CA Versailles, ch. com. 3-1, 21 mai 2025, n° 23/05031
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LRCB (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Voitellier, Me Regnier, Me Campanaro, Me Chevalier
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 9 mai 2000, M. [X] [D] et Mme [T] [N] épouse [D] ont donné à bail commercial à la société Le Relais restauration des locaux à usage de café-restaurant, pour une durée de neuf années à compter du 9 mai 2000, moyennant un loyer annuel en principal de 240.000 francs.
Le 29 juillet 2004, la société Le Relais restauration a cédé son fonds de commerce à la société LRCB.
A échéance, le bail s'est poursuivi par tacite prolongation.
Par actes extrajudiciaires délivrés le 14 juin 2016 puis le 16 janvier 2017, la société LRCB a demandé le renouvellement de son bail moyennant un loyer annuel de 24.000 euros.
Entre-temps, par acte en réponse délivré le 31 octobre 2016, les époux [D] ont accepté le principe du renouvellement du bail moyennant un loyer annuel fixé à la somme de 56.274,60 euros.
Le 18 avril 2017, la société LRCB a notifié aux bailleurs un mémoire en demande de fixation de loyer, resté sans réponse.
Par acte d'huissier du 19 juin 2017, la société LRCB a fait assigner les époux [D] devant le juge des loyers commerciaux de Versailles en fixation du montant du loyer du bail renouvelé à la somme de 24.000 euros.
Par jugement du 22 mars 2018, le juge des loyers commerciaux a constaté le renouvellement du bail au 1er juillet 2016, ordonné une expertise portant sur la valeur locative des locaux et commis M. [C] pour y procéder.
Dans son rapport d'expertise du 3 décembre 2018, l'expert judiciaire a conclu à un loyer plafond de 56.275 euros et à un loyer de marché de 56.300 euros.
Les parties n'ont pas donné suite à l'action en fixation du montant du loyer du bail renouvelé.
Par acte d'huissier du 15 février 2022, la société LRCB a fait signifier aux époux [D] une demande de révision triennale du loyer à la somme de 26.315 euros, sur la base d'un rapport d'expertise amiable du 18 mars 2022. Cette demande est restée sans réponse.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 mai 2022, reçue le 5 mai 2022, la société LRCB a notifié aux époux [D] un mémoire en demande de révision de loyer.
Par acte d'huissier du 20 décembre 2022, la société LRCB a fait assigner les époux [D] devant le juge des loyers commerciaux de Versailles en vue des mêmes fins.
Par jugement du 11 juillet 2023, le juge des loyers commerciaux a rejeté la demande de révision triennale du montant du loyer et condamné la société LRCB à payer aux époux [D] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de leurs droits, ainsi qu'aux dépens.
Le juge des loyers commerciaux a considéré que la société LRCB n'avait pas rapporté la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité pour la période de référence, comprise entre le 1er juillet 2016 et le 15 février 2022. Ainsi, il a relevé, d'une part, que les éléments que la société LRCB présentait portaient en majeure partie sur une période antérieure à celle de référence et d'autre part, que ces éléments ne démontraient pas que la baisse alléguée de fréquentation du réseau routier résultait de transformations réalisées sur ce réseau. Enfin, le juge a estimé que la situation résultant de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 et des mesures gouvernementales prises pour la combattre n'avait pas, du fait de son ampleur nationale et internationale, trait aux facteurs locaux de commercialité.
Par déclaration du 21 juillet 2023, la société LRCB a interjeté appel de l'ensemble des chefs du jugement et par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 avril 2024, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant de nouveau, de fixer le montant du loyer à 26.315 euros hors taxes et hors charges, par an et en principal, à compter de la demande en révision de loyer émise selon mémoire préalable en date du 4 mai 2022 et en tout état de cause, de condamner les époux [D] à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 décembre 2024, les époux [D] demandent à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société LRCB à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 décembre 2024.
MOTIFS
Sur la demande de révision du loyer
La société LRCB soutient, sur le fondement des articles L. 145-33, L. 145-38 et R. 145-6 du code de commerce, qu'il y a eu une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative du bien loué. Elle invoque, en ce sens, une baisse de la fréquentation de la RN13, étayée par un rapport d'expertise amiable du 18 mars 2022 et par le bilan du trafic de la RN13 établi par la préfecture de la région Normandie en mars 2022.
