CA Versailles, ch. soc. 4-6, 22 mai 2025, n° 23/01142
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Techni Line (SAS)
Défendeur :
Z W
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Courtois
Conseillers :
Mme Pite, Mme Criq
Avocats :
Me Lahiani, Me Aje, AARPI All Partners-Aje Lenglen Lawyers
FAITS ET PROCEDURE,
M. [Z] [W] a été engagé par contrat à durée indéterminée, à compter du 1er février 2018 en qualité de directeur commercial, statut cadre, par la société à responsabilité limitée Techni Line, qui a pour activité le nettoyage, l'entretien de locaux, leur remise en état après travaux spécifiques, l'entretien et la création d'espaces verts, l'importation, l'exportation de produits matériels et de marchandises de toute nature, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des entreprises de propreté et des services associés.
Convoqué le 11 août 2020 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 25 août suivant, M. [W] a été licencié par courrier du 16 septembre 2020 énonçant une faute lourde.
La contestant, il a saisi, le 28 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Montmorency aux fins de demander sa requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le versement des indemnités afférentes et il sollicita finalement diverses créances, ce à quoi la société s'opposait globalement.
Par jugement rendu le 22 mars 2023, le conseil a statué comme suit :
Dit que la requête de M. [W] est recevable ;
Dit que les demandes de M. [W] sont recevables et non prescrites ;
Dit que le licenciement de M. [W] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la S.A.R.L. Techni Line, en la personne de son représentant légal, à verser à M. [W] les sommes suivantes :
- Indemnité légale de licenciement ...................................................................2.212,96 euros
- Indemnité compensatrice de préavis ...........................................................15.174,57 euros
- Congés payés sur préavis .............................................................................1.517,46 euros
- Rappel de mise à pied conservatoire .............................................................5.836,25 euros
- Congés payés sur mise à pied conservatoire ...................................................583,62 euros
- Article 700 du code de procédure civile .............................................................2.000 euros
Dit que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la S.A.R.L. Techni Line de sa première convocation devant le conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter de la date de mise à disposition au greffe du présent jugement pour les créances indemnitaires ;
Ordonne la capitalisation des intérêts ;
Ordonne à la S.A.R.L. Techni Line de remettre à M. [W] un certificat de travail, un reçu de solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi, conformes à la décision ;
Ordonne l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile ;
Déboute M. [W] du surplus de ses demandes ;
Déboute la S.A.R.L. Techni Line de ses demandes reconventionnelles ;
Condamne la S.A.R.L. Techni Line aux dépens.
Le 27 avril 2023, la société Techni Line a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 25 juillet 2023, la société Techni Line demande à la cour de :
Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency rendu le 22 mars 2023 en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes suivantes :
- 17.703,67 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1.167,25 euros pour absence d'activité partielle, et 116,73 euros de congés payés afférents ;
- 20.232,76 euros au titre des salaires d'octobre 2017 à janvier 2018 et 2.023,28 euros de congés payés afférents ;
- 20.000 euros en rappel d'heures supplémentaires en l'absence de convention de forfait ;
- 30.349,14 euros d'indemnité pour travail dissimulé ;
- 15.000 euros pour « exécution du contrat de travail » ;
- 7.500 euros pour défaut de portabilité de la mutuelle ;
- reconduction de la portabilité de la mutuelle à compter du jugement ;
- remise des documents sociaux sous astreinte ;
Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency rendu le 22 mars 2023 en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute lourde survenu le 16 septembre 2020 en un licenciement pour cause réelle et sérieuse, l'a condamnée à verser à M. [W] les sommes suivantes :
- 2.212,96 euros au titre de l'indemnité légale ;
- 15.174,57 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 1.517,46 euros au titre des congés payés afférents ;
- 5.836,25 euros à titre de rappel de mise à pied conservatoire ;
- 583,62 euros au titre des congés payés afférents ;
- 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles visant des dommages et intérêts en réparation des agissements déloyaux du salarié.
