CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 mai 2025, n° 22/18955
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Epsylhom (SAS)
Défendeur :
Cateis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Lamy de la Chapelle, Me Hugues, SCP Bollet & Associés, Me Lecurieux-Clerville, SELARL Charles Lecurieux-Clerville
FAITS ET PROCÉDURE
La société S.A.S Epsylhom (ci-après Epsylhom) a pour activité le conseil et la prévention des risques en milieu professionnel.
La société S.A.S Catéis (ci-après Catéis) a pour activité le conseil et la formation en organisation du travail.
Ces sociétés entretiennent des relations d'affaires depuis 2014, Epsylhom intervenant en sous-traitance de Catéis.
La société Catéis a été désignée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la clinique [7], située à [Localité 6], pour réaliser une expertise risque grave. Celle-ci a été confiée à Mme [R], responsable de l'agence Catéis de [Localité 6] qui a désigné, par courriel du 20 avril 2018, Madame [O], présidente de la société Epsylhom comme chef de projet.
Le 11 mai 2018, la société Catéis a mis un terme à sa relation avec la société Epsylhom par l'envoi d'un courriel invoquant "une réorganisation interne annoncée ce matin et à effets immédiats" et annonçant "le gel de l'ensemble des prestations extérieures, cela afin de réguler l'activité interne".
Par courriel du 16 mai 2018, la société Epsylhom a transmis à la société Catéis un tableau récapitulatif des jours de travail effectués par ses équipes, d'un montant total de 6 240 ', correspondant à huit jours de prestations. Les parties n'ont pu s'accorder sur le paiement de cette facture, Cadeis réclamant que lui soient communiqués les éléments justifiant la somme due et le travail réellement effectué, Epsylhom faisant valoir que l'ensemble était déjà en possession de Catéis.
Par acte du 30 octobre 2020, la société Epsylhom a assigné la société Catéis devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir le paiement de la facture litigieuse et la réparation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 28 juin 2022, le tribunal de commerce de Marseille a :
Débouté la Société Catéis S.A.S. de sa demande de nullité du contrat pour absence de pouvoir de représentation ;
Condamné la Société Cateis S.A.S. à payer à la Société Epsylhom S.A.S. al somme de 975' TC (neuf cent soixante-quinze euros TTC) au titre de la facture impayée n° 2018/5/001, les pénalités au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne majoré de 10 points de pourcentage à compter de la date d'échéance de la facture, soit au 25 juin 2018, et la somme de 40' (quarante euros) au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement;
Déclaré que la Société Catéis S.A.S. a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la Société Epsylhom S.A.S. ;
En conséquence,
Condamné la Société Catéis S.A.S. à payer à la Société Epsylhom S.A.S. la somme de 2552,75 ' (deux mille cinq cent cinquante-deux euros et soixante-quinze centimes) au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Débouté la Société Catéis S.A.S. de sa demande reconventionnelle ;
Condamne la Société Catéis S.A.S. à payer à la Société Epsylhom S.A.S. la somme de 1000' (mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,
Condamné la Société Catéis S.A.R.L. aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par el secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 70,55 ' (soixante-dix euros et cinquante-cinq centimes) ;
Conformément aux dispositions des articles 514 et 515 du code de procédure civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire ;
Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
La société Epsylhom a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 7 novembre 2022. Catéis a formé appel incident.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 24 juillet 2023, la société Epsylhom demande à la Cour de :
Vu les articles 1103 et suivants, 1156, 1231-1 et 1342 du code civil,
Vu les articles L.441-10 et L.442-1 du code de commerce,
Débouter la SAS Catéis de son appel incident ;
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en date du 28 juin
2022 en ce qu'il a :
- débouté la SAS Catéis de sa demande de nullité du contrat pour absence de pouvoir de représentation ;
- déclaré que la SAS Catéis a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la SAS Epsylhom ;
- débouté la SAS Catéis de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la SAS Catéis à payer à la SAS Epsylhom la somme de mille euros (1.000 ') au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la SAS Catéis au paiement des entiers dépens ;
