CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 23 mai 2025, n° 22/02827
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Gilles & Boissier Prive (SAS)
Défendeur :
Port Quay Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Delacourt
Conseillers :
Mme Tardy, Mme Szlamovicz
Avocats :
Me Hatet-Sauval, Me Bourthoumieu, Me Boccon Gibod, Me Lapp, Me Diot
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par l'intermédiaire de la SCI Le Cèdre Rouge, les propriétaires de la villa dénommée [3] à [Localité 5] (83) ont fait appel à une société de design d'intérieur, la société Gilles et Boissier SARL, pour en réaliser l'aménagement et la décoration.
La SCI Le Cèdre Rouge et la société Gilles et Boissier ont signé un contrat de décoration intérieure le 5 août 2013, amendé le 4 novembre 2013.
Dans le cadre de cette opération, la fourniture des meubles, choisis par le designer avec l'accord du client, a été confiée à la société Gilles et Boissier Privé, filiale à 100 % de la société Gilles et Boissier, et a fait l'objet de plusieurs devis établis entre les mois d'avril et juin 2014 à destination de la société Port Quay Limited, société de droit anglais domiciliée dans les Îles vierges britanniques, détenue par les propriétaires de la villa [3]. Les devis se sont élevés au montant total de 1 131 436,52 euros.
Cette somme a été intégralement payée par la société Port Quay Limited.
Au cours du mois de juillet 2014, les meubles ont été livrés, mais certains étaient manquants, ou présentaient des non-conformités, des malfaçons ou ne correspondaient plus aux attentes des propriétaires. Des discussions et échanges ont eu lieu entre les parties.
Certains meubles ont été repris pour modification par la société Gilles et Boissier Privé ou par les entreprises les ayant fabriqués et d'autres ont fait l'objet de discussions pour obtenir un avoir au profit de société Port Quay ou donner lieu à modification de la commande.
Parallèlement, un conflit est intervenu entre la SCI Le Cèdre Rouge et la société Gilles et Boissier SARL au moment de la réception du chantier de rénovation, au titre du contrat de décoration intérieure.
Ce conflit, au cours du deuxième semestre 2014, a débouché sur le refus de paiement du solde des honoraires de 105 600 euros par la SCI Le Cèdre Rouge à la société Gilles et Boissier SARL. Cela a donné lieu, à partir de 2015, à plusieurs procédures aujourd'hui définitivement jugées et condamnant la SCI Le Cèdre Rouge à payer ce solde à Gilles et Boissier SARL. Le règlement des sommes dues à ce titre a été effectué le 14 mars 2019.
Par ailleurs, la société Port Quay Limited a mis en cause la conformité et la qualité des meubles livrés tandis que la société Gilles et Boissier Privé mettait en avant la conformité aux commandes et le caractère nouveau des exigences du maître d'ouvrage devant conduire à des prestations complémentaires payantes.
Finalement, le 7 avril 2015, la société Port Quay Limited a mis en demeure la société Gilles et Boissier Privé de procéder à la restitution de l'intégralité des sommes qui lui avaient été versées en raison de l'existence de malfaçons et de non conformités sur le matériel livré.
Dans le même temps, la société Gilles et Boissier Privé a mis fin à sa collaboration avec ses cocontractants.
Le 31 mars 2016, la société Port Quay Limited a assigné la société Gilles et Boissier Privé en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris pour être indemnisée au titre des avoirs que la société Gilles et Boissier Privé se serait engagée à émettre, et au titre des meubles déjà payés par la société Port Quay Limited et non restitués par la société Gilles et Boissier Privé à la suite des travaux de mise en conformité.
Par ordonnance du 20 juin 2016, le tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à référé.
Par acte du 5 août 2019, la société Port Quay Limited a assigné la société Gilles et Boissier Privé devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice.
Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :
condamne la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de 91 102,54 euros TTC,
condamne la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamne la société Gilles et Boissier Privé aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA.
