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CA Rennes, 9e ch securite soc., 28 mai 2025, n° 22/04128

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 22/04128

28 mai 2025

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 22/04128 - N° Portalis DBVL-V-B7G-S44A

[S] [J]

C/

URSSAF [Localité 3]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 MAI 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Clotilde RIBET, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Madame Adeline TIREL lors des débats et Monsieur Philippe LE BOUDEC lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Mars 2025

devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Mai 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 12 Mai 2022

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de SAINT BRIEUC - Pôle Social

Références : 19/00504

****

APPELANT :

Monsieur [S] [J]

Entreprise [2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne

INTIMÉE :

L'UNION DE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES D'[Localité 4]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

représentée par Madame [E] [P] en vertu d'un pouvoir spécial

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 26 juillet 2018, l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'[Localité 4] (l'URSSAF) a notifié une mise en demeure à M. [S] [J], gérant de la société [2], pour le recouvrement de la somme de 3 725 euros en cotisations, contributions et majorations de retard afférentes aux régularisations des années 2016 et 2017 ainsi que du deuxième trimestre 2018.

Contestant cette mise en demeure, M. [J] a saisi la commission de recours amiable, laquelle a rejeté son recours lors de sa séance du 19 novembre 2018. M. [J] a alors porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance de Melun (recours n°20/00039). Par jugement du 29 novembre 2019, ce tribunal s'est déclaré incompétent territorialement et a transmis le dossier au pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc.

Le 5 décembre 2018, l'URSSAF a notifié une mise en demeure à M. [J] pour le recouvrement de la somme de 14 287 euros en cotisations, contributions et majorations de retard afférentes aux troisième et quatrième trimestres 2018.

Contestant cette mise en demeure, M. [J] a saisi la commission de recours amiable, laquelle a rejeté son recours lors de sa séance du 24 juillet 2019. M. [J] a alors porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc le 27 décembre 2019 (recours n°19/00592).

Le 10 octobre 2019, l'URSSAF a notifié une mise en demeure à M. [J] pour le recouvrement de la somme de 6 509 euros en cotisations, contributions et majorations de retard afférentes à une régularisation pour l'année 2018 et au troisième trimestre 2019.

Contestant cette mise en demeure, M. [J] a saisi la commission de recours amiable, laquelle a rejeté son recours lors de sa séance du 8 juin 2020. M. [J] a alors porté le litige devant le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc le 14 août 2020 (recours n°20/00236).

Le 6 novembre 2019, M. [J] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc d'une opposition à la contrainte du 18 octobre 2019 (recours 19/00504) qui lui a été décernée par l'URSSAF pour le recouvrement de la somme de 1 173 euros en cotisations, contributions et majorations de retard afférentes aux périodes du troisième trimestre 2016 et des régularisations 2016 et 2017, signifiée par acte d'huissier de justice le 23 octobre 2019.

Les recours ayant été joints sous le n°19/00504 à l'audience, par jugement du 12 mai 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :

- confirmé l'affiliation de M. [J] au régime de la sécurité sociale des travailleurs non salariés non agricoles ;

- débouté M. [J] de ses recours de ce chef et de sa demande de dommages et intérêts ;

- validé la contrainte du 18 octobre 2019 pour la somme de 1 173 euros au titre des cotisations et majorations de la régularisation 2016 et 2017 et du troisième trimestre 2016 soit 1 115 euros de cotisations et 58 euros de majorations ;

- condamné M. [J] au paiement des frais de signification de la contrainte pour 41,89 euros ;

- condamné M. [J] à payer à l'URSSAF au titre de la mise en demeure du 5 décembre 2018 la somme de 14 287 euros représentant les cotisations pour 13 581 euros et les majorations pour 706 euros dues au titre des troisième et quatrième trimestres 2018 ;

- validé la mise en demeure du 26 juillet 2018 émise à l'encontre de M.[J] par l'URSSAF au titre des régularisations des années 2016, 2017 et du deuxième trimestre 2018 pour un montant ramené à 242 euros;

- condamné M. [J] à payer à l'URSSAF au titre de la mise en demeure du 10 octobre 2019 la somme de 6 509 euros représentant les cotisations pour 6 188 euros et les majorations pour 321 euros dues au titre de la régularisation 2018 et du troisième trimestre 2019 ;

- condamné M. [J] aux dépens.

Par déclaration adressée le 27 juin 2022 par courrier recommandé avec avis de réception, M. [J] a interjeté appel nullité de ce jugement qui lui avait été notifié le 8 juin 2022.

