CA Chambéry, 2e ch., 28 mai 2025, n° 22/00339
CHAMBÉRY
Autre
Autre
N° Minute : 2C25/233
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Mercredi 28 Mai 2025
N° RG 22/00339 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G5TE
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON en date du 31 Janvier 2022, RG 19/02623
Appelantes
La SCEA DU LEMAN dont le siège social est sis [Adresse 1] - prise en la personne de son représentant légal
Compagnie d'assurance GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE dont le siège social est sis [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal
Représentées par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL CABINET MEROTTO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimée
SASU FROMAGERIE DE LA TOURNETTE dont le siège social est sis [Adresse 3]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SARL JUDIXA, avocat plaidant au barreau D'ANNECY
-=-=-=-=-=-=-=-=-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 11 mars 2025 par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré, à laquelle il a été procédé au rapport,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, qui a rendu compte des plaidoiries
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
- Mme Elsa LAVERGNE, Conseillère, Secrétaire Générale,
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EXPOSE DU LITIGE
La société Fromagerie de la Tournette, filiale de la société Verdannet, fabrique et commercialise, à un niveau industriel, différents fromages au lait cru ou pasteurisé.
Dans le cadre de la production des fromages, la Fromagerie de la Tournette procède elle-même à la collecte du lait auprès des éleveurs, qu'ils soient individuels ou regroupés en coopérative. La collecte est effectuée dans une citerne, puis le lait est stocké dans des tanks avant d'être placé dans des cuves de production, sachant que des prélèvements sont réalisés au début de la production afin de vérifier la présence d'agents pathogènes éventuels.
Le 19 septembre 2017, la Fromagerie de la Tournette a collecté du lait auprès des producteurs adhérents de la coopérative de [Localité 4], dont celui de la SCEA du Léman pour fabriquer des tommes de Savoie et des fromages à raclette. Des prélèvements ont été effectués pour analyse.
Le 20 septembre 2017 les analyses ont révélé que le lait collecté la veille était contaminé par la salmonelle, ce qui a conduit à la destruction de l'ensemble des fromages produits.
Les investigations effectuées ont révélé que la contamination par la salmonelle provient du lait collecté auprès de la SCEA du Léman le 19 septembre 2017.
Un procès-verbal de constatations relatives aux causes, circonstances et à l'évaluation des dommages a été établi le 9 janvier 2018 à l'initiative de la compagnie CFDP Assurances, assureur de la Fromagerie de la Tournette, et signé par deux experts, l'un mandaté par CFDP Assurances et l'autre par la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne (Groupama), assureur de la SCEA du Léman.
Faisant suite à cette expertise, la compagnie CFDP Assurances et le conseil de la Fromagerie de la Tournette ont demandé à Groupama une indemnisation du préjudice subi à hauteur de 66 385 euros par lettres recommandées avec accusé de réception en date des 5 mars et 29 octobre 2019, restées sans réponse.
Par actes délivrés le 6 décembre 2019, la Fromagerie de la Tournette a fait assigner la SCEA du Léman et Groupama devant le tribunal de Thonon-les-Bains aux fins d'obtenir la réparation de ses préjudices.
Par jugement contradictoire rendu le 31 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
déclaré recevable la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama,
condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 65 885 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019,
rejeté la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama pour résistance abusive,
condamné in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama aux dépens dont distraction au profit de Me Luc Hintermann, avocat au barreau de Thonon-les-Bains,
ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 27 février 2022, la SCEA du Léman et la compagnie Groupama ont interjeté appel de ce jugement.
L'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2023.
Par arrêt contradictoire du 15 février 2024, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, la cour d'appel de Chambéry a :
sursis à statuer sur l'ensemble des demandes,
ordonné la réouverture des débats,
invité les parties à s'expliquer sur la limitation de la réparation des préjudices telle que définie par l'article 1245-1 du code civil et son application à l'espèce,
renvoyé à cette fin l'affaire à l'audience de mise en état du 13 mars 2024,
réservé les dépens.
Par conclusions notifiées le 3 janvier 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la SCEA du Léman et Groupama demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 1245 et suivants du code civil,
réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Et statuant à nouveau, à titre principal,
limiter la réclamation de la Fromagerie de la Tournette, toutes causes confondues, à la somme de 4 159 euros hors taxes, franchise légale de 500 euros déduite,
A titre subsidiaire,
limiter la réclamation de la Fromagerie de la Tournette, toutes causes confondues, à la somme de 6 304 euros hors taxes, franchise légale de 500 euros déduite,
En tout état de cause,
débouter la Fromagerie de la Tournette de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la Fromagerie de la Tournette à payer à la SCEA du Léman et à Groupama, la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Forquin, avocat.
