CA Rennes, 5e ch., 28 mai 2025, n° 22/05309
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Axa France IARD (Sté)
Défendeur :
Spie Batignolles Grand Ouest (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Parent
Conseillers :
Mme Hauet, Mme Daups
La société SPIE Batignolles centre ouest a souscrit auprès de la société UAP devenue Axa France Iard un contrat d'assurance couvrant l'obligation d'assurance décennale.
La société SPIE Batignolles centre ouest, devenue la société SPIE Batignolles grand ouest, s'est vue confier la réalisation des travaux de construction d'une résidence [Adresse 5] pour le compte de l'OPAC de [Localité 6] composée de trois immeubles et un parking.
Les travaux ont été réceptionnés le 26 septembre 1997 pour le parking et le 30 janvier 1998 pour les logements.
Une police d'assurance dommages ouvrage a été souscrite auprès de la société SMABTP.
A compter d'avril 2003, plusieurs déclarations de sinistres ont été effectuées auprès de la société SMABTP par l'OPAC de [Localité 6] qui se plaignait de malfaçons.
La société SMABTP a indemnisé l'OPAC de [Localité 6] et a sollicité le remboursement des frais engagés par la société Axa France Iard.
Par chèque en date du 8 mars 2018, la société Axa France Iard a remboursé la somme de 232 099,50 euros à la société SMABTP.
Par courrier en date du 14 mars 2018, la société Axa France Iard a sollicité le remboursement de la franchise d'assurance auprès de la société SPIE Batignolles grand ouest, à hauteur 153 765,92 euros.
La société SPIE Batignolles grand ouest a refusé cette demande.
Par acte en date du 5 mars 2020, la société Axa France Iard a assigné en justice la société SPIE Batignolles grand ouest devant le tribunal judiciaire de Nantes pour solliciter le remboursement de la franchise à hauteur de la somme de 153 765,92 euros.
Par jugement en date du 12 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nantes a :
- débouté la société Axa France Iard de ses demandes,
- condamné la société Axa France Iard aux dépens de l'instance avec recouvrement direct au profit des avocats qui en ont fait la demande dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné la société Axa France Iard à payer à la société SPIE Batignolles grand ouest la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Le 25 juillet 2022, la société Axa France Iard a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 20 février 2025, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société SPIE Batignolles grand ouest au remboursement de sa franchise,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au titre des frais irrépétibles et aux dépens de l'instance,
- constater être saisie par l'effet dévolutif de l'appel,
Statuant à nouveau,
- la juger recevable en son appel,
- juger que la société SPIE Batignolles grand ouest, qui vient aux droits de la société SPIE centre ouest, a la qualité d'assuré auprès d'elle,
- juger que les opérations dommages ouvrage sont opposables à la société SPIE Batignolles grand ouest,
- juger que la société SPIE Batignolles grand ouest a expressément sollicité l'application, par elle, de sa garantie responsabilité civile décennale,
- juger que la société SPIE Batignolles grand ouest a reconnu sa responsabilité décennale,
- juger que la société SPIE Batignolles grand ouest a reconnu l'engagement de sa responsabilité décennale et demande l'application du contrat d'assurance décennale,
- juger que les désordres instruits et indemnisés dans le cadre de l'expertise dommages ouvrage engagent la responsabilité décennale de SPIE Batignolles grand ouest,
- juger que, tenue de faire droit au recours de l'assureur de préfinancement dommages ouvrage la société SMABTP, elle est recevable et fondée en sa demande de récupération de la franchise auprès de son assuré,
En conséquence,
- condamner la société SPIE Batignolles grand ouest à lui régler la somme de 153 765,92 euros en remboursement de sa franchise,
- condamner la société SPIE Batignolles grand ouest à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Céline Gras de la société Cardoret Toussaint, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 19 juin 2024, la société SPIE Batignolles grand ouest demande à la cour de :
A titre principal :
- déclarer la cour d'appel non saisie de l'appel interjeté par la société Axa France Iard, à défaut d'effet dévolutif de sa déclaration en date du 25 août 2022,
Subsidiairement sur le fond :
- confirmer le jugement rendu le 12 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de
Nantes en toutes ses dispositions,
Et y additant,
- condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens et allouer à la société Cornet Vincent Ségurel (maître Benoit Bommelaer, avocat), l'entier
bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Très subsidiairement sur le fond :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* condamné la société Axa France Iard à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société Axa France Iard aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau :
- limiter le quantum de la condamnation qui viendrait à être prononcée à son encontre au titre du remboursement de la franchise à une somme qui ne saurait excéder 91 469,41 euros,
- condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens et allouer à la société Cornet Vincent Ségurel (maître Benoit Bommelaer, avocat), l'entier
bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mars 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est rappelé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de 'constater', 'donner acte', 'dire et juger' qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
- Sur l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel
La société SPIE Batignolles grand ouest soutient que l'acte d'appel de la société Axa France Iard ne respecte pas les dispositions de l'article 562 du code de procédure civile qui imposent de déférer à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. Elle fait valoir que la déclaration d'appel, telle qu'elle est formulée par l'appelante, ne permet pas de savoir quelles seront les demandes formulées devant la cour.
