CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 28 mai 2025, n° 23/02491
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defix
Conseillers :
Mme Robert, Mme Leclercq
Avocats :
Me Samuel, Me Nguyen
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte reçu le 20 avril 2017 par Maître [N] [U], M. [Y] [B] a vendu à Mme [W] [F] une maison à usage d'habitation, avec terrain attenant, sise [Adresse 2] à [Localité 4] (31) au prix de 130 500 euros.
L'acte de vente précise que le bien a fait l'objet des travaux, réalisés par le vendeur lui-même, depuis moins de dix ans au jour de la vente, sans souscription d'une assurance dommages-ouvrage ou décennale et décrits comme suit :
- surélévation des combles du premier étage,
- maçonnerie, toiture et charpente,
- changement des menuiseries dormants et ouvrants,
- totalité de la plomberie et assainissement.
Se plaignant de l'apparition de fissurations et de désordres phoniques, Mme [W] [F] a mandaté M. [P] aux fins de réaliser une expertise dont les opérations non contradictoires se sont tenues le 23 septembre 2019 et dont le rapport a été établi le 7 octobre 2019.
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Par ordonnance du 10 septembre 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse, saisi par Mme [W] [F], a ordonné une mesure d'expertise judiciaire et désigné M. [O] [J], lequel a déposé son rapport le 1er mars 2021.
Par acte du 12 mai 2021, Mme [W] [F] a fait assigner M. [Y] [B] devant le tribunal judiciaire de Toulouse aux fins d'obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement de la garantie décennale.
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Par jugement du 19 juin 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse, a :
- débouté Mme [W] [F] de sa demande tendant à la condamnation de M. [Y] [B] au titre des désordres phoniques sur le fondement de la garantie décennale,
- condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 77 000 euros toutes taxes comprises au titre des travaux de reprise de fissurations, outre actualisation en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le 1er mars 2021 et le présent jugement,
- débouté Mme [W] [F] de sa demande au titre du préjudice de jouissance,
- condamné M. [Y] [B] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et ceux du sapiteur,
- condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 3 752,04 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Par acte du 7 juillet 2023, M. [Y] [B] a interjeté appel de cette décision rendue par le tribunal judiciaire de Toulouse, en ce qu'il a :
- condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 77 000 euros toutes taxes comprises au titre des travaux de reprise de fissurations, outre actualisation en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le 1er mars 2021 et le jugement,
- condamné M. [Y] [B] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et ceux du sapiteur,
- condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 3 752,04 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 avril 2024, M. [Y] [B], appelant, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, ainsi que des articles 245 à 283 du code de procédure civile, de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné M. [Y] [B] à payer à Mme [W] [F] la somme de 77 000 euros au titre des travaux de reprises des fissurations outre 3 752,04 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- fixer le coût de la remise en état des désordres de fissuration à la charge de M. [Y] [B] sur le fondement de sa responsabilité décennale à la somme de 25 055,49 euros toutes taxes comprises,
En tant que de besoin, et à titre subsidiaire,
- ordonner une consultation et désigner tout technicien à charge de :
se rendre sur les lieux des ouvrages,
examiner les devis présentés par M. [Y] [B],
se prononcer sur leur conformité aux préconisations de l'expert [O] [J], le cas échéant en prenant attache avec les entreprises Ghaffour et Aragon,
- confirmer le jugement pour le surplus et débouter Mme [W] [F] de toute demande plus ample ou contraire,
- statuer ce que droit, au regard de l'équité, s'agissant des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions portant appel incident, transmises par voie électronique le 4 janvier 2024, Mme [W] [F], intimée, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et particulièrement mal fondées,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 77 000 euros toutes taxes comprises, au titre des travaux de reprise de fissurations, outre actualisation en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le 1er mars 2021 et le présent jugement,
condamné M. [Y] [B] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et ceux du Sapiteur,
condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 3 752,04 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
rejeté la demande de consultation formée par M. [Y] [B],
- réformer le jugement dont appel pour le surplus,
'Ce faisant',
- condamner M.[Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 6 000 euros toutes taxes comprises, au titre des désordres phoniques sur le fondement de la garantie décennale,
- condamner M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 5 000 euros, au titre du préjudice de jouissance,
En tout état de cause,
- condamner M. [Y] [B] au paiement d'une somme complémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 mars 2025 et l'affaire a été examinée à l'audience du 18 mars 2025 à 14h.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
1. Sur les désordres de fissurations, le premier juge a retenu la responsabilité décennale de M. [Y] [B] au titre des désordres en façade de l'immeuble. Sur le montant des travaux, il a relevé que si le défendeur contestait le chiffrage proposé par l'expert judiciaire en se prévalant de devis concurrents, ces devis n'avaient pas été adressés à l'expert qui n'avait donc pas pu en apprécier la cohérence technique et financière. M. [Y] [B] fait valoir que son premier conseil ne lui a pas transmis la copie du pré-rapport d'expertise et qu'ainsi, il n'a pas été informé de la demande de l'expert de produire des devis de sorte qu'aucun défaut de diligence ne peut lui être imputé. Il soutient ainsi que le coût des travaux de reprise a été surévalué et produit à l'instance des devis estimant le montant des travaux réparatoires à un coût moindre que celui retenu par le premier juge. Mme [F] fait valoir que la preuve de ce que le premier conseil de l'appelant n'aurait pas transmis à son client le pré-rapport n'est pas apportée et que l'expert judiciaire est en tout état cause un sachant compétent pour apprécier le montant des travaux.