Par conclusions notifiées le 16 janvier 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Fromagerie de la Tournette demande en dernier lieu à la cour de :
Vu l'article 1245-3 du code civil,
statuer ce que de droit quant à la recevabilité de l'appel,
A titre principal,
débouter la SCEA du Léman et Groupama de toutes leurs demandes,
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- déclaré recevable la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama,
- condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 65 885 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019,
- condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama aux dépens, dont distraction au profit de Me Luc Hintermann, avocat au barreau de Thonon-Les-Bains,
A titre subsidiaire et uniquement sur la limitation du préjudice,
juger que seule la valeur du lait contaminé produit par la SCEA du Léman sera exclue de l'indemnisation sollicitée,
juger que cette valeur s'élève à 2 837,19 euros,
débouter SCEA du Léman et Groupama de l'ensemble de leurs demandes,
infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama pour résistance abusive,
Statuant à nouveau,
condamner la SCEA du Léman et Groupama in solidum à payer à la Fromagerie de la Tournette la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
condamner les mêmes in solidum au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens distraits pour ceux d'appel au profit de la SELURL Bollonjeon, sur ses offres et affirmations de droit en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été clôturée à la date du 20 janvier 2025 et renvoyée à l'audience du 11 mars 2025, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 22 mai 2025 et prorogé à ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la responsabilité de la SCEA du Léman :
Après réouverture des débats, les appelants ne discutent plus la responsabilité sans faute de la SCEA du Léman, sur le fondement de la garantie des produits défectueux telle que prévue par les articles 1245 et suivants du code civil, dans la contamination par la salmonelle des fromages produits par la Fromagerie de la Tournette avec la collecte de lait des producteurs de la coopérative de [Localité 4] du 19 septembre 2017.
Ils n'invoquent plus, non plus, la faute de la Fromagerie de la Tournette de nature à limiter son droit à indemnisation sur le fondement de l'article 1245-12 du code civil.
Il n'y a donc pas lieu d'examiner les moyens développés sur ce point par la Fromagerie de la Tournette, la discussion se limitant désormais au préjudice indemnisable.
2. Sur l'indemnisation des préjudices :
Les appelants soutiennent que l'évaluation des préjudices à laquelle il a été procédé par procès-verbal contradictoire du 9 janvier 2018 ne vaut pas accord de leur part sur l'indemnisation due, et que, conformément aux dispositions de l'article 1245-1 du code civil, outre la franchise légale de 500 euros, la Fromagerie de la Tournette ne peut pas obtenir l'indemnisation :
- de la valeur de la totalité du lait qui lui a été livré et qu'elle a payé, pour une valeur de 47 516 euros, qui n'est pas un préjudice indemnisable à tout le moins pour le lait livré par la SCEA du Léman, dont le prix n'est pas individualisé dans ce montant,
- des frais d'analyse LIDAL qui ne sont pas justifiés, ne constituent pas un bien endommagé au sens de la loi, et auraient été exposés en tout état de cause par la fromagerie.
Sur les autres préjudices ils soutiennent que les planches d'affinage en épicéa qui ont dû être remplacées étaient totalement amorties, soit une valeur nulle, et n'admettent que les frais de destruction et de transport pour 4 659 euros HT.
La Fromagerie de la Tournette soutient que la réouverture des débats ne porte que sur la seule question de la prise en compte du prix du lait défectueux, que les parties se sont accordées sur l'évaluation du préjudice constatée par un procès-verbal signé par l'expert mandaté par Groupama ce qui l'engage. Subsidiairement, elle soutient que seule la valeur du lait livré par la SCEA du Léman doit être déduite en application de l'article 1245-1 du code civil, soit le lait contaminé lui-même pour 2 837,19 euros. Elle souligne que l'intervention du LIDAL ne s'impose qu'en cas de contamination détectée afin de la confirmer.
Sur ce, la cour,
L'arrêt avant dire droit rendu le 15 février 2024 a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes, de sorte que cet arrêt n'a pas limité la discussion au seul poste de préjudice relatif à la valeur du lait et les appelants peuvent à l'évidence développer de nouveaux moyens en réponse aux réclamations de la Fromagerie de la Tournette, quel que soit le poste de préjudice. C'est donc en vain que celle-ci cherche à cantonner la discussion à la seule valeur du lait.
La Fromagerie de la Tournette sollicite la confirmation de la condamnation des appelants au paiement d'une somme globale de 65 885 euros (après déduction de la franchise légale de 500 euros) comprenant, selon le procès-verbal contradictoire d'évaluation des dommages signé le 9 janvier 2018, les postes suivants :
- marchandises HT : 47 516 euros
dont raclettes 22 138 euros
dont tommes de Savoie 25 378 euros
- frais d'analyse LIDAL 2 145 euros
- planches d'affinage 12 065 euros
- frais de destruction 4 659 euros
La Fromagerie de la Tournette soutient que l'estimation des dommages a été acceptée par Groupama dont l'expert a signé le procès-verbal de constatation.