Statuant à nouveau
Débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes salariales et indemnitaires relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail ;
Condamner M. [W] à lui verser la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait des agissements volontaires du salarié avec intention de nuire ;
En tout état de cause
Condamner M. [W] à lui verser 3.000 euros au titre des procédures de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner M. [W] aux éventuels dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 19 octobre 2023, M. [W] demande à la cour de :
Confirmer le jugement du 22 mars 2023 du conseil de prud'hommes de Montmorency en ce qu'il a :
Dit sa requête recevable,
Dit ses demandes recevables et non prescrites,
Condamné la société Techni Line à lui payer les sommes suivantes :
- 2.212,96 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
- 15.174,57 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire)
- 1.517,46 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis
- 5.836,25 euros à titre de rappel de mise à pied conservatoire
- 583,62 euros à titre de rappel de congés payés sur mise à pied conservatoire
- 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Techni Line de sa première convocation devant le conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter de la date de mise à disposition au greffe du jugement de première instance pour les créances indemnitaires,
Ordonné la capitalisation des intérêts,
Ordonné à la société Techni Line de lui remettre un certificat de travail, un reçu de solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes à la décision,
Débouté la société Techni Line de ses demandes reconventionnelles,
Condamné la société Techni Line aux dépens
L'infirmer pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Débouter la société Techni Line de l'ensemble de ses demandes
Constater son embauche verbale à compter du mois de novembre 2017,
Dire que son licenciement pour faute lourde constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
Condamner la société Techni Line à lui payer les sommes suivantes :
- 17.703,67 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (3,5 mois de salaire)
- 1.167,25 euros de rappel de salaire au titre de l'absence d'activité partielle
- 116,73 euros de rappel de congés payés sur rappel de salaire au titre de l'absence d'activité partielle
- 20.232,76 euros de rappel de salaire du mois d'octobre 2017 au mois de janvier 2018
- 2.023,28 euros à titre de rappel de congés payés sur rappel de salaire
- 7.500 euros au titre du préjudice subi en l'absence de portabilité de la mutuelle
- 20.000 euros de rappel d'heures supplémentaires en l'absence d'une convention de forfait
- 30.349,14 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
- 15.000 euros à titre d'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail
Condamner la société Techni Line à reconduire la portabilité de sa mutuelle à compter du jugement du conseil de Prud'hommes
Assortir les sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation
Ordonner la capitalisation des intérêts
Condamner la société Techni Line au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
Condamner la société Techni Line aux entiers dépens de la procédure et de son exécution.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 5 février 2025, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 1er avril 2025.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement est ainsi libellée :
« Nous faisons suite à notre entretien préalable qui s'est tenu le 25 août 2020 au cours duquel vous étiez assisté d'un conseiller du salarié en la personne de Monsieur [F] [O] et vous notifions par la présente votre licenciement pour faute lourde aux motifs exposés lors dudit entretien et rappelés ci-après :
Manquements graves dons le cadre de l'exécution de votre contrat de travail caractérisés par des actes de concurrence déloyale commis en violation de votre obligation de loyauté ;
- Propos dénigrants à l'égard de la société Techni Line et ses dirigeants ;
- Allégations mensongères véhiculées en interne et en externe visant la liquidation judiciaire de la société Techni Line ;
- Agissements favorisant les intérêts financiers de notre sous-traitant la société [Localité 6] SERVICES & PRQPRETE (BSP) au détriment de ceux de la société Techni Line qui vous emploie;
Ces manquements dénotant une intention de nuire et une volonté de nous porter préjudice sur les plans opérationnel, financier et commercial, par une atteinte, entre autres, à la qualité de nos prestations et à l'image de notre Société, sont bien évidemment incompatibles avec la poursuite de votre contrat de travail.
Pour rappel des faits,
Nous avons été informés sur le mois de juillet 2020 par notre collaboratrice Madame [R] [S] de son intention de quitter la société Techni Line pour des raisons salariales et du fait qu'elle vous avait fait part de son intention.
Madame [S] nous a indiqué qu'à aucun moment vous n'aviez tenté de la retenir à son poste de travail et qu'elle avait eu au contraire le sentiment inverse, l'amenant de ce fait à nous en parler directement.
