CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 22 mai 2025, n° 24/11056
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arts Et Art (SARL)
Défendeur :
Arts et Art (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Dupont, Mme Girousse
Avocats :
Me Meynard, SCP Brodu - Cicurel - Meynard - Gauthier - Marie, Me Azoulai, SCP Azoulai et Associés, Me Waiwe, Me Walschots
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte en date du 21 avril 2015, Mme [C] [K] et la société Arts et art ont conclu un contrat de bail dérogatoire pour une durée de 12 mois avec effet au 1er mai 2015 jusqu'au 30 avril 2016 renouvelable par période de 12 mois dans la limite de 36 mois pour des locaux situés [Adresse 3] pour un loyer annuel d'un montant de 48.000 ' hors taxes et hors charges.
En difficulté financière durant la crise sanitaire, la société Arts et art n'a pas réglé régulièrement les loyers en 2020. Les parties se sont rapprochées et un protocole d'accord a été signé le 5 octobre 2020 dans lequel Mme [C] [K] a accepté d'abandonner le paiement de la somme de 14.866,50 ' représentant le 2ème trimestre de loyer, provisions sur charges et taxe foncière de l'année 2020.
En contrepartie de cet abandon, la société Arts et art s'est engagée à procéder au paiement de la somme de 14.866,5 ' représentant le 3ème trimestre de loyer, provisions sur charges et taxe foncière de l'année 2020 par virement sur le compte bancaire de Mme [C] [K] en trois mensualités.
Le protocole n'a pas été exécuté par la société Arts et art, défaillante dans le paiement du loyer.
Par acte d'huissier en date du 22 juillet 2021, Mme [C] [K] a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme principale de 44.022,70 '.
Par actes en date des 27 septembre 2021 et 4 octobre 2021, Mme [C] [K] a assigné la société Arts et art devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny.
Par ordonnance en date du 10 décembre 2021, le président du tribunal judiciaire de Bobigny a dit n'y avoir lieu à référé en raison de l'existence d'une contestation sérieuse.
Le 7 janvier 2022, Mme [C] [K] a assigné la société Arts et art devant le tribunal de commerce de Bobigny.
Par jugement en date du 11 juin 2024, le tribunal de commerce de Bobigny :
- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny ;
- a condamné Mme [C] [K] à payer à la société Arts et art la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- a condamné Mme [C] [K] aux dépens ;
- a liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 98,40 ' TTC (dont 16,18 ' de TVA).
Le 24 juin 2024, Mme [C] [K] a régularisé une requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe, requête acceptée par la cour le 13 août 2024. Par déclaration en date du 24 juin 2024, Mme [C] [K] a interjeté appel total du jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 28 octobre 2024, M. [T] [K], intervenant volontaire et appelant, venant aux droits de son épouse Mme [C] [K], demande à la cour de :
- déclarer recevable et fondée l'appel formé par Mme [C] [K] à l'encontre du jugement rendu le 11 juin 2024 par le tribunal de commerce de Bobigny qui a statué sur la seule compétence ;
- infirmer le jugement rendu le 11 juin 2024 par le tribunal de commerce de Bobigny, tant en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny, qu'en ce qu'il a condamné Mme. [K] à verser la somme de 2.000 ' à la société Arts et art sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Statuant à nouveau,
- déclarer que le tribunal de commerce de Bobigny est compétent ;
- condamner la société Arts et art à verser à Mme. [C] [K] la somme de 9.237,50 ' en principal augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2022, date de l'assignation introductive d'instance, avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- débouter la société Arts et art de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- condamner la société Arts et art à verser à Mme [K] la somme de 4.000 ' sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, M. [T] [K] fait valoir que le litige étant relatif à un recouvrement de créance, l'appelante pouvait saisir la juridiction consulaire ; qu'en cause d'appel et quelle que soit la juridiction compétente en première instance, les parties ayant largement débattu du fond du litige devant les premiers juges, la cour peut utiliser son pouvoir d'évocation afin d'entrer en voie de condamnation à l'encontre de l'intimée sur le fondement du non-respect de l'article 1134 du code civil par cette dernière ; que l'intimée est en redressement judiciaire depuis 2016 et sous l'empire d'un plan pour lui permettre d'apurer ses dettes depuis 2018 soit bien avant la crise sanitaire de 2020 ; que l'intimée est seule à l'origine des troubles de jouissance qu'elle subit en ne respectant pas son obligation d'entretien contenue dans le bail, ce dont témoigne un procès-verbal de constat dressé par l'appelante le 3 septembre 2021 ; qu'enfin la situation financière de l'intimée s'oppose à l'octroi de délais de paiement, la crise sanitaire ne pouvant être ici un facteur à en considération.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 14 octobre 2024, la SARL Arts et art, intimée, demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer la société Arts et art recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
Y faisant droit,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny ;
- débouter M. [T] [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire, si la cour d'appel de Paris évoque le fond du litige en application des dispositions de l'article 88 du code de procédure civile,
- déclarer la société Arts et art recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
Y faisant droit,
- débouter Mme [C] [K] de toutes ses demandes de condamnations ;
