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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 27 mai 2025, n° 24/05561

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 24/05561

27 mai 2025

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°183

N° RG 24/05561 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VIHE

(Réf 1ère instance : 2024 00031)

M. [J] [S]

C/

S.E.L.A.S. [4]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me LAROQUE BREZULIER

Copie certifiée conforme délivrée

le :

à :

TC Vannes

Parquet général

M. [S]

Selas [4]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 27 MAI 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur,

Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,

Assesseur : Madame Marie-Line PICHON, Conseillère, désignée par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Rennes du 17 mars 2025

GREFFIERS :

Madame Julie ROUET, lors des débats et Madame Frédérique HABARE lors du prononcé

MINISTERE PUBLIC :

Monsieur Laurent FICHOT, avocat général, auquel l'affaire a été régulièrement communiquée, entendu en ses observations.

DÉBATS :

A l'audience publique du 18 Mars 2025

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 27 Mai 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [J] [S]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Frédéric LAROQUE-BREZULIER de la SELEURL BREZULIER (A.A.) & LAROQUE-BREZULIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉE :

S.E.L.A.S. [4]

Agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [6], immatriculée au RCS de VANNES sous le numéro [N° SIREN/SIRET 2], désigné en ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de VANNES en date du 13 septembre 2023

[Adresse 8]

[Adresse 8]

N'ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné par acte de commissaire de Justice en date du 28 octobre 2024 remis à personne morale

FAITS ET PROCEDURE :

M. [S] est le gérant de la société à responsabilité limitée [6].

Le 13 septembre 2023, la société [6] a été placée en liquidation judiciaire, la société [4] étant désignée liquidateur.

Estimant que M. [S] avait fait financer par la société [6] des travaux réalisés dans son habitation personnelle et conservé le prix de vente d'un véhicule de la société, la société [4], ès qualités, l'a assigné en condamnation à supporter l'insuffisance d'actif et prononcé d'une mesure de faillite personnelle d'une durée de trois ans.

Par jugement du 18 septembre 2024, le tribunal de commerce de Vannes a :

- Dit et jugé que la demande faite à l'audience de M. [S] quant au déroulement des débats en chambre du conseil était tardive,

- Déclaré recevable et bien fondée la société [4], ès qualités, en ses demandes à l'encontre de M. [S],

- Condamné M. [S], à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif, relevée par les opérations de la liquidation judiciaire de la société [6], soit la somme de 41.169,69 euros, pour les causes sus énoncées,

- Prononcé à l'égard de M. [S] une faillite personnelle pour une durée de 3 ans, pour les causes sus énoncées,

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel, et ce, sans consignation,

- Dit et jugé que le Greffe devra notamment procéder à l'inscription de ladite sanction sur le Fichier National des Interdictions de Gérer,

- Ordonné la signification du présent jugement à la diligence du greffe, par acte de Commissaire de Justice à M. [S], outre les autres mesures de publicité prévues par la Loi, et ce, nonobstant toutes voies de recours,

- Condamné M. [S] aux entiers dépens, lesquels seront employés en frais privilégiés de procédure,

- Arrêté et liquidé les dépens.

M. [S] a interjeté appel le 9 octobre 2024.

Les dernières conclusions de M. [S] sont en date du 24 janvier 2025. L'avis du ministère public est en date du 10 janvier 2025.

La société [4] n'a pas constitué avocat devant la cour.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 février 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS :

M. [S] à la cour de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Déclaré recevable et bien fondée la société [4], ès qualités, en ses demandes à l'encontre de M. [S],

- Condamné M. [S] , à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif, relevée par les opérations de la liquidation judiciaire de la société [6], soit la somme de 41.169,69 euros,

- Prononcé à l'égard de M. [S] une faillite personnelle pour une durée de 3 ans,

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel, et ce, sans consignation,

- Dit et jugé que le Greffe devra notamment procéder à l'inscription de ladite sanction sur le Fichier National des Interdictions de Gérer,

- Ordonné la signification du présent jugement à la diligence du greffe, par acte de Commissaire de Justice à M. [S], outre les autres mesures de publicité prévues par la Loi, et ce, nonobstant toutes voies de recours,

- Condamné M. [S] aux entiers dépens, lesquels seront employés en frais privilégiés de procédure,

Statuant à nouveau :

- Débouter la société [4], ès qualités, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, en particulier de sa demande de comblement d'insuffisance d'actif et de faillite personnelle.

