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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 22 mai 2025, n° 24/01509

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Schmidt (SARL)

Défendeur :

Pelican (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vannier

Vice-président :

M. Urbano

Conseiller :

Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Viard, Me Lelandais, Me Loevenbruck

TJ Le Havre, du 16 avr. 2024, n° 23/0058…

16 avril 2024

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SARL Schmidt exerce une activité de restauration traditionnelle, sous l'enseigne « La Croisette ».

Aux termes d'un contrat de bail du 28 février 2017, la SAS Pelican a donné à bail à la SARL Schmidt les locaux à usage commercial situés [Adresse 1] moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 40 800 euros.

Par acte de commissaire de justice du 14 août 2023, la SAS Pelican a fait délivrer à la SARL Schmidt un commandement de payer visant la clause résolutoire en règlement de loyers et charges impayés des mois de juillet et août 2023.

Parallèlement, par acte de commissaire de justice du 16 août 2023, la SAS Pelican a fait délivrer à la SARL Schmidt une sommation interpellative aux fins de faire confirmer que cette dernière utilisait la cave.

Le même jour, la SARL Pelican a mis en demeure la SARL Schmidt de démonter ou de déplacer la cheminée d'évacuation des fumées de cuisine traversant les étages 2-3 et le moteur d'extraction de ces fumées.

Le locataire ayant payé les loyers des mois de juillet et août 2023, le bailleur ne s'est pas prévalu de l'acquisition de la clause résolutoire.

Par acte de commissaire de justice du 6 octobre 2023, la SAS Pelican a fait délivrer à la SARL Schmidt un commandement de payer visant la clause résolutoire en règlement de loyers et charges impayés des mois de juillet, août, septembre et octobre 2023.

Le même jour, deux autres actes ont été délivrés à la SARL Schmidt par la SAS Pelican aux mêmes fins que ci-dessus indiquées.

Par assignation du 23 novembre 2023, la SAS Pelican a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire du Havre aux fins de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, d'ordonner l'expulsion de la SARL Schmidt et de la voir condamner au règlement des loyers impayés.

Par ordonnance de référé du 16 avril 2024, le président du tribunal judiciaire de Rouen a :

- constaté la résiliation du contrat de bail commercial conclu le 28 février 2017, portant sur des locaux commerciaux situés [Adresse 1], du fait de l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit pour défaut de paiement des loyers, le 6 novembre 2023.

- débouté la SARL Schmidt de sa demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire incluse au bail.

- ordonné l'expulsion de la SARL Schmidt ainsi que de tous occupants de son chef, en tant que de besoin avec le concours de la force publique, passé le délai d'un mois suivant la signification de la présente ordonnance.

- condamné la SARL Schmidt à payer à la SAS Pelican une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle équivalente au montant du loyer en cours et de la provision sur charges à compter du 6 novembre 2023 jusqu'à complète libération des lieux et remise des clés.

- condamné la SARL Schmidt à payer à la SAS Pelican la somme provisionnelle de 19 868,19 euros au titre des loyers, provisions sur charges et indemnités d'occupation échus au 31 mars 2024, sous réserve de l'encaissement du chèque afférent à l'échéance du mois de mars 2024, avec intérêts au taux légal à compter de la présente ordonnance sur le surplus.

- condamné la SARL Schmidt aux dépens qui comprendront le coût des commandements de payer des 14 août et 6 octobre 2023.

- condamné la SARL Schmidt à payer à la SAS Pelican une indemnité de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions.

La SARL Schmidt a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 25 avril 2024.

Par ordonnance du 11 juillet 2024, la juridiction du premier président de cette cour a suspendu l'exécution provisoire de la décision de l'ordonnance du 16 avril 2024.

Par jugement du 4 octobre 2024, le tribunal de commerce du Havre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de La SARL Schmidt.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 5 novembre 2024 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de Maître [G] [E] et de la SARL Schmidt qui demandent à la cour de :

- donner acte à Me [E], ès qualités de son intervention volontaire en qualité de mandataire au redressement judiciaire de la société Schmidt dans le cadre de la présente instance à la suite du redressement judiciaire prononcé par le tribunal de commerce du Havre à l'encontre de la SARL Schmidt en date du 4 octobre 2024.