En date du 28 juillet dernier, Monsieur [N] [T], en déplacement professionnel en Ile de France, a rencontré et discuté avec Madame [V] [P], laquelle lui a avoué qu'elle était également en recherche d'emploi.
Cette dernière lui a révélé que vous n'aviez de cesse depuis la fin de l'année 20l9 de nous dénigrer, Monsieur [T] et moi-même en des termes particulièrement calomnieux et diffamatoires :
« Ce sont des voyous, ils sont pas dans les clous au sujet des contrats de travail et des payes' »
« Ils ne savent pas gérer, ils se la coulent douce dans leur piscine ".
" plus personne ne voudra travailler avec eux".
Nous déplorons également les autres propos malveillants que vous lui avez tenus, notamment des fausses informations sur la cessation d'activité de notre société et la rupture inévitable de son contrat de travail d'ici la fin de l'année.
De toute évidence vos propos jetant le discrédit sur nous et la société Techni Line visaient à l'inciter au départ afin de nuire au bon fonctionnement de la société, Madame [P], de par sa fonction d'inspectrice assurant le lien entre les clients et le personnel, étant en effet un élément clé dans notre organisation de travail.
En consultant votre messagerie électronique professionnelle suite à votre comportement particulièrement choquant et suspect, nous avons pris connaissance d'échanges de courriels avec notre sous-traitant, Monsieur [Y], Directeur General de la société BSP intervenant sur nos chantiers en région Aquitaine.
Des courriels dont la teneur démontre incontestablement que vous servez les intérêts professionnels de la société BSP au détriment de la nôtre, votre employeur.
Vous êtes ainsi intervenu en faveur de celle-ci pour modifier à la hausse ses projets de facturation des chantiers H&M, adressés par courriels des 2 juin, 19 juin et 22 juillet 2020.
Ainsi, au titre de la facturation des mois de Juin et Juillet 2020, Monsieur [Y] a rajouté respectivement les sommes HT de 6 962,62 ' et de 7433,71 ' soit au total une facturation supplémentaire de 14 396,33 ', avec une complicité évidente de votre part mise en exergue par les termes de vos courriels :
« [N] paiera tout, je passerai ta facture, je vais ajouter une provision sur juin dans la régie (chuuuut !!!) »
« Tu vas ajouter 15% du forfait nettoyage le dimanche ».
« Je vais ajouter du forfait régie pour les rideaux »
« Je te récupère du jus sur des postes »
Face aux documents probants présentés lors de l'entretien, vous n'avez pas cherché à nier les faits mais seulement à justifier votre attitude en indiquant que la société BSP avait omis les coûts du poste 'Désinfection " résultant de la crise sanitaire et que vous ne faisiez que corriger leurs projets de facturation.
Outre que ce poste ne peut à lui seul générer un écart de facturation aussi important, un tel argument n'est absolument pas recevable car en votre qualité de Directeur Commercial, vos missions stipulées à votre contrat de travail consistent entre autres, en une optimisation des coûts et de suivi des marges.
Il n'est donc pas de votre rôle d'assister notre sous-traitant dans sa facturation et encore moins d'accroitre volontairement nos charges et diminuer notre chiffre d'affaires.
Monsieur [Y] de la société BSP auquel nous avons demandé des précisions quant à cette facturation supplémentaire n'a d'ailleurs pas été plus convaincant que vous et n'a pu justifier des postes facturés en sus.
Nous avons également découvert deux autres messages illustrant votre comportement déloyal.
Le premier en date du 8 janvier 2020 de Monsieur [Y] vous associant à un appel d'offres fait clairement état d'un lien professionnel existant entre la société BSP et vous-même :
« je pensai que nous aurions pu proposer nos services à la société SSI pour les accompagner lors de la prochaine consultation ' Je sais que je m'y prends de [bonne heure] mais il faut bien semer pour récolter' »
Vos explications, selon lesquelles Monsieur [Y] étant une relation de votre réseau à laquelle vous apportiez uniquement votre assistance pour lui permettre d'obtenir le marché, sont pour le moins surprenantes voire déplacées.
