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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 26 mai 2025, n° 23/02341

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Belles Toulousaines (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

Me Danglade, Me Morvilliers, Me Cuif, Me Prunieres-Le Moigne

T. com. Libourne, du 14 avr. 2023, n° 20…

14 avril 2023

EXPOSE DU LITIGE

1 - La SAS les Belles Toulousaines a pour activité la fabrication d'articles de joaillerie et de bijouterie, exploitant l'enseigne « Musardise par les Belles Toulousaines » située à [Localité 7], disponible sur son site internet www.musardise.fr, ainsi qu'en vente ambulante par triporteur.

Mme [T] [Z] est une entrepreneuse individuelle immatriculée au RCS de Bordeaux, spécialisée dans la vente à distance de bijoux sous l'enseigne Joyx Jewerly, disponible sur le site interne www.joyxjewelry.fr.

Estimant que l'activité de Mme [Z] reprenait à l'identique les caractéristiques des bijoux réalisés par la société Les Belles Toulousaines, cette dernière a mis en demeure Mme [Z] le 16 décembre 2021 afin qu'elle cesse ses agissement déloyaux, en vain.

2 - Par acte du 15 février 2022, la société les Belles Toulousaines a assigné Mme [T] [Z] devant le tribunal de commerce de Libourne aux fins de constater qu'elle s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire en imitant les produits commercialisés par la société Les Belles Toulousaines, constater que ces agissements provoquent un risque de confusion dans l'esprit du consommateur et engagent la responsabilité délictuelle de Mme [Z], lui interdire de fabriquer et de commercialiser tous produits reproduisant les bijoux commercialisés par la société Les Belles Toulousaine et la condamner à verser la somme de 50 000 euros au titre des gains manqués issus des actes déloyaux et parasitaire, ainsi que 50 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par jugement du 14 avril 2023, le tribunal de commerce de Libourne a :

- Débouté la société Les Belles Toulousaines de l'ensemble de ses demandes ;

- Débouté Mme [T] [Z] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

- Condamné la société Les Belles Toulousaines à payer la somme de 3000 euros à Mme [T] [Z] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Les Belles Toulousaines aux dépens y compris le coût du présent jugement liquidé à la somme de 69,59 euros ;

- Rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit.

- Par déclaration au greffe du 18 mai 2023, la SAS les Belles Toulousaines a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant l'entreprise [Z] [T].

Par ordonnance du 13 octobre 2023, la cour a enjoint les parties à entrer en médiation. La médiation n'a pas abouti.

PRETENTIONS DES PARTIES

3 - Par dernières écritures notifiées par message électronique le 3 mars 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Les Belles Toulousaines demande à la cour de :

Vu les articles 1240 et suivants du code civil ;

Vu les articles 695 et 700 du code de procédure civile ;

Vu les jurisprudences et pièces versées aux débats ;

- Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées ;

- Juger la société les Belles Toulousaines recevable en son appel ;

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Libourne le 14 avril 2023 en ce qu'il a :

« Débouté la société les Belles Toulousaines de l'ensemble de ses demandes

Condamné la société les Belles Toulousaines à payer la somme de 3 000 euros à

Madame [T] [Z] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société les Belles Toulousaines aux dépens y compris le coût du

présent jugement liquidé à la somme de 69,59 euros » ;

Et, statuant à nouveau :

- Juger que Madame [T] [Z] s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire en imitant les produits commercialisés par la société les Belles Toulousaines ainsi que ses méthodes de communication ;

- Juger que ces agissements engagent la responsabilité délictuelle de Madame [T]

[Z] ;

Par conséquent :

- Interdire à Madame [T] [Z] de fabriquer et commercialiser tous produits

reproduisant en tout ou partie les bijoux commercialisés par la société les Belles

Toulousaines, dans quelque lieu que ce soit, sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée, dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;

