CA Versailles, ch. civ. 1-4 construction, 26 mai 2025, n° 22/05844
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Raybat (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Trouiller
Conseillers :
Mme Romi, Mme Moulin-Zys
Avocats :
Me Jeddi, Me Dontot, Me Bonardi
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [L] [R] est propriétaire d'un appartement à [Localité 4] (92) dont elle a confié les travaux de rénovation à la société Raybat.
Un devis du 6 octobre 2018 de 32 949,63 euros TTC a été émis par cette société, non signé de Mme [R] mais qu'elle ne conteste pas avoir accepté.
Les travaux ont débuté le 2 janvier 2019 et plusieurs factures d'acomptes ont été réglées en cours de chantier. Une attestation d'assurance responsabilité civile et garantie décennale de la société Axelliance a été produite par la société Raybat.
Les travaux achevés et payés, selon Mme [R], la société Raybat ne lui a jamais fourni de facture finale récapitulant toutes les prestations et paiements effectués.
Mme [R] a convoqué la société Raybat pour la réception des travaux le 17 septembre 2019, les deux parties présentes, elle a demandé à un huissier de justice, M. [S] [K], de dresser un procès-verbal de constat sur l'état des travaux.
Elle a mis en demeure à plusieurs reprises la société Raybat de reprendre les malfaçons constatées.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 19 mars 2020, Mme [R] a assigné la société Raybat devant le tribunal judiciaire de Nanterre, afin d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de 12 554,18 euros TTC et 288,04 euros TTC au titre de la reprise des travaux et la remise de la facture finale, sous astreinte.
Par jugement réputé contradictoire, la société Raybat n'étant pas représentée, du 17 février 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- condamné la société Raybat à payer à Mme [R] les sommes de :
- 12 554,18 euros au titre des travaux de reprise avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
- 288,04 euros au titre des travaux urgents réalisés avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil,
- condamné la société Raybat à remettre à Mme [R] la facture finale, récapitulant l'ensemble des prestations effectuées et paiements reçus, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter d'un délai d'un mois suivant la signification du jugement et pendant 3 mois,
- condamné la société Raybat aux dépens dont distraction au profit de Mme Isabelle Bonardi, avocate au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, le tout avec exécutoire provisoire.
Le tribunal a retenu la responsabilité de la société Raybat au titre de la garantie de parfait achèvement, dès lors qu'elle n'avait pas justifié avoir procédé aux travaux de reprise des réserves, contrevenant à son obligation de levée des réserves. Il l'a ainsi condamnée à payer à Mme [R] la somme de 12 554,18 euros à ce titre outre 288,04 euros au titre des travaux urgents entrepris par elle afin d'assurer la sécurité et l'habitabilité de son logement.
Par déclaration du 21 septembre 2024, la société Raybat a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 21 décembre 2022 (8 pages), la société Raybat demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes,
- de la condamner à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 14 mars 2023 (20 pages), Mme [L] [R] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
- jugé que les intérêts de retard devaient courir à compter de la date de son prononcé,
- fixé le montant de l'astreinte prononcée à l'encontre de la société Raybat à la somme de 50 euros par jour de retard, à compter d'un délai d'un mois suivant la signification du jugement et pendant une durée de 3 mois,
- infirmer le jugement des chefs ainsi réservés,
- faisant droit à son appel incident, condamner la société Raybat à lui payer les sommes de :
- 12 554,18 euros TTC montant des travaux nécessaires à la levée des réserves,
- 288,04 euros TTC correspondant aux travaux qu'elle s'est vue contrainte de faire réaliser en urgence,
- juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2020, date de la mise en demeure adressée à la société Raybat,
- ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an,
- condamner la société Raybat à lui remettre le décompte du marché au moyen d'une facture finale, récapitulant l'ensemble des prestations effectuées et paiements reçus et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter du prononcé du jugement du 17 février 2022,
- condamner la société Raybat à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Raybat aux entiers dépens dont distraction au profit de son avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2024. L'affaire a été appelée à l'audience du 24 mars 2025 et mise en délibéré au 26 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande au titre de la reprise des travaux
Aux termes de l'article 1792-6 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
La réception de l'ouvrage est donc un acte juridique par lequel le maître de l'ouvrage manifeste sa volonté d'accepter l'ouvrage tel qu'il a été réalisé.
