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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 22 mai 2025, n° 24/01432

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alter Finance Capital (SAS)

Défendeur :

Societe D'exploitation De L'hotel Et Du Restaurant (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mollat

Conseillers :

Pelier-Tetreau, Rohart

Avocats :

Manceau, Schwab, Trubert

T. com. Paris, du 19 déc. 2023, n° 20230…

19 décembre 2023

Exposé des faits et de la procédure

La société d'exploitation de l'hôtel et du restaurant [6] (ci-après SEHRF) exploite l'hôtel palace [4] et le restaurant [6] dans des locaux pris à bail auprès de trois bailleurs : Alter Finance Capital, Forty Six Georges V et Restaurant du café de [Localité 7].

Un contentieux autour du renouvellement du bail et de l'indemnité d'éviction ainsi que du paiement d'échéances locatives existe depuis plusieurs années.

La société SEHRF a demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation au regard des difficultés financières qu'elle rencontrait et une première conciliation a été ouverte par décision du 21.07.2020 prorogée jusqu'au 21.05.2021.

Elle a, dans le cadre de cette première procédure de conciliation, obtenu des reports d'échéance de loyers par jugement rendu par le président du tribunal de commerce.

Par ordonnance en date du 6.06.2023 une deuxième procédure de conciliation a été ouverte au profit de la société SEHRF.

Si dans un premier temps, la société Alter Finance Capital a accepté de ne pas exiger les sommes qui lui étaient dues elle a refusé de proroger cette suspension de l'exigibilité des sommes qu'elle estimait devoir lui être réglées.

Compte tenu de ce refus, par acte de commissaire de justice du 11.10.2023 la société SEHRF a fait assigner devant le président du tribunal de commerce, selon la procédure accélérée au fond, et sur le fondement des articles L.611-7 alinéa 5, L.611-10-2 et R.611-35 du code de commerce, la société Alter Finance Capital pour obtenir un report de la dette due au titre du contrat de bail d'un montant de 2.832.489 euros en principal.

Par jugement en date du 19.12.2023 le président du tribunal de commerce a:

dit la SAS SEHRF recevable et bien-fondée en sa demande de délais de grâce ;

accordé à la SAS SEHRF un report de six (6) mois pour le règlement de sa dette à l'égard de la SAS Alter Finance Capital au titre du contrat de bail en date du 22 décembre 2000, fixée au montant total de 2 832 489,27 euros, à parfaire ;

subordonné sa décision à l'engagement indéfectible de son actionnaire, le groupe Lucien Barrière, de ne pas exiger le remboursement de son compte courant d'associé avant la fin du délai qui est accordé à la SAS SEHRF pour l'apurement de sa dette à l'égard de la SAS Alter Finance Capital et de soutenir la SAS SEHRF en cas de défaut de règlement de sa dette à bonne date ;

sursis à statuer jusqu'à la fin de cette période de six (6) mois, à compter de la date de la présente décision, pour le surplus s'agissant d'un délai supplémentaire de dix-huit (18) mois ;

convoqué les Parties à l'audience du 21 juin 2024 à 14h30 pour ainsi statuer ;

pris acte du versement par la SAS SEHRF à la SAS Alter Finance Capital de la somme de 250 000 euros qui viendra en déduction de sa dette à l'égard de cette dernière et qui sera versée dans un délai de huit (8) jours suivant la décision ;

rappelé que les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge ;

rappelé qu'en sa qualité de co-obligée, la Société des hôtels et casino de [Localité 5] bénéficie des dispositions de la présente décision, sur le fondement de l'article L. 611-10-2 du code de commerce ;

rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

rappelé en tant que de besoin que la SAS Alter Finance Capital est tenue à l'obligation de confidentialité de l'article L. 611-15 du code de commerce ;

dit que la présente décision est exécutoire de droit par provision en application de l'article 514 du code de procédure civile ;

condamné la SAS Alter Finance Capital aux dépens de l'instance.

La société Alter Finance Capital a formé appel le 5.01.2024.

La SEHRF a formé un incident pour voir constater que l'appel formé était irrecevable.

Par ordonnance en date du 24.10.2024 le conseiller de la mise en état a:

rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'appel soulevée par la Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] ;

rejeté toute autre demande ;

condamné la Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] à payer à la société Alter finance capital la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] à supporter la charge des dépens d'appel.