- Ordonner à Madame [T] [Z] de communiquer le total des ventes réalisées

sur les bijoux, en ventilant le chiffre d'affaires hors taxes généré, le volume total de bijoux vendus, et en précisant la période de commercialisation ;

- Condamner Madame [T] [Z] à verser à la société les Belles Toulousaines

la somme de 50 000 euros à parfaire au titre des gains manqués issus des actes déloyaux et parasitaires ;

- Condamner Madame [T] [Z] à payer à la société les Belles Toulousaines

la somme de 50 000 euros à parfaire au titre de son préjudice moral résultant des actes déloyaux et parasitaires ;

- Ordonner la publication du jugement à intervenir en intégralité ou par extraits sur la

partie directement visible à l'écran de la page d'accueil du site internet https://joyxjewelry.fr/ à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, précédé de la mention « Communication Judiciaire » en lettres capitale de taille 14 et ce pendant 3 mois ;

- Autoriser la société les Belles Toulousaines à publier, sur le site internet «la décision à intervenir, en intégralité ou par extraits et ce pendant 3 mois ;

- Condamner Madame [T] [Z] à payer à la société les Belles Toulousaines la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Madame [T] [Z] aux entiers dépens ;

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Libourne le 14 avril 2023 en ce qu'il a :

« Débouté Madame [T] [Z] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles. »

Et, statuant à nouveau :

- Juger que la société les Belles Toulousaines n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme à l'encontre de Madame [T] [Z] ;

- Juger que la société les Belles Toulousaines n'a commis aucun acte de dénigrement à l'encontre de Madame [T] [Z] ;

- Débouter Madame [T] [Z] de sa demande reconventionnelle de se voir

octroyer la somme de 20 000 euros au titre des actes de dénigrement.

- Débouter Madame [T] [Z] de sa demande reconventionnelle de se voir

octroyer la somme de 10 000 euros au titre des actes de dénigrement

- Débouter Madame [T] [Z] de sa demande reconventionnelle portant sur la publication du dispositif intégral de l'arrêt à intervenir aux frais de la société les Belles Toulousaines sur le site internet musardise.fr ;

- Débouter Madame [T] [Z] de sa demande reconventionnelle portant sur la publication d'un extrait de l'arrêt à intervenir sur les comptes TikTok et Instagram de la société les Belles Toulousaines.

- Débouter Madame [T] [Z] de sa demande portant sur la condamnation de la société les Belles Toulousaines au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

4 - Par dernières écritures notifiées par message électronique le 14 mars 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [T] [Z] demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1240 et suivants du code civil,

Vu les pièces versées au débat,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Débouté la société Les Belles Toulousaines de l'ensemble de ses demandes

Condamné la société Les Belles Toulousaines à payer la somme de 3 000 euros à Madame [T] [Z] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Les Belles Toulousaines aux dépens y compris le coût du présent jugement liquidé à la somme de 69,59 euros.

A titre subsidiare, en cas de réformation de jugement :

- Débouter la société Les Belles Toulousaines de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dès lors qu'elle ne démontre par la réalité et le quantum de son supposé préjudice ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Débouté Madame [T] [Z] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

Et statuant à nouveau :

- Dire et juger que la société Les Belles Toulousaines a commis des actes de concurrence parasitaire ainsi que des actes de dénigrement au préjudice de Madame [T] [Z] ;

En conséquence :

- Condamner la société Les Belles Toulousaines à verser à Madame [T] [Z] la somme forfaitaire de 20 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi au titre des agissements parasitaires ;

- Condamner la société Les Belles Toulousaines à verser à Madame [T] [Z] la somme forfaitaire de 10 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des actes de dénigrement ;

- Ordonner la publication du dispositif intégral de l'arrêt à intervenir dans deux publications au choix de Madame [T] [Z] aux frais de la société Les Belles Toulousaines sans que ces insertions ne puissent excéder la somme de 5 000 euros HT et sur la page d'accueil du site internet https://www.musardise.fr pendant une période de deux mois à compter de la première mise en ligne, et ce dans un délai de 72 heures à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; La publication devra être effectuée sur la partie supérieure de la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse internet susvisée, de façon lisible, et en toute hypothèse, au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée et en police de caractère de type Arial, droit, de couleur noire sur fond blanc, dans un encadré de 468 x 2010 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre « Communique Judiciaire » en lettres capitales et en police de caractère de type Arial 16.

