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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 22 mai 2025, n° 24/15449

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bd Serurier (SARL)

Défendeur :

Bd Serurier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

M. Najem, Mme Chopin

Avocats :

Me Ohana, Me Bellan Vila, Me Lesenechal, Me Strochlic

TJ Paris, du 9 août 2024, n° 24/53181

9 août 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 2 mai 2012, MM. [U] et [I] ont consenti un bail commercial à la société Serrudis, sous condition suspensive d'acquisition de locaux composés de deux boutiques et situés [Adresse 1], pour y exercer l'activité de supermarché.

A la suite de l'acquisition desdits locaux le 11 juillet 2012, le bail a pris effet à compter du 12 juillet 2012.

La société BD Serurier, venue aux droits de la société Serrudis par suite d'une cession de fonds de commerce intervenue le 9 décembre 2016, a sollicité le renouvellement du bail par courrier recommandé avec avis de réception du 3 février 2021.

Par acte sous seing privé en date des 7 et 12 juin 2023, les parties ont convenu du renouvellement du bail commercial, à effet au 12 juin 2021, moyennant un loyer annuel de 118 000 euros hors taxes et hors charges. Ce bail prévoyait également que le preneur s'engageait à fournir une garantie à première demande couvrant la somme maximale d'un an de loyers, hors taxes et hors charges.

La SCI G.M. a fait délivrer à la société BD Serurier, par exploit en date du 24 janvier 2024, un commandement visant la clause résolutoire, d'avoir à fournir, dans le délai d'un mois, une garantie à première demande répondant aux exigences du bail.

Ce commandement est demeuré infructueux.

Par exploit du 16 avril 2024, la SCI G.M. a fait assigner la société BD Serurier devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, aux fins de voir :

Prononcer l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial consenti à la société BD Serurier le 2 mai 2012 et renouvelé les 7 et 12 juin 2023 ;

Ordonner l'expulsion de la société BD Serurier et de tous occupants de son chef avec au besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, outre la séquestration des biens laissés sur place, dont le sort sera réglé conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamner la société BD Serurier à payer à la SCI G.M. une indemnité d'occupation provisionnelle équivalent au montant des loyers, charges, taxes et accessoires à compter de la date de la décision à intervenir ;

Condamner la société BD Serurier à payer à la SCI G.M. la somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société BD Serurier aux entiers dépens en ce compris le coût du commandement visant la clause résolutoire ;

Rappeler que la décision à intervenir bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire.

Par ordonnance contradictoire du 9 août 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, a :

Constaté que les conditions de l'acquisition de la clause résolutoire sont réunies ;

Constaté l'acquisition de la clause résolutoire à compter du 25 février 2024 ;

Ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société BD Serurier et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 1] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;

Condamné la société BD Serurier à payer à la SCI G.M. à compter du 25 février 2024, une indemnité d'occupation provisionnelle mensuelle équivalente au montant des loyers, charges et taxes tels que contractuellement prévus, et jusqu'à la libération effective des lieux ;

Débouté la société BD Serurier de sa demande de délai de paiement ;

Débouté la société BD Serurier de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamné la société BD Serurier aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement ;

Condamné la société BD Serurier à payer à la SCI G.M. la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelé que l'ordonnance de référé rendue en matière de clause résolutoire insérée dans le bail commercial a seulement autorité de chose jugée provisoire ;

Rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration du 23 août 2024, la société BD Serurier a interjeté appel de l'ensemble des chefs du dispositif.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 28 janvier 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1343-5 du code civil et L145-41 du code de commerce, de :

Infirmer la totalité du dispositif de l'ordonnance.

Et statuant à nouveau,

Constater la production d'une garantie à première demande à hauteur de 118.000 euros par la société BD Serurier,

En conséquence,

Suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation du bail commercial en date du 12 juin 2023,

Débouter la SCI G.M. de l'intégralité de ses demandes,

Condamner la SCI G.M. à verser à la société BD Serurier la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que son fonds de commerce a été incendié durant les émeutes urbaines en juin 2023 ; qu'elle n'a plus eu de chiffre d'affaires jusqu'en décembre 2023 et a été dans l'incapacité de régler le loyer courant, de reconstituer la garantie à première demande (« GADP ») et d'augmenter le plafond de cette garantie à hauteur de 118.000 euros mais qu'elle a pu déférer à cette obligation le 3 octobre 2024.