En réponse, la société Axa France Iard reproche à la société SPIE Batignolles grand ouest d'ajouter aux articles 562 et 901 du code de procédure civile en soutenant que l'appelant se doit de préciser, dans sa déclaration d'appel, ses chefs de demande. Elle soutient que la société SPIE Batignolles grand ouest se méprend sur la notion de 'chefs de jugement' et indique qu'il s'agit uniquement et exclusivement des questions qui ont été tranchées par le premier juge dans son dispositif.
Elle rappelle que sa déclaration d'appel reprend expressément le dispositif
du jugement déféré à la cour de sorte que la cour est saisie par l'effet dévolutif de l'appel tendant à la réformation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes.
Aux termes des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
L'article 901 du code de procédure civile dispose, dans sa version applicable au litige, que la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;
2° L'indication de la décision attaquée ;
3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle.
En l'espèce, la déclaration d'appel de la société Axa France Iard est ainsi rédigée : 'appel portant sur l'annulation du jugement de première instance, en tout cas sa réformation en une matière susceptible d'être jugée indivisible, et en tout état de cause, sur tous les chefs de la décision de première instance portant grief au susnommé ainsi que ceux qui en dépendent, et particulièrement en ce qu'elle a : débouté la société Axa France Iard de ses demandes ; condamné Axa France Iard aux dépens de l'instance ; condamné Axa France Iard à payer à la société SPIE Batignolles grand ouest la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Plus généralement toute disposition non visée au dispositif et faisant grief à l'appelant selon les moyens développés dans ses conclusions et au vu des pièces de première instance et de celles qui seront communiquées devant la cour.'
Il est constant que la notion de chefs de jugement critiqués correspond aux points tranchés dans le dispositif du jugement.
Il apparaît que la déclaration d'appel reprend expressément le dispositif du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes et notamment en ce qu'il a débouté la société Axa France Iard de ses demandes de sorte qu'il ne peut être utilement soutenu que la déclaration d'appel ne permet pas de connaître les demandes formulées par l'appelante devant la cour.
La cour étant saisie de l'effet dévolutif de l'appel tendant à la réformation du jugement en ce qu'il a débouté la société Axa France Iard de ses demandes, la société SPIE Batignolles grand ouest sera déboutée de sa demande de voir déclarer la cour non saisie de l'appel interjeté par la société Axa France Iard.
- Sur la demande en remboursement de la franchise
* Sur le principe
La société Axa France Iard a entendu rappeler le mécanisme de l'assurance dommages ouvrage avant de décrire le processus de l'expertise dommages ouvrage et le principe d'opposabilité du rapport. Elle insiste sur le fait que l'organisation de l'expertise et les conditions de son opposabilité aux constructeurs et assureurs diffèrent de l'expertise d'assurance classique et découlent des dispositions d'ordre public régissant les responsabilités et garanties d'assurance décennale et dommages ouvrage.
Elle expose que contrairement à ce qu'a retenu le jugement entrepris, elle ne tente pas d'opposer à son assuré la convention de règlement de l'assurance construction (CRAC) conclue entre les assureurs pour organiser la gestion des sinistres et précise que cette convention est indifférente en l'espèce. Elle fait valoir que ce n'est pas à raison de l'existence d'une convention entre assureurs que se pose la question de l'opposabilité de l'expertise dommages ouvrage mais du respect des modalités de la cette expertise au contradictoire des constructeurs.
Elle indique que contrairement à ce qu'a retenu le jugement, la société SPIE Batignolles grand ouest, qui vient aux droits de la société SPIE grand ouest, a la qualité d'assuré d'Axa France Iard et que la garantie décennale couverte par la police a vocation à s'appliquer. Elle expose que son action est recevable, en ce qu'il ne s'agit pas d'une action subrogatoire mais la mise en jeu du contrat d'assurance souscrit par la société SPIE Batignolles grand ouest. Elle précise que cette dernière ne conteste pas ou plus ces points.