- Ordonner la publication d'un extrait de l'arrêt à intervenir sur les comptes Tiktok

« Musardise » (https://www.tiktok.com/@musardise) et Instagram « Musardise» (https://www.instagram.com/musardise-/) aux frais de la société Les Belles Toulousaines pendant une période de deux mois à compter de la première mise en ligne, et ce dans un délai de 72 heures à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

La publication sur les comptes Instagram et Tiktok Musardise devra comporter les termes suivants : « Communiqué judiciaire ' Par arrêt du [date] La Cour d'appel de Bordeaux a jugé que la société Les Belles Toulousaines a commis des actes de parasitaire et de dénigrement à l'égard de Madame [T] [Z] ».

En tout état de cause

- Condamner la société Les Belles Toulousaines à verser à Madame [T] [Z] la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 mars 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les éventuels actes de concurrence déloyale et parasitaires de Mme [Z]

Moyens des parties

5 - La société Les Belles Toulousaines soutient que Mme [Z] propose sur son site internet des bijoux similaires ou identiques aux siens et reproduit les mêmes associations de bijoux, engendrant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle. Elle observe également que Mme [Z] reprend des éléments de communication et de promotion sur internet et les réseaux sociaux. Elle précise qu'elles n'ont pas le même fournisseur.

6 - Mme [Z] réplique qu'elles recourent toutes deux à un fournisseur commun d'apprêts et qu'elles exercent sur un marché identique où les acteurs proposent tous des produits similaires.

Réponse de la cour

7 - L'article 1240 du code civil dispose que 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'

En vertu des dispositions de l'article L121-1 du code de la consommation :

'Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.'

En vertu des dispositions de l'article L121-2 du code de la consommation :

'Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :

1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent (...).'

8 - Le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis par elle.

La concurrence déloyale correspond à tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale et à tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec les produits ou l'activité commerciale de concurrents.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion tient compte notamment du caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, de l'ancienneté de l'usage, de l'originalité et la notoriété du produit copié.

9 - Il incombe à celui qui se prétend victime d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme d'en rapporter la preuve et de démontrer que les éléments constitutifs de ces comportements répréhensibles sont réunis.

- sur les éléments de communication et de promotion

10 - La société Les Belles Toulousaines indique que Mme [Z] s'insère dans son sillage en reprenant des éléments de communication sur son site internet et sur les réseaux sociaux. Elle évoque la reprise d'un effet de gamme par Mme [Z], avec la reprise de plusieurs modèles de ses collections.

11 - L'intimée fait observer qu'elle fait appel à des influenceurs et utilise le réseau social Tik Tok, et souligne la banalité des éléments de décor et des mises en scène utilisés par la société Les Belles Toulousaines.

12 - S'agissant du référencement évoqué par l'appelante, il apparaît que la capture d'écran effectuée par huissier de justice le 24 janvier 2022 tendrait au contraire à démontrer que la société Les Belles Toulousaines s'est faite référencer au détriment de Mme [Z]. En effet, la recherche du mot 'joyxjewerlry' sur Google fait apparaître le site internet de l'appelante.

13 - Par ailleurs, les captures d'écran des sites internet des deux parties ne sont pas de nature à établir un risque de confusion, d'autant que les mêmes présentations de bijoux, sur présentoir ou au poignet d'un modèle, se retrouvent chez d'autres concurrents.