Par déclaration en date du 4 février 2022, la société Gilles et Boissier Privé a interjeté appel du jugement, intimant la société Port Quay Limited devant la cour d'appel de Paris.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 janvier 2025, la société Gilles et Boissier Privé demande à la cour de :
infirmer le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a :
condamné la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de 91 102,54 euros ;
condamné la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au dépens ;
débouté la société Gilles et Boissier Privé de ses demandes en paiement à l'encontre de société Port Quay Limited de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens (sic) ;
confirmer le jugement attaqué pour le surplus ;
Et statuant à nouveau :
dire et juger que les contrats de décoration intérieure et de fourniture de mobiliers et objets de décoration formés par les sociétés Gilles et Boissier Privé et Gilles et Boissier SARL avec les sociétés Port Quay Limited et Le Cèdre Rouge sont indivisibles et interdépendants,
En conséquence, compte tenu de l'inexécution fautive des paiements dus à la société Gilles et Boissier SARL en exécution du contrat de décoration intérieure auquel elle est partie, et du caractère subséquent et indivisible des obligations de Gilles et Boissier Privé aux termes du contrat de fourniture de mobilier auquel cette dernière est partie,
- dire et juger que la société Gilles et Boissier Privé est bien fondée à opposer à la société Port Quay Limited les manquements ainsi subis,
dire et juger que les relations contractuelles ayant existé entre la société Gilles et Boissier Privé et Gilles et Boissier SARL d'une part, et les sociétés Port Quay Limited et Le Cèdre Rouge d'autre part, ont été rompues du fait fautif de ces dernières,
En outre,
dire et juger que les avoirs dont la société Port Quay Limited sollicite le paiement ne sont pas exigibles,
dire et juger que la société Port Quay Limited a sollicité la modification de mobiliers livrés conformes et a entretenu des échanges directs avec les fournisseurs correspondants dans le cadre de commandes spécifiques et supplémentaires, dont la société Gilles et Boissier Privé ne peut être tenue responsable,
dire et juger que la société Port Quay Limited ne rapporte la preuve ni d'une possession ni d'une non-restitution fautive par la société Gilles et Boissier Privé, de quelconques mobiliers ou objets de décoration lui appartenant ;
dire et juger tardive l'action de la société Port Quay Limited ;
dire et juger que la société Port Quay Limited ne démontre ni la réalité, ni le quantum du préjudice immatériel qu'elle allégué ;
En conséquence :
débouter la société Port Quay Limited de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions,
condamner la société Port Quay Limited à payer à la société Gilles et Boissier Privé la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction pour ceux la concernant au bénéfice de Maître Hatet.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2022, la société Port Quay Limited demande à la cour de :
déclarer recevable et bien fondée la société Port Quay Limited en ses demandes et, y faisant droit,
confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :
condamné la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de 91 102,54 euros ;
condamné la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au dépens ;
débouté la société Gilles et Boissier Privé de ses demandes en paiement à l'encontre de société Port Quay Limited de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :
jugé : « les contrats de décoration intérieure et de fourniture de mobiliers et objets de décoration liant la SCI Le Cèdre Rouge et la société Gilles et Boissier SARL, d'une part, et Gilles et Boissier Privé et Port Quay Limited d'autre part, sont interdépendants » ;
jugé que l'arrêt des prestations par la société Gilles et Boissier Privé « n'était pas fautif de la part de la société Gilles et Boissier Privé et résultait d'un manquement du maître d'ouvrage, la SCI Le Cèdre Rouge, pour le compte duquel opérait la société Port Quay Limited» ;
débouté « la société Port Quay Limited de sa demande d'indemnisation de préjudice immatériel » ;
En conséquence, et statuant à nouveau :
déclarer que les manquements contractuels de la société Gilles et Boissier Privé sont constitutifs d'une faute ;
condamner la société Gilles et Boissier Privé à verser à la société Port Quay Limited la somme de 190 984,45 euros TTC :
160 984,45 euros TTC correspondant au prix des huit meubles intégralement payés par la société Port Quay Limited et non restitués par la société Gilles et Boissier Privé à la suite de travaux de mise en conformité,
30 000 euros correspondant à l'indemnisation du préjudice immatériel subi en raison des manquements à l'obligation de délivrance qui incombait à la société Gilles et Boissier Privé ;
En tout état de cause :
rejeter toutes les fins, prétentions et demandes de la société Gilles et Boissier Privé ;
condamner la société Gilles et Boissier Privé à verser à la société Port Quay Limited la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 23 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 20 février 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
A titre liminaire, la société Port Quay Limited sollicitant l'infirmation des motifs du tribunal (non repris dans le dispositif) par lesquels il a considéré que les contrats de décoration intérieure et fourniture de meubles étaient interdépendants et que l'arrêt des prestations par la société Gilles et Boissier Privé n'était pas fautif, la cour rappelle qu'elle ne peut être saisie que de l'infirmation ou la confirmation des chefs du jugement tels que formulés par le tribunal dans le dispositif de sa décision, et non des motifs par lesquels le tribunal s'est déterminé, qu'il n'y a pas lieu d'"infirmer" ou "confirmer."