Toutefois, il est indiqué en préambule de ce procès-verbal (pièce n° 1 de l'intimée), que « ce document n'a pour but que d'établir contradictoirement les constatations et observations des experts présents pour donner aux assureurs intéressés les éléments objectifs nécessaires à la gestion du sinistre. Il ne peut être considéré par aucune des parties comme une reconnaissance des garanties stipulées dans les contrats d'assurances ou comme une acceptation des responsabilités éventuelles. Il n'implique donc pas la prise en charge par tel ou tel des assureurs concernés des indemnités qui lui sont réclamées ».
L'évaluation contradictoire des dommages qui résulte de ce document n'engage donc nullement les appelants, et particulièrement Groupama.
Les appelants sont donc recevables à contester le montant des indemnités réclamées par la Fromagerie de la Tournette.
Selon l'article 1245-1 du code civil, la responsabilité du fait des produits défectueux s'applique à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne, et à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
Le montant de la franchise légale a été fixé à 500 euros par l'article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005.
Il est de jurisprudence constante que ce régime de responsabilité ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte.
Le produit défectueux lui-même est le lait livré par la SCEA du Léman, et non la totalité du lait mis en production par la Fromagerie de la Tournette après mélange des laits des différents producteurs. Le lait des autres producteurs s'étant révélé sain, sa valeur perdue par la Fromagerie de la Tournette constitue un préjudice indemnisable au sens de l'article 1245-1 du code civil, en ce que le lait défectueux de la SCEA du Léman a porté atteinte au lait sain auquel il a été mélangé, qui est un bien autre que le produit défectueux lui-même, quand bien même ils sont de même nature.
Aussi, c'est en vain que les appelants sollicitent la déduction du préjudice de la totalité du lait acheté contaminé par le lait fourni par la SCEA du Léman.
Il résulte des pièces produites aux débats, notamment du procès-verbal du 9 janvier 2018 et du rapport Vering du 28 février 2019 qui y est joint (pièce n° 1 de l'intimée) que le lait collecté entre les 19 et 28 septembre 2017, contaminé à la salmonelle par le lait fourni par la SCEA du Léman représente :
- 41 244 litres de lait destinés à la production de 5 720 kg de raclette non affinée,
- 51 034 litres de lait destinés à la production de 6 269,40 kg de tomme blanche.
Selon la Fromagerie de la Tournette la valeur du lait fourni par la SCEA du Léman est de 2 837,19 euros.
Toutefois, le rapport Vering procède à un calcul du coût de revient de la production des fromages, à partir de la production totale détruite, et le prix d'achat du lait est calculé par kg de fromage produit et non au litre, soit 2,834 euros par kg de fromage produit pour la raclette et 3,19 euros par kg de fromage produit pour la tomme de Savoie (pages 13 et 13 du rapport Vering). L'intimée fait sur ce point une lecture erronée de ce rapport en ajoutant 2 834 euros (au lieu de 2,834 euros) et 3,19 euros pour aboutir à 2 837,19 euros, somme qui ne correspond aucunement au prix du lait fourni par la SCEA du Léman.
Selon le rapport Vering et le procès-verbal contradictoire, le volume de lait contaminé fourni par la SCEA du Léman lors de la collecte du 19 septembre 2017 est de 3 250 litres. Le prix du lait non transformé, tel qu'il ressort du rapport Vering est le suivant :
- raclette : pour 41 244 litres de lait produisant 5 720 kg de raclette, le prix du lait est de 2,834 euros le kg, soit :
(5 720 kg x 2,834 euros) / 41 244 litres = 0,393 euros le litre,
- tomme de Savoie : pour 51 034 litres de lait produisant 6 269,40 euros de tomme, le prix du lait est de 3,19 euros le kg, soit :
(6 269,40 kg x 3,19 euros) / 51 034 litres = 0,392 euros le litre.
Ce résultat est cohérent au regard de la facture du lait du mois de septembre 2017 fourni par ce producteur (pièce n° 36 de l'intimée), selon laquelle le prix du lait net payé est en moyenne de 0,39214 euro par litre, ce qui représente une somme de 1 274,46 euros.
Le coût de revient de production des fromages, ou coût de transformation, figure également dans ce rapport de manière détaillée non critiquée par les appelants, de sorte que la somme de 47 516 euros inclut celui-ci. Sur ce point, le coût de transformation du lait, exposé en pure perte par la Fromagerie de la Tournette qui a été contrainte de détruire la totalité des fromages produits contaminés, est indemnisable en ce qu'il résulte de l'atteinte portée par le lait défectueux aux produits finis que sont les fromages à raclette et les tommes de Savoie.