La réception peut être expresse ou judiciaire, la jurisprudence a ajouté une troisième forme, la réception tacite.
En l'espèce, si aucun document de réception expresse des travaux n'est produit, les parties ne contestent pas que celle-ci est bien intervenue.
La société Raybat soutient qu'elle est intervenue tacitement, sans réserve, le 28 février 2019, à la fin des travaux et au paiement du solde de leur prix.
Mme [R] soutient, elle, que la réception est intervenue, le 17 septembre 2019, lors d'une réunion où elle a convoqué la société Raybat pour ce faire et à laquelle elles étaient toutes deux présentes ainsi qu'un huissier de justice qui a dressé un procès-verbal sur la qualité des travaux effectués. Les malfaçons relevées n'ont alors pas été contestées par le représentant de la société Raybat à l'exception d'une, comme il est relaté ci-après.
Il faut ainsi donc considérer que la réception tacite est intervenue le 17 septembre 2019 avec les réserves relevées au constat d'huissier.
Les désordres apparents au jour de la réception relèvent de la responsabilité civile de droit commun de l'entrepreneur lorsqu'ils ont fait l'objet de réserves non levées dans le cadre et le délai de la garantie de parfait achèvement, comme c'est le cas en l'espèce, puisque la société Raybat n'a pas levé les réserves figurant au constat de l'huissier en dépit de ses mises en demeure des 6 décembre 2019 et 12 mars 2020 adressées par le conseil de Mme [R].
Ces réserves sont les suivantes :
Entrée : au niveau du mur côté débarras, au-dessus de la prise électrique, la trace de la goulotte ressort.
Pièce principale : en partie droite sur le parquet, un rebouchage est visible, il y a au niveau du plafond, deux arrivées électriques munies d'une douille et d'une ampoule, sur le mur de gauche avec la séparation sur la cuisine, il y a une fenêtre coulissante à deux vantaux, Mme [R] dit avoir demandé la pose d'une verrière et non pas d'une fenêtre, côté cuisine : en bas et à gauche de la fenêtre coulissante installée, un début de fissuration est visible, sur la baguette côté salle à manger encadrant cette fenêtre, il n'y a pas de finition.
Cuisine : la baguette de finition de la fenêtre donnant sur la pièce principale n'a pas été peinte, sur le mur côté fenêtre donnant sur le salon, la plinthe n'a pas été posée, de même sur le mur de face sous le radiateur, dans le placard accueillant le ballon d'eau chaude, il y a une découpe irrégulière au niveau du faux plafond, dans le tiroir situé à gauche et en bas par rapport au four, il y a au niveau du mur un fourreau et des fils électriques en arrivée, la prise électrique située à droite de l'évier se trouve à 45 centimètres de l'alimentation en eau de cet évier et à 21 centimètres de l'évier en lui-même.
Cagibi : mur de face, sur la peinture en partie basse gauche par rapport à la ventilation, des griffures sont visibles, sur le mur de droite, partie en partie basse, des petits coups sont visibles, il y a une fissuration à l'angle de l'encadrement de porte et du mur de droite sur la partie mur accès, à hauteur de l'interrupteur se trouvant dans la distribution, un défaut de planéité du mur est relevé.
Chambre à coucher : sur la jonction entre les murs et le plafond, les finitions n'ont pas été réalisées dans les règles de l'art, au plafond, le fourreau ressort avec les fils électriques.
Salle de bains : une porte coulissante a été créée, Mme [R] dit avoir demandé une porte à galandage ce qui n'était pas possible selon la société Raybat en raison de la présence de la gaine d'aération, il existe à droite dans la salle de bains une prise à double interrupteur et prise électrique, pour faire fonctionner la prise électrique, il faut allumer à la fois la lumière et la ventilation qui sont connectées au même interrupteur, l'alimentation en eau chaude a un débit normal au début et au bout de quelques secondes, un débit très faible et irrégulier, il faut attendre 2 à 3 minutes pour que l'eau devienne tiède, l'alimentation se coupe et reprend, au niveau de la cabine de douche, il n'est pas possible de stabiliser la température, le débit est trop faible pour une douche et il faut attendre pour obtenir de l'eau qui reste tiède, il n'est pas possible d'obtenir la température adéquate, concernant la cabine de douche, la porte a été posée de travers, côté mur de face, elle est en raccord avec l'extérieur de la cabine de douche, avec la plinthe, en revanche, côté toilettes, il existe un jour nettement visible, un écart, par rapport à la bordure, lorsque l'on actionne la douche, de l'eau s'évacue à l'extérieur de la douche, entre la cabine de douche et le meuble vasque, les deux interrupteurs sont inversés.
