Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 4, 21 mai 2025, n° 21/08860

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Entremets De Paris (Sté)

Défendeur :

Entremets De Paris (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meunier

Conseillers :

Mme Norval-Grivet, Mme Marques

Avocats :

Me Segond, Me Zerah

Cons. prud'h. Bobigny, formation paritai…

23 septembre 2021

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein prenant effet le 15 octobre 2002, Mme [G] [E] a été embauchée par la société Entremets de Paris, spécialisée dans le secteur d'activité de la pâtisserie industrielle et qui emploie une trentaine de salariés, en qualité d'aide pâtissière.

Au dernier état de la relation contractuelle, la rémunération brute mensuelle de Mme [E] était de 1 592,50 euros.

En 2016, Mme [E] a été reconnue salariée handicapée.

Par courrier du 28 janvier 2020, Mme [E] s'est vu convoquer à un entretien préalable fixé au 5 février suivant, et assorti d'une mise à pied.

Mme [E] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave le 12 février 2020, son employeur lui reprochant d'avoir produit deux certificats médicaux falsifiés déclarant deux nouvelles pathologies professionnelles en décembre 2019 et mars 2018.

Mme [E] a, par lettre du 20 février 2020, contesté son licenciement.

Par lettre du 27 février 2020, la société Entremets de Paris a répondu à Mme [E].

En parallèle, la société Entremets de Paris a déposé une plainte pour faux et usage de faux à l'encontre de Mme [E]. Le 26 novembre 2020, Mme [E] a été convoquée au commissariat dans le cadre d'une audition. La plainte a été classée sans suite.

Par recours du 4 mai 2020, la société Entremets de Paris a saisi la Commission de recours amiable de la CPAM.

Par acte du 4 mai 2020, Mme [E] a assigné la société Entremets de Paris devant le conseil de prud'hommes de Bobigny aux fins de voir, notamment, juger son licenciement nul à titre principal, et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire et condamner son employeur à lui verser diverses sommes relatives à l'exécution et à la rupture de la relation contractuelle.

Par jugement du 23 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny a statué en ces termes :

- Requalifie le licenciement pour faute grave de Mme [E] en licenciement nul ;

- Condamne la société Entremets de Paris aux sommes suivantes :

* 20 702,50 euros (13 mois) au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

* 10 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution fautive,

* 1 600 euros au titre de dommages et intérêts pour défaut de formation,

* 4 719,72 euros au titre du préavis,

* 471,97 euros au titre des congés payés sur préavis,

* 12 900,00 euros au titre des indemnités de licenciement,

* 1 462,09 euros au titre des rappels de salaires 2018,

* 3 175,96 euros au titre des rappels de salaires 2019,

* 1 500 euros au titre de l'article 700,

- Ordonne l'exécution provisoire (art 515),

- Ordonne la remise des documents : bulletin de salaire, certificat travail, attestation Pôle Emploi conformes au jugement sans astreinte.

- Déboute Mme [E] du surplus de ses demandes.

- Déboute la société Entremets de paris de sa demande reconventionnelle.

- Condamne la société Entremets de Paris aux dépens.

Par déclaration du 22 octobre 2021, la société Entremets de Paris a interjeté appel de ce jugement, intimant Mme [E].

Par jugement rendu le 14 septembre 2023, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Entremets de Paris, fixant la date de cessation des paiements au 9 août 2023, et désignant comme administrateur judiciaire, la SELARL [T] et associé, prise en la personne de Me [Z] [T], et comme mandataire judiciaire, la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [N] [K].

Par jugement rendu le 28 décembre 2023, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de la société Entremets de Paris, désignant comme liquidateur judiciaire, la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [N] [K].

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 janvier 2025.

EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2024, la société Entremets de Paris et la SELARL Asteren demandent à la cour de :

- Recevoir la société Asteren, prise en la personne de Me [N] [K], en sa qualité de liquidateur judiciaire, en son intervention volontaire et en ses conclusions.

- Recevoir la société Entremets de Paris en son appel et en ses conclusions.

L'y disant bien fondée,

- Infirmer le jugement rendu le 23 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Bobigny des chefs de celui-ci critiqués par la déclaration d'appel.

Statuant à nouveau,

- Juger le licenciement fondé sur une faute grave,

En conséquence,

- Débouter Mme [G] [E] de ses demandes de ce chef.

En tout état de cause,

- Juger infondées ses demandes à titre de dommages et intérêts, rappels de salaires et remise de documents sociaux.

En conséquence, l'en débouter intégralement.