14 - S'agissant des pages Instagram de Musardise et Joyx Jewerly, la société Les Belles Toulousaines produit deux captures d'écran respectivement en date des 4 novembre 2021 et 4 janvier 2022, présentant d'importantes similitudes : le bracelet lui-même, la présentation du bijou et le texte accompagnant la photographie, étant précisé que la publication de la société Les Belles Toulousaines est antérieure à celle de Mme [Z].

En décembre 2021, Mme [Z] a publié sur Instagram un jeu concours via un calendrier de l'avent dont la présentation est similaire à celle du calendrier publié un an plus tôt par la société Les Belles Toulousaines : même pastille arrondie avec la date du jour et même visuel, le mot 'concours' étant entouré de deux points. Les clients de la société Les Belles Toulousaines qui ont vu le calendrier de l'avent de l'enseigne Musardise en décembre 2020 ont pu être induits en erreur l'année suivante par celui repris à l'identique par Mme [Z].

Le 2 janvier 2022, Mme [Z] a reproduit à l'identique la communication de la société Les Belles Toulousaines publiée le 24 octobre 2021, relative à un bracelet en cuir présenté avec des fleurs séchées.

Le 4 janvier 2022, Mme [Z] a publié un post reprenant mot pour mot le texte de la société Les Belles Toulousaines. Les communications portent toutes deux sur un bracelet en cuir, qui ne supporte toutefois pas la même breloque.

Enfin, la story postée par Mme [Z] le 1er août 2022 utilise les mêmes éléments graphiques que ceux de la story postée le 19 juillet 2022 par la société Les Belles Toulousaines. Si ces encadrés type Polaroïd sont issus d'une application, les stories portent toutes deux sur des bracelets, ce qui est de nature à porter à confusion.

En revanche, l'utilisation de pastilles arrondies pour présenter des bobines de fil est courante dans le secteur de la bijouterie fantaisie. Ainsi, Mme [Z] n'a pas commis de faute en présentant sur sa page Instagram des bobines de fil de différents coloris, présentation précédemment utilisée par la société Les Belles Toulousaines.

15 - Au regard de ces éléments, il convient de considérer qu'en reprenant à l'identique des éléments de communication de la société Les Belles Toulousaines, Mme [Z] crée une confusion chez le consommateur d'attention moyenne. Le risque de confusion naît du mode de promotion des bijoux et non des bijoux eux-mêmes.

Ces faits sont donc constitutifs d'agissements parasitaires et déloyaux, même si Mme [Z] utilise d'autre canaux et moyens de communication.

Il conviendra d'infirmer la décision du tribunal de commerce de ce chef.

- sur les bijoux

16 - En premier lieu, il ne saurait être reproché à Mme [Z] de s'être positionnée sur un secteur très concurrentiel et d'avoir ouvert un magasin à [Localité 4] en octobre 2022 alors que la société Les Belles Toulousaines commercialise ses produits via un triporteur sur [Localité 7] et par le biais de son site internet.

17 - En outre, il ressort des pièces versées au dossier que la société Les Belles Toulousaines a été cliente du fournisseur Hobby Joux jusqu'en avril 2021. L'expert comptable de la société Les Belles Toulousaines atteste que sur 2021, les achats réalisés auprès de ce fournisseur n'ont représenté que 4,83% de l'ensemble des achats de matières premières, étant précisé que la dernière commande a été passée en avril 2021.

Mme [Z] indique s'être fournie auprès de Hobby Joux dès le mois de décembre 2020, sans en justifier.

En tout état de cause, la similarité des bijoux ne saurait avoir pour unique raison un fournisseur commun.

18 - Par ailleurs, la société Les Belles Toulousaines expose que les constats d'huissier réalisés en janvier et mai 2022 mettent en évidence que les bijoux proposés à la vente sur le site joyxjewelry.store présentent des caractéristiques identiques aux siens.

