne concerne que les demandes qui étaient dirigées contre la société Fayat et la société GSE par le maître de l'ouvrage et de surcroît ne concernait pas la question du robinet-flotteur mais celle du trop-plein placé trop bas.
La cour a retenu sur ce point l'existence d'un dommage d'ordre décennal, à l'inverse de la question du robinet-flotteur dont elle a estimé qu'elle relevait de la garantie biennale qui était expirée, d'où l'irrecevabilité des demandes de réparation à ce titre.
36. La cour a donc retenu la responsabilité de plein droit de la société GSE par application de l'article 1792 du code civil puis, dans ses rapports avec la société Fayat, a estimé qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée.
37. Mais, s'agissant de la demande d'indemnisation formée par la société France Boissons, fondée sur la responsabilité délictuelle, la cour d'appel n'a pas statué sur les responsabilités.
Elle a rejeté d'emblée la demande de la société France Boissons en notant que 'sur le fondement de la responsabilité délictuelle, seul fondement sur lequel elle agit, qui suppose, quelles que soient les fautes reprochées, la preuve d'un préjudice en relation de causalité avec une faute, la société France Boissons' ne justifiait pas du montant de son préjudice.
Il ne peut en être déduit qu'elle aurait confirmé le jugement qui avait retenu la responsabilité des sociétés Fayat et LPF TP.
38. En cassant l'arrêt, la Cour de cassation note que la cour d'appel avait bien constaté l'existence d'un préjudice et ne pouvait donc refuser de l'évaluer mais ne relève pas que la cour s'était prononcée sur la responsabilité de ce préjudice.
Il appartient donc à la cour de céans de trancher ce point.
III- Sur les responsabilités
39. La société Fayat dénie toute responsabilité dans le désordre.
Elle considère en effet que la société France Boissons est seule responsable de son préjudice puisqu'elle n'a procédé à la validation de la facture du 13 août 2014 que le 21 novembre suivant alors qu'à cette date, la consommation d'eau était passée de 9578 m3 au 4 août à 140 426 m3 et que de la même manière, après la réparation effectuée en juin 2015, elle n'a procédé à aucune vérification attendant la réception de la facture du 29 août 2015 révélant alors une poursuite de la surconsommation d'eau.
40. Elle fait remarquer que le phénomène de surconsommation ne lui est pas imputable puisqu'il n'est apparu que tardivement, non pas dès le 8 octobre 2012 comme le prétend l'expert, mais seulement à partir de juillet ou août 2014, date à laquelle la consommation n'était encore que de 11 m3.
41. La société Fayat soutient encore que la responsabilité de la société LPF TP est certaine puisque c'est elle qui a remplacé le robinet qui n'a pas rempli son office alors qu'il lui appartenait de procéder à une réparation adaptée et efficace.
Qu'en toute hypothèse, comme l'a relevé l'expert, l'origine de ce désordre est à rechercher dans un défaut de conception imputable à la société EGS qui a manqué à ses obligations de direction et de suivi des travaux.
42. La société France Boissons considère également que la société GSE et la société LPF TP ont contribué, avec la société Fayat, à créer son préjudice de sorte qu'elles devraient être condamnées, toutes les trois, in solidum, à le réparer.
Sur ce,
43. Il est certes un peu étrange d'observer des variations de consommation d'eau assez erratiques dans cette affaire et qu'en définitive, aucune des parties ne précise ni quand ni de quelle manière il a été mis fin aux fuites.
En effet, si l'on s'en tient aux facturations, aux relevés des index (curieusement absents entre juillet 2015 et décembre 2018, c'est-à-dire à une époque où un suivi attentif et très régulier s'avérait particulièrement nécessaire!) et si l'on tient compte des périodes pendant lesquelles l'alimentation en eau était coupée, l'on observe qu'en juillet 2013, soit dix mois après la mise en service, l'index ne mentionne que 11 m3, soit très notablement moins que la capacité de la réserve qui est de 360 m3 et dont on peut pourtant supposer qu'elle a été remplie!
Il faut donc imaginer que le compteur séparé n'a été mis en place qu'après coup...
On observe ensuite une augmentation importante de 9567 m3 dès l'année suivante ( de juillet 2013 à août 2014) alors que selon les calculs de l'expert-comptable de la société France Boissons, la consommation annuelle moyenne, calculée de décembre 2018 à octobre 2023, est de 484 m3.
Cette augmentation est suivie d'une explosion de consommation, sans commune mesure avec celle de l'année précédente, puisqu'entre août 2014 et le 21 novembre 2014, soit en moins de six mois, celle-ci a été de 130 848 m3.
44. A cet égard, il ne saurait être reproché à la société France Boissons d'être à l'origine de son préjudice en ayant tardé à réagir à la réception de la facture d'août 2014.
Celle-ci invoque le fait que la facture de la société Suez était non conforme au 'process' (en français, la procédure) de facturation et de règlement en vigueur chez elle.