Sur les demandes indemnitaires de la société Port Quay Limited
Moyens des parties
La société Port Quay Limited indique avoir commandé des meubles à la société Gilles et Boissier Privé à hauteur de la somme totale de 1 131 436,52 euros, dont certains, bien que payés, n'ont pas été livrés et d'autres présentaient des malfaçons nécessitant des travaux de reprise par cette société. Elle précise que la société Gilles et Boissier Privé a établi des avoirs pour les meubles non livrés, pour un montant de 31 155,48 euros HT, et que, s'agissant des meubles non livrés, elle a dû en acheter d'autres en vue de l'arrivée des propriétaires à l'été 2015.
Elle conteste toute indivisibilité des contrats de décoration intérieure et de fourniture de meubles du fait de la différence des parties, de l'absence de visa du contrat de décoration intérieure dans le contrat de fourniture de meuble, de l'écart d'un an entre les contrats et de l'absence de subordination du contrat de fourniture au contrat de décoration pour son exécution, faisant valoir qu'à défaut d'interdépendance des contrats, la société Gilles et Boissier Privé ne peut se prévaloir d'une exception d'inexécution du contrat de décoration intérieure dans le cadre de l'exécution du contrat de fourniture de meubles. Elle ajoute qu'au vu de la chronologie des événements, c'est la société Gilles et Boissier Privé qui la première a manqué à ses obligations.
Au visa des dispositions de l'article 1582 du code civil, elle soutient que la société Gilles et Boissier Privé a manqué à son obligation de délivrance, ce dont il est résulté un préjudice matériel correspondant à des avoirs pour meubles non livrés qui n'ont pas été payés et à des meubles payés, repris par ses fournisseurs et non restitués à hauteur de la somme de 160 984,45 euros TTC, ainsi qu'un préjudice immatériel résultant de l'obligation de commander de nouveaux meubles pour pouvoir habiter la villa, à hauteur de la somme de 30 000 euros.
La société Gilles et Boissier Privé fait valoir qu'elle constitue une filiale détenue à 100 % par la société Gilles et Boissier, designer d'intérieur, sollicitée par M. et Mme [R], ressortissants russes propriétaires de la villa [3] à [Localité 5], via leurs sociétés Le Cèdre Rouge et Port Quay Limited, pour décorer et aménager la villa, selon le système suivant : la SCI Le Cèdre Rouge a conclu un contrat de décoration intérieure avec la société Gilles et Boissier et, pour l'exécution de ce contrat, la société Port Quay Limited a conclu un contrat de fourniture de meubles avec la société Gilles et Boissier Privé. Au visa des articles 1217 et 1218 anciens du code civil, la société Gilles et Boissier Privé soutient que les deux contrats sont interdépendants car ils poursuivent un but économique unique et ne peuvent être exécutés l'un sans l'autre, ces contrats étant spécifiquement formés pour le seul projet de rénovation et de décoration intérieures de la villa [3]. En vertu de cette indivisibilité des contrats, la société Gilles et Boissier Privé estime pouvoir opposer à la demande en paiement de la société Port Quay Limited l'inexécution de ses obligations contractuelles par la SCI Le Cèdre Rouge à l'égard de la société Gilles et Boissier au titre du contrat de décoration intérieure, telle qu'établie par le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 12 septembre 2017, confirmé en appel par arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 mars 2018 condamnant la SCI Le Cèdre Rouge à payer le solde des honoraires de la société Gilles et Boissier, et par le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er octobre 2019, confirmé en appel par arrêt du 26 novembre 2021, excluant la responsabilité de la société de design intérieur à l'égard du maître d'ouvrage. La société Gilles et Boissier Privé indique que le maître d'ouvrage s'est exécuté en 2019, cinq ans après l'émission de la facture impayée, et fait valoir que les relations contractuelles ont ainsi été fautivement rompues par les maîtres d'ouvrage.