S'agissant de l'opposabilité de l'expertise dommages ouvrage, elle rappelle que lorsque cette expertise se déroule conformément au principe du contradictoire, en y associant les constructeurs, elle leur est opposable. A cet égard, elle soutient que la société SPIE Batignolles a été systématiquement convoquée aux réunions organisées par l'expert dommages ouvrage, qu'elle a participé aux opérations d'expertise à la seule exception de la première réunion ayant eu lieu le 9 février 2010, qu'elle a été destinataire des rapports de l'expert et des notes techniques pour avis. Elle relève que la société SPIE Batignolles grand ouest n'a émis aucun avis ou objection aux investigations, analyses et conclusions de l'expert dommages. Elle en déduit que l'expertise dommages ouvrage lui est, dès lors, opposable sans qu'il soit nécessaire de se référer à la CRAC.
En réponse à la société SPIE Batignolles grand ouest qui soutient que le remboursement de franchise suppose soit qu'elle a reconnu sa responsabilité soit que celle-ci a été établie judiciairement, ce qui ne serait plus possible en raison de la forclusion décennale, elle considère que cet argument se heurte à son propre comportement puisque l'assuré avait reconnu le caractère évolutif des désordres et demandé à son assureur l'application de la garantie décennale.
Enfin, elle critique le jugement qui a retenu, par un raisonnement qu'elle estime inapproprié, qu'il n'était pas démontré que les conditions de la garantie étaient réunies alors que ce n'est pas cette garantie qui a été mobilisée. Elle rappelle que c'est l'expertise dommages ouvrage, réalisée au contradictoire de tous les constructeurs et assureurs concernés, qui permet de déterminer si les conditions d'engagement de la responsabilité des constructeurs sont réunies.
Elle considère que l'opposition de la société SPIE Batignolles au remboursement de la franchise, exigeant soit que celle-ci ait reconnu sa responsabilité soit qu'elle ait été reconnue judiciairement est contraire à l'esprit de la loi d'ordre public mais également contraire à la bonne foi contractuelle prévue par l'article 1104 du code civil. Elle rappelle qu'elle est intervenue à la demande expresse de la société SPIE Batignolles. Elle précise que suite à une première série de fissuration du radier, la société SPIE Batignolles a elle-même pris en charge et réparé ce désordre dans le délai d'épreuve, reconnaissant ainsi sa responsabilité. Puis lorsque le désordre a évolué, il a été à nouveau déclaré à l'assureur dommages ouvrage et une nouvelle mesure d'expertise dommages ouvrage a été engagée. Elle expose que suite au refus de garantie de sa part en raison de l'expiration du délai d'épreuve, la société SPIE Batignolles a expressément reconnu le caractère évolutif des nouveaux dommages et a expressément demandé à son assureur l'application de son contrat de responsabilité civile décennale par courrier du 21 juin 2011.
De plus, elle s'oppose à la société SPIE Batignolles grand ouest qui soutient que la société Axa France Iard aurait indemnisé l'assureur de dommages ouvrage en dehors du délai d'épreuve de sorte que sa garantie aurait expiré alors que les désordres indemnisés le 8 mars 2018 faisaient suite à la déclaration du 30 janvier 2009, qu'ils s'inscrivaient à la suite du désordre énoncé en 2003 soit avant l'expiration du délai décennal et que la gravité décennale de ce désordre initial, s'agissant de fissurations infiltrantes affectant le radier béton et donc la fonction de clos de l'ouvrage le rendant impropre à sa destination, est établie. Elle ajoute qu'il est suffisant que ce premier désordre ait été dénoncé dans le délai de garantie. Elle en déduit que les désordres, objets de l'indemnisation de 2018, sont évolutifs et que la société SPIE Batignolles est responsable de l'ensemble de l'ouvrage, étant intervenue comme entreprise générale.
Enfin, elle indique que l'imputabilité des désordres est caractérisée par l'expertise qui a montré que les causes des fissures résidaient dans un phénomène de retrait non maîtrisé du béton et dans le positionnement des armatures, qui résultaient de fautes d'exécution de l'entreprise, la responsabilité de la société SPIE Batignolles grand ouest ayant été retenue à hauteur de 85%. Elle argue que la responsabilité décennale de la société SPIE Batignolles grand ouest, à raison des fissures infiltrantes affectant le radier, étant caractérisée, elle n'avait pas le choix de faire droit au recours de la SMABTP dans le cadre de la mise en oeuvre du mécanisme d'indemnisation à double détente dommages ouvrage.
