CA Toulouse, 2e ch., 27 mai 2025, n° 23/04470
TOULOUSE
Arrêt
Autre
27/05/2025
ARRÊT N°2025/215
N° RG 23/04470 - N° Portalis DBVI-V-B7H-P4ZJ
IMM AC
Décision déférée du 12 Décembre 2023
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE
( 22/02452)
Madame POUYANNE
SA BOURSE DIRECT
C/
[K] [N]
S.E.L.A.S. EGIDE
MP PG COMMERCIAL
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à Me Gilles SOREL
Me Jérôme HORTAL
Me Regis DEGIOANNI
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT SEPT MAI DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
SA BOURSE DIRECT prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au dit siège social
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Isabelle DUPRE GOAZEMPIS de l'ASSOCIATION MHM, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
INTIMES
Monsieur [K] [N]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Jérôme HORTAL, avocat au barreau de TOULOUSE
S.E.L.A.S. EGIDE en qualité de Mandataire Judiciaire de Monsieur [K] [N], prise en la personne de Maître [V] [P].
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Regis DEGIOANNI de la SCP DEGIOANNI - PONTACQ - GUY-FAVIER, avocat au barreau d'ARIEGE
PARTIE INTERVENANTE
MINISTERE PUBLIC
Cour d'Appel
[Adresse 7]
[Localité 1]
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillère chargée du rapport et M.NORGUET, conseillère. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
M. NORGUET, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
Aux débats Monsieur JARDIN, a fait connaître son avis.
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre
Exposé du litige
Par jugement du 15 février 2011, le tribunal de grande instance de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de M. [K] [N], vétérinaire.
Par jugement en date du 31 janvier 2012, confirmé par un arrêt du 27 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Toulouse a converti cette procédure en liquidation judiciaire et a désigné Madame [G] [M] en qualité de liquidateur judiciaire.
Selon ordonnance du 17 juillet 2018, la Selas Egide a été désignée en remplacement de Me [M] en qualité de liquidateur.
Le 8 juin 2021, la Selas Egide a demandé communication auprès de la SA Bourse Direct de l'historique du compte ouvert par M. [K] [N].
La Selas Egide a reçu le 16 juin 2021, les relevés pour la période du 31 août 2018 au 31 mai 2021.
Par courrier du 7 octobre 2021, la Selas Egide a sollicité auprès de la SA Bourse Direct la restitution de la somme de 17 011,04 euros, sauf somme à caractère alimentaire et a demandé la clôture des comptes.
Par acte du 24 mai 2022, la Selas Egide a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse la SA Bourse Direct au visa de l'article L641-9 du code de commerce, aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 17 011,04 euros.
Par acte du 26 avril 2023, la SA Bourse Direct a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse M. [K] [N] aux fins d'ordonner la jonction des instances et de le condamner à la relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
Par jugement du 12 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
- Ordonné la jonction des instances RG n°22/2452 et RG n°23/1878 sous le numéro le plus ancien RG n°22/2452,
- Déclaré irrecevable la SA Bourse Direct en ses demandes dirigées à l'encontre de M. [K] [N],
- Prononcé l'inopposabilité à la procédure de liquidation judiciaire de M. [K] [N] des paiements que celui-ci a effectués à la SA Bourse Direct à hauteur de 15.080 euros ainsi que des actes subséquents d'investissements en bourse,
- Condamné la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de liquidateur de M. [K] [N], la somme de 15.080 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation,
- Condamné la SA Bourse Direct, partie succombant aux dépens,
- Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, seront capitalisés,
- Débouté la SA Bourse Direct de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration d'appel en date du 22 décembre 2023, la SA Bourse Direct a relevé appel de ce jugement en intimant M.[N] et la Selas Egide.
La clôture est intervenue le 6 février 2025.
