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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 27 mai 2025, n° 24/05887

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 24/05887

27 mai 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 27 MAI 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 24/05887 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QOUD

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 13 NOVEMBRE 2024

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN

N° RG 2024F01434

APPELANTE :

S.A. LA FRANCAISE DES JEUX représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Caroline JOLY, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante

INTIMES :

Maître [K] [L] es qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS JOLIOS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Philippe NESE de la SELARL NESE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES substitué par Me Christine AUCHE-HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER

S.A.S. JOLIOS

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Philippe NESE de la SELARL NESE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES substitué par Me Christine AUCHE-HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 01 Avril 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 AVRIL 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur, Fabrice VETU, ayant fait le rapport prescrit par le même article, devant la cour composée de :

Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

M. Fabrice VETU, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.

FAITS ET PROCEDURE :

La SA Française des Jeux, qui a pour activité principale l'organisation et l'exploitation de jeux et loteries, a agréé le point de vente de la SAS Jolios en qualité de détaillant.

Dans le cadre du contrat d'agrément signé le 15 février 2019 et notamment des articles 6.3, dénommés « Mise à disposition de Matériels » et 7.3, « Obligations relatives aux Matériels et Equipements », la SA Française des Jeux a mis en dépôt à la disposition du point de vente de la société Jolios divers matériels lui permettant d'exercer son activité de détaillante de prise de jeux et notamment :

- une Zone Libre Service ;

- un Baliseur Kit Multijeux ;

- un Terminal Neptune ;

- un Moniteur Vidéo 32P ;

Par jugement du 13 décembre 2023, le tribunal de commerce de Perpignan a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS Jolios, désigné Mme [K] [L] en qualité de liquidateur, et commis le président de l'association des commissaires de justice des Pyrénées-Orientales aux fins de réaliser un inventaire et la prisée du patrimoine du débiteur.

Par lettre du 18 mars 2024, la SA la Française des Jeux a adressé à Mme [K] [L], ès qualités, une revendication de matériel.

Par ordonnance en date du 25 septembre 2024, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan a fait droit à la requête en revendication de matériel, autorisé la restitution du matériel visé dans la requête en tout lieu qu'il se trouve, et rejeté la demande de restitution en valeur.

Le 4 octobre 2024, la société la Française des Jeux a formé "opposition" à l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à restitution en valeur.

Par jugement contradictoire du 13 novembre 2024, le tribunal de commerce de Perpignan a :

rejeté en tous points l'opposition à l'ordonnance du juge-commissaire rendue le 25 septembre 2024, numéro 2024JC802, formée par la société la Française des Jeux ;

confirmé en toutes ses dispositions cette ordonnance du juge commissaire ;

condamné la société la Française des Jeux à payer la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive à Mme [K] [L], ès qualités ;

et condamné la société la Française des Jeux à payer la somme de 1 000 à Mme [K] [L], ès qualités, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 25 novembre 2024, la SA La Française des Jeux a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 27 mars 2025, elle demande à la cour, au visa des articles L. 622-6, L. 624-9 et suivants, L. 641-1, L. 641-13, R. 624-13 et suivants du code de commerce et de l'article 32-1 du code de procédure civile, de :

infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

juger qu'elle est propriétaire du terminal de prises de jeu, notamment composé d'une zone libre-service, un baliseur kit multi jeux, un terminal Neptune, un moniteur vidéo 32P, lequel a été remis à la société Jolios à titre précaire ;

condamner Mme [K] [L], ès qualités, à restituer le matériel susvisé, propriété de la société la Française des Jeux, ou à défaut de restitution en nature possible, la restitution en valeur, à hauteur de 2 514,24 euros ;

la débouter ainsi que la société Jolios de l'ensemble de leurs demandes ;

et les condamner solidairement à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 21 mars 2025, la SAS Jolios et Mme [K] [L], ès qualités de liquidateur de la SAS Jolios, demandent à la cour, au visa des articles L. 624-9 et suivant du code de commerce, de :

débouter la société la Française des Jeux de ses demandes ;

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la revendication du matériel de la société la Française des Jeux et autorisé la restitution du matériel en tout lieu qu'il se trouve, étant entendu qu'il n'est pas dans les locaux de la société Jolios ;

Statuant à nouveau,

rejeter ses demandes de revendication du matériel et de restitution du matériel ;

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de restitution en valeur et condamné la société la Française des Jeux à payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

et la condamner à payer à Mme [K] [L] ès qualités, la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 1er avril 2025.