La porte palière : en partie gauche de l'encadrement dans la partie haute, la baguette décorative a été endommagée, au niveau du sol, il est constaté un rebouchage à l'emplacement de l'ancienne tringlerie, la serrure a été changée par l'entreprise Raybat, Mme [R] dit avoir dû changer de nouveau la serrure et avoir fait blinder la porte car le sachet de clés de la première serrure avait été ouvert en son absence.
Mme [R] soutient devoir faire reprendre certains travaux électriques pour une mise en norme du tableau électrique selon devis d'un montant de 1 240,35 TTC.
Elle produit également :
- un devis de la société Artcop d'un montant de 2 460,70 euros TTC pour des travaux de plomberie dans la salle de bain
- un devis de la société Miroiterie le coq de 1 617 euros TTC portant sur des travaux de reprise de la verrière
- un devis de la société Joval d'un montant de 7 236,13 euros pour des travaux de menuiserie, carrelage, peinture et ponçage parquet
Elle a dû faire régler le débit d'eau chaude pour la somme de 170,50 euros TTC.
De plus, le 23 novembre 2020, un début d'incendie dû à un mauvais branchement électrique a nécessité l'intervention d'une société SEBI pour la somme de 117,54 euros TTC.
Elle produit également une facture de la société Leroy-Merlin de 442,70 euros TTC pour des fournitures électricité et plomberie mais qui ne concernent pas les malfaçons relevées.
A cela, la société Raybat oppose que les défauts étaient visibles à la réception et qu'ils sont pour le plus grand nombre purement esthétiques.
Toutefois, les désordres visibles à la réception qui sont réservés rentrent dans la garantie de parfait achèvement et, à défaut de reprise, ressortent de la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur. De plus les désordres à supposer qu'ils ne soient qu'esthétiques, ce qui n'est pas le cas des désordres les plus importants relevés, doivent tout de même être réparés.
Sur les devis et factures produits, la société Raybat ne formule pas d'objection.
Il ressort de cela que sa responsabilité contractuelle est engagée et que la réparation intégrale de ses préjudices doit être accordée à Mme [R], soit :
- 12 554,18 euros au titre des travaux de reprise
- 288,04 euros au titre des travaux urgents
Sur les intérêts, s'agissant de dommages et intérêts compensatoires, ils sont dus à compter de la décision du tribunal.
En conséquence, le jugement est confirmé.
Sur la demande au titre de la remise de la facture des travaux
Comme l'ont rappelé les premiers juges, l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, impose au professionnel de remettre dès la fin des travaux à son client une facture de ceux-ci, ce que réclame Mme [R].
La société Raybat est étrangement taisante sur ce point.
Cependant, Mme [R] affirme -ce qui n'est pas contesté par la partie adverse- qu'elle a payé l'intégralité des prestations au fur et à mesure de leur avancement et qu'elle a donc reçu les factures y afférant.
Ainsi, il est difficilement compréhensible qu'elle forme une demande de remise d'une facture finale pour des prestations terminées il y a presque six ans, d'autant que l'utilité de cette remise n'est en rien explicitée.
En conséquence, le jugement est infirmé sur ce point, la demande de remise dudit document est rejetée.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Raybat, qui succombe, a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance. Elle est également condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions, les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Raybat à payer à Mme [R] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Raybat à remettre à Mme [L] [R] la facture finale des prestations effectuées sous astreinte ;
L'infirme dans cette mesure ;
Statuant de nouveau,
Déboute Mme [L] [R] de sa demande de remise de la facture finale sous astreinte ;
Y ajoutant,
Condamne la société Raybat aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à Mme [L] [R] une indemnité de 3 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.