Elle souligne que contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, elle avait transmis des éléments financiers, à savoir une attestation d'un expert-comptable.

Elle conteste que l'augmentation annuelle de la GAPD soit contractuellement prévue.

Elle fait état de sa bonne foi et du fait que son activité s'est arrêtée à la suite d'un incendie ayant entraîné une perte d'exploitation approximative de 1.000.000 euros HT. Elle expose que ce n'est que le 3 mai 2024 qu'elle a perçu une indemnisation partielle à ce titre.

Elle rappelle que la résiliation entraîne la perte de son fonds de commerce, sans indemnité d'éviction et précise qu'elle a neuf salariés.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 7 mars 2025, la SCI G.M. demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104 du code civil et L145-1 et suivants du code de commerce, de :

Recevoir la SCI G.M. et la dire recevable en sa constitution et bien fondée en ses demandes,

En conséquence,

Confirmer l'ordonnance de référé, rendue le 9 août 2024, par le président du tribunal judiciaire de Paris, en toutes ses dispositions,

Débouter la société BD Serurier de l'ensemble de ses demandes,

Y rajoutant,

Condamner la société BD Serurier à payer à la SCI G.M., pour la procédure d'appel, la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société BD Serurier aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle allègue que la société BD Serurier n'a pas cru bon de déférer au commandement ; que compte tenu de ses agissements persistants, graves et répétés, c'est à bon droit que la décision querellée a mis fin aux relations contractuelles aux torts de la locataire.

Elle relève que la GAPD n'était pas reconstituée au stade de la première instance lorsque l'acquisition de la clause résolutoire a été constatée.

Elle soutient qu'avant les émeutes urbaines, la société BD Serurier n'était déjà pas à jour de ses loyers.

Elle expose avoir fait preuve d'une certaine bienveillance, en acceptant initialement un échelonnement mensuel qui n'a pas été respecté. Elle souligne que le premier juge a bien étudié la demande de délais, avant de la rejeter.

Elle allègue que depuis le 24 janvier 2024, date du commandement, jusqu'à ce jour, la garantie n'a pas été reconstituée en totalité.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 mars 2025.

SUR CE,

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

L'article 1343-5 du code civil prévoit que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, le locataire sollicite la suspension de la réalisation et des effets des clauses de résiliation du bail commercial, cette demande implique implicitement mais nécessairement l'octroi de délais.

Il ressort de l'article 7 du renouvellement du bail que : « à titre de condition essentielle et déterminante du contrat de bail pour le bénéfice exclusif du bailleur, le preneur s'est engagé à fournir une garantie à première demande couvrant la somme maximale d'un an de loyers hors taxes et hors charges valable pendant la durée du bail.

Le présent renouvellement est soumis aux même conditions (garantie pour une somme maximale de 118 000 euros (') hors taxes et hors charges sous réserve que lesdits engagements soient fournis dans un délai d'un mois de l'établissement du présent renouvellement, soit au plus tard le 12 janvier 2023 et pour une durée correspondant à la durée du renouvellement du bail concerné. (...)

En conséquence, à défaut de fourniture de garantie bancaire avant le 12 janvier 2023, le Bailleur retrouvera toute liberté et notamment le droit d'actionner la clause résolutoire du bail, ce que le Preneur accepte expressément. »

En l'espèce, la société BD Serurier ne conteste pas la régularité formelle du commandement reproduisant la clause résolutoire, délivré le 24 janvier 2024 et l'enjoignant à fournir une garantie à première demande répondant aux exigences du bail.

Il est constant qu'elle n'a pas déféré à cette demande dans le délai requis et c'est à bon droit que le premier juge a considéré que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient remplies.

Pour rejeter la demande de délais, le premier juge a retenu que la locataire ne produisait aucun élément comptable permettant d'établir qu'elle était en mesure de payer les échéances courantes tout en reconstituant la garantie à première demande.