L'affaire a été appelée à l'audience du 21 février 2024 et renvoyée à la mise en état.

Par ses écritures parvenues au greffe le 4 mars 2025, auxquelles il s'est référé et qu'il a développées à l'audience, M. [J] demande à la cour de juger qu'il était en droit de refuser de s'assurer auprès de l'URSSAF et de condamner l'URSSAF à lui verser des dommages et intérêts d'un montant de 3 000 euros.

Par ses écritures parvenues au greffe le 30 octobre 2024, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, l'URSSAF demande à la cour de :

- déclarer M. [J] recevable mais mal fondé en son appel ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [J] de ses demandes de dommages et intérêts ;

- condamner M. [J] à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner M. [J] à lui régler la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [J] aux entiers dépens de la procédure et le débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 - Sur l'appel nullité :

M. [J] expose dans sa déclaration d'appel former un appel nullité aux motifs que l'appel nullité est de droit quand sont portées des atteintes graves aux droits fondamentaux ; que tel est le cas, le tribunal ayant fait preuve d'une partialité systématique à l'avantage de son adversaire en refusant d'appliquer les dispositions européennes et les lois françaises qui les ont transposées, violant ainsi les dispositions de la constitution française et de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui donnent à tout justiciable le droit à un tribunal impartial.

L'appel-nullité est une création prétorienne dont les conditions d'ouverture sont restrictives et démontrent que ce recours est conçu comme une voie d'exception.

L'ouverture de l'appel-nullité suppose en premier lieu que l'on soit en présence d'une limitation du droit d'appel. La recevabilité de l'appel-nullité est donc conditionnée à la prohibition d'un appel de droit commun.

En second lieu, l'appel-nullité doit permettre de sanctionner une irrégularité caractérisée et grave dans le cadre d'un excès de pouvoir.

Enfin, l'appel-nullité est conditionné à l'absence d'un autre recours immédiat permettant d'invoquer la nullité d'une décision entachée d'un vice grave (opposition, pourvoi en cassation notamment).

Dès lors que la partie intéressée dispose d'un recours, elle est irrecevable à former un appel-nullité.

En l'espèce, le jugement critiqué a été rendu en premier ressort, de sorte que M. [J] bénéficiait de la possibilité de régulariser un appel de droit commun.

Il s'ensuit que l'appel nullité n'était pas ouvert.

Toutefois, lorsqu'un appel porte sur la nullité du jugement et non sur celle de l'acte introductif d'instance, la cour d'appel qui est saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité (2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-11.387).

2 - Sur l'obligation d'affiliation et la demande de dommages et intérêts subséquente :

M. [J] fait valoir qu'il était libre de s'assurer pour sa protection sociale auprès de sociétés d'assurance européennes, en vertu des articles 13 du Traité de l'Acte Unique européen, 26 du Traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l'Union européenne, 55 de la Constitution française ; que l'URSSAF doit être condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Cependant, en l'absence d'une harmonisation au niveau de l'Union européenne, la Cour de justice des communautés européennes a été amenée à préciser qu'il appartient à la législation de chacun des Etats membres de déterminer, non seulement les conditions d'octroi des prestations en matière de sécurité sociale (CJCE, 30 janvier 1997, [7] et [6], aff. n°C-4/95 et n°C-5/95,Rec. I-p. 511, § 36) ou les revenus à prendre en compte pour le calcul de ces cotisations (CJCE, 9mars 2006, Piatkowski, aff. n° C-493/04, § 32), mais aussi les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale (CJCE, 28 avril 1998, Kohll, aff. n°C-158/96, Rec. I-p. 1931.).

Ainsi que le jugent la Cour de justice des communautés européennes (notamment arrêts Poucet et Pistre du 17 février 1993) et la Cour de cassation (Civ. 2 - 19 janvier 2017 - n°15-18635), les organismes de sécurité sociale, qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement social, activité fondée sur le principe de la solidarité nationale et dépourvue de tout but lucratif, ne constituent pas des entreprises au sens des articles 105, 106, 107 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans la mesure où ils n'exercent pas des activités économiques au sens des règles européennes de la concurrence.

L'arrêt BKK de la Cour de justice de l'Union européenne du 3 octobre 2013 ne statue que sur la question de l'application de la directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales et la notion de professionnels qui peut concerner une caisse d'assurance maladie, mais seulement en ce qu'il pourrait lui être reproché une pratique commerciale trompeuse. Cette décision n'a aucune portée quant à la légalité du régime de la sécurité sociale français.