La société BSP n'étant pas votre employeur, vous étiez tenu de répondre au nom de la société Techni Line aux appels d'offres relevant de notre domaine d'activité au lieu de chercher à développer le chiffre d'affaires d'une société concurrente sauf bien sûr à en tirer un profit à titre personnel, ce dont nous sommes convaincus.
Nous le sommes d'autant plus à la lecture du second courriel adressé le 22 avril 2020 par vos soins à votre fils [U] en vue de recueillir son avis sur une plaquette commerciale relative à des prestations de désinfection de chariots et paniers.
Outre que cette plaquette affiche clairement le logo de la société BSP, vos coordonnées figurent distinctement sur celle-ci, en l'occurrence votre numéro de téléphone portable « [XXXXXXXX01] » est celui mis à votre disposition par notre société et l'adresse de messagerie électronique suivante : "[Courriel 8]".
Force est de constater que ce projet de désinfection des caddies des grandes surfaces sur lequel Monsieur [T] vous a demandé de travailler a été réalisé au bénéfice de la société BSP.
Vous ne pouvez donc décemment soutenir comme vous l'avez fait n'avoir apporté qu'une aide à la création de cette plaquette dont la seule finalité est assurément d'apporter des contrats commerciaux à la société BSP et d'en tirer un profit personnel.
Monsieur [Y], interrogé sur ce point nous a indiqué que vous lui aviez demandé son autorisation d'utiliser le logo BSP pour faire une campagne de publicité tout en niant cependant des retombées financières en leur faveur, ce dont nous ne pouvons croire.
En tout état de cause, il est manifeste au vu des éléments écrits dont nous disposons que vous avez, durant l'exécution de votre contrat de travail, commis des actes constitutifs de concurrence déloyale aux fins de fragiliser voire mettre en péril la société Techni Line tout en développant la clientèle propre de notre actuel sous-traitant BSP.
Cette situation n'est pas sans lien avec vos projets annoncés à Madame [P] de mettre un terme à votre collaboration professionnelle avec nous d'ici la fin de l'année pour devenir Directeur dans une autre société.
Tout au long de notre entretien, vous vous êtes efforcé de nous convaincre de votre loyauté mais malheureusement la réalité des faits fautifs est confirmée par les nouvelles informations portées à notre connaissance depuis notre entretien.
D'une part, Madame [D] [E], Assistante commerciale de la société ECO GUEST, notre fournisseur des consommables sanitaires a indiqué à notre inspectrice Madame [P] qui s'étonnait auprès d'elle du non-renouvellement des consommables sur le site du client ISART DIGITAL, que vous aviez mis un terme à la livraison des consommables à fin août 2020.
Or, aucune instruction de la part de votre hiérarchie ne vous a été communiquée en ce sens et nous avons demandé à la Société ECO GUEST de reprendre les livraisons.
Nul doute que l'objectif recherché de votre part était de nuire à nos relations commerciales avec la société ISART DIGITAL par une dégradation délibérée de la qualité de nos prestations.
D'autre part, nous avons pu préserver notre relation commerciale avec la société KONE, Monsieur [M] était en effet persuadé, que la société Techni Line avait été placée en liquidation judiciaire selon vos dires.
Ce dernier nous a fait mention d'une demande d'agrémentation de votre part en vue de la réalisation par une nouvelle société, de leurs opérations de portage sur les régions de [Localité 7], [Localité 6] et Occitanie, cette situation étant qualifiable d'un détournement de clientèle.
Nous avons d'ailleurs remarqué que vous aviez affecté depuis le mois de juin dernier sur le chantier de H&M Centre Commercial de Belle Epine (94), notre salarié Monsieur [B] [A] en charge des prestations de portage confiées par la société KONE.
Or, une telle mesure, mise en 'uvre sans nous en référer au préalable, ne se justifiait nullement sur les plans opérationnel et financier mais peut s'expliquer par le fait de laisser la place vacante à la société censée remplacer la nôtre.