L'appelante produit cependant une attestation d'un expert-comptable en date du 14 mai 2024 qu'elle indique avoir déjà versée en première instance, et qui fait état des chiffres d'affaires du 1er trimestre 2023 au 1er trimestre 2024 pour un montant total de 1.999.034,15 euros (sa pièce 11).

La société BD Serurier justifie d'un incendie survenu dans les lieux loués (pendant des émeutes survenues en 2023) pour lequel elle a été indemnisée le 3 mai 2024 au titre d'une perte d'exploitation à hauteur de 182.189,46 euros. Elle a en outre subi des vols pour lesquels elle a déposé plainte.

Il en a résulté à l'évidence une perte conséquente de chiffre d'affaires pendant des mois.

L'ordonnance entreprise ne contient aucune condamnation provisionnelle au titre d'un impayé et le bailleur ne réclame pas le paiement à hauteur d'appel d'une somme au titre d'un quelconque arriéré de loyers ou de charges.

Le bailleur considère en revanche qu'il existerait encore un différentiel de 7.496,64 euros en ce que, compte tenu du montant de loyer indexé, la garantie bancaire à première demande était de 125.496,64 euros, ainsi que réclamée dans le commandement visant la clause résolutoire.

Cependant l'article 7 du renouvellement de bail commercial précité fait état d'une garantie pour une somme maximale de 118.000 euros, hors taxe et hors charge. Il s'agit d'une garantie « couvrant la somme maximale d'un an de loyers hors taxe et hors charge et valable pendant toute la durée du loyer » (caractères gras ajoutés par la cour). Si son montant a été fixé en considération du loyer, s'agissant d'une garantie, elle n'a pas vocation à être indexée comme le loyer, en l'absence de clause expresse en ce sens. La garantie est donc d'un montant de 180.000 euros.

La société BD Serurier allègue qu'elle avait, dès le 15 mai 2024 provisionné la GAPD à hauteur de 118.000 euros, et donc avant que le premier juge ne statue.

Elle produit en ce sens un relevé de son compte qui fait état d'un virement interne de 180.000 euros à cette date (sa pièce 18).

Cependant l'acte de garantie à première demande de la Caisse d'Epargne au bénéfice du bailleur, au visa de l'article 2321 du code civil et à hauteur de 180.000 euros n'est daté que du 2 octobre 2024, et il a donc été régularisé pendant le cours de la présente instance.

Il n'en demeure pas moins que, désormais, la locataire justifie de l'existence de cette garantie, reconstituée en totalité, témoignant de ses efforts et de sa bonne foi, et les circonstances dont elle fait état ont nécessairement gravement obéré son activité pendant plusieurs mois, ce qui explique pour la plus grande part le retard dans les paiements.

L'ordonnance entreprise sera par conséquent infirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de délais.

Statuant de nouveau, il convient d'accorder à la société BD Serurier, sur le fondement de l'article L.145-41 du code de commerce, des délais de grâce à titre rétroactif pour reconstituer et justifier de la garantie à première demande qui, dès lors qu'ils ont été respectés, ont pour effet de suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire en application de ce dernier texte.

Il sera donc constaté que la clause résolutoire n'a pas joué.

La décision entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ordonné l'expulsion, condamné la locataire au titre d'une indemnité d'occupation.

Il a été relevé que la société BD Serurier n'a reconstitué la garantie à première demande qu'avec retard et au-delà du délai d'un mois prévu dans le commandement de payer visant la clause résolutoire. C'est donc à bon droit qu'elle a été condamnée aux dépens de première instance et à payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est justifié de la régularisation de la garantie à première demande que pendant la procédure devant la présente cour et l'appel ne prospère que par cette régularisation tardive et l'octroi de délais rétroactifs. Dès lors à hauteur d'appel, la société BD Serurier sera également condamnée aux dépens, avec distraction au profit du conseil de la partie adverse, ainsi qu'à payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate que la clause résolutoire visée au commandement délivré le 24 janvier 2024 n'a pas joué par suite du respect par la société BD Serurier des délais de grâce qui lui sont rétroactivement accordés par la cour ;

Condamne la société BD Serurier à payer à la SCI G.M. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société BD Serurier aux dépens d'appel, qui seront recouvrés par l'avocat de la partie adverse dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.

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