Pour le surplus,
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Catéis à payer à la SAS Epsylhom la somme de neuf cent soixante-quinze euros toutes taxes comprises (975 ' TTC) au titre de la facture impayée n°2018/5/001 émise par la SAS Epsylhom outre les pénalités au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne majorée de dix (10) points de pourcentage à compter de la date d'échéance de la facture, soit au 25 juin 2018, et la somme de quarante euros (40 ') au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en date du 28 juin 2022 en ce qu'il a condamné la SAS Catéis à payer à la SAS Epsylhom la somme de deux mille cinq cent cinquante-deux euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Y faisant droit et statuant à nouveau,
Condamner la SAS Catéis au paiement de la somme de six mille deux cent quarante euros (6.240,00') au titre de la facture impayée n°2018/5/0001, outre pénalités au taux d'intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne majoré de 10 points de pourcentage à compter de la date d'échéance de la facture soit au 25 juin 2018 et l'indemnité forfaitaire de recouvrement pour factures impayées d'un montant de 40 ' ;
Condamner la SAS Catéis à payer à la SAS Epsylhom la somme de seize mille sept cent quatre-vingt-deux euros et soixante-quatre centimes (16.782,64') à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de la relation commerciale établie ;
Ordonner la capitalisation des intérêts ;
En tout état de cause,
Condamner la SAS Catéis à verser à SAS Epsylhom la somme de cinq mille (5.000,00') sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la SAS Catéis aux entiers dépens de l'instance.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 27 avril 2023, la société Catéis demande à la Cour de :
Vu les articles L.442-1 II du code de commerce,
Vu les articles 1153, 1156,1158, 1231-3, 1353, et 1240 du code civil,
A titre principal :
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :
- constater la nullité de la convention de sous-traitance ;
- constater l'absence de relation commerciales établies ;
- constater les fautes commises par la société Epsylhom et le préjudice subi par la société Catéis ;
Par conséquent et statuant à nouveau :
- débouter l'Appelante de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Epsylhom au paiement de la somme de 28.900 euros à titre de dommages et intérêts ;
A titre subsidiaire :
- limiter la condamnation de la société Catéis à la somme de 812,50 euros au titre des factures prétendument impayées ;
Infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau :
- constater que l'Appelante a commis des fautes justifiant la rupture sans préavis de la relation commerciale et qui ont causé un préjudice à Catéis ;
- débouter la société Epsylhom de ses demandes au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ;
A titre infiniment subsidiaire :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- constater que le préavis dû à la société Epsylhom en vertu de la rupture brutale de la relation commerciale établie doit être limité à un mois ;
En tout état de cause :
- condamner l'appelante aux entiers dépens,
- condamner l'appelante au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
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MOTIVATION
I- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
L'article L. 442-1 du code de commerce, applicable en la cause, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
- Sur le caractère établi des relations commerciales
Moyens des parties
La société Catéis soutient que la relation commerciale avec la société Epsylhom ne peut être qualifiée d'établie en l'absence d'un accord-cadre ou d'un contrat à durée déterminée. Elle considère que les relations entre les parties étaient précaires, sans garantie de chiffre d'affaires ni d'exclusivité, et relève que le chiffre d'affaires réalisé par la société Catéis n'a représenté que 15 % du chiffre d'affaires global de la société Epsylhom en 2016. Sur le plan subjectif, la société Epsylhom ne pouvait raisonnablement anticiper la continuité de cette relation commerciale, aucune garantie contractuelle ne l'assurant. La hausse inexpliquée du chiffre d'affaires en 2017 ne saurait suffire à établir une relation stable. La société Catéis critique la décision du tribunal de commerce de Marseille, qui se fonde sur une simple attestation comptable, sans prendre en compte les éléments objectifs et subjectifs démontrant l'absence de relation commerciale établie. Elle en demande la réformation.