MOTIFS :

Sur la revendication

Moyens des parties :

1. La SA La Française des Jeux soutient qu'à la suite du silence du mandataire de plus d'un mois consécutif à sa demande de revendication, elle a saisi le juge-commissaire qui a fait droit à sa demande de revendication en nature, cette décision ayant été confirmée par le tribunal dans sa décision déférée, de sorte que la décision est devenue aujourd'hui définitive sur ce point.

2. A la suite, elle fait valoir que :

- les conditions de la revendication du matériel et de la restitution en valeur de celui-ci, à défaut de restitution en nature possible sont remplies ;

- le juge-commissaire et le tribunal de commerce ont ainsi nécessairement jugé que les biens étaient réputés présents dans le patrimoine de la société Jolios au jour du jugement d'ouverture ;

- ayant disparus depuis cette date, leur restitution en nature est devenue impossible, de sorte que la restitution en valeur devra être prononcée.

3. La SA Française des Jeux ajoute que la motivation du jugement du 13 novembre 2024 pour refuser la restitution en valeur du matériel est inopérante en ce que :

- le procès-verbal de carence transmis par le liquidateur judiciaire a été établi tardivement et n'a ainsi aucune valeur probante conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation ;

- les éléments rapportés par le liquidateur judiciaire dans le cadre de ses écritures devant le tribunal de commerce de Perpignan ne sont de nature à démontrer que le matériel n'était plus dans le patrimoine du débiteur au jour du jugement d'ouverture.

4. Maître [K] [L], ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Jolios, réplique que dès le 22 avril 2024, elle avait indiqué au conseil de la SA La Française des Jeux que la restitution du matériel était impossible, l'ensemble des actifs de la société ayant disparu à la date de la liquidation judiciaire.

5. Elle rappelle que le commissaire de justice a établi un procès-verbal de carence et difficultés aux termes duquel il a constaté que les locaux exploités par la SAS Jolios étaient désormais loués à Mme [E] [J] et déclaré « qu'il ne reste absolument aucun actif de la SAS Jolios dans le local ».

6. Dès lors, formant appel incident, elle entend voir réformer partiellement le jugement en ce que le tribunal de commerce de Perpignan a fait droit à la demande de revendication en nature, la démonstration de l'existence en nature des biens au jour du jugement n'étant pas apportée et cet obstacle à la revendication en nature étant également un obstacle à la revendication en valeur ou en prix.

Réponse de la cour :

Selon l'article L. 641-1 du code de commerce, les dispositions des articles L. 621-1 et L. 621-2 ainsi que celles de l'article L. 622-6 relatives aux obligations incombant au débiteur, sont applicables à la procédure de liquidation judiciaire.

7. Aux termes de l'article L. 622-6 du code de commerce, « dès l'ouverture de la procédure, il est dressé un inventaire du patrimoine du débiteur qui constitue le gage de ses créanciers professionnels ainsi que des garanties qui le grèvent. Cet inventaire, remis à l'administrateur et au mandataire judiciaire, est complété par le débiteur par la mention des biens qu'il détient susceptibles d'être revendiqués par un tiers. Le débiteur entrepreneur y fait en outre figurer les biens détenus dans le cadre de l'activité à raison de laquelle la procédure a été ouverte qui sont compris dans un autre de ses patrimoines et dont il est susceptible de demander la reprise dans les conditions prévues par l'article L. 624-19.

