CA Rennes, 3e ch. com., 27 mai 2025, n° 24/03183
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Alti-Services (SAS)
Défendeur :
Multiplast (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Ramin, Mme Pichon
Avocats :
Me Delalande, Me Bourges, Me Douet, Me Lhermitte
La société Multiplast détient la totalité des actions de la SAS Plasteol dont l'activité porte pour l'essentiel sur la maintenance de pâles d'éoliennes. La société Multiplast a entendu vendre les titres de la société Plasteol.
Par une lettre d'intention des 13 et 15 mars 2023, la société Groupe Alti-services s'est déclarée favorable à l'acquisition de 100% des titres de la société Plasteol.
Le 12 mai 2023, un protocole de cession a été signé avec un prix fixé à 510 000 euros : payable comptant à hauteur de 480 000 euros et au moyen d'un crédit vendeur pour le surplus.
Deux conditions suspensives étaient prévues : la possibilité pour la société cessionnaire de faire réaliser un audit avant le 15 juin 2023 et l'information des salariés avec la purge du délai de deux mois de réponse pour ceux-ci, avant le 30 juin 2023.
La réitération des actes de cession et le paiement du prix, valant transfert de propriété des titres, étaient fixées au 30 juin 2023.
Le 25 juillet 2023, un avenant a été signé lequel constatait la réalisation des conditions suspensives mais reportait la date de réalisation effective au 30 septembre 2023 et ajoutait une clause pénale au bénéfice de la société Multiplast.
La cession a encore été retardée à plusieurs reprises, à la demande de la société Groupe Alti-services, pour lui permettre notamment de finaliser l'obtention du financement.
Les parties sont convenues d'un dernier report au 13 décembre 2023.
Le 8 décembre 2023, sur demande de la société Groupe Alti-services, le prévisionnel 2023 actualisé de la société Plasteol ainsi que les comptes clos au 31 décembre 2022 lui ont été adressés.
Par courriel du 12 décembre 2023, la société Groupe Alti-services a fait savoir que, compte tenu du prévisionnel actualisé laissant apparaître une baisse du chiffre d'affaires et une trésorerie en forte diminution, il lui était impossible de maintenir la valorisation retenue initialement.
Le 14 décembre 2023, la société Groupe Alti-services a formé une proposition d'acquisition à la baisse, pour un prix de 300 000 euros, laquelle a été refusée.
Le 22 décembre 2023, la société Mutliplast a mis en demeure la société Groupe Alti-services de procéder à la signature des actes définitifs sous huit jours à compter de la réception du courrier et de lui régler la somme de 480 000 euros.
Le même jour, la société Groupe Alti-services a formé une contre-proposition à 350 000 euros, laquelle a été refusée.
Le 15 février 2024, la société Multiplast a assigné à bref délai la société Groupe Alti-services devant le tribunal de commerce de Nantes afin que soit « ordonnée la signature des actes définitifs résultants du protocole de cession ».
Par jugement du 29 avril 2024, le tribunal de commerce de Nantes a :
- enjoint la société Groupe Alti-services à procéder à la signature de l'acte de cession des 5 000 parts sociales de la société Plasteol,
- condamné la société Groupe Alti-services à payer la somme prévue pour la cession des titres Plasteol à la société Multiplast, soit la somme de 480 000 euros,
- débouté la société Mutliplast de sa demande en paiement par la société Groupe Alti-services de la somme de 51 000 euros au titre de la clause pénale,
- exclu l'exécution provisoire de plein droit et la mise sous astreinte de la société Groupe Alti-services,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- condamné les société Mutliplast et Groupe Alti-services au paiement des entiers dépens, par moitié chacune dont frais de greffe liquidés à 80,28 euros toutes taxes comprises.
Par déclaration du 30 mai 2024, la société Groupe Alti-services a interjeté appel du jugement.
La société Multiplast a déposé des conclusions le 20 février 2025.
Les dernières conclusions de la société Groupe Alti-services ont été déposées le 24 février 2025.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 février 2025.
Le jour de la clôture, la société Multiplast a déposé de nouvelles conclusions.
Sur la recevabilité des conclusions de la société Multiplast
Par conclusions déposées le 27 février 2025, la société Groupe Alti-services demande à la cour de :
- déclarer les conclusions notifiées le 27 février 2025 par la société Multiplast contraires au principe du respect du contradictoire,
- ordonner le rejet des conclusions notifiées par la société Multiplast le 27 février 2025.