En réponse, la société Epsylhom fait valoir qu'un contrat écrit n'est pas une condition d'application de l'article L. 442-1 du code de commerce. Elle indique que la relation d'affaire est régulière depuis 2014. Elle précise également que M. [T] [J], dirigeant de la société Catéis, ne pouvait ignorer la sous-traitance avec la société Epsylhom, en raison de la politique interne dictée par ce dernier. Elle se prévaut aussi de l'attestation d'une ancienne responsable de la société Catéis.
Réponse de la Cour
Au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque " la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale ").
Il ressort au cas présent que les relations commerciales ont débuté dans les premiers temps de la création en 2014 d'Epsylhom par une ancienne salariée de Cadeis et que le flux d'affaires avec Cateis (prestations fournies par la société Epsylhom et rémunérées par la société Catéis) a dès cette époque été significatif, puisqu'il s'est élevé, du 6 juin au 31 décembre 2014, à 36, 62 % de son chiffre d'affaires total puis à 39, 43 % de celui-ci sur les trois exercices suivants (pièce Epsylhom n°25), ces relations présentant ainsi un caractère suivi et habituel, même si les volumes ont pu varier selon les années.
L'ancienne responsable administrative et comptable de Cadeis atteste de surcroît que " l'accroissement au sein de Cateis étant constante et forte, le cabinet a dû faire appel à de nombreuses reprises à des sous-traitants dont Mme [O] via sa société Epsylhom. Au fil du temps et surtout des retours très positifs des clients, Epsylhom comptait dans le top 3 des sous-traitants appelés pour intervenir sur diverses missions telles que les formations réglementaires de type CHSCT, RPS mais également sur des missions de plus longue durée comme les diagnostics et expertise CHSCT. La confiance de Cateis à lui confier ce type d'interventions a augmenté jusqu'à lui donner la chefferie de projets pour des clients importants tels que' " (pièce Epsylhom n°26)
Il s'ensuit que le jugement est confirmé, par ces motifs substitués, en ce qu'il a considéré que les relations commerciales étaient établies entre les parties du 6 juin 2014 au 11 mai 2018.
- Sur l'imputabilité de la rupture
Moyens des parties
La société Catéis soutient que les fautes lourdes commises par la société Epsylhom dans l'exécution de ses missions ont causé un préjudice considérable, justifiant ainsi la rupture immédiate et sans préavis de la relation commerciale. Elle reproche tout d'abord à la société Epsylhom une exécution défaillante de la mission réalisée pour le compte de la Clinique [7], en raison notamment de l'absence de pertinence des analyses effectuées, de la facturation excessive, de la désorganisation des équipes et d'une posture jugée clivante, s'apparentant à un " interrogatoire à charge " plutôt qu'à une démarche visant à comprendre et à apporter une aide. La société Catéis prétend en outre que la société Epsylhom a facilité un détournement de clientèle à son profit. Elle en outre dit dénoncer un manquement grave aux obligations légales et réglementaires relatives aux risques amiante, la société Epsylhom ayant fait intervenir une personne ne possédant pas les qualifications nécessaires dans le cadre d'une mission auprès du Centre Départemental du Var, ce qui aurait pu mettre en danger la sécurité des intervenants et des clients. Enfin, la société Catéis fait état de surfacturations anormales dans le cadre d'une mission réalisée pour le Centre Hospitalier Intercommunal d'[Localité 5], où des prestations non réalisées ont selon elle été facturées, ce qui aurait créé un préjudice commercial et d'image pour la société Catéis. En conséquence, la société Catéis sollicite de la Cour qu'elle infirme le jugement et condamne la société Epsylhom au paiement de 28.900 euros à titre de dommages et intérêts.
La société Epsylhom conteste ces allégations et demande à la Cour de confirmer le jugement qui a rejeté la demande reconventionnelle de la société Catéis sur ce point.