[']

L'absence d'inventaire ne fait pas obstacle à l'exercice des actions en revendication ou en restitution. »

8. Par exception à ce texte, en présence d'un inventaire incomplet ou inexploitable, il incombe au liquidateur de démontrer que les biens revendiqués n'existaient plus en nature au jour du jugement d'ouverture (en ce sens Com., 1er déc. 2009, n°08-13.187, publié ; Com., 25 oct. 2017, n°16-22.083, publié).

9. Par application de l'article L. 624-9 du code de commerce, les biens revendiqués doivent en effet exister dans le patrimoine du débiteur au moment de l'ouverture de la procédure collective. Ce droit de revendication n'est en effet perdu que si les biens, objet d'une clause de réserve de propriété, ont disparu avant l'ouverture de la procédure collective.

10. Dans l'hypothèse où les biens revendiqués ont disparu du patrimoine du débiteur après l'ouverture, quelle qu'en soit la cause, et que la revendication en nature n'est plus matériellement possible, la revendication se reporte sur la valeur de la marchandise.

11. Il s'ensuit que la jurisprudence invoquée par la SA La française des Jeux pour réclamer une restitution en valeur, faute de pouvoir y procéder en nature, ne s'appliquent que dans le cas où le matériel est présent ou réputé tel à la date d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

12. Cette présomption s'applique en l'espèce, dès lors que le procès-verbal d'inventaire prévu à l'article L. 622-6 du code de commerce ne peut être retenu, faute pour le commissaire de justice de s'être personnellement rendu, dès sa désignation au domicile du débiteur afin de réaliser l'inventaire : il a relaté les dires du dirigeant de la société Jolios, consignés sur messages électroniques des 2 et 3 janvier 2024, et ne s'est rendu que le 30 avril 2024 dans les locaux de cette entreprise après que l'appelante eut sollicité le procès-verbal d'inventaire ; le juge-commissaire, puis le tribunal de commerce de Perpignan, ont justement acté le principe d'une restitution en nature des biens revendiqués qui étaient bien présents dans le patrimoine du débiteur, les deux décisions mentionnant seulement que les biens revendiqués n'étaient plus présents dans les locaux de la SAS Jolios repris ;

13. Ainsi, aux termes de la jurisprudence citée par le mandataire lui-même en page 6 de ses écritures, la SA La Française des Jeux, bénéficiaire de la présomption, n'a pas à produire des éléments venant justifier l'existence des biens revendiqués en nature au jour du jugement d'ouverture contrairement à ce que soutient le liquidateur.

14. La preuve contraire n'est pas apportée, au regard des productions du mandataire (notamment des extraits de procédure pénale), alors que, comme soutenu par l'appelante, un commissaire de justice a été désigné par jugement de liquidation judiciaire et que ce commissaire de justice ne s'est pas personnellement rendu dans les locaux afin de procéder aux vérifications dont il était investi dans le délai d'un mois qui lui était imparti par le jugement (avec dépôt dans le délai de deux mois) et ne s'est finalement transporté dans les locaux de la SAS Jolios qu'un mois et demi après l'expiration de ce délai, après relances du créancier revendiquant.

15. Les biens revendiqués par la SA La Française des Jeux existant en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective et le mandataire liquidateur concluant à leur vente, intervenue donc postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, la revendication se reportera sur la valeur de la marchandise conformément aux dispositions de l'article L. 624-18 du code de commerce.

16. La SAS Jolios et Mme [K] [L], ès qualités de liquidateur de cette société, ne sauraient dès lors prétendre au bénéfice de dommages et intérêts pour procédure abusive, demande réitérée en cause d'appel.

17. La décision sera également infirmée sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Ordonne la restitution en valeur par la SAS Jolios à la SA La Française des Jeux des matériels suivants : un kit Zone Libre Service, un Baliseur Kit Multijeux, un Terminal Neptune et un Moniteur Vidéo 32P, soit la somme de 2 514,24 euros,

Fixe les dépens de première instance et d'appel au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Jolios,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

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