Prétentions et moyens des parties
Vu les conclusions n°3 notifiées le 29 janvier 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Bourse Direct demandant à la cour au visa des articles L614-9, L622-21 du code de commerce et 1240 du code civil de :
A titre principal,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulouse le 12 décembre 2023 en ce qu'il a :
- Prononcé l'inopposabilité à la procédure de liquidation judiciaire de Monsieur [K] [N] des paiements que celui-ci a effectués à la société Bourse Direct à hauteur de 15080 ' ainsi que des actes subséquents d'investissements en bourse ;
- Condamné la société Bourse Direct à payer à la société EGIDE es qualité de liquidateur de Monsieur [K] [N], la somme de 15.080 ', assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation ;
- Condamné la société Bourse Direct aux dépens ;
- Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, seront capitalisés ;
- Déclaré irrecevable la société Bourse Direct en ses demandes dirigées à l'encontre de Monsieur [K] [N] ;
- Débouté la société Bourse Direct de l'ensemble de ses demandes.
En conséquence,
- Débouter la société Egide, en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [K] [N], de toutes ses demandes,
- Condamner la société Egide, ès qualités à lui rembourser la somme de 15.671,4 ' versée par cette dernière au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance,
- Condamner la société Egide, ès qualités à lui verser la somme de 5.000 ' à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,
A titre subsidiaire,
- Condamner Monsieur [K] [N] à la relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au-delà de la somme de 7.868,65 ' résultant de la vente de ses titres,
En tout état de cause,
- Condamner la société EGIDE, ès qualités au paiement de la somme de 12.000 ' au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens au-delà de la somme de 7.868,65 ' résultant de la vente de ses titres.
Vu les conclusions notifiées le 25 avril 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Selas Egide ès qualités demandant à la cour au visa de l'article L641-9 du code de commerce de :
- Infirmer partiellement le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu'il a limité le montant des paiements inopposables à la somme de 15.080 euros ;
- Confirmer le surplus ;
En conséquence,
- Condamner Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de Mandataire Liquidateur de monsieur [K] [N] la somme de 17.011,04 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 20 1, date de la première mise en demeure ;
- Dire et juger que les intérêts dus pour une année seront capitalisés dans les termes de l'article 1343-2 du Code Civil ;
- Condamner Bourse Direct à payer à la Selas Egide es qualité de Mandataire Liquidateur de Monsieur [K] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions n°2 notifiées le 24 janvier 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [K] [N] demandant à la cour au visa des articles 122 du code de procédure civile, L641-9, L622-17 et L622-21 du code de commerce de :
- Reporter le prononcé de la clôture jusqu'à la date d'audience des plaidoiries ;
- Confirmer le jugement de la chambre des procédures collectives du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 12 décembre 2023 notamment en ce qu'il a :
- Déclaré irrecevable la SA Bourse Direct en ses demandes dirigées à son encontre.
- Condamné la SA Bourse Direct, partie succombant aux dépens ;
- Débouté la SA Bourse Direct de l'ensemble de ses demandes ;
Et en conséquence,
- Débouter la société Bourse Direct de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formulées à son encontre et rejeter son appel ;
Et en cause d'appel,
- Condamner la société Bourse Direct à lui payer la somme de 2 500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le ministère public a indiqué s'en remettre à l'appréciation de la cour.
Motifs
- sur les demandes du liquidateur
Le liquidateur poursuit au visa des dispositions de l'article L 641-9 la condamnation de la banque à lui verser la somme de 17 011, 04 ' correspondant au cumul des sommes créditées sur le compte ouvert au nom de M.[N].
Au soutien de cette demande, il fait valoir qu'à compter du jugement d'ouverture de la liquidation, il est seul investi des pouvoirs de gestion et que les opérations réalisées par le débiteur en violation du dessaisissement lui sont inopposables.
La banque s'oppose à la restitution en faisant valoir que l'ensemble des versements effectués sur le compte-titre de M.[N] entre le 27 août 2018 et le 31 décembre 2022 provenaient du compte ouvert par ce dernier dans les livres de la Banque Courtois.