La société Gilles et Boissier Privé conteste le montant d'avoir, fixé par le tribunal à la somme de 39 006,57 euros, reconnaissant avoir établi un avoir de 20 043,94 euros, à imputer sur les sommes dues par les maîtres d'ouvrage. Quant aux meubles payés et dont la société Port Quay allègue qu'ils n'ont pas été restitués, elle conteste être responsable de la non-restitution de ceux-ci, confiés aux fournisseurs sans son intervention. Elle fait valoir que le préjudice immatériel allégué par la société Port Quay Limited n'est pas justifié et que le préjudice matériel sollicité à hauteur de la somme de 160 984,45 euros fait doublon avec la demande de remboursement des meubles non restitués.
Réponse de la cour
1) Sur les meubles non livrés
L'article 1583 du code civil énonce que la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.
Selon les articles 1603 et 1604 du même code, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.
Il est constant qu'il appartient au vendeur de prouver qu'il a mis la chose vendue à la disposition de l'acheteur dans le délai convenu (Cass., 1ère Civ., 19 mars 1996, n° 94-14.155).
La société Port Quay Limited soutient avoir commandé et payé un buffet de salle à manger (17 342,64 euros TTC), quatre stèles pétanque (20 043,94 euros TTC) et des fauteuils Equus en cuir (1 620 euros TTC de différence entre le modèle tissu, livré, et le modèle cuir, commandé), non livrés par la société Gilles et Boissier Privé qui en contrepartie a émis des avoirs à hauteur de la somme totale de 39 006,57 euros TTC.
a) Sur l'exception d'inexécution
La société Gilles et Boissier Privé objecte que les contrats de décoration intérieure et de fourniture de meubles de la villa [3] étant indivisibles, elle est bien fondée à opposer à la société Port Quay Limited l'inexécution par la SCI Le Cèdre Rouge de son obligation de paiement de la rémunération de la société Gilles et Boissier SARL pour les prestations de décoration et la rupture des relations contractuelles aux torts des sociétés Le Cèdre Rouge et Port Quay Limited.
Par jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 12 septembre 2017, la SCI Le Cèdre Rouge a été condamnée à verser à la société Gilles et Boissier SARL la somme de 105 600 euros au titre du solde des honoraires dus à cette société pour les prestations de décoration intérieure de la villa [3]. Ce chef du jugement a été confirmé en appel par arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 16 mars 2018. La société Gilles et Boissier Privé indique que la condamnation a été mise à exécution par la SCI Le Cèdre Rouge en mars 2019, comme préalable à l'examen du pourvoi en cassation formé par la SCI, dont elle s'est ensuite désistée.
Par conséquent, même avec retard, la SCI Le Cèdre Rouge a exécuté son obligation de paiement, de sorte que la société Gilles et Boissier Privé n'est pas fondée à opposer une exception d'inexécution sur ce fondement.