- débouter la société Multiplast de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.
Par conclusions déposées le 3 mars 2025, la société Multiplast demande à la cour de :
- déclarer que la notification des conclusions de la société Multiplast du 27 février 2025 a été faite dans le respect du principe du contradictoire,
En conséquence,
- débouter la société Groupe Alti-services de sa demande de rejet des conclusions de la société Multiplast du 27 février 2025.
Il est renvoyé à ces conclusions pour l'exposé des moyens des parties.
Selon l'article 802 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige:
« Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.(...) »
En application de l'article 15 du code de procédure civile :
« Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. »
Selon l'article 16 du code de procédure civile :
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. »
Les conclusions de la société Multiplast ont été reçues par le greffe à 8h59 le jour de la clôture.
La clôture a été prononcée, comme annoncé, à 9h30 ; les parties en ont été avisées à 12h14.
Les conclusions de la société Multiplast ont donc été déposées avant la clôture et ne sont pas irrecevables de plein droit.
Les parties discutent notamment de la date de la perte d'un client de la société Plasteol et de la qualité et de la date de l'information donnée sur ce point par la société Multiplast à la société Groupe Alti-services. Elles en ont débattu dans leurs conclusions des 20 février 2025 (conclusions Multiplast) et 24 février 2025 (conclusions Groupe Alti-services).
Dans ses conclusions déposées le jour de la clôture, la société Multiplast revient page 11 sur ce débat en quelques lignes mais ajoute pour la première fois, au contraire de ce qui était implicitement soutenu dans ses précédentes écritures, que « au jour de la signature du protocole le 12 mai 2023, la Société MULTIPLAST n'était pas informée de la perte du client ENERCON. » En effet, ce postulat est contradictoire avec son affirmation page 6 de ses écritures selon laquelle « la perte du client ENERCON (...) apparaît dans le prévisionnel de la semaine 13 de 2023 (transmis le 27 mars 2023 sur la data room) ».
Les conclusions déposées le jour de la clôture par la société Multiplast pour expliciter à nouveau son point de vue face à l'argumentation de la société Groupe Alti-services sont tardives en ce qu'elles ne permettaient aucune réponse de la partie adverse sur ce nouvel argument sérieux, portant atteinte au principe du contradictoire.
Il convient de les rejeter.
En conséquence, la cour ne prendra en compte que les conclusions déposées le 20 février 2025 par la société Multiplast et le 24 février 2025 par la société Groupe Alti-services.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
La société Alti-services demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes en date du 29 avril 2024 en ce qu'il a, d'une part, fait injonction à la société Groupe Alti-services de procéder à la signature de l'acte de cession des 5.000 parts sociales de la société Plasteol, et d'autre part, condamné la société Groupe Alti-services à payer à la société Multiplast la somme de 480.000 euros,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce en date du 29 avril 2024 en ce qu'il a débouté la société Multiplast de ses autres demandes,
En conséquence,
- débouter la société Multiplast de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Groupe Alti-services de ses demandes au titre de l'article 700 et au titre des dépens de première instance,
- condamner la société Multiplast à payer à la société Groupe Alti-services la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes en date du 29 avril 2024 en ce qu'il a, d'une part, fait injonction à la société Groupe Alti-services de procéder à la signature de l'acte de cession des 5.000 parts sociales de la société Plasteol, et d'autre part, condamné la société Groupe Alti-services à payer à la société Multiplast la somme de 480.000 euros,
- prononcer la nullité de la promesse de cession de titres en date du 12 mai 2023 pour dol et manquement au devoir d'information du vendeur,
- débouter la société Multiplast de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le Jugement en ce qu'il a débouté la société Groupe Alti-services de ses demandes au titre de l'article 700 et au titre des dépens de première instance,
- condamner la société Multiplast à payer à la société Groupe Alti-services la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Multiplast aux entiers dépens d'instance et d'appel,
Subsidiairement, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes en date du 29 avril 2024 en ce qu'il a, d'une part, fait injonction à la société Groupe Alti-services de procéder à la signature de l'acte de cession des 5.000 parts sociales de la société Plasteol, et d'autre part, condamné la société Groupe Alti-services à payer à la société Multiplast la somme de 480.000 euros,