Elle précise que, la Banque Courtois ayant elle même été condamnée à restituer les sommes réclamées par le liquidateur, ce dernier ne peut les réclamer à nouveau, sauf à procurer à la procedure collective un enrichissement injustifié.
L'article 641-9 du code de commerce dispose que ' le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur'. Ces dispositions sont d'ordre public.
Les actes accomplis en violation de cette règle sont inopposables à la procédure collective.
Pour démontrer que les sommes dont la restitution est réclamée proviennent du compte Banque Courtois et que le liquidateur a déjà obtenu condamnation de cet établissement de crédit à lui restituer les sommes ayant fait l'objet d'opérations de la part du débiteur en violation du dessaisissement, la société Bourse Direct produit, en cause d'appel, une attestation de son commissaire aux comptes qui atteste que les virements entrant crédités sur le compte de M.[N] entre le 31 août 2018 et le 31 mars 2021 proviennent du compte Banque Courtois de l'intéressé.
Elle verse également aux débats l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse ayant condamné la Banque Courtois à restituer à la procédure collective de M.[N] la somme de 158 543, 37 ' correspondant au cumul des sommes portées au crédit du compte en violation du principe du dessaisissement.
La sanction de la violation par le débiteur de son dessaisissement est l'inopposabilité à la procédure des actes qu'il a accomplis. L'action du liquidateur au visa de l'article L 641-9 du code de commerce tend à protéger l'intérêt collectif des créanciers.
Dès lors, l'origine des fonds importe peu. Il suffit en revanche de constater que la liquidation avait vocation à profiter des sommes créditées et que celles qui ont été débitées lui sont inopposables.
L'action du liquidateur qui ne sanctionne pas une faute de la banque à l'origine d'un préjudice mais simplement la violation du défaut de capacité à agir du débiteur, tend à la protection du gage des créanciers et n'a pas de finalité indemnitaire. Il est donc vain de la part de la banque d'invoquer un enrichissement injustifié.
En l'espèce, le cumul des mouvements créditeurs s'élève à 17 011, 44 '. Il y a donc lieu d'accueillir la demande du liquidateur et de condamner la société Bourse Direct au paiement de cette somme. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a limité la condamnation à la somme de 15.080 '.
Il sera en revanche confirmé en ce qu'il a prononcé la capitalisation des intérêts.
- Sur les demandes formées par la société Bourse Direct à l'encontre de M.[N]
La société Bourse Direct poursuit la condamnation de M.[N] à la relever et garantir des sommes mises à sa charge au profit de la procedure collective.
M.[N] soutient que l'action en responsabilité dirigée contre lui est irrecevable dès lors qu'il est dessaisi et représenté par le liquidateur depuis l'ouverture de la procédure collective.
Les actes commis par le débiteur pendant la période de liquidation l'engagent personnellement et le dessaisissement ne crée à son profit aucune immunité.
Le débiteur reste ainsi tenu malgré son dessaisissement par les obligations contractuelles qu'il a souscrites, fut-ce en violation du dessaisissement, et peut être débiteur envers son cocontractant d'une indemnité de dommages intérêts lorsqu'il a manqué à ses obligations contractuelles.
Cette indemnité s'analyse alors comme une créance postérieure, née irrégulièrement et inopposable à la procédure collective.
Le créancier hors procédure ne pouvant être payé sur le gage commun des créanciers, il ne peut agir contre le débiteur pendant la durée de la procédure collective. (Com., 2 mai 2024, pourvoi n° 22-21.148)
L'action de la société Bourse Direct, prématurée, est donc irrecevable.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point par motifs substitués.
Partie perdante, la société Bourse Direct supportera les dépens d'appel et devra indemniser le liquidateur des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer pour faire valoir ses droits.
Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formée par M.[N] au titre de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de liquidateur de M. [K] [N], la somme de 15.080 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de liquidateur de M. [K] [N], la somme de 17 011, 44 ' euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation,
Condamne la SA Bourse Direct aux dépens d'appel,
Condamne la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide ès qualités la somme de 2000 ' par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute M.[N] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Le greffier La présidente
.