- Condamner Mme [G] [E] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 avril 2022, Mme [E] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

Requalifié le licenciement pour faute grave de Mme [E] en licenciement nul;

Condamné la société Entremets de Paris aux sommes suivantes :

* 1 462,09 euros au titre des rappels de salaires 2018,

* 3 175,96 euros au titre des rappels de salaires 2019,

* 4 719,72 euros à titre de préavis,

* 471,97 euros à titre de congés payés sur préavis,

* 1 500,00 euros au titre de l'article 700,

Ordonné la remise des documents : bulletin de salaire, certificat travail, attestation Pôle Emploi conformes au jugement sans astreinte.

L'infirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

o Condamner la société Entremets de Paris à verser à Mme [E] les sommes suivantes :

* 80 000,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ou à titre subsidiaire à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* 30 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

* 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 20 000,00 euros à titre d'indemnité pour absence de formation,

* 15 417,75 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure d'appel en cause d'appel

o Condamner la société Entremets de Paris aux entiers dépens.

o Prononcer la capitalisation des intérêts.

L'AGS CGEA IDF Est n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur la demande en rappel de salaire :

L'employeur soutient que le tableau produit par la salariée pour justifier de sa demande, dont l'origine n'est pas identifiée, est dépourvu de toute force probante, que le calcul présenté par elle en première instance ne tient aucun compte des heures réelles effectuées dans la mesure où les jours fériés peuvent être récupérés, des heures de RTT ni des périodes d'absence et que l'intimée a été remplie des droits.

La salariée demande la confirmation du jugement, et fait valoir qu'il n'y avait pas d'accord RTT au sein de l'entreprise.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences des dispositions légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée produit un décompte des heures de travail qu'elle indique avoir accomplies durant la période considérée, qui comporte les jours travaillés, ainsi que ses bulletins de salaire des années 2017 et 2019.

Elle présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre. Dès lors, il incombe à ce dernier de répliquer utilement en produisant ses propres éléments.

Or l'employeur produit un tableau relatif aux absences chaque mois de la salariée soit à raison d'un mi-temps thérapeutique, soit du chômage partiel ou de la maladie, qui ne permet toutefois pas de contredire la réalisation d'heures supplémentaires et l'existence d'une créance salariale à ce titre.

Au regard de l'ensemble des éléments produits par l'une et l'autre partie, l'existence d'heures supplémentaires est établie, dans une moindre mesure que celle alléguée par la salariée compte tenu de l'absence de décompte de ses périodes d'absence et, le jugement étant infirmé sur ce point, il y a lieu de condamner l'employeur à lui payer la somme de 2 700 euros à ce titre.

Sur la demande au titre de l'absence de formation :

Selon l'article L. 6321-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès à un socle de connaissances et de compétences.

Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a assuré l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veillé au respect de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

En l'espèce, Mme [E] soutient que l'employeur ne lui a accordé aucune formation en 17 ans d'activité.

L'employeur ne justifie ni même n'allègue lui avoir fait bénéficier de formations.

Le manquement est ainsi établi.

S'agissant du préjudice subi, c'est par une juste appréciation que le conseil de prud'hommes l'a évalué à la somme de 1 600 euros et le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail :

La société soutient que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a retenu que l'employeur avait méconnu les préconisations du médecin du travail et a en outre estimé la demande fondée par le fait que le licenciement était en réalité motivé par l'état de santé de la salariée, alors que la demande se fondait sur la méconnaissance de l'obligation de sécurité. Elle indique que l'indemnisation des préjudices nés d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle relevant exclusivement de la juridiction de la sécurité sociale, le conseil de prud'hommes ne pouvait connaître de cette demande.

Mme [E] réplique que l'employeur n'a pas respecté les différentes dispositions et avis de la médecine du travail et a ainsi manqué à son obligation de sécurité. Elle indique que la cadence imposée à raison de 20 pièces/minute, attestée par l'enquête administrative, méconnaissait également cette obligation. Elle sollicite la réformation du quantum de l'indemnité accordée en première instance à hauteur de 30 000 euros.

D'une part, aux termes de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit.

Relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Toutefois, en l'espèce, la demande indemnitaire au titre de la violation de l'obligation de sécurité ne concerne pas la réparation du préjudice résultant de la maladie professionnelle.

D'autre part, l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation, ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Selon l'article L. 4121-2 du même code, l'employeur met en 'uvre ces mesures sur le fondement de principes généraux de prévention énumérés par ces dispositions, parmi lesquels figurent les principes suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'article L. 4121-3 du même code, dans sa version applicable à l'espèce, impose à l'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, d'évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, et de mettre en 'uvre, à la suite de cette évaluation, les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour préserver la santé et la sécurité des salariés et respecter son obligation de sécurité.