Quant au moyen tiré de la rupture fautive des relations contractuelles entre les sociétés Gilles et Boissier SARL et SCI Le Cèdre Rouge d'une part, Gilles et Boissier Privé et Port Quay d'autre part, celle-ci se résout le cas échéant en annulation du contrat ou en dommages-intérêts pour faute, demandes non formulées par la société Gilles et Boissier Privé, mais ne peut fonder l'exception d'inexécution opposée par la société Gilles et Boissier Privé à la société Port Quay, étant observé que les parties ne contestent pas que la société Port Quay a réglé à la société Gilles et Boissier Privé la totalité des devis de fourniture de meubles, exécutant ainsi son obligation d'acquéreur.
Les exceptions d'inexécution soulevées par la société Gilles et Boissier Privé n'étant pas fondées, il lui appartient, en sa qualité de vendeur des meubles, de justifier de la délivrance de ceux-ci, contrepartie de la commande et du paiement desdits meubles, qui ne sont pas contestés.
b) Sur l'exigibilité des avoirs
Un avoir est la reconnaissance par la partie débitrice d'une dette dont elle entend procéder au paiement par compensation avec une autre somme dont elle est créancière à l'égard de la même personne.
La société Gilles et Boissier Privé reconnaît avoir émis un avoir d'un montant de 20 043,94 euros TTC en raison du défaut de livraison de quatre "stèles pétanque" devant s'imputer sur les sommes dues par la société Port Quay Limited à hauteur de 12 574,79 euros (facture réglée par imputation de l'avoir), le solde s'imputant sur la créance de 105 600 euros susvisée. Elle conteste avoir émis les autres avoirs, précisant les avoir envisagés, mais ne pas les avoir émis en raison du non-paiement des créances indivisibles d'honoraires dus à la société Gilles et Boissier Privé par la SCI Le Cèdre Rouge et de la rupture fautive des relations contractuelles.
Il résulte des pièces produites aux débats que la société Port Quay Limited avait commandé notamment :
douze fauteuils Equus assise en cuir pour la salle à manger pour 37 100,04 euros HT (facturés le 6 juin 2014, facture n° FA20144113),
un buffet de salle à manger pour 14 452,20 euros HT (facturé le 6 juin 2014, facture n° FA20144114),
quatre stèles pétanque pour 16 703,28 euros HT (même facture).
Selon un courriel adressé le 24 juillet 2014 par Mme [K] de la société Gilles et Boissier (pièce 6 de la société Port Quay Limited), le buffet n'a pas été fabriqué, les fauteuils Equus ont été commandés et livrés avec une assise en tissu et non en cuir et les stèles ont été annulées car leur livraison n'était pas possible avant le mois d'août. Un avoir n° AV20144100 a été établi pour 20 043,94 euros TTC correspondant aux stèles, et, pour les autres meubles, Mme [K] a ajouté "je vous confirme que nous allons pouvoir éditer les avoirs suivants :
1 350 euros HT / 1 620 euros TTC pour le tissu des fauteuils Equus,
14 452,20 euros HT / 17 342,64 euros TTC pour le buffet RDC SAM 04 qui n'a pas été fabriqué."
La société Gilles et Boissier Privé n'établit pas qu'elle a procédé à la livraison des meubles ni qu'elle a modifié l'assise des fauteuils après ce message.
La société Gilles et Boissier Privé ne justifiant pas avoir livré les meubles susvisés, il lui appartient de rembourser à la société Port Quay Limited le montant correspondant à l'avoir émis, dès lors qu'il n'est pas contesté que ces meubles ont été payés.
Elle indique que l'avoir d'un montant de 20 043,94 euros a été imputé sur une facture d'un montant de 12 574,79 euros et le reste sur le solde des honoraires dus au titre des prestations de décoration intérieure.
Cependant, force est de constater qu'aucune des factures produites par la société Gilles et Boissier Privé ne mentionne que cet avoir a été imputé en paiement en tout ou partie. En outre, la société Gilles et Boissier Privé ne verse pas aux débats d'éléments comptables relatifs à cette opération, permettant de justifier que cet avoir a bien été imputé sur les sommes dues par la société Port Quay Limited. Les autres avoirs mentionnés dans le courriel sont demeurés non imputés, constituant ainsi une créance de la société Port Quay Limited à l'égard de la société Gilles et Boissier Privé.