ARRÊT N°2025/215
N° RG 23/04470 - N° Portalis DBVI-V-B7H-P4ZJ
IMM AC
Décision déférée du 12 Décembre 2023
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE
( 22/02452)
Madame POUYANNE
SA BOURSE DIRECT
C/
[K] [N]
S.E.L.A.S. EGIDE
MP PG COMMERCIAL
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à Me Gilles SOREL
Me Jérôme HORTAL
Me Regis DEGIOANNI
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT SEPT MAI DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
SA BOURSE DIRECT prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au dit siège social
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Isabelle DUPRE GOAZEMPIS de l'ASSOCIATION MHM, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
INTIMES
Monsieur [K] [N]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Jérôme HORTAL, avocat au barreau de TOULOUSE
S.E.L.A.S. EGIDE en qualité de Mandataire Judiciaire de Monsieur [K] [N], prise en la personne de Maître [V] [P].
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Regis DEGIOANNI de la SCP DEGIOANNI - PONTACQ - GUY-FAVIER, avocat au barreau d'ARIEGE
PARTIE INTERVENANTE
MINISTERE PUBLIC
Cour d'Appel
[Adresse 7]
[Localité 1]
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillère chargée du rapport et M.NORGUET, conseillère. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
M. NORGUET, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
Aux débats Monsieur JARDIN, a fait connaître son avis.
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre
Exposé du litige
Par jugement du 15 février 2011, le tribunal de grande instance de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de M. [K] [N], vétérinaire.
Par jugement en date du 31 janvier 2012, confirmé par un arrêt du 27 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Toulouse a converti cette procédure en liquidation judiciaire et a désigné Madame [G] [M] en qualité de liquidateur judiciaire.
Selon ordonnance du 17 juillet 2018, la Selas Egide a été désignée en remplacement de Me [M] en qualité de liquidateur.
Le 8 juin 2021, la Selas Egide a demandé communication auprès de la SA Bourse Direct de l'historique du compte ouvert par M. [K] [N].
La Selas Egide a reçu le 16 juin 2021, les relevés pour la période du 31 août 2018 au 31 mai 2021.
Par courrier du 7 octobre 2021, la Selas Egide a sollicité auprès de la SA Bourse Direct la restitution de la somme de 17 011,04 euros, sauf somme à caractère alimentaire et a demandé la clôture des comptes.
Par acte du 24 mai 2022, la Selas Egide a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse la SA Bourse Direct au visa de l'article L641-9 du code de commerce, aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 17 011,04 euros.
Par acte du 26 avril 2023, la SA Bourse Direct a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse M. [K] [N] aux fins d'ordonner la jonction des instances et de le condamner à la relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
Par jugement du 12 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
- Ordonné la jonction des instances RG n°22/2452 et RG n°23/1878 sous le numéro le plus ancien RG n°22/2452,
- Déclaré irrecevable la SA Bourse Direct en ses demandes dirigées à l'encontre de M. [K] [N],
- Prononcé l'inopposabilité à la procédure de liquidation judiciaire de M. [K] [N] des paiements que celui-ci a effectués à la SA Bourse Direct à hauteur de 15.080 euros ainsi que des actes subséquents d'investissements en bourse,
- Condamné la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de liquidateur de M. [K] [N], la somme de 15.080 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation,
- Condamné la SA Bourse Direct, partie succombant aux dépens,
- Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, seront capitalisés,
- Débouté la SA Bourse Direct de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration d'appel en date du 22 décembre 2023, la SA Bourse Direct a relevé appel de ce jugement en intimant M.[N] et la Selas Egide.
La clôture est intervenue le 6 février 2025.