Au cas d'espèce, s'agissant de l'absence d'étude de poste et du non-respect des préconisations du médecin du travail, il ressort des pièces du dossier que le 19 octobre 2018, un agent de la caisse primaire d'assurance maladie est intervenu pour une « aide à l'observation du poste de travail » et qu'il a relevé, ainsi que le soutient l'employeur, sur l'analyse des gestuelles de la salariée, que la « durée cumulée journalière d'activité » était inférieure à 2 heures.

Il ressort toutefois de l'avis d'aptitude du 2 décembre 2019 que le médecin du travail a préconisé une absence de port de charges excédant 8 kilos.

Si l'employeur soutient que ces préconisations ont été scrupuleusement respectées, il ne justifie de ses allégations par aucun élément probant, alors que la salariée produit par ailleurs des photographies tendant à démontrer qu'elle a pu être amenée à porter des sacs et seaux conséquents.

S'agissant des conditions et de la cadence de travail à certaines périodes, il ressort des pièces du dossier et notamment du retour d'enquête administrative du 10 février 2020 que celles-ci sont établies, de même que l'existence de relations conflictuelles.

Au regard des éléments du dossier, les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité sont établis et ont causé à la salariée un préjudice qui a été justement évalué par le conseil de prud'hommes à la somme de 10 000 euros. Le jugement sera donc confirmé à cet égard.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral :

La salariée ne justifiant d'aucun préjudice distinct non indemnisé au titre des manquements à l'obligation de sécurité, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur la demande relative à la nullité du licenciement :

La société conteste la nullité du licenciement et soutient qu'il n'est justifié d'aucune suspension du contrat de travail au moment de l'engagement de la procédure disciplinaire, la salariée étant en arrêt maladie ordinaire, qu'aucune faute grave ne lui était imputable et que le licenciement ne peut être considéré comme étant lié à son état de santé.

Mme [E] réplique que son licenciement est nul dès lors, d'une part, qu'il a été prononcé durant la suspension de son contrat de travail à raison d'une maladie professionnelle dès lors qu'elle était en arrêt de travail du 18 décembre 2019 au 5 mars 2020 pour ce motif, et, d'autre part, que les réels motifs sont liés à son état de santé. Elle ajoute que la société n'ignorait pas qu'il y avait une demande de reconnaissance de la maladie professionnelle et qu'à partir du moment où cette maladie professionnelle était reconnue, même après la notification du licenciement, le licenciement est nul.

En ce qui concerne la suspension alléguée du contrat de travail en raison d'une maladie professionnelle :

Selon l'article L. 1226-7 du code du travail, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie.

En l'espèce, Mme [E] fait valoir qu'elle se trouvait en arrêt maladie du 18 décembre 2019 au 5 mars 2020, ainsi que cela ressort de ses bulletins de salaire.

Si l'existence de cet arrêt maladie n'est pas contestée, il ne ressort toutefois d'aucun élément du dossier que l'arrêt de travail en cours au moment de l'engagement de la procédure disciplinaire avait pour origine une maladie professionnelle, seul l'arrêt du 20 septembre au 23 décembre 2019 apparaissant en lien avec le travail.

Dès lors, les dispositions de l'article L. 1226-13 du code du travail, qui sanctionnent par la nullité le licenciement prononcé en méconnaissance de l'article L. 1226-9 du code du travail interdisant le licenciement au cours d'une période de suspension en dehors notamment de la faute grave, ne sont pas applicables au litige.

En tout état de cause, ces dispositions permettent le licenciement fondé sur la faute grave.

En ce qui concerne la faute grave :

La société soutient que la falsification des certificats médicaux ayant justifié le prononcé du licenciement pour faute grave est caractérisée même si, en définitive, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) a reconnu l'existence d'une maladie professionnelle.

Mme [E] conteste toute falsification et réplique que la CPAM a validé les maladies professionnelles et les certificats médicaux correspondants.

En application de l'article L.1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

En cas de licenciement pour faute grave, c'est-à-dire rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, et qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, il appartient à l'employeur qui l'invoque de rapporter la preuve d'une telle faute.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 12 février 2020, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants : « (') Lors de cet entretien, nous vous avons présenté les certificats médicaux falsifiés fournis par vos soins à la CPAM de Seine Saint Denis déclarant deux nouvelles pathologies professionnelles en décembre 2019 et mars 2018.