Les procès-verbaux font effectivement ressortir une similitude entre les bijoux de la gamme Noe et de la gamme Noélia de la société Les Belles Toulousaines et ceux commercialisés par Mme [Z], s'agissant notamment des cordons, bracelets, pendentifs et breloques.

19 - Il découle de ces constatations que la société Les Belles Toulousaines commercialise des bijoux qui, d'une part, constituent pour certains des copies de modèles de marque de luxe et d'autre part, sont des modèles connus, tombés dans le fonds commun de la bijouterie fantaisie et inscrits dans les courants de la mode. Des bijoux similaires se retrouvent d'ailleurs sur d'autres sites de vente de bijoux fantaisis.

Les fournisseurs, tels que Hobby Joux, proposent des pièces que les fabricants assemblent à leur convenance. Les assemblages de la société Les Belles Toulousaines sont relativement courants, certaines compositions des deux enseignes sont donc effectivement similaires.

Par ailleurs, l'effet de gamme ne saurait résulter de la déclinaison d'un même motif, banal et usuel en bijouterie, en colliers, bracelets et bagues, le marché de la bijouterie fantaisie étant très concurrentiel.

20 - S'agissant de la dénomination des produits, il apparaît en tout état de cause que les noms des bijoux diffèrent d'un site à l'autre.

21 - La société Les Belles Toulousaines se prévaut enfin des dépenses exposées pour la promotion de ses articles. Selon une attestation de son expert comptable, les charges de publicité et de communication s'élèvent à 18 844,45 euros HT entre le 1er avril 2021 et le 1er février 2022.

De son côté, Mme [Z] justifie avoir investi la somme de 20 702,70 euros HT entre novembre 2021 et octobre 2023. Elle explique par ailleurs avoir développé une nouvelle gamme de 'bijoux prestige'.

Les deux parties ont donc réalisé des investissements et la société Les Belles Toulousaines s'abstient de justifier des investissements qu'elle aurait spécifiquement consacrés à tels bijoux et de la valeur individualisée de chacun de ces bijoux.

22 - Dès lors, il n'est pas démontré que Mme [Z] s'est placée dans le sillage de la société Les Belles Toulousaines en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire ou de ses investissements.

Ainsi, l'appelante échoue à démontrer une faute de la part de Mme [Z] au regard de l'imitation des produits.

Sur les dommages et intérêts

23 - Il est de constant en droit qu'un acte de concurrence déloyale, quel qu'il soit, confère toujours un préjudice, fût-il seulement moral.

- Sur la réparation du préjudice économique

Moyens des parties

24 - La société Les Belles Toulousaines sollicite 50 000 euros au titre de son préjudice économique, constitué des bénéfices indus de Mme [Z].

25 - Mme [Z] réplique que l'éventuel préjudice de l'appelante dépend de la perte de chiffre d'affaires et qu'il est constitué par une perte de marge brute.

Réponse de la cour

26 - Il résulte nécessairement de la reconnaissance d'agissements anticoncurrentiels et parasitaires un préjudice pour la société Les Belles Toulousaines. Toutefois, il appartient à la victime d'un acte de concurrence déloyale de rapporter la preuve de l'étendue du préjudice dont elle se prévaut.

27 - Le préjudice économique de la société Les Belles Toulousaines s'analyse en une perte subie et un gain manqué. L'appelante ne produit aucun élément chiffré sur ce point, comptable ou financier, notamment quant à l'évolution de son chiffre d'affaires.

Elle se contente de verser au débat des attestation de son expert-comptable relatives à ses dépenses promotionnelles, soit 32 804, 96 euros HT du 1er avril 2021 au 31 mars 2022.

28 - La faute de Mme [Z] consistant en la reprise de certains éléments de communication et de promotion de la société Les Belles Toulousaines a généré un trouble commercial que la cour évaluera à hauteur de 8 000 euros.