- ordonner à Mme [C] [K] d'effectuer les travaux de réparations dans un délai de trois mois à compter de la signification de l'ordonnance sous astreinte de 500 ' par jour de retard ;
A titre encore plus subsidiaire,
- accorder et fixer les plus larges délais de paiement à la société Arts et art et par conséquent l'autoriser à s'acquitter de sa dette locative en 24 mensualités ;
En tout état de cause,
- condamner Mme [C] [K] au paiement de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Arts et art oppose que, sur le fondement des articles L. 145-5 alinéa 1 et 2, L. 145-40-2 et L. 721-8 du code de commerce ainsi que l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire que le litige porte uniquement sur les engagements prévus dans le bail dérogatoire qui fixe le montant des loyers et les obligations des parties, lequel est soumis de plein droit au statut des baux commerciaux et relève donc de la compétence du tribunal judiciaire ; que, sur les sommes sollicitées par l'appelant, le renouvellement du bail date du 30 avril 2018 soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Pinel et qu'en conséquence au regard des articles L. 145-40-2 et R. 145-35 du code de commerce la répartition des charges, qui énumère les prestations facturées, le montant à répartir ainsi que la quote-part hors taxes imputé à la preneuse, n'a pas été adressée par la bailleresse de sorte que faute de justifier du montant des charges locatives sollicitées les sommes réclamées ne sont pas dues à ce titre ; que, contrairement à ce que soutient le bailleur, il a manqué à ses obligations contractuelles au titre des travaux d'entretien et de réparation en ne procédant pas à la prise en charge des réparations résultant des dégât des eaux, tels qu'établie par les photographies du procès-verbal de constat dressé le 28 juillet 2021 montrant les infiltrations, causant par conséquence un préjudice financier au preneur ; que si la cour devait statuer, compte tenu des conséquences économiques des mesures de fermetures administratives un accord applicable et tenable dans le temps doit être trouvé pour permettre la relancer l'activité de l'intimé or l'appelante n'a pas initié de dialogue pour tenter de trouver une solution amiable face à l'urgence sanitaire et économique subie.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
SUR CE,
Sur la compétence
L'article L. 145-5 du code de commerce prévoit en ses alinéas 1 et 2 que « Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. »
L. 145-40-2 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dispose en son premier alinéa que « Tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Cet inventaire donne lieu à un état récapitulatif annuel adressé par le bailleur au locataire dans un délai fixé par voie réglementaire. En cours de bail, le bailleur informe le locataire des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux.
L. 721-3 énonce que le tribunal de commerce connaît des contestations relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
Cependant, conformément aux dispositions de l'article R. 211-4 2°du code de l'organisation judiciaire « En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l'article L. 211-9-3 connaissent seuls ['] des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce. »
Au cas d'espèce, il n'est pas contesté que les parties ont conclu un contrat de bail dérogatoire pour une durée de 12 mois avec effet au 1er mai 2015 jusqu'au 30 avril 2016 renouvelable par période de 12 mois dans la limite de 36 mois et qu'à l'issue de ce délai la société Arts et art ayant été laissée dans les lieux un bail commercial s'est substitué au bail dérogatoire.
Or, les sommes réclamées par M. [K], visées au commandement de payer délivré le 22 juillet 2021, concernent non seulement le paiement des loyers et provisions pour charges et taxe foncière du 2ème trimestre 2020 et de novembre 2020 mais aussi celui concernant les mois de mars et mai 2021 et le 3ème trimestre 2021 non visés. Ainsi, la demande relative pour partie à des loyers et charges dus au titre d'un bail commercial relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.
Le tribunal a donc, par motifs que la cour approuve et auxquels elle renvoie, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, conclu à son incompétence à connaître de la demande de Mme [K] et renvoyé les parties à se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Bobigny.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'évocation du litige par la cour d'appel
L'article 568 du code de procédure civile énonce que « lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction. »
Au cas d'espèce, la contestation par le preneur de l'exigibilité des sommes facturées par le bailleur au titre des charges en ce qu'elles seraient non conformes aux dispositions de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2016 dite loi « Pinel » applicable au bail commercial liant les parties n'a pas été débattue par le bailleur de sorte qu'il ne serait pas de bonne justice d'évoquer la demande qui relève d'un débat devant le juge du fond au risque de priver les parties du droit au second degré de juridiction.
La demande à ce titre sera donc rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement du tribunal de commerce de Bobigny sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant en ses prétentions, M. [T] [K], venant aux droits de Mme [C] [K], sera condamné à payer à la société Arts et art la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny rendu le 11 juin 2024 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande d'évocation formée par M. [T] [K], venant aux droits de Mme [C] [K] ;
Condamne M. [T] [K], venant aux droits de Mme [C] [K], à payer à la société Arts et art la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne M. [T] [K], venant aux droits de Mme [C] [K] à supporter la charge des dépens d'appel.