- prononcer la résolution de la promesse de cession de titres en date du 12 mai 2023 en raison d'un manquement de la société Multiplast à son obligation de maintien de la situation juridique ou financière des résultats ou des affaires de la société Plasteol pendant la période intercalaire,
En conséquence,
- débouter la société Multiplast de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Groupe Alti-services de ses demandes au titre de l'article 700 et au titre des dépens de première instance,
- condamner la société Multiplast à payer à la société Groupe Alti-services la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel,
Très subsidiairement (et dans l'hypothèse où le jugement serait confirmé en ce qu'il a enjoint la société Groupe Alti-services à procéder à la signature de l'acte de cession des 5.000 parts sociales de la société Plasteol et condamné la société Groupe Alti-services à payer la somme prévue par la cession des titres Plasteol à la société Multiplast, soit la somme de 480.000 euros),
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il a débouté la société Multiplast de ses autres demandes,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il a débouté les parties demanderesse et défenderesse au titre de leurs demandes des frais irrépétibles de première instance,
- condamner la société Multiplast à signer l'acte de garantie d'actif et de passif annexé au protocole de cession de parts en date du 12 mai 2023 et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- condamner la société Mutliplast à fournir les comptes de cession de la société Plasteol sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- condamner la société Multiplast au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Multiplast aux entiers dépens d'instance et d'appel.
La société Multiplast demande à la cour de :
- recevoir la société Groupe Alti-services mais la dire mal fondée,
A titre principal,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il a enjoint la Groupe Alti-services à procéder à la signature de l'acte de cession des 5000 parts sociales de la société Plasteol, a condamné la société Groupe Alti-services à payer la somme prévue pour la cession des titres Plasteol à la société Multiplast, soit la somme de 480 000 euros mais aussi pour le surplus.
En conséquence,
- débouter la société Groupe Alti-services de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Au titre de l'appel incident,
A titre principal,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nantes du 29 avril 2024 en ce qu'il a débouté la société Mutliplast de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
En conséquence,
- condamner la société Groupe Alti-services à régler à la société Multiplast la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi,
A titre subsidiaire,
- condamner la société Groupe Alti-services à régler à la société Multiplast la somme de 51 000 euros au titre de la clause pénale,
- condamner la société Groupe Alti-services à régler à la société Multiplast la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi,
En tout état de cause,
- condamner la société Groupe Alti-services à régler à la société Multiplast la somme de 6 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
Rappel du mécanisme choisi pour la cession
La lettre d'intention des 13 et 15 mars 2023 indiquait que le prix à 450 000 euros « a été déterminé en fonction des comptes annuels de la société au 31 décembre des quatre derniers exercices, 2018 à 2021, ainsi que de l'atterrissage au 31 décembre 2022 (...). La transmission des comptes 2022 dès leur sortie et leur analyse permettra de confirmer cet atterrissage.
Ce prix est ferme et définitif, non susceptible de variation à la hausse ou à la baisse, sous réserve d'une trésorerie nette de la société au minimum égale à 140 000 euros au 31/12/2022. »
Il était prévu une garantie d'actif et de passif comprenant la garantie d'exactitude des derniers comptes sociaux.
Le protocole de cession signé le 12 mai 2023 sur la base de cette lettre d'intention a prévu :
« prix de cession
La cession des titres de la société [ndr : la société Plasteol] est consentie et acceptée moyennant le prix de cession forfaitaire qui s'élève à un montant global de cinq cent dix mille euros (510 000 euros), pour la totalité des titres cédés, soit un prix de cession unitaire de 102 euros par action cédée.
Le prix de cession s'entend « coupon attaché », le cessionnaire ayant seul droit aux dividendes versés à compter du 31 décembre 2022.
Conformément à la lettre d'intention signée entre les parties, ce prix de cession est non révisable au vu de la trésorerie nette au 31 décembre 2022 qui s'établit à plus de 140 000 euros ce dont le cessionnaire prend acte au vu des justificatifs transmis par le cédant. »
Il a été inséré un l'article 17 « imprévision » selon lequel : « chacune des parties assumera le risque que l'exécution du protocole puisse devenir excessivement onéreuse et renonce expressément, à titre définitif et irrévocable, à se prévaloir des dispositions de l'article 1195 du code civil ».