- Sur la réparation du préjudice moral et d'image

Moyens des parties

29 - La société Les Belles Toulousaines sollicite 50 000 euros au titre de son préjudice moral et d'image.

30 - Mme [Z] observe que les demandes de l'appelante sont infondées, ayant elle-même réalisé de multiples investissements, ses prix étant par ailleurs plus élevés.

Réponse de la cour

31 - Le préjudice moral existe dans son principe du fait d'agissements parasitaires.

32 - La société Les Belles Toulousaines évoque, au soutien de sa demande de dommages et intérêts, ses dépenses promotionnelles et la confusion entre les deux enseignes. Toutefois, elle ne justifie que de ses investissements publicitaires, déjà indemnisés.

33 - Dès lors, la cour évaluera son préjudice moral à hauteur de 5 000 euros.

- Sur les autres demandes de la société Les Belles Toulousaines

34 - S'agissant de la demande d'interdiction de fabriquer et commercialiser tous produits reproduisant en tout ou partie les bijoux commercialisés par la société Les Belles Toulousaines en quelque lieu que ce soit et sous astreinte : d'une part, cette demande n'est pas motivée et d'autre part, elle n'est pas justifiée car les agissements fautifs sont relatifs non aux bijoux eux-mêmes mais aux mode de communication utilisés.

35 - De même, la demande relative à la communication du total des ventes réalisé par Mme [Z] n'est ni motivée ni justifiée.

36 - Enfin, au regard de l'appréciation des fautes commises par Mme [Z], il ne sera pas fait droit aux demandes de l'appelante relatives à la publication de la décision.

Sur les éventuels actes parasitaire et de dénigrement de la société Les Belles Toulousaines

- Sur les actes parasitaires

Moyens des parties

37 - Mme [Z] fait valoir que depuis le début de l'année 2022, la société Les Belles Toulousaines se livre à des agissements parasitaires en reprenant à son compte des vidéos promotionnelles diffusées sur les réseaux sociaux.

38 - La société Les Belles Toulousaines réplique que Mme [Z] a reproduit des procédés de communication régulièrement utilisés.

Réponse de la cour

39 - Mme [Z] a fait réaliser un constat d'huissier le 11 avril 2022 mettant en évidence l'utilisation par les deux parties d'une technique de transition zoom dans leur vidéo, portant sur la présentation de bijoux.

Or il apparaît qu'avant la vidéo litigieuse, la société Les Belles Toulousaines avait déjà utilisé ce mode de transition pour illustrer différentes couleurs de bracelets. Au surplus, ces modes de transition sont fréquemment utilisés sur les réseaux sociaux.

Dès lors, il ne saurait être reproché à la société Les Belles Toulousaines de s'inspirer de la mise en scène de Mme [Z].

40 - S'agissant des vidéos avec la transition écran tactile, celles -ci sont également utilisées par d'autres créateurs de bijoux fantaisie. Le moyen de Mme [Z] est donc inopérant.

41 - S'agissant de la vidéo promotionnelle sur la couleurs des bobines de cordons, il apparaît que la société Les Belles Toulousaines publiait des vidéos similaires avant celle de Mme [Z], peu important que les bobines soient présentées dans une seul main ou successivement.

42 - Ainsi, ces modes de présentation de Mme [Z] ne revêtent pas un caractère original tel qu'il nécessitait un savoir-faire et des investissements humains et financiers particuliers.

43 - S'agissant de l'intitulé utilisé par les deux parties pour un bracelet homme 'Nino', celui-ci ne présente pas un originalité suffisante pour caractériser une faute de la part de la société Les Belles Toulousaines.

44 - En revanche, depuis le mois de février 2022, Mme [Z] publie des photographies de ses bijoux sur son compte Instagram avec la formule '[couleurs des bijoux] + mood' . En mai 2022, la société Les Belles Toulousaines a repris cette formule sur son propre compte Instagram.

L'appelante explique que l'utilisation de cette formule est fortuite et exceptionnelle.