Elle soutient que la société SPIE Batignolles grand ouest fait opposition au recouvrement de la franchise parce qu'elle n'est désormais plus assurée par la société Axa France Iard.
Elle demande de réformer le jugement qui a retenu que les conditions de la garantie légale n'étaient pas démontrées et de condamner la société SPIE Batignolles grand ouest à lui verser la somme de 153 765,92 euros qui correspond au montant de base de la franchise x (indice jour réparation / indice DROC) au titre de la franchise revalorisée au titre de l'article V des conditions particulières.
La société SPIE Batignolles grand ouest rétorque que la convention CRAC dont se prévaut la société Axa France Iard pour solliciter le remboursement de la franchise, lui est inopposable. Elle argue que le fait qu'elle ait été convoquée et ait participé aux réunions d'expertise amiable, qu'elle ait reçu communication des rapports d'expertise et ait été invitée à formuler ses observations procède certes du caractère contradictoire de l'expertise mais n'est pas de nature à rendre la convention CRAC opposable à son égard s'agissant de l'assurée de la société Axa France Iard. Elle considère que l'accord conclu entre les assureurs dans le cadre de la convention CRAC en exécution duquel la société Axa France Iard a accepté de contribuer à l'indemnisation des désordres à hauteur de 85% et ce faisant de régler à la SMABTP la somme de 232 009,50 euros en ce compris la franchise dont elle poursuit le recouvrement, lui est strictement inopposable. Elle demande de confirmer le jugement qui a retenu que les accords CRAC sont inopposables aux assurés de sorte que la demande de restitution de la franchise par la société Axa France Iard n'est pas fondée.
Elle fait également valoir que le recouvrement de la franchise suppose que la responsabilité décennale de l'assurée soit établie ou reconnue par lui, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Elle soutient que le rapport d'expertise dommages ouvrage est insuffisant pour rapporter la preuve de la responsabilité décennale d'un constructeur. Elle expose que l'expertise dommages ouvrage ne constitue pas une expertise judiciaire mais une expertise amiable et qu'il est de jurisprudence constante que les juges ne peuvent se fonder exclusivement sur une expertise amiable pour statuer sur la responsabilité d'un constructeur quand bien même cette expertise aurait été menée contradictoirement.
Elle ajoute que la preuve du caractère décennal et évolutif des infiltrations indemnisées par la société Axa France Iard n'est pas rapportée. A cet égard, elle indique que la réception des travaux étant intervenue en septembre 1997, le dommage déclaré le 30 janvier 2009 est apparu après l'expiration de la garantie décennale dont sont tenus de répondre les constructeurs.
Elle reconnaît que si la théorie des dommages dits évolutifs autorise la mise en jeu de la responsabilité décennale des constructeurs au-delà du délai de 10 ans à compter de la réception, c'est seulement si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :
- le désordre initial doit avoir donné lieu à une action en responsabilité décennale contre le constructeur ou à une action directe contre son assureur de responsabilité avant l'expiration du délai décennal, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
- le désordre initial doit présenter le degré de gravité requis à l'article 1792 du code civil. Or elle argue qu'il n'est pas démontré que les infiltrations dans le parking en sous-sol ont porté atteinte à sa destination.
- les désordres apparus au-delà du délai de 10 ans doivent constituer une aggravation des désordres initiaux, et à défaut, il doit y avoir identité de cause des nouveaux dommages et des dommages initiaux. Elle allègue que cette preuve n'est pas rapportée, pas plus que celle d'une impropriété des places de parking à leur destination au-delà du délai décennal.
Elle en déduit que la société Axa France Iard ne peut se prévaloir de la théorie des dommages évolutifs et que sa demande de remboursement de franchise n'est pas fondée.
La société SPIE Batignolles grand ouest expose que la société Axa France Iard ne peut exciper d'une reconnaissance de responsabilité de sa part.
Elle indique que l'assureur ne peut se prévaloir du caractère contradictoire de l'expertise dommages ouvrage pour prétendre qu'un accord entre assureurs, auquel son assuré n'a pas été partie, emporte reconnaissance de responsabilité de la part de l'assuré.
Elle conteste le fait d'avoir reconnu sa responsabilité dans le courrier du 21 juin 2011 que lui oppose la société Axa France Iard. Elle explique que ce courrier n'avait vocation qu'à interrompre le délai de prescription biennal d'un éventuel recours en garantie contre son assureur, si sa responsabilité devait être établie.