En tout état de cause, s'il lui appartenait certes de prendre toutes mesures utiles, son éventuelle carence n'était en rien à l'origine du fait dommageable.
De plus, comme il vient d'être vu, en août 2014, l'augmentation de la consommation restait assez modérée et il n'était pas possible d'imaginer une évolution telle que celle décrite plus haut.
45. Puisque la société LPF TP n'est intervenue qu'en juin 2015, il ne saurait lui être imputé un désordre qui s'est manifesté bien avant.
Il ne peut lui être attribué une part de responsabilité dans le dommage subi puisque celui-ci ne trouve nullement sa cause dans la réparation effectuée, celle-ci fût-elle parfaitement inefficace.
Au demeurant, il ne lui a pas été demandé d'analyser les causes de la fuite et il lui a été passé une commande précise, à savoir le changement du robinet-flotteur et la mise en place d'un réducteur de pression.
46. Il apparaît donc que c'est bien le dispositif mis en place par la société Fayat pour contrôler le niveau de l'eau de la réserve incendie qui est à l'origine du dommage.
Celui-ci n'a pas rempli son office et il en résulte donc un manquement de cette société à ses obligations, faute qui engage sa responsabilité.
47. S'agissant de la responsabilité de la société EGS en sa qualité de maître d'oeuvre, si celle-ci s'était bien vu confier une mission complète, le contrat qui la liait au maître de l'ouvrage prévoyait clairement : 'Il est ici précisé que les parties entendent exclure de la mission confiée à la société CCR en sa qualité de maître d''uvre la réalisation des études d'exécution (dimensionnement, notes de calcul, conformité aux règles de l'art) qui restera du ressort des entreprises et le contrôle de leurs bonnes réalisations qui est du ressort du Bureau de Contrôle Technique'.
De plus, la cause du sinistre étant liée, selon l'expert, à l'utilisation d'un embout souple au lieu d'un embout rigide, il n'appartenait pas au maître d'oeuvre en tout état de cause d'entrer dans ces détails d'exécution tant au stade de la conception qu'à celui du suivi et du contrôle.
48. Par conséquent, seule la société Fayat Entreprise sera reconnue responsable et le jugement sera infirmé qui a condamné la société LPF TP à la relever partiellement indemne de la condamnation prononcée contre elle et qui a reconnu une part de responsabilité à la charge de la victime.
IV- Sur le montant des dommages
49. La société Fayat Entreprise considère que la société France Boissons ne justifie pas du montant réel de son préjudice.
50. Cette dernière fournit cependant une étude détaillée de son expert-comptable qui a pu vérifier la consommation d'eau entre décembre 2018 et octobre 2023 qui correspond à une période pendant laquelle les fuites avaient été supprimées.
Il a pu en déduire que la consommation normale s'établissait à 484 m3 par an.
Il ne s'agit donc pas, contrairement à ce que soutient la société Fayat, de la période courue de 2016 à 2018 pendant laquelle en effet la vanne d'alimentation en eau était fermée de sorte qu'un tel calcul en serait nécessairement faussé.
L'expert-comptable a défini la consommation théorique normale pendant une période de 11 ans, soit de 2012 à 2023, ce qui représenterait une consommation de 5324 m3.
51. En la comparant à la consommation réelle, on constate une surconsommation de 157 656 m3 soit, sur la base d'une tarification au mètre cube de 1,56 ' HT, un montant de 245 188,32 ' HT.
En réalité, la société France Boissons se fonde sur un montant inférieur compte tenu d'une erreur ayant consisté à retenir une durée de calcul de 12 ans au lieu de 11.
Ce montant s'établit à 242 531,46 ' HT.
52. Après déduction du montant des abonnements et des taxes et redevances relatives au traitement des eaux usées à la 'préservation des ressources', la société France Boissons justifie bien d'un préjudice de 241 760,58 ' HT.
V- Sur les demandes accessoires
53. Le jugement sera confirmé quant aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, les dépens seront mis à la charge de la société Fayat qui versera à la société France Boissons Loire Sud-Ouest une somme de 7000 ' par application du texte susvisé.
Les autres demandes présentées sur ce fondement seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 30 juin 2022,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 octobre 2018 en ce qu'il a condamné la société Fayat Entreprise TP à payer à la société France Boissons la somme de 20 000 ' à titre de dommages et intérêts et en ce qu'il a condamné la société LPF TP à garantir et relever indemne la société Fayat Entreprise de la condamnation prononcée contre elle en lui versant la somme de 5000 '.
Statuant à nouveau,
Condamne la société Fayat Entreprise TP à payer à la société France Boissons Loire Sud-Ouest la somme de 241 760,58 ' HT à titre de dommages et intérêts.
Rejette les demandes dirigées contre la société LPF TP;
Confirme le jugement pour le surplus notamment en ce qu'il a mis hors de cause la société GSE Régions.
Y ajoutant,
Condamne la société Fayat Entreprise TP à payer à la société France Boissons Loire Sud-Ouest la somme de 7000 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour le surplus.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.