Aussi, au vu de l'ensemble de vos manquements d'une extrême gravité, caractérisant une intention de nuire à la société Techni Line à votre propre profit, nous avons décidé de vous licencier pour faute lourde, vos agissements étant contraires aux principes de loyauté et de confiance dont vous étiez tenu à notre égard en votre qualité de Directeur commercial.
La rupture de votre contrat de travail sera effective à la date d'envoi du présent courrier, la faute lourde étant privative des indemnités de congés payés en cours d'acquisition, de préavis et de licenciement.
Votre solde de tout compte et les documents sociaux vous seront remis ultérieurement étant précisé que les jours dans le cadre de la mise à pied conservatoire ne donnent pas lieu à rémunération.
(')
Vous êtes par ailleurs informé que vous pourrez bénéficier du maintien des garanties des frais de santé et de la prévoyance auxquelles vous adhérez en tant que salarié au jour de la rupture de votre contrat de travail. »
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.
La faute lourde suppose la démonstration d'une intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.
Sur la cause
La société Techni Line soutient les griefs énoncés dans sa lettre de licenciement, que M. [W] dément.
Le dénigrement
C'est à juste titre que le conseil de prud'hommes et le salarié font valoir la carence probatoire de l'employeur, pour ce qui concerne Mme [S], aucune pièce n'étant versée au soutien du grief la concernant.
En revanche, la missive de Mme [P] remise à l'employeur, qui ne saurait être écartée du moment que la preuve est libre et que signée, son authenticité est soumise à la discussion des parties sans être précisément critiquée, atteste que M. [W] l'incita à se placer en arrêt maladie, qu'il prétendit que la société Techni Line, voulant au reste la démettre, allait « ferm[er] avant la fin de l'année », qu'ainsi il fallait la quitter, et que lui-même serait nommé directeur général d'une autre société, qu'il partirait avec H&M [Localité 6], Forum des Halles et Lafayette, et qu'il ne la laisserait pas tomber. Elle relate par ailleurs les propos rapportés par la lettre de licenciement.
Ce grief, qui n'est pas sérieusement contesté au motif, inopérant, de son invraisemblance en raison de la contribution du salarié à l'augmentation du chiffre d'affaires de la société ou, dérisoire, de sa suspicion parce que son véhicule de fonction aurait été attribué à l'inspectrice, sera retenu dans cette mesure.
La concurrence
C'est à raison, comme le retint le conseil de prud'hommes, que l'employeur fait grief au salarié d'avoir majoré de son initiative la facturation du sous-traitant BSP dans le marché passé avec la société H&M, dont la société Techni Line, donneuse d'ordre, est titulaire, pour ses sites dans le sud-ouest à hauteur non démentie de 14.396,33 euros répartis sur juin et juillet 2020, dans les termes rapportés par la lettre de licenciement d'une opacité contrevenant au fondement légal plaidé, sans qu'importe, comme le soutient M. [W], son ineffectivité sur la marge croissante de la société Techni Line et sans qu'il ne démontre, par ses pièces versées aux débats, ni sa base conventionnelle, ni l'usage d'une telle compensation de la perte de chiffre d'affaires due à la Covid notamment dans d'autres magasins en région parisienne, ni les instructions reçues de son employeur en ce sens, ni son aval. Or, comme le soutient la société Techni Line et l'a relevé le conseil de prud'hommes, son implication au profit d'un partenaire exerçant dans le même secteur concurrentiel, est nécessairement déloyale.
Par ailleurs, s'il est vrai que M. [W] développa le projet de désinfecter les chariots de supermarché dont il transmit le 14 avril 2020 à son employeur la plaquette sous son logo, il est manifeste, vu notamment les correspondances des 22, 29 avril et 6 mai 2020 qu'il dupliqua, sous le logo de la société BSP, cette plaquette amendée de ses coordonnées personnelles sans mention de son employeur, et qu'il en fit l'offre auprès du groupe système U le 29 avril suivant, après démarchage de fournisseurs pour mettre en pratique son projet, sans qu'il ne justifie nullement en avoir avisé son employeur dont il aurait obtenu l'assentiment, étant ajouté que ses explications sur la réputation péjorative de la société Techni Line l'ayant interdit de se faire connaître à ses interlocuteurs sont dénuées de tout sérieux.