Après déduction de la valeur du lait fourni par la SCEA du Léman pour 1 274,46 euros, la Fromagerie de la Tournette est donc bien fondée à obtenir l'indemnisation du lait collecté auprès des autres producteurs et le coût de transformation pour la somme de 46 241,54 euros HT.
Les frais d'analyses exposés par la Fromagerie de la Tournette sont également indemnisables puisqu'ils résultent de la contamination du lait. En effet, il s'agit ici des analyses rendues nécessaires par la contamination détectée, et non des analyses courantes qui ont permis de la mettre en évidence. Les analyses par le LIDAL ne sont prévues qu'afin de confirmer une contamination révélée par les analyses courantes auxquelles la Fromagerie de la Tournette est tenue.
Cette dernière est donc fondée à obtenir l'indemnisation des frais d'analyses retenus pour 2 145,00 euros.
Les experts ont retenu que les planches d'affinage, contaminées également par la salmonelle, devaient être détruites. Il s'agit là encore d'un dommage causé à un bien autre que le produit défectueux lui-même qui doit être indemnisé. Les appelants soutiennent que ces planches, entièrement amorties, n'auraient aucune valeur. Toutefois, il n'est pas discutable que la destruction des planches a été rendue nécessaire par la contamination imputable à la SCEA du Léman, de sorte que leur remplacement doit être indemnisé, qu'elles soient ou non amorties sur un plan comptable.
La Fromagerie de la Tournette est donc fondée à obtenir l'indemnisation du coût de leur remplacement pour 12 065,00 euros HT représentant 294 planches pour la raclette et 818 planches pour la tomme de Savoie au prix de 10,85 euros l'unité.
Les frais de destruction des fromages contaminés et les frais de transport associés ne sont pas discutés par les appelants, ils seront donc retenus pour un total de 4 659,00 euros.
Il convient de déduire des indemnités la franchise légale de 500 euros.
L'indemnisation allouée à la Fromagerie de la Tournette s'établit donc à la somme totale de : 46 241,54 euros + 2 145,00 euros + 12 065,00 euros + 4 659,00 euros - 500,00 euros = 64 610,54 euros. Il n'est pas discuté qu'il s'agit d'une somme hors taxes.
Le jugement déféré sera réformé et les appelants condamnés in solidum au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 6 décembre 2019.
3. Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive :
La Fromagerie de la Tournette forme un appel incident à l'encontre du jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et fait valoir que Groupama ne conteste pas sa garantie ni la responsabilité de son assuré, mais qui entend remettre en cause ses engagements. L'intimée souligne que la cause exonératoire de responsabilité invoquée par Groupama est manifestement vouée à l'échec et qu'ainsi elle fait indûment obstacle à l'indemnisation de la fromagerie.
Les appelants soutiennent qu'il ne peut leur être reproché aucune résistance abusive compte de la discussion sérieuse qui a opposé les parties.
Sur ce, la cour,
Il appartient à celui qui entend obtenir une indemnisation pour résistance abusive de démontrer que le retard dans le paiement résulte d'une faute commise par son débiteur et qu'il en a subi un préjudice qui ne serait pas réparé par les intérêts moratoires.
En l'espèce, s'il est exact que la responsabilité de la SCEA du Léman n'est en définitive plus contestée, les appelants n'ont fait qu'exercer leur droit de se défendre et de faire appel, sans abus démontré. En outre, la Fromagerie de la Tournette ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un préjudice qu'elle aurait précisément subi du fait du retard dans son indemnisation, étant rappelé que le jugement déféré, assorti de l'exécution provisoire, a été exécuté.
La demande de dommages et intérêts sera donc rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
4. Sur les demandes accessoires :
La SCEA du Léman et Groupama, qui succombent à titre principal, supporteront les entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon, avocat associé.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Fromagerie de la Tournette la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 31 janvier 2022, sauf en ce qu'il a condamné in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne, à payer à la société Fromagerie de la Tournette la somme de 65 885 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019,
Réformant de ce chef et statuant à nouveau,
Condamne in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne à payer à la société Fromagerie de la Tournette la somme de 64 610,54 euros hors taxes, outre intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2019, en réparation de ses préjudices,
Déboute la société Fromagerie de la Tournette du surplus de sa demande indemnitaire,
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne aux entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon, avocat associé,
Condamne in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne à payer à la société Fromagerie de la Tournette la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en appel.