Le ministère public est d'avis de confirmer le jugement.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

La société [4] n'a pas constitué avocat devant la cour. Elle est réputée adopter les motifs du jugement.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif :

Le dirigeant d'une société liquidée peut, en cas de faute de gestion être condamné à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif :

Article L. 651-2 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016 :

Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté.

L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés.

L'évaluation de l'insuffisance d'actif doit s'apprécier au jour où le juge statue.

L'insuffisance d'actif doit être déterminée pour que puisse prospérer l'action en responsabilité. Les opérations de vérification du passif n'ont pas à être achevée pour ce faire, mais l'insuffisance d'actif doit être certaine.

La condamnation peut être égale au montant de l'insuffisance d'actif sans le dépasser.

Il appartient au liquidateur de prouver la faute de gestion alléguée et sa relation de causalité avec l'insuffisance d'actif.

Sur le montant de l'insuffisance d'actif :

Le passif déclaré était de 41.169,09 euros.

M. [S] estime que le fait que la déclaration de créances soit contestée pour un montant de 40.104,74 euros sur 41.169,09 euros empêche de retenir les sommes déclarées au sein du passif afin d'évaluer l'insuffisance d'actif. Il considère que le montant de l'insuffisance d'actif s'élève seulement à 1.067,35 euros. Il estime que l'insuffisance d'actif reste virtuelle en l'absence de décision d'admission des créances déclarées.

Au jour où la cour statue, il n'est pas apporté la preuve de l'admission des créances contestées. Le montant contesté ne peut donc être pris en compte afin de déterminer le montant du passif de la procédure collective.

M. [S] fait valoir qu'il a payé 10.000 euros en sa qualité de caution afin de rembourser un prêt de 27.000 euros.

Effectivement, M. [S] a bien réglé la somme de 10.000 euros au titre du prêt en sa qualité de caution. Pour autant, malgré ce règlement, la société [6] reste débitrice de la caution, en ce que cette dernière dispose toujours d'une action contre la société afin d'obtenir le remboursement de la somme qu'elle a versé à la banque après avoir été actionnée. Il n'est donc pas possible de déduire cette somme du montant du passif de la société [6].

Le montant du passif équivaut au montant de l'insuffisance d'actif en ce qu'il n'est rapporté aucun élément au titre de l'actif.

M. [S] fait valoir que les prêts consentis par le [5] étaient garantis par l'Etat et n'auraient donc pas du entrer dans le calcul de l'insuffisance d'actif.

Les prêts garantis par l'Etat (PGE) sont des prêts consentis par les établissements de crédit qui sont assortis d'une garantie de l'Etat couvrant le principal, les intérêts et les accessoires en cas de défaillance de l'entreprise dans le règlement des échéances. En tant que tel, le prêt s'analyse donc comme une créance de l'établissement de crédit à l'égard de l'entreprise. La garantie de l'Etat est acquise lorsque l'entreprise bénéfice d'une procédure collective. Pour autant, l'Etat bénéficie toujours d'une action récursoire à l'encontre de l'entreprise une fois la garantie mise en oeuvre.

En l'espèce, le [5] a consenti deux PGE à la société [6]. La société [6] ayant été placée en liquidation judiciaire le 13 septembre 2023, le [5] a justement déclaré sa créance au passif de la procédure collective. Il n'est apporté aucune pièce démontrant que la société [6] a sollicité la garantie de l'Etat. En tout état de cause, même si la garantie de l'Etat est acquise, l'entreprise est toujours tenue des sommes vis-à-vis de l'Etat. De plus, le liquidateur n'était tenu d'aucune obligation d'interroger le [5] pour savoir si elle avait été remboursée par l'Etat. Il y avait donc bien lieu de prendre en compte dans le calcul du passif le montant des prêts garantis par l'Etat de la part du [5].

Il apparait ainsi que le montant de l'insuffisance d'actif est caractérisé à hauteur de la somme de 1.067,35 euros.

Sur les fautes de gestion :

M. [S] a réalisé des travaux de construction au sein de son habitation personnelle pour un montant de 27.490 euros, financés par la société [6]. Il indique avoir réalisé ces travaux afin de financer un bureau pour la société [6].

Ces travaux ont nécessairement entraîné une plus-value pour le bien immobilier de M. [S] sans que ne soit apporté la preuve que cette plus-value ait profité à la société [6] qui a pourtant financé ces travaux.

Malgré ces travaux et la prétendue utilisation du bureau par la société [6], celle-ci ne disposait d'aucun bail et ne versait aucun loyer. Il n'est pas non plus établi que ce bureau a été utilisé à titre gratuit par la société [6].