Les falsifications relevées sont incontestables. Ces modifications ciblées détournent totalement le document initial signé par le praticien pour justifier une nouvelle maladie professionnelle.

Le même mode opératoire a été observé en décembre 2019 et en mars 2018 (faux, usage de faux avec récidive).

Le Cerfa 11138*0 mentionne pourtant en bas de page que « quiconque se rend coupable de fraude ou de fausse déclaration est passible de pénalités financières, amende et /ou d'emprisonnement (articles 313-1 à 313-3, 433-19, 441-1 et suivants du Code pénal, article L.114-17-1 du Code de la sécurité sociale). »

Vos réponses n'ont pas permis de modifier notre appréciation sur votre totale responsabilité dans la production et l'utilisation de ces faux certificats médicaux.

En conséquence, nous vous informons que nous sommes au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour la faute grave énoncée ci-dessus. (') ».

Il est constant que les certificats médicaux produits à l'occasion des déclarations litigieuses datent du 15 janvier 2018 et du 20 septembre 2019.

Contrairement à ce qu'a relevé le conseil de prud'hommes, il appartient au juge du fond saisi du litige relatif à la validité du licenciement d'apprécier la réalité de la faute grave, donc du caractère falsifié de ces certificats médicaux, indépendamment de la qualification pénale des faits et de l'appréciation portée par la caisse primaire d'assurance maladie sur le caractère professionnel des maladies déclarées.

Au demeurant, la question soumise à la cour n'est pas, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, celle de savoir si le document établi par le médecin est un faux, mais de déterminer si le document produit par la salariée apparaît avoir été falsifié.

S'agissant du certificat médical du 15 janvier 2018 :

Il ressort des pièces du dossier que si les pièces communiquées en première instance à la société n'étaient pas lisibles, la comparaison entre les deux volets du certificat produit en appel laisse apparaître que ces deux documents sont parfaitement identiques.

Le certificat du 15 janvier 2018 n'a donc pas été falsifié.

En outre, l'employeur ne peut utilement soutenir qu'il n'avait pas été destinataire du volet qui lui était destiné, dès lors que le motif retenu dans la lettre de licenciement concerne non pas l'absence de transmission mais la falsification de ce document.

S'agissant du certificat médical du 20 septembre 2019 :

La société soutient que la falsification peut facilement être constatée en comparant les exemplaires volet 1 destiné à la CPAM et le volet employeur, lequel est peu lisible car reproduit automatiquement par le médecin mais il ne peut pas être falsifié, qui diffèrent de manière indiscutable.

La salariée réplique que les volets comparés par la société correspondent en réalité à deux certificats différents établis le 20 septembre 2019, par le même médecin, le docteur [F], à savoir un certificat de prolongation pour la tendinopathie des muscles épicondylites du coude droit, qui avait donné lieu à une reconnaissance de maladie professionnelle le 23 mai 2016, et un certificat initial concernant la tendinopathie du supra épineux de l'épaule droite, qui a donné lieu à une reconnaissance de maladie professionnelle le 30 mars 2020.

Elle produit à cet égard une attestation d'authenticité du médecin à l'origine de ces certificats médicaux.

Il ressort des certificats médicaux litigieux que s'agissant du volet employeur, étaient cochées les cases « prolongation d'arrêt de travail » en haut du volet en indiquant la date de première déclaration de cette maladie au 12/01/2016, ainsi que la case relative à la feuille de présentation de la feuille de maladie professionnelle, la case relative aux sorties autorisées n'étant pas cochée.

Le volet 1 destiné à la CPAM comporte la case « initial » cochée, une date de première constatation au 20 septembre 2019 ainsi qu'une case relative aux sorties autorisées cochée.

Si la salariée explique ces différences par le fait que le médecin aurait en réalité établi deux certificats médicaux le même jour, la cour constate, d'une part, que les deux volets auxquels se réfère l'employeur comportent des mentions strictement identiques tant au niveau de l'écriture et de son inclinaison et de la topographie qu'au niveau de l'espacement et de l'emplacement exact des mots ainsi que l'apposition du tampon, situé au même endroit du document.

D'autre part, il ressort des termes mêmes de l'attestation produite par la salariée, établie par le docteur [F] le 9 mars 2020, que celui-ci a attesté qu'il « certifie authentique un certificat initial de maladie professionnelle (') du quinze janvier 2018 et un autre certificat initial de maladie professionnelle pour cette même patiente du vingt septembre 2019 ». Ce médecin n'indique donc aucunement avoir établi deux certificats médicaux le 20 septembre 2019.