En tout état de cause, l'agissement parasitaire est ici caractérisé, la société Les Belles Toulousaines ayant repris à con compte l'association des termes couleur + mood, imaginée par Mme [Z] .

La décision du tribunal de commerce sera infirmée de ce chef.

- Sur le dénigrement

Moyens des parties

45 - Mme [Z] indique que postérieurement à l'introduction de l'instance par la société Les Belles Toulousaines, celle-ci s'est rendue complice de dénigrement.

46 - La société Les Belles Toulousaines réplique que les griefs sont infondés et que Mme [Z] n'a pas subi de préjudice.

Réponse de la cour

47 - L'article 1240 du code civil dispose: « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.»

Il est constant en droit que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits d'un concurrent constitue un dénigrement engageant la responsabilité civile de son auteur.

48 - Mme [Z] fait référence à un commentaire publié sur sa page Instagram le 11 mai 2022 sous une de ses vidéos, par l'utilisateur du compte '[Courriel 6]' : 'Vous avez piqué les idées de @musardise ''

Or l'intimée a établi un lien entre l'internaute et [B] [N], co-gérante de la société Les Belles Toulousaines.

En tout état de cause, dans la mesure où le commentaire litigieux émane d'un tiers et non de la société Les Belles Toulousaines elle-même, le moyen est inopérant.

49 - De même, ne saurait constituer un acte de dénigrement un courrier adressé par le conseil de la société Les Belles Toulousaines au fournisseur Hobby Joux le 20 mai 2022, aux termes duquel il lui demande de 'cesser la commercialisation des copies des créations de la société Les Belles Toulousaines'.

Le courrier précise : 'Ma cliente a récemment découvert l'existence de plusieurs sites internet sur lesquels sont exposés des bijoux identiques à ceux qu'elle fabrique et commercialise (...).

Tel est notamment le cas des sites suivants dont les éléments litigieux sont repris sur les réseaux sociaux (...) : JoyxJewlery.'

D'une part, ce courrier s'inscrit dans le cadre du litige opposant les deux parties et émane de l'avocat de la société Les Belles Toulousaines. D'autre part, sur le fond, ce courrier ne jette aucun discrédit sur l'activité de Mme [Z] dans la mesure où il relève que les bijoux sont identiques et les présentations similaires, et vise plusieurs sociétés et sites internet.

50 - Dès lors, aucun acte de dénigrement ne saurait être reproché à la société Les Belles Toulousaines.

- Sur la réparation du préjudice de Mme [Z]

51 - Il a été retenu un acte de parasitisme de la part de la société Les Belles Toulousaines par l'utilisation d'une formule de Mme [Z] sur le réseau social Instagram.

52 - Mme [Z] sollicite 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice matériel et moral, sans apporter d'éléments justificatifs à l'appui de sa demande.

La cour évaluera son préjudice, qui est a minima un préjudice moral, à hauteur de 2 000 euros.

- Sur la demande relative aux mesures de publication

53 - Compte tenu du caractère limité des agissements fautifs de la société Les Belles Toulousaines, il ne sera pas fait droit aux demandes de publication de la décision.

Sur les demandes accessoires

54 - Chaque partie supportera ses propres dépens de première instance et d'appel.

En équité, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant tant des frais irrépétibles de première instance que d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Libourne du 14 avril 2023,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Mme [Z] a commis un agissement parasitaire et anticoncurrentiel,

Condamne Mme [Z] à verser à la société Les Belles Toulousaines la somme de 8 000 euros au titre du préjudice économique, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,

Rejette les autres demandes de la société Les Belles Toulousaines,

Dit que la société Les Belles Toulousaines a commis un agissement parasitaire et anticoncurrentiel,

Condamne la société Les Belles Toulousaines à verser à Mme [Z] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,

Rejette les autres demandes de Mme [Z],

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens de première instance et d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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