Prétentions et moyens des parties
Vu les conclusions n°3 notifiées le 29 janvier 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Bourse Direct demandant à la cour au visa des articles L614-9, L622-21 du code de commerce et 1240 du code civil de :
A titre principal,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulouse le 12 décembre 2023 en ce qu'il a :
- Prononcé l'inopposabilité à la procédure de liquidation judiciaire de Monsieur [K] [N] des paiements que celui-ci a effectués à la société Bourse Direct à hauteur de 15080 ' ainsi que des actes subséquents d'investissements en bourse ;
- Condamné la société Bourse Direct à payer à la société EGIDE es qualité de liquidateur de Monsieur [K] [N], la somme de 15.080 ', assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation ;
- Condamné la société Bourse Direct aux dépens ;
- Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, seront capitalisés ;
- Déclaré irrecevable la société Bourse Direct en ses demandes dirigées à l'encontre de Monsieur [K] [N] ;
- Débouté la société Bourse Direct de l'ensemble de ses demandes.
En conséquence,
- Débouter la société Egide, en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [K] [N], de toutes ses demandes,
- Condamner la société Egide, ès qualités à lui rembourser la somme de 15.671,4 ' versée par cette dernière au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance,
- Condamner la société Egide, ès qualités à lui verser la somme de 5.000 ' à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,
A titre subsidiaire,
- Condamner Monsieur [K] [N] à la relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au-delà de la somme de 7.868,65 ' résultant de la vente de ses titres,
En tout état de cause,
- Condamner la société EGIDE, ès qualités au paiement de la somme de 12.000 ' au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens au-delà de la somme de 7.868,65 ' résultant de la vente de ses titres.
Vu les conclusions notifiées le 25 avril 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Selas Egide ès qualités demandant à la cour au visa de l'article L641-9 du code de commerce de :
- Infirmer partiellement le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu'il a limité le montant des paiements inopposables à la somme de 15.080 euros ;
- Confirmer le surplus ;
En conséquence,
- Condamner Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de Mandataire Liquidateur de monsieur [K] [N] la somme de 17.011,04 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 20 1, date de la première mise en demeure ;
- Dire et juger que les intérêts dus pour une année seront capitalisés dans les termes de l'article 1343-2 du Code Civil ;
- Condamner Bourse Direct à payer à la Selas Egide es qualité de Mandataire Liquidateur de Monsieur [K] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions n°2 notifiées le 24 janvier 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [K] [N] demandant à la cour au visa des articles 122 du code de procédure civile, L641-9, L622-17 et L622-21 du code de commerce de :
- Reporter le prononcé de la clôture jusqu'à la date d'audience des plaidoiries ;
- Confirmer le jugement de la chambre des procédures collectives du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 12 décembre 2023 notamment en ce qu'il a :
- Déclaré irrecevable la SA Bourse Direct en ses demandes dirigées à son encontre.
- Condamné la SA Bourse Direct, partie succombant aux dépens ;
- Débouté la SA Bourse Direct de l'ensemble de ses demandes ;
Et en conséquence,
- Débouter la société Bourse Direct de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formulées à son encontre et rejeter son appel ;
Et en cause d'appel,
- Condamner la société Bourse Direct à lui payer la somme de 2 500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le ministère public a indiqué s'en remettre à l'appréciation de la cour.
Motifs
- sur les demandes du liquidateur
Le liquidateur poursuit au visa des dispositions de l'article L 641-9 la condamnation de la banque à lui verser la somme de 17 011, 04 ' correspondant au cumul des sommes créditées sur le compte ouvert au nom de M.[N].
Au soutien de cette demande, il fait valoir qu'à compter du jugement d'ouverture de la liquidation, il est seul investi des pouvoirs de gestion et que les opérations réalisées par le débiteur en violation du dessaisissement lui sont inopposables.
La banque s'oppose à la restitution en faisant valoir que l'ensemble des versements effectués sur le compte-titre de M.[N] entre le 27 août 2018 et le 31 décembre 2022 provenaient du compte ouvert par ce dernier dans les livres de la Banque Courtois.
Elle précise que, la Banque Courtois ayant elle même été condamnée à restituer les sommes réclamées par le liquidateur, ce dernier ne peut les réclamer à nouveau, sauf à procurer à la procedure collective un enrichissement injustifié.