Cette décision a été confirmée par la cour statuant en déféré par arrêt du 20.03.2025.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 31.03.2024 la société Alter Finance Capital demande à la cour de:

Vu les dispositions des articles 1343-5 du code civil et L. 611-7 du code du commerce

Vu les dispositions des articles 384 et 385 du code de procédure civile

Infirmer le jugement rendu le 19 décembre 2023 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a ainsi statué :

Disons la SAS Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] recevable et bien fondée en sa demande de délais de grâce ;

Accordons à la SAS Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] un report de six (6) mois pour le règlement de sa dette à l'égard de la SAS Alter Finance Capital au titre du contrat de bail en date du 22 décembre 2000, fixée au montant total de 2 832 489,27 euros, à parfaire ;

Sursoyons à statuer jusqu'à la fin de cette période de six (6) mois, à compter de la date de la présente décision, pour le surplus s'agissant d'un délai supplémentaire de dix-huit (18) mois ;

Convoquons les Parties à notre audience du 21 juin 2024 à 14h30 pour ainsi statuer ;

Rappelons que les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge ;

Rejetons toutes demandes plus amples ou contraires des Parties ;

Condamnons la SAS Alter Finance Capital aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,94 ' TTC dont 14,94 ' de TVA. »

Déclarer irrecevable la demande de délais de paiement formée par la Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] ' SEHRF,

Subsidiairement,

La déclarer mal fondée,

Condamner la Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] ' SEHRF à payer à Alter Finance Capital la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la Société d'Exploitation de l'Hôtel et du Restaurant [6] ' SEHRF aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 8.04.2025 la SEHRF demande à la cour de:

- Débouter la société Alter Finance Capital de toutes ses demandes.

- Confirmer l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de commerce de Paris le 19 décembre 2023 déférée en toutes ses dispositions.

En conséquence,

- Condamner la société Alter Finance Capital à payer à la société S.E.H.R.F. la somme de 10.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Alter Finance Capital aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats, en la personne de Maître Audrey Schwab, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'irrecevabilité de la demande de délais

La société Alter Finance Capital soutient en premier lieu que la demande de délais est irrecevable car éteinte par l'effet du désistement d'instance et d'action régularisé par SEHRF concernant une action engagée portant sur l'octroi de délai de paiement, acté par jugement du tribunal de commerce du 6 juillet 2023. Elle soutient que cette action est identique à l'action présente.

La SEHRF expose d'abord que son désistement ne fait pas obstacle à une nouvelle demande de sa part si des faits nouveaux se sont produits ce qui est le cas en l'espèce et qu'en outre la présente action n'est pas le prolongement de l'action précédente et n'est pas identique en raison de la nature différente des demandes au fond et de l'apparition de faits nouveaux qui sont le refus de la société Alter Finance Capital de refuser de prolonger le sursis à exigibilité consentie par elle.

Sur ce

Le désistement de la première demande de délais engagée par la SEHRF s'explique par l'engagement de la société Alter Finance Capital de ne pas exiger les sommes qui lui étaient dues jusqu'au 6.10.2023.

Elle a par la suite refusé de proroger cette suspension de l'exigibilité des sommes qu'elle estimait devoir lui être réglées ce qui constitue l'élément nouveau justifiant l'engagement d'une seconde demande de délais sans que puisse lui être opposée l'autorité de la chose jugée attachée au désistement d'instance et d'action constaté par jugement du 6.07.2023.

La demande est donc recevable et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de délais

La société Alter Finance Capital expose en premier lieu que le président du tribunal de commerce est dessaisi depuis le 6.11.2023 en application de l'article L.611-7 du code de commerce, qu'en effet dès l'instant où il est mis fin à la procédure de conciliation le débiteur sort du champ d'application dudit article, que la seconde période de conciliation ouverte le 6.06.2023 a définitivement pris fin le 6.11.2023, qu'à la date où le jugement a été rendu le 19.12.2023 le président du tribunal de commerce était incompétent car la débitrice ne se trouvait plus en procédure de conciliation, qu'il ne pouvait donc ni accorder de délais de paiement, ni prononcer un sursis.

En second lieu elle fait valoir que la SEHRF a bénéficié de 31 mois de délais alors qu'elle ne peut bénéficier de plus de 24 mois, que la présente procédure est la 6ème demande de délais d'apurement des indemnités d'occupation pour une somme qui s'élève actuellement à 2.193.619,03 euros et que la société SEHRF a déjà obtenu judiciairement 31 mois de délais de paiement de sa dette, qu'avec la décision critiquée la société SEHRF aura bénéficié de près de 5 années de délais soit 37 mois de délais judiciairement accordés, outre 11 mois hors décision judiciaire.

En troisième lieu elle fait valoir que la société SEHRF n'a apporté devant le tribunal aucun élément financier permettant d'apprécier la réalité des difficultés financières alléguées alors que le groupe dont elle fait partie est florissant.