Au regard de ces éléments, le grief résultant de la production d'un certificat médical falsifié apparaît ainsi établi.

En ce qui concerne le caractère discriminatoire du licenciement :

L'article L.1132-1 du code du travail prohibe tout licenciement fondé sur un motif discriminatoire, lié notamment à l'état de santé du salarié, l'article L.1132-1 sanctionnant un tel licenciement par la nullité.

En application de l'article L. 1134-1 du code du travail, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une décision imputable à l'employeur. Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, Mme [E] soutient que son licenciement a été prononcé du fait qu'elle allait être déclarée inapte, et que l'employeur a ainsi réalisé, en optant pour un licenciement disciplinaire et en évitant un licenciement pour inaptitude, une économie de 20 389,92 euros.

La salariée ne présente toutefois aucun élément laissant supposer qu'elle allait être déclarée inapte, alors qu'elle a par ailleurs, au cours de l'exécution de son contrat de travail, souffert de plusieurs affections et placée en arrêt de travail sans qu'une inaptitude n'ait été envisagée à cet égard, un avis d'aptitude ayant au contraire été rendu le 2 décembre 2019.

Dès lors, c'est à tort que la juridiction prud'homale a prononcé la nullité du licenciement et octroyé à la salariée des dommages et intérêts pour licenciement nul.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur les conséquences financières du licenciement :

Il résulte des développements qui précèdent que le grief résultant de la production d'un certificat médical falsifié est établi.

Compte tenu de la gravité de ce manquement, l'employeur était fondé à prononcer le licenciement pour faute grave de la salariée.

Il en résulte que la salariée ne pouvait prétendre à aucune indemnité compensatrice de préavis ni à aucune indemnité de licenciement.

Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il lui a alloué ces indemnités.

Sur l'incidence de la procédure collective :

En premier lieu, en vertu de l'article L622-7 du code du commerce, le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.

En application de l'article L. 622-21 du code de commerce, les sommes dues par l'employeur en raison de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement, qu'il soit par cession ou par continuation, au régime de la procédure collective.

Il en résulte que les juges du fond doivent se borner à se prononcer sur l'existence et le montant des créances alléguées en vue de leur fixation au passif, sans pouvoir condamner le débiteur à payer celles-ci

En l'espèce, les créances de la salariée ont pris naissance antérieurement à l'ouverture de la procédure collective.

En second lieu, selon le 1° de l'article L. 3253-8 du code du travail, l'AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après un plan de redressement, au régime de la procédure collective et la garantie de l'AGS doit intervenir selon les principes énoncés par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail.

En conséquence, le présent arrêt est opposable à l'AGS dans les limites légales et réglementaires et le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales exigibles au moment de l'introduction de l'instance prud'homale sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires emportent intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce.

En application de l'article L.622-28 du code de commerce le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé l'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux.

Dès lors, s'agissant des créances fixées au passif de la société, les intérêts légaux qui ont couru depuis la date de réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective s'arrêtent à cette date.

La capitalisation des intérêts qui ont couru entre cette date de réception et la date de l'ouverture de la procédure collective est ordonnée dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil.

Sur les frais du procès :

Au regard de ce qui précède, le jugement sera infirmé sur les dépens et sur la condamnation aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [E] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant en revanche rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Entremets à payer à Mme [G] [E] les sommes suivantes :

* 10 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution fautive,

* 1 600 euros au titre de dommages et intérêts pour défaut de formation,

- rejeté la demande de Mme [G] [E] de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

L'INFIRME POUR LE SURPLUS ;

STATUANT A NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

CONSTATE l'existence au profit de Mme [G] [E] sur la société Entremets de Paris d'une créance correspondant au rappel de salaire relatif aux heures supplémentaires et en fixe le montant à la somme de 2 700 euros ;

DIT que s'agissant des créances fixées au passif de la société, les intérêts légaux qui ont couru depuis la date de réception par la société Entremets de Paris de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective s'arrêtent à cette date ;

ORDONNE, dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts qui ont couru entre la date de réception par la société Entremets de cette convocation et la date de l'ouverture de la procédure collective;

REJETTE la demande de Mme [G] [E] d'indemnité pour licenciement nul ;

REJETTE la demande de Mme [G] [E] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

REJETTE la demande de Mme [G] [E] au titre de l'indemnité de licenciement ;

CONDAMNE Mme [G] [E] aux dépens de première instance et d'appel ;

REJETTE le surplus des demandes.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site