1.1 La cour entend rappeler que M. [B] « ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité décennale au titre des désordres de fissurations » mais conteste le montant des travaux réparatoires. En l'espèce, sur les fissures l'expert judiciaire indique p. 18 « On peut dire que la fissuration est généralisée sur les façades », le rapport comprend 26 photographies de l'ensemble des façades permettant de constater une dégradation importante de l'ouvrage laquelle a été causée par « un mouvement différentiel des sols d'assise de la maison, report aux périphériques d'efforts transmis par la charpente, échanges hydriques entre les murs en brique de terre crue et l'extérieur, empêchés par l'enduit et les doublages ». Il indique ainsi p. 26 : « la charpente doit être reprise pour être mise en conformité dans sa totalité : structure, éléments constitutifs, assemblages et liaisons au reste de la construction » et ajoute « L'enduit et le sous-enduit doivent être déposés. Un enduit approprié sera ensuite appliqué dans le respect des règles en vigueur ». Sur le montant de ces travaux il précise p. 26 « Aucun devis de réparation n'a été à ce jour produit par les parties. À défaut l'expert a procédé à des estimations [...]. Au coût des travaux eux mêmes ont été ajoutés les honoraires d'une Maîtrise d'oeuvre complète (conception, consultation, visa, suivi et contrôle, réception) qui inclut la réalisation des plans et Note de calcul de la mise en conformité de la charpente » et chiffre le coût estimatif des travaux de reprise des fissurations à la somme de 70 000 euros, répartie comme suit, :
- mise en conformité de la façade : 40 000 '
- réfection enduit : 30 000 '
Il y ajoute 10% correspondant au coût de la maîtrise d'oeuvre.
1.2 Pour justifier de ce que les travaux auraient été surévalués par l'expert judiciaire, M. [Y] [B] produit un devis daté du 12/03/2021 de la Sas Aragon « réfection des malfaçons sur une maison d'habitation » aux fins notamment de « dépose totale d'une partie de la couverture et repose dans les règles de l'art ; réalisation d'une cloison phonique entre les logements ; piquage de l'enduit existant et réfection à neuf dans les règles de l'art » pour un montant de 26 636,85 ' TTC. Il produit également un devis de la société 'Ent Ghaffour Hmad', daté du 17/03/2021 et portant sur « la réfection enduit fissure sur ancienne bâtisse ; réfection à neuf d'une toiture ; isolation phonique sur un mur mitoyen » pour un montant de 29 412,14 ' TTC. Toutefois comme relevé par le premier juge, ces devis n'ont pas fait l'objet d'une évaluation par l'expert judiciaire notamment au regard de leur pertinence quant aux matériaux et méthodes utilisés pour remédier aux désordres ci-avant décrits. La cour note que ces devis sont moins disant à hauteur de presque 60% du chiffrage proposé par l'expert. Dès lors, l'expert a, après des constations suffisamment étayées des désordres, proposé des solutions de reprises cohérentes par rapport à ces derniers et dont le chiffrage n'apparaît pas manifestement disproportionné.
1.3 Sur la demande d'instruction complémentaire, la cour entend rappeler qu'au titre de l'article 146 du code de procédure civile une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve. La demande de M. [B] tendant à faire désigner un second expert judiciaire, même par voie de consultation, ne saurait prospérer dès lors que l'absence de devis au rapport d'expertise résulte directement de la carence de la partie qui avait intérêt à discuter l'évaluation faite par l'expert, fût-elle prétendument du fait de son conseil qui avait mandat pour la représenter.
1.4. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [Y] [B] à payer à M. [F] la somme de 77 000 ' Ttc [(40 000 + 30 000) x 10%] au titre des travaux de reprises des fissurations en façades.