Au moment de la vente de la maison, M. [S] ne produit aucune pièce dont il pourrait être déduit qu'une partie du produit de la vente aurait pu être versé à la banque afin de rembourser un prêt contracté par la société [6]. Rien ne montre que la société [6] ait été remboursée des travaux qu'elle a financés ou aurait bénéficié de la partie de la plus value de la maison résultat des travaux qu'elle avait financés.

Il apparait ainsi que [S] a profité à titre personnel de ces travaux au préjudice de la société [6], ce qui a contribué à augmenté l'insuffisance d'actif.

De plus, M. [S] a vendu le véhicule immatriculé au nom de la société [6] et a encaissé le montant de la vente, soit 8.500 euros, sur un compte bancaire à son nom propre.

Il ne conteste pas avoir vendu ce véhicule et perçu le montant de la vente sur son compte personnel et non celui de la société. M. [S] fait valoir que cette somme ne constituait qu'un montant minime au sein du passif déclaré et qu'au vu de sa situation personnelle, il se trouvait dans la nécessité d'utiliser cette somme.

Aucun remboursement de cette somme n'a été réalisé par M. [S], ce qui a entraîné l'appauvrissement de la société [6] d'une partie de son actif.

Il apparait ainsi que M. [S] a commis des fautes de gestion en confondant son patrimoine personnel avec celui de la société [6], ce qui a conduit à aggraver l'insuffisance d'actif.

Il apparait ainsi qu'il existe un lien de causalité évident entre les détournements d'actif et une insuffisance d'actif, ou du moins une aggravation du passif de la société [6].

Les fautes de gestions établies sont graves. Il apparait cependant que M. [S] a déjà payé la somme de 10.000 euros au titre de son engagement de caution pour désintéresser l'un des créanciers.

Au vu du montant de l'insuffisance d'actif tel qu'établi et des efforts de M. [S] pour désintéresser les créanciers, il n'y a pas lieu de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif.

Sur la mesure de faillite personnelle :

Une faillite personnelle peut être prononcée, notamment lorsque le dirigeant d'une société a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif :

Article L. 653-1 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur depuis le 20 novembre 2016 :

I.-Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables:

1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;

2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;

3° Aux personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2°.

Ces mêmes dispositions ne sont pas applicables aux personnes physiques ou dirigeants de personne morale, exerçant une activité professionnelle indépendante et, à ce titre, soumises à des règles disciplinaires.

II.-Les actions prévues par le présent chapitre se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui prononce l'ouverture de la procédure mentionnée au I. Toutefois, la prescription de l'action prévue à l'article L. 653-6 ne court qu'à compter de la date à laquelle la décision rendue en application de l'article L. 651-2 a acquis force de chose jugée.

Article L. 653-4 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur depuis le 15 février 2009 :

Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Sur le détournement de l'actif :

Comme il a été vu supra, il apparait que M. [S] a détourné les actifs de la société [6] :

- d'une part en finançant des travaux au sein de son habitation personnelle,

- d'autre part en revendant la voiture de la société.

Rien ne vient montrer que la société [6] a effectivement occupé le bureau nécessitant les travaux étant donné qu'elle n'avait aucun bail et ne versait aucun loyer. Ces travaux ont nécessairement augmenté la valeur de la maison en ce qu'ils ont eu pour effet d'en accroitre la surface.

De plus, le prix de la revente de la voiture a été placé sur le compte personnel de M. [S] et il reconnaît lui-même avoir utilisé la somme à des fins personnelles pour nourrir sa fille à sa charge car il touchait le RSA.

Le grief de détournement d'actif est établi.

Il y a donc lieu de prononcer une sanction de faillite personnelle à son encontre.

Le jugement est confirmé.

Sur la durée de la faillite personnelle :

M. [S] précise quelle est sa situation personnelle actuelle. Il rapporte être reconnu travailleur handicapé,percevoir un salaire de 1.700 euros par mois, être locataire d'un loyer de 750 euros par mois et versé un crédit de 300 euros pour sa voiture. Il indique également avoir toujours sa fille à sa charge.

Au vu de la gravité des agissements retenus contre M. [S] et de sa situation personnelle, il y a lieu de fixer à trois ans la durée de la faillite personnelle qu'il convient de prononcer.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner M. [S] aux dépens d'appel et de rejeter la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Infirme le jugement en ce qu'il a :

- Condamné M. [S] , à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif, relevée par les opérations de la liquidation judiciaire de la société [6], soit la somme de 41.169,69 euros,

- Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Rejette les demandes contraires ou plus amples des parties,

- Condamne M. [S] aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président

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