Selon la société LRCB, cette baisse de fréquentation est liée, tout d'abord, aux changements d'habitude des consommateurs, qui privilégient désormais les zones d'activités commerciales aux commerces de proximité. Elle estime donc que le développement d'une zone d'activités commerciales de l'autre côté de la nationale a conduit à la captation de sa clientèle essentiellement de passage, composée de Parisiens qui se rendent sur la côte normande. Elle ajoute que cette baisse de fréquentation est également liée à la crise sanitaire résultant de l'épidémie de Covid-19, qui a également changé les habitudes des consommateurs au profit de la livraison à domicile. Elle précise que de nombreux restaurants situés sur la nationale ont dû fermer en raison de la baisse de fréquentation de la RN 13 et que la valeur locative de son bien a baissé de 53%, conformément à ce qui est énoncé dans le rapport d'expertise du 18 mars 2022.
Les époux [D] répondent, sur le fondement des articles L. 145-33, L. 145-38 et R. 145-7 du code de commerce, qu'aucune modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative du bien loué n'est démontrée. Ils soutiennent, tout d'abord, que la preuve d'une baisse significative du trafic sur la période comprise entre le renouvellement du bail (1er juillet 2016) et la demande de révision (15 février 2022) n'est pas apportée. Ils contestent tout lien entre la fermeture des restaurants et la baisse alléguée de fréquentation de la nationale. Ils ajoutent que la création de la zone d'activité commerciale, très éloignée du commerce considéré, ne concerne pas le même bassin de clientèle et ne peut donc relever des facteurs locaux de commercialité. Ils estiment, enfin, que la crise sanitaire du Covid-19 ne peut relever des facteurs locaux de commercialité, du fait de son ampleur nationale et qu'il n'est pas démontré que l'évolution des facteurs locaux de commercialité atteindrait plus de 10% de la valeur locative, les chiffres présentés dans le rapport d'expertise n'étant pas sérieux.
Sur ce,
L'article L. 145-33 du code de commerce dispose que : « Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1° Les caractéristiques du local considéré ;
2° La destination des lieux ;
3° Les obligations respectives des parties ;
4° Les facteurs locaux de commercialité ;
5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
Un décret en Conseil d'Etat précise la consistance de ces éléments ».
Par ailleurs, selon l'article L. 145-38 du code précité : « La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.
De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.
Par dérogation aux dispositions de l'article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
(') ».
Enfin, l'article R. 145-6 du code de commerce énonce que : « Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire ».
Par jugement du 22 mars 2018, le juge des loyers commerciaux a constaté le renouvellement du bail au 1er juillet 2016 et ordonné une expertise portant sur la valeur locative des locaux. Aux termes de son rapport du 3 décembre 2018, l'expert a conclu à un loyer plafond de 56.275 euros et à un loyer de marché de 56.300 euros. Les parties n'ont pas donné suite à l'action diligentée en fixation du montant du loyer du bail renouvelé, mais ont amiablement appliqué un loyer qui, après révision triennale, s'élève à la somme de 56.274,60 euros.
La période à prendre en compte pour l'application de l'article L.145-38 est donc celle qui a couru du 1er juillet 2016, date du bail renouvelé, au 15 février 2022, date de signification par la société LRCB de sa demande de révision du loyer. Il appartient en conséquence à la société LRCB de démontrer l'existence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entrainé une variation de plus de 10 % du montant du loyer au cours de la période précitée.
Deux facteurs sont invoqués par la société LRCB, consistant en la baisse de fréquentation de la RN13 et une situation concurrentielle plus défavorable.
Sur la baisse de fréquentation de la RN13
Pour justifier de la baisse de fréquentation de la RN 13 sur la période considérée, la société LRCB communique un rapport d'expertise établi à sa demande par M. [E] le 18 mars 2022.
L'expert indique, concernant les « points importants relatifs au secteur » que « la nationale 13 a connu de nombreux changements depuis de nombreuses années. Cependant, depuis quelques années, la nationale connaît sur le secteur du bien objet de l'expertise une baisse de fréquentation ».
Il communique ensuite un tableau décrivant l'« évolution du passage routier journalier (moyenne) de 2009 à 2018 », à partir de données issues du site « data.gouv ».
S'il ressort de ce tableau que le passage routier a effectivement connu une baisse importante entre 2009 et 2016, puisque de presque 17.000 passages en 2009, il est tombé à un peu plus de 13.000 en 2016, soit une baisse d'environ 24 %, la diminution a été beaucoup plus limitée sur la période pertinente du 1er juillet 2016 au 15 février 2022. En effet, d'environ 13.400 passages en 2016, la fréquentation est passée à environ 12.400 passages en 2018, soit une baisse de 7,5 % qui n'apparaît pas suffisamment significative.