Elle indique que la documentation comptable et financière produite est ancienne et que les faits dont fait état la société (gilets jaunes, crise sanitaire) sont également anciens, que faute de communication d'éléments plus récents elle produit les comptes sociaux de la société mère de la SEHRF qui revèlent que le chiffre d'affaires de la SEHRF est de 44.525.000 euros pour un résultat net de 2.625.000 euros, qu'il n'existe donc pas de difficultés financières justifiant qu'il soit fait droit à la demande de délais.

Enfin elle demande que soit écarté l'argument selon lequel à la fin de la procédure devant le tribunal judiciaire les locataires seraient créancières de leur bailleresse, puisque cela revient à opposer une créance certaine, liquide et exigible résultant d'un titre exécutoire à une créance éventuelle non déterminée et à ce jour ni liquide ni exigible, qu'en outre la SEHRF omet de chiffrer le coût de la remise de l'immeuble dans l'état où il se trouvait avant la conclusion du bail.

La SEHRF réplique qu'elle peut demander l'application de l'article 1343-5 du code civil dès qu'une conciliation est ouverte dès lors que les conditions objectives de la demande sont réunies sans qu'une limitation puisse lui être opposée relevant de délais précédemment accordés dans le cadre d'une précédente conciliation.

Elle expose que la décision du tribunal est fondée sur les difficultés rencontrées par elle dont elle rapporte la preuve.

Elle fait valoir enfin qu'elle est susceptible d'être créancière de la société Alter Finance Capital dans le cadre de la fixation de l'indemnité d'éviction.

Sur ce

L'article L. 611-7 du code de commerce dispose dans son 5ème alinéa que Au cours de la procédure, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l'article 1343-5 du code civil à l'égard d'un créancier qui l'a mis en demeure ou poursuivi, ou qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance. Dans ce dernier cas, le juge peut, nonobstant les termes du premier alinéa de ce même article, reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l'accord prévu au présent article. Dans ce cas, le créancier intéressé est informé de la décision selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.

L'article 1343-5 du code civil dispose que

Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

En premier lieu, la condition de recevabilité tirée de l'existence d'une procédure de conciliation s'examine au jour de l'assignation et non au jour où le juge statue. Il en résulte que le fait que lorsque le premier juge a statué la procédure de conciliation ait été terminée n'affecte pas la recevabilité de la demande de délais.

En second lieu il ressort de l'article L. 611-7 du code de commerce que

- si le débiteur a été mis en demeure ou poursuivi par le créancier il peut demander l'application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil et donc des délais de paiement d'une durée allant jusqu'à 24 mois

- s'il n'existe pas de mise en demeure ou de poursuite et si l'action engagée par le débiteur est uniquement la conséquence du refus du créancier d'accepter, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance, alors le juge ne peut reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, que dans la limite de la durée de la mission du conciliateur.

En l'espèce il n'est pas fait état de'une mise en demeure adressée par la société Alter Finance Capital à la société SEHRF lui demandant de verser les loyers impayés.

Il n'est pas fait état également de poursuite de la société SEHRF par la société Alter Finance Capital pour obtenir paiement des loyers dus, aucun commandement de payer ou acte d'exécution n'étant versé aux débats.

Au contraire il ressort de la décision dont appel que le conciliateur a invité la société Alter Finance Capital à prolonger son stand still jusqu'à fin novembre 2023 et que celle-ci a indiqué qu'elle n'entendait pas prolonger celui-ci.

L'action pour demander des délais de paiement a donc été engagée du fait du refus du créancier d'accepter dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance.

Il en résulte que le juge ne pouvait reporter le règlement des créances échues que jusqu'à la limite de la durée de la mission du conciliateur.

Cette mission du conciliateur a pris fin le 6.11.2023 de telle sorte que le juge de première instance ne pouvait accorder de délais au delà de cette date, nonobstant le fait qu'il a statué après celle-ci. Il ne pouvait pas non plus surseoir à statuer sur un délai supplémentaire, ni renvoyer l'affaire à une autre date pour examiner l'octroi de délais supplémentaires.

S'agissant d'accorder des délais jusqu'au terme de la procédure de conciliation ceux-ci se justifiaient au regard de la procédure amiable alors en cours.

En conséquence il convient, infirmant le jugement rendu, d'octroyer des délais de paiement à la société SEHRF jusqu'au 6.11.2023.

Il est inéquitable de laisser la société Alter Finance Capital supporter les frais irrépétibles engagés pour assurer sa défense et il convient de lui allouer la somme de 5.000 euros à ce titre.

Les dépens sont mis à la charge de la société SEHRF.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 19.12.2023 sauf en ce qu'il a dit la demande recevable

et statuant à nouveau et y ajoutant

Octroie des délais de paiement à la société SEHRF concernant les sommes dues à l'égard de la société Alter Finance Capital jusqu'au 6.11.2023

Condamne la société SEHRF à payer à la société Alter Finance Capital la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la SEHRF aux dépens.

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