Alors que la relation de ce grief dans la lettre de licenciement n'empêche à l'employeur d'en préciser le détail, les arguments de M. [W] d'avoir procédé à une simple étude de coût et de n'avoir finalement conclu aucun marché sont inopérants à disqualifier son détournement de travaux confiés par l'employeur au profit d'un concurrent et dans son intérêt personnel.
En revanche, il ne se déduit pas du seul mail adressé le 8 janvier 2020 par la société BSP à M. [W] qu'il lui aurait porté une assistance indue pour répondre à un appel d'offre, alors que M. [W] prétend n'avoir été que l'intermédiaire désintéressé d'un contact de deux personnes qu'il connaissait.
Le surplus des faits évoqués ayant été révélés postérieurement à l'entretien préalable, ne peuvent fonder le licenciement ensuite prononcé, et il n'y a pas lieu de les examiner.
La gravité
La circonstance que M. [W], qui donna en interne de fausses informations sur la situation de la société, se positionne comme le concurrent de son employeur et n'agisse, à tout le moins, dans son intérêt commercial alors qu'il a, au contraire, pour mission d'en assurer le développement, rend impossible son maintien dans les effectifs de la société Techni Line y compris durant le temps du préavis contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes, peu important le profit qu'il en tira réellement ou la perte éprouvée par son employeur.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a disqualifié la rupture en un licenciement étayé d'une cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, l'intention de nuire dérive des faits en eux-mêmes puisque M. [W] convainquit Mme [P], occupant selon les parties un poste clé dans l'entreprise, de sa prochaine déconfiture l'incitant à s'en désengager, et qu'il tenta, par collusion avec un sous-traitant, de détourner sa clientèle, même si la société Techni Line manque à établir, par ses seules pièces versées aux débats disputées à raison par son colitigant, les faits postérieurs à l'entretien qu'elle impute encore au salarié et tenant à la rupture indue des prestations faites pour la société Isart Digital, à son dénigrement auprès de la société Koné dont elle aurait perdu la clientèle et au déplacement indu d'un salarié pour libérer le poste d'un marché convoité à titre personnel.
Sur les conséquences
Il suit de cela que les prétentions de M. [W] afférentes à la rupture seront rejetées, par voie de confirmation du jugement pour les dommages-intérêts compensatoires de la perte injustifiée d'emploi et d'infirmation pour le surplus.
Se basant sur les énonciations portées à la lettre de licenciement, M. [W] sollicite par ailleurs, une indemnité compensatrice d'absence de portabilité de la mutuelle, dont il est acquis qu'il n'eut le bénéfice.
Cela étant, c'est justement que la société Techni Line soutient que l'article L.911-8 du code de la sécurité sociale ne permet pas au salarié licencié pour faute lourde de bénéficier de la portabilité de la mutuelle, en sorte que l'erreur faite dans la lettre ne saurait engager ni l'organisme de prévoyance, ni l'engager elle-même, faute de convention en ce sens.
A défaut d'aucun fondement qu'il n'énonce pas, M. [W], qui ne recherche nullement la responsabilité de la société, ne peut être suivi en sa demande qui sera rejetée par confirmation du jugement.
Sur l'exécution du contrat de travail
Sur les rappels de salaire
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'article 70 du code de procédure civile
La société Techni Line querelle la recevabilité des demandes fondées sur le contrat de travail que le requérant ajouta finalement devant le conseil de prud'hommes et que l'intimé dit se rattacher directement à la rupture du contrat de travail conditionnant le droit à une indemnité pour travail dissimulé.
Il est acquis aux débats que par requête, M. [W] sollicita la requalification de son licenciement et sollicita les indemnités afférentes, en plus de dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail articulée, en fait, sur son licenciement.
Il sollicita ensuite des rappels de salaire pour avoir travaillé d'octobre 2017 à janvier 2018 avant la formalisation de son contrat de travail, puis en 2020 quoique placé en activité partielle, ensuite, en raison d'heures supplémentaires non réglées lors de la relation conventionnelle, ainsi qu'une indemnité pour travail dissimulé.