Par un arrêt du 18 juin 2015 (pourvoi n°14-18049), la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a d'ailleurs précisé la notion de 'pratique commerciale des entreprises vis-à-vis des consommateurs' au sens de l'article 2 de la directive 2005/29/CE et a clairement affirmé que le recouvrement des cotisations et contributions dues par une personne assujettie à titre obligatoire au régime de protection sociale des travailleurs non salariés agricoles ne revêtait pas le caractère d'une pratique commerciale au sens de ces dispositions européennes et qu'il n'entrait donc pas dans le champ d'application de la directive. Cette interprétation s'impose également pour les travailleurs indépendants.

Les dispositions des directives du Conseil des communautés européennes des 18 juin 1992 et 10 novembre 1992 concernant l'assurance ne sont pas applicables aux régimes légaux de sécurité sociale fondés sur le principe de solidarité nationale dans le cadre d'une affiliation obligatoire des intéressés et de leurs ayants droit énoncée à l'article L.111-1 du code de la sécurité sociale, ces régimes n'exerçant pas une activité économique, comme l'a rappelé la Cour de cassation (Civ.2, 25 avril 2013, n°12-13234).

Dans une espèce [H] [N] et autres c/ [5] et autres (affaire n° 283/94), la Cour de justice des communautés européennes, statuant par arrêt du 26 mars 1996 sur question préjudicielle a, entre autre, expressément précisé : 'En outre, les États membres ont conservé leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, et donc pour organiser des régimes obligatoires fondés sur la solidarité, régimes qui ne pourraient survivre si la directive qui implique la suppression de l'obligation d'affiliation devait leur être appliquée', cette solution s'appliquant tant à la Directive 92/96 du 10 novembre 1992 qu'à la directive 92/49 du 18 juin 1992.

Le champ d'application de la directive 92/49 est précisé à son article 2 §2 qui renvoie au champ d'application de la directive 73/239 dont l'article 2.1, exclut les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale.

L'URSSAF participe, avec les autres caisses de sécurité sociale, au régime français de sécurité sociale fondé sur le principe de la solidarité nationale, ayant pour objet une mutualisation des risques. De ce fait, le régime des travailleurs indépendants, fondé sur le principe de la solidarité nationale et non sur la poursuite d'un but lucratif, constitue un régime légal de sécurité sociale et non pas un régime professionnel de sécurité sociale.

L'affiliation de M. [J], en sa qualité de gérant de l'EURL [2], dans le cadre du régime français et obligatoire de sécurité sociale à l'URSSAF, respecte le droit communautaire et européen.

Si chacun peut, pour améliorer sa protection sociale bénéficier de couvertures complémentaires auprès d'entreprises d'assurance, de mutuelles ou d'institutions de prévoyance ou également depuis 1994 d'organismes assureurs établis dans un autre état de l'Union européenne, ces couvertures individuelles ne peuvent en France que compléter la sécurité sociale et en aucun cas s'y substituer, le droit communautaire ne portant pas atteinte à la compétence des Etats membres d'aménager leur système de sécurité sociale.

Enfin, M. [J] ne justifie d'aucune faute de l'URSSAF ni d'aucun préjudice fondant sa demande de dommages et intérêts.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de ces chefs.

M. [J] ne conteste pas au fond les sommes au paiement duquel il a été condamné en première instance de sorte que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

3 - Sur la demande de dommages et intérêts de l'URSSAF :

L'URSSAF fait valoir que M. [J], qui adhère à un groupuscule qui prône la désaffiliation au régime de protection sociale obligatoire français en s'affranchissant de s'acquitter de cotisations sociales obligatoires, contribue personnellement et directement au déficit de la sécurité sociale qui s'élève à 11 milliards d'euros en 2024 ; qu'une telle attitude contraire aux intérêts collectifs sera sanctionnée par l'octroi d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'URSSAF ne justifie en l'espèce d'aucun préjudice qui n'est pas déjà réparé par les majorations de retard dues jusqu'à complet paiement de sorte que cette demande ne pourra qu'être rejetée.

4 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de l'URSSAF ses frais irrépétibles.

M. [J] sera en conséquence condamné à lui verser à ce titre la somme de 1 000 euros.

Les dépens de la présente procédure d'appel seront laissés à la charge de M. [J] qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

DÉBOUTE l'URSSAF [Localité 4] de sa demande de dommages et intérêts ;

CONDAMNE M. [S] [J] à verser à l'URSSAF [Localité 4] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [S] [J] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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