L'avenant du 25 juillet 2023 n'a pas eu pour effet de modifier les conditions de fixation du prix. Il a seulement permis de constater que les conditions suspensives étaient levées, de repousser la date de réalisation de la cession et d'instaurer une clause pénale.
Il résulte de l'ensemble, sans qu'il soit besoin d'interpréter le protocole, que le prix de cession était forfaitaire et non révisable et fixé exclusivement sur les comptes arrêtés au 31 décembre 2022 puis vérifiés.
Comme l'a justement relevé le tribunal de commerce, les parties ont choisi le mécanisme de la « locked box » pour la cession des titres, sans possibilité d'ajustement du prix en fonction d'une valorisation nouvelle de la société lors de la réalisation de la cession, de sorte que le prix était figé.
Aucune des deux parties ne conteste ce mécanisme ni que le protocole valait promesse synallagmatique de vente.
Sur la demande d'annulation du protocole
La société Groupe Alti-services fait valoir que la perte d'un client, connue avant la signature du protocole par le cédant, devait être portée à sa connaissance s'agissant d'une information essentielle susceptible de remettre en cause le prix de vente des titres, compte tenu de la perte de chiffre d'affaires induite. Elle soutient que la société Multiplast ne l'a pas informée de cette information essentielle, ce qui, selon elle, caractérise une réticence dolosive ayant vicié son consentement et doit conduire à l'annulation du protocole.
La société Multiplast fait valoir, en substance, que la perte du client a été notifiée à la société Groupe Alti-services. Elle ajoute qu'elle n'a adressé qu'un prévisionnel 2023, de fait susceptible d'être remis en cause, mais que le prix a, de toutes façons, été arrêté sur la base des comptes 2022. Elle déduit de l'implication de la société Groupe Alti-services dans la gestion de la société qu'elle avait accès à toutes les informations sur la situation de la société et rappelle qu'elle était autorisée à faire procéder à un audit au besoin.
Selon l'article 1112-1 du code civil :
« Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
L'article 1137 du code civil dispose :
« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »
Aux termes de l'article 1139 du code civil :
« L'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu'elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un
simple motif du contrat. »
Le choix du mécanisme de la « locked box » suppose que les parties aient toute les informations nécessaires pour apprécier le prix des parts avant sa fixation puisque celui-ci ne peut plus être remis en cause postérieurement, la garantie d'actif et de passif, limitée dans ses montants, étant insuffisante à le rectifier.
Le chiffre d'affaires net de la société Plasteol au 31 décembre 2022 était de 751 419 euros, très proche de celui de 2021(773 017 euros) et de celui de 2020 (735 503 euros) en nette évolution par rapport à 2019.
Le prévisionnel 2023 adressé à la société Groupe Alti-services le 7 avril 2023 faisait état d'un chiffre d'affaires 2023 attendu, du même ordre, à savoir 765 869 euros, s'inscrivant dans cette stabilité notée depuis trois années.
Le prévisionnel modifié 2023 adressé à la société Groupe Alti-services le 8 décembre 2023 ne mentionnait plus qu'un chiffre d'affaires 2023 de 580 879 euros résultant pour partie de la perte du client Enercon engendrant, à lui seul, le plus gros chiffre d'affaires, soit 300 000 euros.
Face à la stabilité passée du chiffre d'affaires, cette perte du client principal était donc une information essentielle pour le cessionnaire de nature à modifier la perception de la rentabilité de la société, déterminante de son consentement à l'évaluation du prix de cession et, partant, à la cession elle-même.
Il appartient à la société Multiplast de démonter que cette information sur la perte du client Enercon a été donnée avant la signature du protocole de cession qui fixait le prix de manière intangible entre les parties sur la base des comptes arrêtés au 31 décembre 2022.
Par courrier du 22 décembre 2023 adressé à la société Groupe Alti-services, le conseil de la société Multiplast soutient que la perte du client Enercon était visible sur le prévisionnel 2023 adressé le 27 mars 2023 et qu'en outre, cette information a été lui a été communiquée le 31 mai 2023 au cours d'une réunion entre les parties. Il s'en déduit, au minimum, que la perte du client était antérieure à la signature du protocole et était connue de la société Multiplast, ce qu'elle ne conteste pas aux termes de ses écritures.