Ainsi prononcé publiquement le 28 mai 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente
Copies :
28/05/2025
Me Christian FORQUIN
+ GROSSE
la SELARL BOLLONJEON
+ GROSSE
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Mercredi 28 Mai 2025
N° RG 22/00339 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G5TE
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON en date du 31 Janvier 2022, RG 19/02623
Appelantes
La SCEA DU LEMAN dont le siège social est sis [Adresse 1] - prise en la personne de son représentant légal
Compagnie d'assurance GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE dont le siège social est sis [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal
Représentées par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL CABINET MEROTTO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimée
SASU FROMAGERIE DE LA TOURNETTE dont le siège social est sis [Adresse 3]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SARL JUDIXA, avocat plaidant au barreau D'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 11 mars 2025 par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré, à laquelle il a été procédé au rapport,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, qui a rendu compte des plaidoiries
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
- Mme Elsa LAVERGNE, Conseillère, Secrétaire Générale,
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EXPOSE DU LITIGE
La société Fromagerie de la Tournette, filiale de la société Verdannet, fabrique et commercialise, à un niveau industriel, différents fromages au lait cru ou pasteurisé.
Dans le cadre de la production des fromages, la Fromagerie de la Tournette procède elle-même à la collecte du lait auprès des éleveurs, qu'ils soient individuels ou regroupés en coopérative. La collecte est effectuée dans une citerne, puis le lait est stocké dans des tanks avant d'être placé dans des cuves de production, sachant que des prélèvements sont réalisés au début de la production afin de vérifier la présence d'agents pathogènes éventuels.
Le 19 septembre 2017, la Fromagerie de la Tournette a collecté du lait auprès des producteurs adhérents de la coopérative de [Localité 4], dont celui de la SCEA du Léman pour fabriquer des tommes de Savoie et des fromages à raclette. Des prélèvements ont été effectués pour analyse.
Le 20 septembre 2017 les analyses ont révélé que le lait collecté la veille était contaminé par la salmonelle, ce qui a conduit à la destruction de l'ensemble des fromages produits.
Les investigations effectuées ont révélé que la contamination par la salmonelle provient du lait collecté auprès de la SCEA du Léman le 19 septembre 2017.
Un procès-verbal de constatations relatives aux causes, circonstances et à l'évaluation des dommages a été établi le 9 janvier 2018 à l'initiative de la compagnie CFDP Assurances, assureur de la Fromagerie de la Tournette, et signé par deux experts, l'un mandaté par CFDP Assurances et l'autre par la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne (Groupama), assureur de la SCEA du Léman.
Faisant suite à cette expertise, la compagnie CFDP Assurances et le conseil de la Fromagerie de la Tournette ont demandé à Groupama une indemnisation du préjudice subi à hauteur de 66 385 euros par lettres recommandées avec accusé de réception en date des 5 mars et 29 octobre 2019, restées sans réponse.
Par actes délivrés le 6 décembre 2019, la Fromagerie de la Tournette a fait assigner la SCEA du Léman et Groupama devant le tribunal de Thonon-les-Bains aux fins d'obtenir la réparation de ses préjudices.
Par jugement contradictoire rendu le 31 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
déclaré recevable la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama,
condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 65 885 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019,
rejeté la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama pour résistance abusive,
condamné in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama aux dépens dont distraction au profit de Me Luc Hintermann, avocat au barreau de Thonon-les-Bains,
ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 27 février 2022, la SCEA du Léman et la compagnie Groupama ont interjeté appel de ce jugement.
L'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2023.
Par arrêt contradictoire du 15 février 2024, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, la cour d'appel de Chambéry a :
sursis à statuer sur l'ensemble des demandes,
ordonné la réouverture des débats,
invité les parties à s'expliquer sur la limitation de la réparation des préjudices telle que définie par l'article 1245-1 du code civil et son application à l'espèce,
renvoyé à cette fin l'affaire à l'audience de mise en état du 13 mars 2024,
réservé les dépens.
Par conclusions notifiées le 3 janvier 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la SCEA du Léman et Groupama demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 1245 et suivants du code civil,
réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Et statuant à nouveau, à titre principal,
limiter la réclamation de la Fromagerie de la Tournette, toutes causes confondues, à la somme de 4 159 euros hors taxes, franchise légale de 500 euros déduite,
A titre subsidiaire,
limiter la réclamation de la Fromagerie de la Tournette, toutes causes confondues, à la somme de 6 304 euros hors taxes, franchise légale de 500 euros déduite,
En tout état de cause,
débouter la Fromagerie de la Tournette de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la Fromagerie de la Tournette à payer à la SCEA du Léman et à Groupama, la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Forquin, avocat.