L'article 70 du code de procédure civile dit que « les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. »
Cela étant, il n'y a nulle identité dans la contestation du licenciement où le salarié se défend d'avoir dénigré son employeur et de l'avoir concurrencé de manière déloyale, à la suite de quoi il sollicita des dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail fondés sur son seul licenciement abusif y compris en regard de ses effets sur la prévoyance, et dans la réclamation d'heures non payées d'emblée puis ensuite.
La seule circonstance qu'elles puisent dans le même contrat ne saurait suffire à qualifier le lien entre ces demandes, à telle enseigne que M. [W] ne tire nul effet de sa seconde réclamation au niveau des conséquences financières du licenciement.
Pas plus, la condition légale de la rupture du contrat pour percevoir l'indemnité pour travail dissimulé ne l'arrime à sa contestation de faits sans rapport avec le paiement du salaire.
Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a considéré les demandes additionnelles conformes aux dispositions de l'article 70 précité, et il convient au contraire, de les dire irrecevables.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
M. [W] considère que son licenciement intervenu d'un prétexte fallacieux en pleine crise économique conduisant au gel des embauches, lui occasionna un important préjudice financier, alors que la société Techni Line soulève l'artifice de la demande, que n'étaye, selon elle, aucune preuve.
Le contrat de travail s'exécute de bonne foi, laquelle est présumée.
Cependant, le licenciement étant fondé, il n'y a nulle cause à la demande faute de manquement.
Le salarié fait encore valoir l'interception, par son employeur, de sa correspondance avec son ancienne mutuelle.
Cela étant, il ne justifie de nul dommage, alors que ce mail, du 15 avril 2021, signale seulement sa difficulté à résilier son compte après son changement de situation.
Les prétentions de M. [W] seront rejetées par voie de confirmation du jugement.
Sur la demande reconventionnelle
La société Techni Line réclame le dédommagement des actes de concurrence déloyale subis, que M. [W] dit n'avoir été évoqués, dans le détail, dans la lettre de licenciement.
Certes, l'objection du salarié est erronée puisque l'employeur peut préciser à la barre ses reproches évoqués dans les motifs de la lettre de licenciement.
Néanmoins, si la société Techni Line fait valoir le détournement de sa clientèle notamment pour 3 contrats de désinfection des chariots qu'aurait conclu, selon elle à sa place, la société BSP moyennant un prix global de 130.000 euros, les pièces versées aux débats ne justifient nullement de ces marchés, que M. [W] dénie.
Par ailleurs, faute de connaître les modalités de la facturation entre le sous-traitant, le donneur d'ordre et l'acheteur, il ne s'induit pas suffisamment des faits démontrés que la société Techni Line aurait manqué de gagner 15.000 euros en raison de la surfacturation proposée à la société BSP dans le marché conclu avec la société H&M sur ses sites dans le sud-ouest.
En revanche, il est manifeste, comme le relève l'employeur, que M. [W] travailla pour ses concurrents durant son temps de travail rémunéré.
Elle en sera indemnisée par l'allocation de 2.000 euros, au paiement desquels le salarié sera condamné par voie d'infirmation du jugement.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [Z] [W] de dommages-intérêts pour perte injustifiée de son emploi, pour exécution déloyale du contrat de travail, d'une indemnité compensatrice de l'absence de portabilité de la mutuelle et en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société à responsabilité limitée Techni Line ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;
Dit bien-fondé le licenciement prononcé pour faute lourde ;
Déboute M. [Z] [W] de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail ;
Dit irrecevables les demandes de M. [Z] [W] de rappels de salaires, de congés payés afférents et d'une indemnité pour travail dissimulé ;
Condamne M. [Z] [W] à payer à la société à responsabilité limitée Techni Line la somme de 2.000 euros de dommages-intérêts en réparation de ses actes de concurrence déloyale ;
Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d'obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l'exécution provisoire ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [Z] [W] aux entiers dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.