Cependant, le prévisionnel 2023 adressé le 7 avril 2023 ne faisait pas mention de cette perte. Il n'existe aucune preuve d'une communication d'un prévisionnel au 27 mars 2023 qui apparaît seulement comme étant la date de création de la base électronique de versement de documents utiles à la cession entre les parties (cf pièce 24 Multiplast).
Par courriel du 12 décembre 2023, M. [X], salarié de la société Plasteol, a écrit à la société Multiplast et aux dirigeants du groupe la présidant (MM. [O] et [K]), pour leur adresser les éléments qui auraient été présentés à la société Groupe Alti-services le 31 mai 2023. Or, les éléments dont il s'agit, joint à son courriel du 30 mai 2023 préparatoire à la réunion et adressé à M. [O] et [K], comprennent à nouveau le prévisionnel 2023 ne mentionnant pas la perte du client Enercon (cf pièce 24 Multiplast). Il en résulte que l'affirmation consécutive de M. [X] sur la transmission de l'information sur la perte du client au cours de la réunion du 31 mai 2023 est contradictoire. Et, au demeurant, les propos tenus dans ce seul mail interne au groupe à l'initiative de la cession, postérieur aux récriminations de la société Groupe Alti-services, et non corroboré par d'autres éléments extérieurs, ne peut suffire à établir la preuve de la bonne communication de cette information essentielle.
Par ailleurs, il n'est qu'allégué par la société Multiplast que ce client Enercon signait chaque année un nouveau contrat et qu'il existait un aléa important à la reconduction des relations d'affaires. En tout état de cause, l'aléa n'existait plus avant la signature du protocole puisque ce client avait déjà été perdu.
Il se déduit de l'absence de mention de la perte du client Enercon dans le prévisionnel communiqué et de l'absence de possibilité pour la société cessionnaire d'avoir pu, de manière spontanée ou aisée, connaître cette information essentielle à son consentement, que la société Multiplast a dissimulé intentionnellement ladite information.
La société cessionnaire était autorisée par le protocole à entrer en contact et à échanger avec tout responsable de la société Plasteol sur le fonctionnement courant de l'entreprise pour en faciliter la transmission (article 8.2). Il ressort des courriels échangés entre M. [X] et la cessionnaire, après la signature du protocole, que cette dernière s'est investie sur la formation sur ses modes de fonctionnement, la recherche de salariés ou des points de détails organisationnels. En revanche, il n'est en rien démontré qu'elle ait eu accès ou pu avoir accès de manière spontanée ou aisée à l'information sur la perte du client postérieurement à la signature du protocole et qu'elle ait ainsi pu renoncer à se prévaloir du vice de son consentement, en toute connaissance de cause.
De la même manière, le fait qu'une réunion ait été programmée avec la société Enercon le 21 décembre 2023 à laquelle devait participer la cessionnaire ne permet pas plus de s'assurer de sa connaissance de la perte du client, l'objet du courriel étant simplement : « maintenance », sans mention de quelconques discussions de nature commerciale. (Pièce 32 Multiplast)
Il ne peut pas être reproché à la société cessionnaire de ne pas avoir recouru à un audit comme prévu aux conditions suspensives du protocole, l'erreur provoquée antérieure demeurant excusable. Un tel audit aurait, en tout état de cause, pu conduire, en présence d'un « problème susceptible d'affecter gravement sa valeur ou sa rentabilité », à la possibilité pour le cessionnaire « de se désengager, sans indemnité » (article 4 conditions suspensives).
En conséquence, le consentement de la société cessionnaire ayant été vicié par la réticence dolosive du cédant, il convient de prononcer l'annulation du protocole de cession.
Le jugement sera infirmé.
Les demandes de la société Multiplast sont donc rejetées.
Frais et dépens
Le jugement de première instance sera infirmé.
Il convient de condamner la société Multiplast aux dépens de première instance et d'appel et de la condamner à payer à la société Groupe Alti-services la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Rejette les conclusions déposées le 27 février 2025 par la société Groupe Alti-services,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Nantes en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la nullité du protocole de cession de titres de la société Plasteol signé le 12 mai 2023 entre la société Multiplast et la société Groupe Alti-services,
Rejette toute demande de la société Multiplast,
Condamne la société Multiplast aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Multiplast à payer à la société Groupe Alti-services la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,