Par conclusions notifiées le 16 janvier 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Fromagerie de la Tournette demande en dernier lieu à la cour de :
Vu l'article 1245-3 du code civil,
statuer ce que de droit quant à la recevabilité de l'appel,
A titre principal,
débouter la SCEA du Léman et Groupama de toutes leurs demandes,
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- déclaré recevable la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama,
- condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 65 885 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019,
- condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama à payer à la Fromagerie de la Tournette une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la SCEA du Léman et Groupama aux dépens, dont distraction au profit de Me Luc Hintermann, avocat au barreau de Thonon-Les-Bains,
A titre subsidiaire et uniquement sur la limitation du préjudice,
juger que seule la valeur du lait contaminé produit par la SCEA du Léman sera exclue de l'indemnisation sollicitée,
juger que cette valeur s'élève à 2 837,19 euros,
débouter SCEA du Léman et Groupama de l'ensemble de leurs demandes,
infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation formée par la Fromagerie de la Tournette à l'encontre de la SCEA du Léman et de Groupama pour résistance abusive,
Statuant à nouveau,
condamner la SCEA du Léman et Groupama in solidum à payer à la Fromagerie de la Tournette la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
condamner les mêmes in solidum au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens distraits pour ceux d'appel au profit de la SELURL Bollonjeon, sur ses offres et affirmations de droit en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été clôturée à la date du 20 janvier 2025 et renvoyée à l'audience du 11 mars 2025, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 22 mai 2025 et prorogé à ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la responsabilité de la SCEA du Léman :
Après réouverture des débats, les appelants ne discutent plus la responsabilité sans faute de la SCEA du Léman, sur le fondement de la garantie des produits défectueux telle que prévue par les articles 1245 et suivants du code civil, dans la contamination par la salmonelle des fromages produits par la Fromagerie de la Tournette avec la collecte de lait des producteurs de la coopérative de [Localité 4] du 19 septembre 2017.
Ils n'invoquent plus, non plus, la faute de la Fromagerie de la Tournette de nature à limiter son droit à indemnisation sur le fondement de l'article 1245-12 du code civil.
Il n'y a donc pas lieu d'examiner les moyens développés sur ce point par la Fromagerie de la Tournette, la discussion se limitant désormais au préjudice indemnisable.
2. Sur l'indemnisation des préjudices :
Les appelants soutiennent que l'évaluation des préjudices à laquelle il a été procédé par procès-verbal contradictoire du 9 janvier 2018 ne vaut pas accord de leur part sur l'indemnisation due, et que, conformément aux dispositions de l'article 1245-1 du code civil, outre la franchise légale de 500 euros, la Fromagerie de la Tournette ne peut pas obtenir l'indemnisation :
- de la valeur de la totalité du lait qui lui a été livré et qu'elle a payé, pour une valeur de 47 516 euros, qui n'est pas un préjudice indemnisable à tout le moins pour le lait livré par la SCEA du Léman, dont le prix n'est pas individualisé dans ce montant,
- des frais d'analyse LIDAL qui ne sont pas justifiés, ne constituent pas un bien endommagé au sens de la loi, et auraient été exposés en tout état de cause par la fromagerie.
Sur les autres préjudices ils soutiennent que les planches d'affinage en épicéa qui ont dû être remplacées étaient totalement amorties, soit une valeur nulle, et n'admettent que les frais de destruction et de transport pour 4 659 euros HT.
La Fromagerie de la Tournette soutient que la réouverture des débats ne porte que sur la seule question de la prise en compte du prix du lait défectueux, que les parties se sont accordées sur l'évaluation du préjudice constatée par un procès-verbal signé par l'expert mandaté par Groupama ce qui l'engage. Subsidiairement, elle soutient que seule la valeur du lait livré par la SCEA du Léman doit être déduite en application de l'article 1245-1 du code civil, soit le lait contaminé lui-même pour 2 837,19 euros. Elle souligne que l'intervention du LIDAL ne s'impose qu'en cas de contamination détectée afin de la confirmer.
Sur ce, la cour,
L'arrêt avant dire droit rendu le 15 février 2024 a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes, de sorte que cet arrêt n'a pas limité la discussion au seul poste de préjudice relatif à la valeur du lait et les appelants peuvent à l'évidence développer de nouveaux moyens en réponse aux réclamations de la Fromagerie de la Tournette, quel que soit le poste de préjudice. C'est donc en vain que celle-ci cherche à cantonner la discussion à la seule valeur du lait.
La Fromagerie de la Tournette sollicite la confirmation de la condamnation des appelants au paiement d'une somme globale de 65 885 euros (après déduction de la franchise légale de 500 euros) comprenant, selon le procès-verbal contradictoire d'évaluation des dommages signé le 9 janvier 2018, les postes suivants :
- marchandises HT : 47 516 euros
dont raclettes 22 138 euros
dont tommes de Savoie 25 378 euros
- frais d'analyse LIDAL 2 145 euros
- planches d'affinage 12 065 euros
- frais de destruction 4 659 euros
La Fromagerie de la Tournette soutient que l'estimation des dommages a été acceptée par Groupama dont l'expert a signé le procès-verbal de constatation.