Par conséquent, c'est à bon droit que le tribunal de commerce a jugé que la société Gilles et Boissier Privé devait à la société Port Quay Limited la somme de 39 006,57 euros TTC (écart de 0,07 euros).
2) Sur les meubles non restitués
Dans le dispositif de ses écritures, la société Port Quay Limited sollicite d'une part la confirmation du jugement qui a condamné la société Gilles et Boissier Privé à lui verser à ce titre la somme de 91 102,54 euros, alors qu'elle réclamait devant le tribunal sa condamnation à hauteur de la somme de 160 984,45 euros de ce chef et d'autre part la condamnation de cette société à lui verser la somme de 160 984,45 euros. Dans la partie "discussion" de ses écritures, elle sollicite le bénéfice de ses demandes initiales devant le tribunal de commerce et l'infirmation du jugement qui n'a pas fait droit à la totalité de sa demande. La société Gilles et Boissier n'a pas relevé cette contradiction et répond à l'ensemble des demandes de la société Port Quay Limited. Il convient donc de considérer que la cour est saisie par la société Port Quay Limited d'une demande d'infirmation du chef du jugement ayant condamné la société Gilles et Boissier Privé à lui verser la somme de 91 102,54 euros et, statuant à nouveau, d'une demande de condamnation de cette société à lui verser à la place la somme de 160 984,45 euros.
La société Port Quay Limited fait valoir que les meubles suivants avaient été payés et livrés mais présentaient des malfaçons, et que la société Gilles et Boissier Privé les a repris mais ne les lui a pas restitués :
tête de lit de la chambre d'[T],
bibliothèque et banc dressing de la suite n° 1,
bureau Styx (restitué par la société ENP), tête de lit, deux chevets et une petite armoire Hera de la suite n° 2,
six appliques dans la zone de circulation,
table de salle à manger extérieure.
Dès lors que ces meubles avaient été livrés, la société Gilles et Boissier Privé ayant ainsi rempli son obligation de délivrance, il appartient à la société Port Quay Limited de rapporter la preuve de ce qu'ils ont été repris par celle-ci, laquelle a alors la charge de rapporter la preuve de ce qu'ils ont ensuite été restitués.
La société Gilles et Boissier Privé fait valoir que les griefs formulés par la société Port Quay Limited sur ces meubles dépassaient les griefs pour malfaçon et constituaient en réalité de nouvelles demandes. Cependant, cet argument n'exonère pas la société de son obligation de restitution des meubles payés dès lors qu'elle a procédé à leur enlèvement après livraison, le cas échéant après reprise des malfaçons ou avec facturation de la mise en conformité avec la nouvelle demande.
tête de lit de la chambre d'[T] (52 562,52 euros HT) : la société Port Quay Limited justifie de l'enlèvement du meuble par la société Laval, fabriquant, à la demande de la société Gilles et Boissier Privé (pièce 12 de la société Port Quay Limited et pièce 21 de la société Gilles et Boissier Privé), de sa demande en janvier 2015 de pouvoir le récupérer, sans que la société Gilles et Boissier Privé ne justifie de la restitution du meuble.
bibliothèque (11 166,30 euros HT) et banc dressing (4 170 euros HT) : il est justifié de l'enlèvement de ces meubles à l'initiative de la société Gilles et Boissier Privé, la bibliothèque pour modification des finitions et le banc pour retapissage, mais pas de leur restitution. Le fait que l'enlèvement de ces meubles ait eu pour motif des demandes nouvelles de la société Port Quay Limited et non des malfaçons avérées ne peut exonérer la société Gilles et Boissier Privé de son obligation de les restituer, le cas échéant en facturant en sus les nouvelles prestations.
