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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 21 mai 2025, n° 24/03109

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

N2B (SARL)

Défendeur :

VIF 1 (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Drahi, Mme Laurent

Avocats :

Me Callies, Me Palazzolo

TJ Lyon, en référé, du 25 mars 2024, n° …

25 mars 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous-seing-privé en date du 19 février 2009, la société LB Immo Invest GMBH, aux droits de laquelle vient la SCI VIF 1, a donné à bail à la société Sapristi, aux droits de laquelle vient la SARL N2B en vertu d'une cession de fonds de commerce, des locaux au rez-de-chaussée de l'immeuble «'La Minotterie'» situé [Adresse 2] à [Localité 6] pour y exploiter une activité « restaurant, bar, traiteur, plat emportait les débits de boissons utilisant la licence quatre ».

Après deux précédents commandements de payer le bailleur a, le 1er décembre 2022, fait délivrer au locataire un troisième commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 38'438,86 ' en principal outre les frais.

Par lettre recommandée du 30 décembre 2022, la société N2B a contesté les causes du commandement en expliquant être à jour du règlement des loyers.

Prétendant quant à elle que les causes du commandement de payer n'avaient pas été apurées dans le mois de sa délivrance, la SCI VIF 1 a, par exploit du 24 mars 2023, attrait la société N2B devant la juridiction de référé en constat de la résiliation du bail. Par ordonnance de référé contradictoire du 25 mars 2024, le président du Tribunal Judiciaire de Lyon a':

Constaté qu'à la suite du commandement en date du 1er décembre 2022, le jeu de la clause résolutoire est acquis au bénéficie de la société VIF 1 à compter du 1er janvier 2023,

Dit que la société N2B et tous occupants de son chef devront avoir quitté les lieux qu'elle occupe dans l'immeuble «'La Minoterie'», sis [Adresse 2], dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente et que passé cette date, elle pourra être expulsée avec le concours de la force publique,

Condamné la société N2B, en deniers ou quittance, au paiement de la somme provisionnelle de 101'450.04 ' TTC au titre des loyers et charges impayés au 2 janvier 2024, premier trimestre inclus, outre intérêts au taux légal à compter du commandement,

Débouté la société N2B de ses contestations, de même que de ses demandes de délais de paiement/suspension des effets de clause résolutoire,

Condamné la société N2B à verser à la société VIF 1 une indemnité d'occupation mensuelle et non journalière, équivalente au montant du loyer et des charges en cours à compter du 1er avril 2024 et jusqu'à la libération effective des lieux,

Débouté la société VIF 1 pour le surplus de ses demandes : attribution du dépôt de garantie, condamnation sous astreinte de la société N2B, libérer le sous-sol de tous objets, matérielles et marchandises lui appartenant,

Déclaré commune à la société CIC-Lyonnaise de Banque, créancier inscrit, la présente ordonnance,

Condamné la société N2B à verser à la société VIF 1 la somme de 800 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la société N2B aux dépens de l'instance en ce compris le coût du commandement de payer et dénonce à créancier inscrit.

Par déclaration en date du 9 avril 2024, la société N2B a relevé appel de cette décision en ceux de ses chefs lui étant défavorables et, par avis de fixation du 24 avril 2024 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.

Par jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 9 juillet 2024, la société N2 B a été placée en redressement judiciaire et maître [E] [W] [V] a été nommé en qualité d'administrateur judiciaire et maître [I] [J] en qualité de mandataire judiciaire.

***

Aux termes de leurs écritures remises au greffe par voie électronique le 4 octobre 2024 (conclusions d'appelant n°4), la SARL N2B, appelante, et la SELARL AJ [V] et associés, administrateur judiciaire de la société N2B et la SELARL MJ Synergie, mandataire judiciaire, intervenantes volontaires, demandent à la cour':

Juger bien fondé l'appel interjeté par la société N2B a l'encontre de l'ordonnance du Juge des référés près le Tribunal Judiciaire de Lyon du 25 mars 2024,

Infirmer l'ordonnance du Juge des référés près le Tribunal Judiciaire de Lyon du 25 mars 2024 en ce qu'elle a : (reprise des chefs de l'ordonnance défavorables à l'appelante),

Statuant de nouveau :

A titre principal,

Juger que les demandes de la société VIF 1 tendant à voir constater le jeu de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail commercial en date du 19 février 2009 se heurte au principe de l'arrêt des poursuites,

Débouter la société VIF 1 de l'intégralité de ses demandes, prétentions et allégations,

Renvoyer la société VIF 1 à se soumettre à la procédure normale de versification des créances devant le juge commissaire,

En tout état de cause,

Condamner la société VIF 1 à payer à la société N2B, représentée par son administrateur la société SELARL AJ [V] la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la même aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct au profit de la SELARL Berard Callies, Avocat.