L'article 641-9 du code de commerce dispose que ' le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur'. Ces dispositions sont d'ordre public.
Les actes accomplis en violation de cette règle sont inopposables à la procédure collective.
Pour démontrer que les sommes dont la restitution est réclamée proviennent du compte Banque Courtois et que le liquidateur a déjà obtenu condamnation de cet établissement de crédit à lui restituer les sommes ayant fait l'objet d'opérations de la part du débiteur en violation du dessaisissement, la société Bourse Direct produit, en cause d'appel, une attestation de son commissaire aux comptes qui atteste que les virements entrant crédités sur le compte de M.[N] entre le 31 août 2018 et le 31 mars 2021 proviennent du compte Banque Courtois de l'intéressé.
Elle verse également aux débats l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse ayant condamné la Banque Courtois à restituer à la procédure collective de M.[N] la somme de 158 543, 37 ' correspondant au cumul des sommes portées au crédit du compte en violation du principe du dessaisissement.
La sanction de la violation par le débiteur de son dessaisissement est l'inopposabilité à la procédure des actes qu'il a accomplis. L'action du liquidateur au visa de l'article L 641-9 du code de commerce tend à protéger l'intérêt collectif des créanciers.
Dès lors, l'origine des fonds importe peu. Il suffit en revanche de constater que la liquidation avait vocation à profiter des sommes créditées et que celles qui ont été débitées lui sont inopposables.
L'action du liquidateur qui ne sanctionne pas une faute de la banque à l'origine d'un préjudice mais simplement la violation du défaut de capacité à agir du débiteur, tend à la protection du gage des créanciers et n'a pas de finalité indemnitaire. Il est donc vain de la part de la banque d'invoquer un enrichissement injustifié.
En l'espèce, le cumul des mouvements créditeurs s'élève à 17 011, 44 '. Il y a donc lieu d'accueillir la demande du liquidateur et de condamner la société Bourse Direct au paiement de cette somme. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a limité la condamnation à la somme de 15.080 '.
Il sera en revanche confirmé en ce qu'il a prononcé la capitalisation des intérêts.
- Sur les demandes formées par la société Bourse Direct à l'encontre de M.[N]
La société Bourse Direct poursuit la condamnation de M.[N] à la relever et garantir des sommes mises à sa charge au profit de la procedure collective.
M.[N] soutient que l'action en responsabilité dirigée contre lui est irrecevable dès lors qu'il est dessaisi et représenté par le liquidateur depuis l'ouverture de la procédure collective.
Les actes commis par le débiteur pendant la période de liquidation l'engagent personnellement et le dessaisissement ne crée à son profit aucune immunité.
Le débiteur reste ainsi tenu malgré son dessaisissement par les obligations contractuelles qu'il a souscrites, fut-ce en violation du dessaisissement, et peut être débiteur envers son cocontractant d'une indemnité de dommages intérêts lorsqu'il a manqué à ses obligations contractuelles.
Cette indemnité s'analyse alors comme une créance postérieure, née irrégulièrement et inopposable à la procédure collective.
Le créancier hors procédure ne pouvant être payé sur le gage commun des créanciers, il ne peut agir contre le débiteur pendant la durée de la procédure collective. (Com., 2 mai 2024, pourvoi n° 22-21.148)
L'action de la société Bourse Direct, prématurée, est donc irrecevable.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point par motifs substitués.
Partie perdante, la société Bourse Direct supportera les dépens d'appel et devra indemniser le liquidateur des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer pour faire valoir ses droits.
Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formée par M.[N] au titre de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de liquidateur de M. [K] [N], la somme de 15.080 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide en qualité de liquidateur de M. [K] [N], la somme de 17 011, 44 ' euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2022, date de l'assignation,
Condamne la SA Bourse Direct aux dépens d'appel,
Condamne la SA Bourse Direct à payer à la Selas Egide ès qualités la somme de 2000 ' par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute M.[N] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Le greffier La présidente
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