Réponse de la Cour
L'une des deux causes légales d'exonération prévue à l'article L. 442-1 II du code de commerce est l'inexécution par l'autre partie de ses obligations. La rupture peut dans cette hypothèse intervenir de manière immédiate, mais à la condition que le manquement reproché au partenaire évincé soit d'une certaine gravité, cette circonstance, de jurisprudence constante, étant entendue strictement. Si tel n'est pas le cas, la qualification de rupture brutale ne peut être écartée.
Au cas présent, le tribunal a dans la décision attaquée, par une motivation précise que la Cour adopte, observé que la société Epsylhom reprenait une à une les allégations de la société Cateis et démontrait que celles-ci n'étaient justifiées sur aucun point.
Il en a à raison déduit, au vu des différentes pièces fournies et des arguments avancés par chaque partie, qu'il il devait être constaté qu'aucune faute ni manquement grave imputable à Epsylhom ne pouvait justifier une rupture sans préavis.
La décision attaquée est confirmée.
- Sur le préavis éludé
Moyens des parties
La société Epsylhom soutient que le tribunal a, à tort, limité à trois mois la durée du préavis que la société Catéis aurait dû respecter avant de rompre la relation commerciale, et que l'indemnité de 2.552 ' fixée est insuffisante. Elle conteste l'analyse du tribunal selon laquelle il n'existait pas de dépendance économique, ce dernier ayant retenu que la part du chiffre d'affaires réalisé avec la société Catéis représentait 35 % en moyenne sur les trois dernières années. Elle fait valoir qu'une telle approche occulte l'évolution de la relation commerciale. Elle produit une attestation de son expert-comptable (pièce n°25), selon laquelle, au 31 décembre 2017, cinq mois avant la rupture, le chiffre d'affaires réalisé avec la société Catéis représentait 71,33 % de son chiffre d'affaires total et 88,22 % de sa marge sur coûts directs, faisant de la société Catéis son principal client. Elle affirme qu'à la suite de cette rupture, elle a subi une perte significative de chiffre d'affaires, la plaçant au bord de la cessation des paiements, et qu'il lui a fallu huit mois pour retrouver des marchés équivalents.
En réponse, la société Catéis soutient que l'évaluation du préjudice allégué par la société Epsylhom est manifestement excessive, soulignant l'incohérence des montants réclamés, subitement réévalués de 9.000 euros à 16.782,64 euros sans justification. Elle affirme qu'un préavis de huit mois ne saurait être retenu au regard d'une relation commerciale d'une durée de trois ans, dépourvue de toute dépendance économique. Rappelant que l'appréciation de la durée du préavis relève des circonstances de l'espèce, elle invoque la modicité de la part de son chiffre d'affaires dans l'activité de la société Epsylhom, limitée à 15 %, l'absence de toute clause d'exclusivité, ainsi que l'inexistence d'investissements spécifiques. La société Catéis prétend enfin qu'en jurisprudence, sauf situation exceptionnelle, un préavis de trois mois est jugé suffisant en l'absence de lien de dépendance avéré.
Réponse de la Cour
Le préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960).
Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé.
L'état de dépendance économique, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L. 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Au cas présent c'est à raison que le tribunal, sans retenir l'état de dépendance économique, a pris en considération tout à la fois la part du flux d'affaires intervenu entre les deux partenaires les trois dernières années et l'absence d'investissement dédiés à la relation.
Le fait que la société Epsylhom aurait mis de fait 8 mois pour retrouver un courant d'affaires équivalent n'a pas à être pris en compte car il s'agit d'un élément postérieur à la rupture.
La Cour retient l'analyse du tribunal sous cette réserve.
Y ajoutant, la Cour retient à titre complémentaire qu'une progression du chiffre d'affaires est intervenue dans les derniers mois de la relation, circonstance qui est cependant de moindre importance en considération des flux plus faibles ayant précédemment caractérisé la relation, laquelle, comme souvent en matière de sous-traitance, a connu des variations sensibles.