Elle invoque d'abord le principe de l'arrêt des poursuites au visa de l'article L.622-1 du Code de commerce. Elle rappelle que l'ordonnance de référé constatant la résiliation de plein droit du bail n'a pas force de chose jugée dès qu'elle est rendue mais seulement lorsqu'elle n'est plus susceptible d'appel. Elle demande en outre à la cour de rejeter la demande de la société VIF 1 en paiement d'une provision et de la renvoyer à suivre la procédure de vérification des créances devant le juge commissaire.

Sur le fond, elle oppose au bailleur des contestations sérieuses concernant le montant de l'arriéré de loyer, affirmant d'abord qu'elle avait adressé un chèque de 20'000 ' en règlement du quatrième trimestre 2022 et qu'elle s'était acquittée de 135'515 ' au cours de l'année 2022, preuve de sa bonne foi, alors que la société VIF 1 n'avait toujours pas appliqué la franchise de deux mois promise, ni donné d'explication sur les charges appelées.

Elle rappelle avoir adressé les décomptes à la société bailleresse qui ne les a jamais contestés. Elle considère que la société VIF 1 ne respecte pas les accords passés, ni le protocole d'accord transactionnel du 5 juin 2020. Elle conteste en outre l'application de pénalités et elle déplore l'absence de régularisation de charges, jugeant à cet égard insuffisant les pièces communiquées dans le cadre de la procédure. Elle relève que la circonstance que les pénalités de retard sont prévues à l'article 12 du contrat n'enlèvent rien au fait que la société bailleresse ne justifie pas du calcul des pénalités réclamées, considérant que la société VIF 1 fait en réalité une application arbitraire de cet article 12 ne mettant pas le locataire en mesure de vérifier le décompte. En tout état de cause, elle considère que la somme réclamée, non seulement procède d'un calcul erroné, mais est en outre manifestement excessive. Elle relève que des frais d'huissier de justice sont inclus dans le décompte alors même qu'aucun justificatif n'est versé au dossier.

Elle considère qu'en sollicitant de voir inclus ces frais dans les dépens, la société VIF 1 réclame deux fois la même somme.

Concernant la demande de libérer le sous-sol sous astreinte, elle oppose là encore des contestations sérieuses puisque le bail mentionne le droit d'usage d'une cave. Elle se prévaut des déclarations du vendeur concernant l'accord du bailleur.

À titre subsidiaire, elle sollicite des délais de paiement suspensifs des effets de la clause résolutoire, à raison de sa bonne foi d'abord et à raison du montant de la dette locative qui est parfaitement résorbable une fois décomptées les pénalités et franchise accordée. Elle souligne que malgré la crise sanitaire, elle a toujours payé les loyers et que la génération d'un chiffre d'affaires au-dessus de 600'000 ' permet d'atteindre le point d'équilibre financier pour payer les dettes et couvrir les dépenses. Elle précise avoir contracté un emprunt PGE 240'000 ' pour passer le cap et employer actuellement six salariés en plus du gérant.

***

Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 28 mars 2025 (conclusions d'intimée), la SCI VIF 1 demande à la cour':

Débouter la société N2B de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Donner acte à la société VIF 1 de ce qu'elle reconnaît être rétroactivement irrecevable en ses demandes formulées en première instance du fait de l'ouverture de la procédure collective,

Juger que chaque partie conservera la charge de ses frais engagés.

Elle ne conteste pas que, en suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'endroit de la société N2B au cours de la présente procédure d'appel, elle ne peut plus poursuivre, ni le paiement des sommes dues, ni l'expulsion de cette dernière dès lors que l'ordonnance de première instance n'est pas passée en force de chose jugée.

De manière purement superfétatoire, elle demande la confirmation de l'ordonnance en faisant valoir que le paiement de 20'312 ' était insuffisant à apurer les causes du commandement de payer de sorte que la clause résolutoire a joué. Elle considère qu'il n'est pas sérieux de prétendre que le bailleur n'a pas contesté les décomptes du locataire compte tenu notamment de l'engagement de la procédure en résiliation de bail.