Toutefois, il est indiqué en préambule de ce procès-verbal (pièce n° 1 de l'intimée), que « ce document n'a pour but que d'établir contradictoirement les constatations et observations des experts présents pour donner aux assureurs intéressés les éléments objectifs nécessaires à la gestion du sinistre. Il ne peut être considéré par aucune des parties comme une reconnaissance des garanties stipulées dans les contrats d'assurances ou comme une acceptation des responsabilités éventuelles. Il n'implique donc pas la prise en charge par tel ou tel des assureurs concernés des indemnités qui lui sont réclamées ».
L'évaluation contradictoire des dommages qui résulte de ce document n'engage donc nullement les appelants, et particulièrement Groupama.
Les appelants sont donc recevables à contester le montant des indemnités réclamées par la Fromagerie de la Tournette.
Selon l'article 1245-1 du code civil, la responsabilité du fait des produits défectueux s'applique à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne, et à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
Le montant de la franchise légale a été fixé à 500 euros par l'article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005.
Il est de jurisprudence constante que ce régime de responsabilité ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte.
Le produit défectueux lui-même est le lait livré par la SCEA du Léman, et non la totalité du lait mis en production par la Fromagerie de la Tournette après mélange des laits des différents producteurs. Le lait des autres producteurs s'étant révélé sain, sa valeur perdue par la Fromagerie de la Tournette constitue un préjudice indemnisable au sens de l'article 1245-1 du code civil, en ce que le lait défectueux de la SCEA du Léman a porté atteinte au lait sain auquel il a été mélangé, qui est un bien autre que le produit défectueux lui-même, quand bien même ils sont de même nature.
Aussi, c'est en vain que les appelants sollicitent la déduction du préjudice de la totalité du lait acheté contaminé par le lait fourni par la SCEA du Léman.
Il résulte des pièces produites aux débats, notamment du procès-verbal du 9 janvier 2018 et du rapport Vering du 28 février 2019 qui y est joint (pièce n° 1 de l'intimée) que le lait collecté entre les 19 et 28 septembre 2017, contaminé à la salmonelle par le lait fourni par la SCEA du Léman représente :
- 41 244 litres de lait destinés à la production de 5 720 kg de raclette non affinée,
- 51 034 litres de lait destinés à la production de 6 269,40 kg de tomme blanche.
Selon la Fromagerie de la Tournette la valeur du lait fourni par la SCEA du Léman est de 2 837,19 euros.
Toutefois, le rapport Vering procède à un calcul du coût de revient de la production des fromages, à partir de la production totale détruite, et le prix d'achat du lait est calculé par kg de fromage produit et non au litre, soit 2,834 euros par kg de fromage produit pour la raclette et 3,19 euros par kg de fromage produit pour la tomme de Savoie (pages 13 et 13 du rapport Vering). L'intimée fait sur ce point une lecture erronée de ce rapport en ajoutant 2 834 euros (au lieu de 2,834 euros) et 3,19 euros pour aboutir à 2 837,19 euros, somme qui ne correspond aucunement au prix du lait fourni par la SCEA du Léman.
Selon le rapport Vering et le procès-verbal contradictoire, le volume de lait contaminé fourni par la SCEA du Léman lors de la collecte du 19 septembre 2017 est de 3 250 litres. Le prix du lait non transformé, tel qu'il ressort du rapport Vering est le suivant :
- raclette : pour 41 244 litres de lait produisant 5 720 kg de raclette, le prix du lait est de 2,834 euros le kg, soit :
(5 720 kg x 2,834 euros) / 41 244 litres = 0,393 euros le litre,
- tomme de Savoie : pour 51 034 litres de lait produisant 6 269,40 euros de tomme, le prix du lait est de 3,19 euros le kg, soit :
(6 269,40 kg x 3,19 euros) / 51 034 litres = 0,392 euros le litre.
Ce résultat est cohérent au regard de la facture du lait du mois de septembre 2017 fourni par ce producteur (pièce n° 36 de l'intimée), selon laquelle le prix du lait net payé est en moyenne de 0,39214 euro par litre, ce qui représente une somme de 1 274,46 euros.
Le coût de revient de production des fromages, ou coût de transformation, figure également dans ce rapport de manière détaillée non critiquée par les appelants, de sorte que la somme de 47 516 euros inclut celui-ci. Sur ce point, le coût de transformation du lait, exposé en pure perte par la Fromagerie de la Tournette qui a été contrainte de détruire la totalité des fromages produits contaminés, est indemnisable en ce qu'il résulte de l'atteinte portée par le lait défectueux aux produits finis que sont les fromages à raclette et les tommes de Savoie.