La Cour observe enfin les relations ne connaissaient aucune exclusivité, d'une part, et que la spécificité du marché et des services en cause ne donne pas lieu à développements, d'autre part.
Il résulte de l'ensemble qu'il convient, pour ces motifs en partie substitués, de retenir la durée du préavis fixée en première instance, soit trois mois.
- sur le préjudice
Moyens des parties
La société Epsylhom, se référant à l'arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 2019 (n°17-26.870), évalue son préjudice à 16.782,64 ', en multipliant la marge mensuelle de 2.097,83 ', calculée sur l'année 2017, par la durée de préavis qu'elle estime raisonnable à huit mois.
La société Cateis ne remet pas en cause le chiffrage du préjudice effectué par Epsylhom en considération de l'attestation de l'expert-comptable de la société Epsylhom en date du 18 juin 2018 mais estime que la durée du préavis ne saurait excéder un mois soit, 2.097,83 euros.
Réponse de la Cour
Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : " le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période ").
Le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.
Au cas présent, il est constant que la marge mensuelle retenue par les parties s'élève à la somme de 2.097,83 ', soit un chiffre différent de celui auquel était parvenu le tribunal.
Le préavis éludé étant de trois mois, le préjudice s'établit à la somme de 6293, 49 euros.
Le jugement est infirmé.
II- Sur la mission CHSCT clinique [7]
- Sur l'existence d'un contrat entre les parties pour la mission CHSCT Clinique [7]
La société Catéis soutient que la convention de sous-traitance avec la société Epsylhom pour la mission CHSCT à la Clinique [7] est invalide en raison de l'absence de preuve de son accord, la validité du contrat reposant sur l'existence des pouvoirs du représentant, conformément aux articles 1153, 1156 et 1157 du code civil. Selon la société Catéis, Madame [O], Présidente de la société Epsylhom, ne pouvait ignorer que Madame [R], simple responsable d'agence, n'avait pas le pouvoir de conclure une sous-traitance sans l'accord écrit d'un représentant légal de la société Catéis, en vertu de la politique interne de cette société de 2018 (pièce 4), qui exigeait une autorisation préalable pour recourir à des prestataires. Il incombait selon la société Catéis à la société Epsylhom de vérifier les pouvoirs de l'intéressée avant la conclusion de l'accord, conformément à l'article 1158 du code civil. Alors qu'il appartient selon elle à Epsylhom de prouver que Madame [R] disposait des pouvoirs nécessaires pour engager la société, comme le rappelle la jurisprudence (Cour de cassation, 19 janvier 2016, n° 14-11.604), aucun élément n'est apporté pour prouver l'habilitation de Madame [R] à signer la convention litigieuse de sous-traitance. La société Epsylhom pouvait selon elle d'autant moins ignorer l'absence de pouvoir de la responsable de l'agence de [Localité 6] que leur relation professionnelle était étroite, comme en témoigne l'utilisation du prénom "[Z]" dans leurs échanges. La société Catéis en déduit que cette convention n'a jamais été consentie et doit être déclarée nulle, le jugement devant être infirmé en conséquence.
La société Epsylhom, rappelant les dispositions de l'article 1113 du code civil, répond que le tribunal a correctement retenu l'existence d'un contrat entre les parties. Même en l'absence d'écrit, un tel accord crée des obligations réciproques entre les parties. La société Epsylhom invoque également la théorie du mandat apparent, en soulignant que la société Catéis a laissé entendre que Madame [M] [R], responsable d'agence, disposait des pouvoirs nécessaires pour engager la société, en raison de la croyance légitime qu'en avait la société Epsylhom. Cette croyance est d'autant plus fondée compte tenu de la longue relation commerciale entre les deux sociétés. La société Catéis reconnaît d'ailleurs qu'auparavant, jusqu'en 2018, les responsables d'agences étaient habilités à engager des prestataires extérieurs.
Réponse de la Cour
En application de l'article 1113 du code civil, le contrat est formé par la rencontre entre une offre et une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager.