tête de lit (10 099,70 euros HT), deux chevets (8 993,88 euros HT) et une petite armoire Hera (11 979,32 euros HT) de la suite n° 2 : la société Port Quay Limited justifie (ses pièces 16 et 25) que la société Laval, fabriquant, a enlevé la tête de lit à la demande du vendeur, la société Gilles et Boissier Privé qui ne justifie d'aucune restitution. En revanche, aucune pièce n'établit l'enlèvement des chevets et de l'armoire Hera par la société Gilles et Boissier Privé, directement ou par un intermédiaire à sa demande (la pièce 14 de la société Port Quay vise une livraison de chevets en janvier 2015, sans qu'il ne puisse être établi qu'il s'agissait de ceux visés dans sa demande).
six appliques dans la zone de circulation (12 004,20 euros HT) : la société Port Quay Limited ne justifie pas de leur enlèvement par la société Gilles et Boissier Privé.
table de salle à manger extérieure (23 176,80 euros HT) : la société Port Quay Limited ne justifie pas de leur enlèvement par la société Gilles et Boissier Privé. En effet, le courriel du 3 novembre 2014 prévoyait pour cette table une prise en charge par la société Laval devant renvoyer un plateau Thessos plus grand, et le tableau récapitulatif ne mentionne aucune intervention, ni aucun enlèvement du meuble. Aucune autre pièce ne justifie d'un enlèvement par la société Gilles et Boissier Privé ou à sa demande et pour son compte.
Par conséquent, il est établi que la société Gilles et Boissier Privé a livré les meubles suivants, puis les a repris et ne les a pas restitués :
tête de lit de la chambre d'[T] (52 562,52 euros HT),
bibliothèque (11 166,30 euros HT) et banc dressing (4 170 euros HT),
tête de lit (10 099,70 euros HT).
La société Gilles et Boissier Privé doit être condamnée à verser à la société Port Quay Limited la somme totale de 77 998,52 euros HT, soit 93 598,22 euros TTC en remboursement des meubles payés et non restitués. Le jugement sera infirmé en ce sens.
3) Sur la demande de préjudice immatériel
La société Port Quay Limited fait valoir qu'elle subit un préjudice du fait du retard de la part de la société Gilles et Boissier Privé à exécuter son obligation de délivrance, ayant dû acheter des meubles pour remplacer ceux qui ne lui ont pas été restitués.
Cependant, ce préjudice n'est pas caractérisé. La société Port Quay Limited ne justifiant être ni la propriétaire, ni l'occupante de la villa [3], elle ne peut se prévaloir d'un préjudice de jouissance résultant de l'occupation d'une villa partiellement privée de meubles. Quant à un préjudice financier, il ne peut résulter le cas échéant que de la différence entre le coût des meubles achetés et ceux initialement acquis et non livrés ou non restitués, ou d'une perte financière liée à l'obligation de mobiliser des fonds pour acheter des meubles faute de délivrance de ceux acquis à la société Gilles et Boissier Privé. La société Port Quay Limited n'allègue aucun de ces préjudices, ni aucun autre.
Par conséquent, la décision du tribunal de commerce sera confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la société Gilles et Boissier Privé, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Port Quay Limited la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles. Sa demande de ce chef sera rejetée.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a condamné la société Gilles et Boissier Privé à verser à la société Port Quay Limited la somme de 91 102,54 euros TTC,
L'INFIRME sur ce point et statuant à nouveau,
CONDAMNE la société Gilles et Boissier Privé à verser à la société Port Quay Limited les sommes de :
trente-neuf mille six euros et cinquante-sept centimes (39 006,57 euros) TTC au titre des meubles non livrés,
quatre-vingt-treize mille cinq cent quatre-vingt-dix-huit euros et vingt-deux centimes (93 598,22 euros) TTC au titre des meubles non restitués,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Gilles et Boissier Privé aux dépens d'appel,
ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Gilles et Boissier Privé à payer à la société Port Quay Limited la somme de quatre mille euros (4 000 euros) au titre des frais irrépétibles,
REJETTE la demande de la société Gilles et Boissier Privé au titre des frais irrépétibles en appel.