Elle fait valoir que la proposition d'allègement Covid était conditionnée à l'apurement de la dette, ce que la société N2B n'a pas réalisé, outre que cet allègement s'entendait du loyer hors charges. Elle se défend de toute mauvaise foi et elle rappelle avoir justifié des charges et explicité leur calcul lors d'un rendez-vous puis ensuite par courrier en date du 5 avril 2022. Puisque désormais, la société N2F réclame les factures de charges, elle précise les lui avoir communiquées. Concernant les pénalités, elle précise les avoir régulièrement calculées et elle conteste que ces pénalités soient sérieusement contestables de sorte que le juge des référés n'avait pas à les retrancher. Concernant les frais d'huissier de justice, elle fait valoir que le bail prévoit expressément qu'ils sont à la charge du locataire, estimant qu'elle est ainsi d'autant plus fondée à solliciter qu'ils soient inclus dans les dépens.

Elle s'oppose à la demande de délai de paiement, discutant d'abord de la bonne foi de la société N2F, puis de sa capacité à respecter des délais dès lors que son bilan comptable pour 2023 démontre qu'elle est exsangue financièrement.

Elle demande la libération sous astreinte de la cave occupée puisque celle-ci ne ressort pas de l'assiette du bail.

***

Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.

MOTIFS,

Sur la demande de provision':

L'article L.622-21 du Code de commerce pose le principe d'ordre public de l'interruption ou l'interdiction de toute action en justice exercée par un créancier contre un débiteur faisant l'objet d'une procédure collective ayant pour objet le paiement d'une somme d'argent, dont la créance est antérieure à la procédure collective.

Au sens de l'article L.622-22 du Code de commerce, l'instance en cours, interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance, est celle qui tend à obtenir, de la juridiction saisie du principal, une décision définitive sur le montant et l'existence de cette créance.

Dès lors, l'instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle, n'est pas interrompue par la survenance de la procédure collective mais la créance faisant l'objet d'une telle instance doit être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire.

En l'espèce, la société N2B produit le jugement rendu le 9 juillet 2024 par le tribunal de commerce de Lyon ayant prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire la concernant. Cette procédure collective a été ouverte au cours de l'instance d'appel mais, s'agissant d'une instance en référé, celle-ci n'est pas interrompue. Pour autant le juge commissaire conserve le pouvoir de prononcer l'admission ou le rejet de la créance.

Dès lors, l'ordonnance ayant accueillie la demande en paiement d'une provision ne peut qu'être infirmée, cette demande se heurtant à la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé. Statuant à nouveau, la cour dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en paiement d'une provision.

Sur la résiliation du bail':

L'article L.145-41 du Code de commerce énonce : « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. ».

Combiné au principe de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, cet article emporte que le jeu de la clause résolutoire insérée au contrat de bail est paralysé dès lors qu'à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, l'action n'a pas encore été engagée ou que la décision ordonnant la résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers n'est pas encore passée en force de chose jugée.

En l'espèce, la SCI VIF 1 a engagé son action en résiliation du bail avant l'ouverture de la procédure collective du preneur. Néanmoins, l'ordonnance de référé rendue le 25 mars 2024, dès lors qu'elle a été frappée d'appel, n'était pas passée en force de jugée au jour de l'ouverture de la procédure collective. Dès lors, en vertu de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, la juridiction des référés ne peut pas accueillir la demande en résiliation de bail.

L'ordonnance ayant accueillie la demande en résiliation de bail doit être infirmée, cette demande étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé. Statuant à nouveau, la cour dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes en résiliation de bail et expulsion du preneur.

Sur les autres demandes':

La SCI VIF 1 succombant, la cour infirme la décision déférée qui a condamné la société N2B aux dépens de première instance et à payer à la société Bailleresse la somme de 800 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Statuant à nouveau, la cour condamne la SCI VIF 1 aux dépens de première instance et rejette la demande qu'elle a présenté à l'encontre de la société N2B en première instance sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A hauteur d'appel, la cour condamne la SCI VIF 1 aux dépens à hauteur d'appel et rejette les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 9 juillet 2024 prononçant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL N2B,

Infirme l'ordonnance de de référé rendue le 25 mars 2024 par le Président du Tribunal judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions critiquées,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes présentées par la SCI VIF 1,

Condamne la SCI VIF 1, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

Condamne la SCI VIF 1, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SELARL Berard Callies, avocat, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile,

Rejette les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

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