L'article 1153 du même code dispose que le représentant légal, judiciaire ou conventionnel n'est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui sont conférés.
Aux termes de l'article 1156, l'acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant.
L'article 1157 dispose que lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l'acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement de pouvoir ou ne pouvait l'ignorer.
Aux termes de l'article 1158, le tiers qui doute de l'étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l'occasion d'un acte qu'il s'apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu'il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.
Si en principe, le mandat n'est pas obligé envers les tiers pour ce que le mandataire a fait au-delà du pouvoir qui lui a été donné, il en est autrement lorsqu'il résulte des circonstances que le tiers a pu légitimement croire que le mandataire agissait en vertu d'un mandat et dans les limites de celui-ci (en ce sens Civ, 1ere, 30 mars 1695)
Au cas présent, il est constant que jusqu'en 2018 :
- le recours à des sous-traitants était courant au sein de Cateis pour faire face à l'accroissement de l'activité ;
- les responsables d'agences étaient habilités à engager des prestataires extérieurs.
Cateis a diffusé une note interne pour 2018 relative à la " fonction de RA ", précisant un certain nombre de points dont le responsable d'agence était garant (atteinte des objectifs et marge de l'agence, qualité des productions, respects des process, organisation et planification du travail') et mentionnant à la rubrique "6/ Garant de l'adéquation des ressources " :
"Il s'assure en interne de ressources suffisantes. Il gère le surcroit par : la mutualisation en interne, le recours à des CDD, enfin le recours à des prestataires. Le recours à des prestataires doit être exceptionnel. Il sera soumis à autorisation. Dans le recours aux prestataires VP est prioritaire ".
Cependant, comme souligné par le tribunal dans la décision attaquée, cette note interne n'est pas opposable au tiers qu'est la société Epsylhom. De surcroît, Cateis ne démontre pas avoir, d'une manière ou d'une autre, informé ses sous-traitants habituels du changement de mode de désignation d'un sous-traitant.
La Cour ajoute qu'il ressort du mail de Catéis à Epsylhom du 11 mai 2018 que la réorganisation a été annoncée le matin même " avec effets immédiats ", ceci impliquant " le gel de l'ensemble des prestations extérieures " (pièce Epsylhom n°8).
Il s'ensuit que la société Epsylhom, qui travaillait depuis 4 ans avec l'agence Cateis de [Localité 6] comme sous-traitant sans qu'aucune autorisation du siège ne soit requis, pouvait légitimement croire en les pouvoirs de la responsable de l'agence lorsque qu'elle lui a sous-traité la mission CHSCH clinique [7], faute d'élément avéré de nature à la conduire à douter de l'étendue de ceux-ci.
Le jugement est confirmé.
- Sur le paiement de la facture relative la mission CHSCT [7]
Moyens des parties
La société Epsylhom soutient que le Tribunal de commerce de Marseille a, à tort, limité le montant de la facture n°2018/5/001 à 975 ' toutes taxes comprises. Elle invoque les articles 1103, 1104 et 1342 du code civil relatifs à la force obligatoire des contrats, à la bonne foi contractuelle et au paiement comme exécution de la prestation due. La société Epsylhom affirme avoir effectué huit jours de travail dans le cadre de la mission Clinique [7] pour un montant de six mille deux cent quarante euros (6 240 ') toutes taxes comprises (TTC), alors que le tribunal n'a retenu que 1,25 jour de prestations, évaluées à huit cent douze euros et cinquante centimes (812,50 ') hors taxes, sur la seule base des éléments reconnus par la société Catéis. Elle détaille les interventions réalisées, notamment les réunions, l'organisation logistique, les entretiens et la transmission des éléments, et soutient avoir produit des justificatifs attestant de la réalité de ces diligences. Elle reproche à la société Catéis de ne fournir aucun élément probant pour contester l'ampleur des prestations effectuées. En conséquence, la société Epsylhom demande à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner la société Catéis au paiement intégral de la facture de 6 240 ' toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux de la Banque centrale européenne majoré de dix points à compter du 25 juin 2018, ainsi que de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévue par l'article L.441-10 du Code de commerce.