Après déduction de la valeur du lait fourni par la SCEA du Léman pour 1 274,46 euros, la Fromagerie de la Tournette est donc bien fondée à obtenir l'indemnisation du lait collecté auprès des autres producteurs et le coût de transformation pour la somme de 46 241,54 euros HT.
Les frais d'analyses exposés par la Fromagerie de la Tournette sont également indemnisables puisqu'ils résultent de la contamination du lait. En effet, il s'agit ici des analyses rendues nécessaires par la contamination détectée, et non des analyses courantes qui ont permis de la mettre en évidence. Les analyses par le LIDAL ne sont prévues qu'afin de confirmer une contamination révélée par les analyses courantes auxquelles la Fromagerie de la Tournette est tenue.
Cette dernière est donc fondée à obtenir l'indemnisation des frais d'analyses retenus pour 2 145,00 euros.
Les experts ont retenu que les planches d'affinage, contaminées également par la salmonelle, devaient être détruites. Il s'agit là encore d'un dommage causé à un bien autre que le produit défectueux lui-même qui doit être indemnisé. Les appelants soutiennent que ces planches, entièrement amorties, n'auraient aucune valeur. Toutefois, il n'est pas discutable que la destruction des planches a été rendue nécessaire par la contamination imputable à la SCEA du Léman, de sorte que leur remplacement doit être indemnisé, qu'elles soient ou non amorties sur un plan comptable.
La Fromagerie de la Tournette est donc fondée à obtenir l'indemnisation du coût de leur remplacement pour 12 065,00 euros HT représentant 294 planches pour la raclette et 818 planches pour la tomme de Savoie au prix de 10,85 euros l'unité.
Les frais de destruction des fromages contaminés et les frais de transport associés ne sont pas discutés par les appelants, ils seront donc retenus pour un total de 4 659,00 euros.
Il convient de déduire des indemnités la franchise légale de 500 euros.
L'indemnisation allouée à la Fromagerie de la Tournette s'établit donc à la somme totale de : 46 241,54 euros + 2 145,00 euros + 12 065,00 euros + 4 659,00 euros - 500,00 euros = 64 610,54 euros. Il n'est pas discuté qu'il s'agit d'une somme hors taxes.
Le jugement déféré sera réformé et les appelants condamnés in solidum au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 6 décembre 2019.
3. Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive :
La Fromagerie de la Tournette forme un appel incident à l'encontre du jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et fait valoir que Groupama ne conteste pas sa garantie ni la responsabilité de son assuré, mais qui entend remettre en cause ses engagements. L'intimée souligne que la cause exonératoire de responsabilité invoquée par Groupama est manifestement vouée à l'échec et qu'ainsi elle fait indûment obstacle à l'indemnisation de la fromagerie.
Les appelants soutiennent qu'il ne peut leur être reproché aucune résistance abusive compte de la discussion sérieuse qui a opposé les parties.
Sur ce, la cour,
Il appartient à celui qui entend obtenir une indemnisation pour résistance abusive de démontrer que le retard dans le paiement résulte d'une faute commise par son débiteur et qu'il en a subi un préjudice qui ne serait pas réparé par les intérêts moratoires.
En l'espèce, s'il est exact que la responsabilité de la SCEA du Léman n'est en définitive plus contestée, les appelants n'ont fait qu'exercer leur droit de se défendre et de faire appel, sans abus démontré. En outre, la Fromagerie de la Tournette ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un préjudice qu'elle aurait précisément subi du fait du retard dans son indemnisation, étant rappelé que le jugement déféré, assorti de l'exécution provisoire, a été exécuté.
La demande de dommages et intérêts sera donc rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
4. Sur les demandes accessoires :
La SCEA du Léman et Groupama, qui succombent à titre principal, supporteront les entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon, avocat associé.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Fromagerie de la Tournette la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 31 janvier 2022, sauf en ce qu'il a condamné in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne, à payer à la société Fromagerie de la Tournette la somme de 65 885 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019,
Réformant de ce chef et statuant à nouveau,
Condamne in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne à payer à la société Fromagerie de la Tournette la somme de 64 610,54 euros hors taxes, outre intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2019, en réparation de ses préjudices,
Déboute la société Fromagerie de la Tournette du surplus de sa demande indemnitaire,
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne aux entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon, avocat associé,
Condamne in solidum la SCEA du Léman et la compagnie Groupama Rhône Alpes Auvergne à payer à la société Fromagerie de la Tournette la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en appel.
Ainsi prononcé publiquement le 28 mai 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente
Copies :
28/05/2025
Me Christian FORQUIN
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la SELARL BOLLONJEON
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