En outre, M. [C] dans son rapport d'expertise établi le 22 mars 2018, soit dans la période de référence, avait indiqué que le restaurant bénéficiait d'une localisation le long de la RN13 « route à forte fréquentation », sans relever de facteur d'évolution défavorable sur ce point.
Enfin, si le bilan établi par la préfecture de la région Normandie en mars 2022 confirme une baisse annuelle du nombre de passages sur la RN13 sur les 15 années précédentes, il qualifie toutefois cette baisse de « légère » et conclut que « le trafic s'avère cependant toujours élevé confirmant le statut d'itinéraire routier structurant de la RN13 ».
Il s'en déduit que sur la période de référence courant du 1er juillet 2016 au 15 février 2022, la baisse du nombre de passages quotidiens sur la RN13 est peu significative et la fréquentation demeure importante. La modification de ce facteur local de commercialité n'est par conséquent pas démontrée.
Sur la situation concurrentielle
La société LRCB explique que de nombreux restaurants de qualité situés le long de la RN13 ont dû cesser leur activité. Au-delà du fait que certains des restaurant cités ont fermé en dehors de la période de référence ou à une date ignorée ([6], [7] et [5]), ces fermetures d'établissement ont réduit la concurrence, ce qui ne peut être analysé comme un élément défavorable à l'activité de la preneuse.
Par ailleurs, s'agissant de la zone d'activité du [Localité 8] située à [Localité 4], M. [E] fournit en page 29 de son rapport un « détail des zones d'activités commerciales et restaurants autour de [Localité 3] » et explique que « du fait de la forte demande de ce type de zone des consommateurs, plusieurs zones d'activité complémentaires sont en construction avec principalement la zone d'activité [Localité 9] à côté de [Localité 11] ». Il indique ensuite que les habitudes des consommateurs concernant la fréquentation des restaurants ont changé et communique un schéma des causes pour lesquelles les Français vont moins au restaurant. Il recense ensuite les principaux acteurs de la restauration, en précisant qu'ils sont situés dans les zones d'activités commerciales proches des sorties d'autoroutes et communique des éléments statistiques concernant le temps toujours plus réduit que les Français consacrent à la pause déjeuner.
Cependant, ces éléments sont très généraux et imprécis. Ils ne permettent pas d'appréhender les conséquences de ces différents éléments sur la fréquentation du restaurant de la société LRCB au cours de la période pertinente.
Ainsi, ne sont pas fournies de précisions concernant la date de construction de la zone d'activité du [Localité 8], la distance qui la sépare du restaurant de la société LRCB et l'implantation, au cours de la période de référence, de restaurants dans cette zone susceptibles de générer une situation concurrentielle plus défavorable à l'établissement de la preneuse. Les bailleurs indiquent, sans être contredits, que cette zone d'activité se situe à 26 kilomètres du restaurant de la société LRCB.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la situation concurrentielle n'a pas évolué de manière à justifier une révision du loyer.
Par ailleurs, le changement de mode de vie des Français concernant la fréquentation des restaurants, notamment depuis la crise sanitaire du Covid-19, ne peut être considéré comme relevant des facteurs locaux de commercialité, s'agissant d'un élément affectant le secteur de la restauration sur le plan national. Au demeurant, les conséquences de ce changement quant à la fréquentation du restaurant de la société LRCB, au cours de la période pertinente, ne sont pas étayées. Ainsi, les comptes annuels de la société LRCB ne sont pas produits et il n'est pas communiqué d'élément concernant l'évolution du niveau de fréquentation de la clientèle du restaurant avant et pendant la période de référence ou encore du montant moyen de l'addition.
Il s'en déduit qu'il n'est pas établi que sur la période pertinente courant du 1er juillet 2016 au 15 février 2022, la situation concurrentielle du restaurant exploité par la société LRCB ait évolué de manière à justifier une révision du loyer.
Par conséquent, la preuve de la modification des facteurs locaux de commercialité du local pris à bail par la société LRCB n'est pas démontrée de sorte que par confirmation du jugement, la société LRCB doit être déboutée de sa demande de révision du loyer.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé des chefs des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
La société LRCB qui succombe en son appel, en supportera les dépens et ne peut prétendre à une indemnité de procédure. Elle sera condamnée à payer aux époux [D] une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par ces derniers en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Condamne la société LRCB aux dépens d'appel ;
Condamne la société LRCB à payer à M. [X] [D] et Mme [T] [N] épouse [D] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.