En réponse, la société Catéis soutient que la société Epsylhom ne justifie pas le temps de travail effectué dans le cadre de la mission CHSCT [7], conformément à l'article 1353 du code civil. Elle met en évidence des incohérences dans les demandes de la société Epsylhom, qui a initialement revendiqué treize jours de travail (pièce Epsylhom n°9), puis huit jours facturés, et a réduit sa créance de 24 570 ' TTC à 6 240 ' TTC, sans fournir de justification. La société Catéis affirme que la société Epsylhom ne fournit aucun élément probant, se limitant à des tableaux dépourvus de valeur. Elle conteste la réunion de lancement du 20 avril 2018, débutée à 15h45 (pièce Epsylhom n°3), qu'elle estime ne pas pouvoir excéder 0,25 jour. De même, la réunion de coordination du 27 avril 2018, débutée à 10h (pièce Epsylhom n°4), ne saurait dépasser 0,25 jour, aucune preuve ne démontrant la présence de deux consultants. Elle conteste également l'organisation logistique du 30 avril 2018 et les entretiens du 2 mai 2018, en l'absence de pièces justificatives. Concernant les prestations du 9 mai 2018, elle ne reconnaît que 0,75 jour, aucun élément ne prouvant l'intervention de deux consultants (pièce Epsylhom n°15). Elle rejette également l'échantillonnage du 10 mai 2018, qu'elle considère comme non étayé, ainsi que les prestations des 11 et 14 mai 2018, postérieures à la rupture des relations actée par un courriel du 11 mai 2018. Par conséquent, la société Catéis sollicite la confirmation du jugement et la réduction de la condamnation à 812,50 ' hors taxes.
Réponse de la Cour
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame le paiement d'une obligation doit la prouver.
La Cour retient que parmi les pièces versées, seules sont utiles aux débats :
- le protocole technique et financier par lequel Catéis procède, à l'attention du CHSCT, à une "décomposition de la mission d'expertise " (pièce n°5 Epsylhom) ;
- un mail et un document (pièces Epsylhom n°3 et 20) qui établissent que Mme [O] était accompagnée lors de la réunion lancement le 20 avril 2018 de Mme [W], psychologue du travail et que ces mêmes personnes ont procédé à une matinée d'entretien le lundi 30 avril matin ;
- les quelques documents parcellaires produits desquels il ressort qu'un certain travail de coordination et d'organisation logistique a été mené par Mme [O] avant le 11 mai 2018, date à laquelle Epsylhom a été dessaisi (pièces Epsylhom n°6 à 9 et 20 à 22).
L'ensemble correspond à 2 jours de travail. Doit y être ajouté la journée d'entretien du 9mai, qui est contestée de façon non pertinente par Catéis dans son quantum.
Il s'ensuit que la société Catéis sera condamnée à payer la somme de 2 340 euros TTC au titre des trois jours de travail réalisés et non payés.
Aucun taux d'intérêt ne figurant sur la facture (pièce Epsylhom n° 11), le taux de la BCE majoré de 10 points sera appliqué à compter de la date d'échéance de la facture soit le 25juin 2018.
Le jugement est infirmé dans cette limite.
C'est à raison que le tribunal a à titre complémentaire condamné Catéis au versement de la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
III- Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant, la société Catéis, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Epsylhom la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Catéis à payer à la société Epsylhom:
- la somme de 975 euros TTC au titre de la facture impayée n° 2018/001 ;
- la somme de 2 552,75 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la société Catéis à payer à la société Epsylhom la somme de 2 340 euros TTC au titre de la facture impayée n°2018/001 ;
Condamne la société Catéis à payer à la société Epsylhom la somme de 6 293, 49 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Confirme le jugement en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Catéis à payer à la société Epsylhom la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Catéis à supporter les entiers dépens d'appel