2. Sur les désordres d'isolation phonique, le premier juge a estimé que si, au titre de l'article 1792 du code civil, la responsabilité décennale peut être engagée du fait de désordres relatifs à l'isolation phonique, il n'est pas apporté la preuve de ce que les désordres relevés en l'espèce rendent l'ouvrage impropre à sa destination quand bien même l'isolation phonique ne serait pas conforme à la réglementation. Mme [F] soutient que l'isolation phonique ne répond pas aux normes requises en la matière et dépasse largement les décibels autorisés ce qui rendrait l'ouvrage impropre à sa destination. M. [B] soutient pour sa part que le respect des normes minimales légales et réglementaires d'isolation phonique ne suffit pas à caractériser l'impropriété à destination, que seule la salle de bain souffre d'un dépassement du seuil de 3 dB qui n'est pas d'une gravité suffisante pour engager sa responsabilité décennale.
2.1 L'article 1792 du code civil dispose que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Il est de principe que l'absence de désordre relevant de la garantie décennale ne peut être déduite de la seule circonstance que le dépassement des normes d'isolation phonique applicables aurait été limité, le juge étant tenu de rechercher si les défauts d'isolation phonique, même en conformité avec les dispositions réglementaires en vigueur, ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination (Civ. 3e, 20 mai 2015, no 14-15.107 - Civ. 3e, 21 septembre 2011, no 10-22.721).
2.2 En l'espèce le rapport d'expertise indique p. 29 que « Les nuisances acoustiques ont été constatées par des investigations effectuées à la demande de l'expert par le laboratoire [D]. L'isolement phonique entre les pièces situées au 1er étage des deux logements n'est pas conforme à la réglementation en vigueur (43 dB au lieu de 50dB). Au rez-de-chaussée, l'isolement est inférieur à la valeur minimale, mais il est dans la limite de tolérance ». Le rapport indique p. 25 que les « résultats des mesures normalisées de pression acoustique effectuées par M. [D] et présentées dans son rapport du 15/01/2021 montrent une non conformité et une conformité avec tolérance comme indiqué dans le tableau ci-après ». Le tableau fait apparaître que les cloisons de la salle d'eau, lorsqu'un son est émis en provenance de la chambre, ne permettent l'isolation phonique qu'à hauteur de 43 dB alors que l'isolement réglementaire est de 50 dB. L'expert relève également que le séjour est « conforme avec tolérance » et n'a constaté aucun autre défaut d'isolation.
2.3 Il ressort de ces éléments que l'ouvrage n'est affecté d'un défaut ne faisant l'objet d'aucune tolérance qu'au niveau de la salle d'eau, au sujet de laquelle il n'est allégué autrement que par le constat d'une insuffisance de 7 dB, aucune conséquence de nature à concrètement diminuer l'usage de cette pièce et à la rendre impropre à sa destination. Il en est également de même pour le séjour dont l'isolation entrant dans les tolérances admises n'est pas décrite, tant par le rapport d'expertise que par les écritures des acquéreurs, comme de nature à la rendre impropre à sa destination de pièce à vivre.
3. Sur le préjudice de jouissance, le premier juge a retenu que Mme [F] n'établissait pas de préjudice de jouissance dès lors que les lieux ont été habités sans discontinuité. Mme [F] fait valoir que les travaux de reprise vont lui causer un préjudice de jouissance. M. [B] soutient que l'expert n'a pas chiffré de préjudice de jouissance au titre des travaux de reprise à effectuer et que Mme [F] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice.
3.1 En l'espèce, eu égard à l'importance des travaux de reprise, lesquels vont notamment consister en la réfection de la charpente ainsi qu'en la réfection de l'enduit des façades, il est suffisamment établi que Mme [F] subira un préjudice de jouissance lors de leur réalisation. Il convient de fixer ce préjudice de jouissance à 500 euros. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice de jouissance de Mme [F] et M. [B] sera condamné à lui verser la somme de 500 euros.
4. Sur les demandes accessoires, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [Y] [B] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et ceux du sapiteur. Partie perdante de la présente instance, il sera également condamné aux dépens d'appel. Le jugement sera également confirmé en ce qu'il condamné M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 3 752,04 euros au titre des frais irrépétibles de première instance. Il sera condamné à une somme au titre des frais irrépétibles exposés en appel par Mme [F] telle que fixée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse du 19 juin 2023 sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de Mme [W] [F] au titre de son préjudice de jouissance,
Statuant à nouveau sur le chef et y ajoutant,
Condamne M. [Y] [B] à verser à Mme [W] [F] la somme de 500 euros au titre de son préjudice de jouissance.
Condamne M. [Y] [B] aux dépens d'appel.
Condamne M. [Y] [B] à Mme [W] [F] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.