- dire et juger la SARL Schmidt ainsi que Maître [E], ès qualités d'administrateur, recevables en leur appel, et les y déclarer bien fondées.

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- constaté la résiliation du contrat de bail liant les parties,

- débouté la société Schmidt de sa demande de délai de paiement et de la suspension de la clause résolutoire et ordonner son expulsion,

- condamné la SARL Schmidt à payer à la société Pelican une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle équivalente aux loyers jusqu'à libération effective des lieux,

- condamné la société Schmidt à payer à la société Pelican une somme provisionnelle de 19 868,19 euros au titre des loyers arriérés,

- débouté la société Schmidt de sa demande indemnitaire de 15 000 euros,

- condamné la société Schmidt aux dépens, comprenant le coût des commandements de payer des 14 août et 6 octobre 2023 ainsi qu'au paiement de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Réformer l'ordonnance entreprise, et en conséquence :

- débouter la SAS Pelican de sa demande tendant à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire au regard de loyers impayés antérieurs à l'ouverture de la procédure collective.

- renvoyer le cas échéant la SAS Pelican à produire sa créance au redressement judiciaire de la SARL Schmidt pour les loyers et dettes antérieures à l'ouverture du redressement judiciaire.

- dire et juger que la SARL Schmidt a procédé au règlement de l'intégralité des loyers commerciaux dus jusqu'au mois d'octobre 2024 inclus, soit antérieurement au redressement judiciaire.

- réformer l'ordonnance entreprise en ce que la société Schmidt a été déboutée de sa demande provisionnelle au visa de l'article 809 du code de procédure civile et statuant à nouveau condamner la SAS Pelican à payer à la SARL Schmidt une provision en compte et à valoir sur son préjudice commercial d'un montant de 15 000 euros.

- condamner la SAS Pelican à payer à la SARL Schmidt la somme de 3 000 euros au visa de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Vu les conclusions du 26 novembre 2024 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la SAS Pelican qui demande à la cour de :

- confirmer la décision du juge des référés du 16 avril 2024.

En conséquence,

- débouter la SARL Schmidt de toutes ses demandes.

- condamner et fixer au passif de la SARL Schmidt la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la résiliation du bail commercial par acquisition de la clause résolutoire

Moyens des parties

La SARL Schmidt et Maître [E] ès qualités soutiennent que :

* l'action engagée par la SAS Pelican en vue de la résiliation du bail étant en cours au jour de l'ouverture du redressement judiciaire, le bailleresse est irrecevable et mal fondée à solliciter l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers commerciaux antérieurs audit redressement judiciaire, et ce, d'autant plus que ces loyers sont à ce jour réglés.

La SAS Pelican réplique que :

* l'action en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire ne peut être poursuivie s'agissant d'un défaut de paiement de loyers antérieur au jugement d'ouverture.

Réponse de la cour

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.(...). »

L'article L. 622-21 I du code de commerce dispose que : « le jugement d'ouverture d'une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

(...) ».

Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement.

Au cas présent, la décision dont appel date du 16 avril 2024 tandis que la procédure de redressement judiciaire de la SARL Schmidt a été ouverte par jugement du 4 octobre 2024.

La décision entreprise rendue en premier ressort et régulièrement frappée d'appel, n'était en conséquence pas passée en force de chose jugée au 4 octobre 2024.

En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites.

Compte tenu de l'évolution du litige, il convient d'infirmer l'ordonnance dont appel et dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes tendant à la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, à l'expulsion de la SARL Schmidt et à sa condamnation à des provisions.

Sur la demande de provision à valoir sur des dommages et intérêts pour préjudice commercial

Moyens des parties

La SARL Schmidt et Maître [E] ès qualités soutiennent que :

* la compensation de loyer de 10.834,94 euros accordée par le propriétaire était liée aux travaux de déplacement de la conduite d'évacuation des fumées et non pas aux travaux de gros 'uvre extérieur de l'immeuble qui ont entraîné des nuisances et dégradations ;

* le bilan de la société Schmidt au 30 septembre 2023 démontre une baisse du chiffre d'affaires en lien direct avec les travaux menés par le propriétaire, la présence du chantier avec échafaudage sur la terrasse a directement impacté l'activité commerciale.

La SAS Pelican réplique que :

* l'échafaudage ne servait que pour la toiture et les étages supérieurs, non concernés par l'exploitation ; l'établissement est manifestement en baisse d'activité et d'attraction vis-à-vis d'une clientèle de passage ; il disposait d'une terrasse extérieure en rez de chaussée dont l'enlèvement a été ordonné par la mairie en raison de travaux effectués de façon sauvage ce qui explique la baisse d'activité.

Réponse de la cour

En application des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, « dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier. »

En application de ce texte, le montant de la provision qui peut être allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

A titre liminaire, la cour relève que si la société Schmidt indique solliciter une provision sur le fondement de l'article 809 du code de procédure civile devenu l'article 835 de ce code depuis le 1er janvier 2021, elle ne précise pas sur quel fondement elle s'appuie pour solliciter la réparation par la société Pelican du préjudice commercial qu'elle dit avoir subi.

La SARL Schmidt verse aux débats un procès-verbal de commissaire de justice du 19 juillet 2023 qui fait ressortir qu'à cette date un échafaudage était en partie posé sur le toit de la véranda située à l'étage du restaurant et dont certains des éléments comme des piliers de soutènement étaient positionnés sur la terrasse de cet étage. Les clichés photographiques illustrent les désagréments visuels ayant pu en résulter ainsi que la présence de chaises et de tables. Elle produit les comptes annuels de la société arrêtés au 30 septembre 2023 mentionnant un chiffre d'affaires de 602 938 euros contre

659 292 euros au 30 septembre 2022. S'il est attesté par la société Audit Consultants le 29 avril 2024 d'une baisse du chiffre d'affaires de l'ordre de 52 000 euros entre la période du 1er juin 2023 au 30 novembre 2023 et celle du 1er juin 2022 au 30 novembre 2022, le bénéfice de la société a toutefois augmenté en septembre 2023 par rapport à celui arrêté en septembre 2022. Par ailleurs tant les captures d'écran que les photographies produites par les deux parties illustrent que l'espace extérieur du restaurant qui jouissait d'une terrasse sur la rue en 2020 a été réduit et n'en dispose plus, point sur lequel la SARL Schmidt n'a formulé aucune observation alors que la SAS Pelican soutient que l'enlèvement de la terrasse en rez de chaussée explique la baisse d'activité.

Il s'ensuit que ces éléments ne permettent pas d'établir l'évidence du préjudice ni de la somme qui pourrait être allouée en réparation de sorte que l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a débouté la SAS Pelican de sa demande de provision.

Sur les demandes accessoires

L'évolution de la décision n'étant que la résultante de l'ouverture de la procédure collective à l'égard de l'appelante, que la société Pelican subit, l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Schmidt, désormais représentée par son mandataire judiciaire mis dans la cause, au titre des frais irrépétibles et des dépens, sauf à dire qu'il s'agit d'une fixation au passif de la procédure collective.

Pour la même raison, les dépens d'appel seront fixés au passif de la procédure collective de la SARL Schmidt.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une et l'autre des parties qui seront déboutées de leurs demandes.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance du 16 avril 2024 en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'elle a débouté la SARL Schmidt de sa demande de provision et statué sur les frais irrépétibles et dépens de première instance et sauf à préciser que ces frais seront fixés au passif de la SARL Schmidt,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SAS Pelican tendant à la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, à l'expulsion de la SARL Schmidt et à sa condamnation à des provisions,

Y ajoutant,

Dit que la SARL Schmidt supportera les dépens d'appel, cette créance étant fixée au passif de la procédure collective de la SARL Schmidt,

Déboute la SARL Schmidt et la SAS Pelican de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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