Elle demande de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
A titre subsidiaire si la cour devait accueillir la demande de remboursement de la franchise sollicitée par la société Axa France Iard, elle s'oppose à l'actualisation de la franchise entre la date de la DROC (1996) et celle de l'indemnisation (2018).
Elle rappelle que le montant de la franchise était contractuellement fixé à la somme de 91 469,41 euros et s'oppose à toute indexation sur l'indice BT01 sur une durée de 22 ans. Elle relève qu'entre la première déclaration de sinistre intervenue en 2003 et la dernière intervenue en 2009, et alors même que les désordres dénoncés étaient strictement les mêmes à savoir les fissures infiltrantes à travers le radier, les assureurs se sont contentés d'indemniser des reprises ponctuelles et peu coûteuses de ces fissures, avant de consentir, en 2018, à indemniser le maître d'ouvrage du coût de reprise du cuvelage nécessaire pour les éradiquer.
S'agissant des obligations de l'assureur dommages ouvrage, elle rappelle les dispositions de l'article L.242-1 du code des assurances selon lesquelles l'assureur dispose, à compter de la réception de la déclaration de sinistre d'un délai de 60 jours pour notifier à l'assuré sa décision quant à la mise en jeu de sa garantie et lorsqu'il accepte la mise en jeu de sa garantie, d'un délai de 90 jours pour présenter son offre d'indemnité, délai pouvant être prorogé jusqu'à 135 jours. Enfin, la réparation préfinancée par l'assureur pendant le délai de 10 ans suivant la réception des travaux ne doit pas être seulement efficace mais pérenne pour éviter l'apparition, au-delà du délai de 10 ans, de nouveaux désordres de même nature qui auraient pu être évitées.
S'agissant des engagements des assureurs de responsabilité dans le cadre de la convention CRAC, les assureurs de responsabilité décennale s'engagent à rembourser l'assureur dommages ouvrage dans un délai maximum de 3 mois. Elle avance qu'il est inadmissible que la société Axa France Iard, qui a contribué en 2018 à l'indemnisation d'une réparation pérenne des désordres litigieux, ait attendu 11 ans après l'expiration du délai décennal et 15 ans après la dénonciation des désordres par le maître d'ouvrage de sorte que rien ne justifie l'indexation sollicitée.
Elle demande de voir limiter le quantum de la condamnation qui viendrait à être prononcée à son encontre au titre du remboursement de la franchise à une somme qui ne saurait excéder 91 469,41 euros.
Aux termes des dispositions de l'ancien article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faîtes.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi.
En l'espèce, il résulte des conditions générales du contrat d'assurance conclu entre la société SPIE Batignolles centre ouest et la société Axa France Iard, dont l'opposabilité n'est pas contestée, que la garantie a pour objet de répondre à l'obligation d'assurance décennale instituée par la loi 78-12 du 4 janvier 1978 et que sont couvertes les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile de l'assuré pouvant lui incomber en vertu des articles 1792 et 1792-2 du code civil. Lesdites conditions générales prévoient en leur article 1.5 relatif au montant et à la revalorisation de la franchise que 'l'assuré conserve à sa charge une partie de l'indemnité dont le montant est lié aux conditions particulières. Cette franchise n'est pas opposable aux bénéficiaires des indemnités. L'assuré s'interdit de contracter une assurance pour la portion du risque constitué par la franchise. Le montant de cette franchise sera revalorisé selon les mêmes modalités que le montant de la garantie (article 1.4).'
Les conditions particulières dudit contrat, dont l'opposabilité n'est pas plus contestée, et notamment son article 5 stipule que 'le montant de la franchise est fixé par sinistre à 600 000 francs pour les activités de gros oeuvre et 30 000 francs pour les autres activités. Ces montants sont revalorisés en fonction de la variation de l'index bâtiment national BT01 pour tenir compte de l'évolution des coûts de construction, entre la date de déclaration d'ouverture du chantier et celle de réparation du sinistre.'
Il n'est pas contesté que la société SPIE Batignolles grand ouest a la qualité d'assuré pour l'application de la police dudit contrat d'assurance et que la garantie obligatoire décennale a vocation à s'appliquer, la société SPIE centre ouest étant intervenue comme constructeur.
Le recouvrement de la franchise légale pour les contrats d'assurance de responsabilité décennale prévue par l'annexe I à l'article A. 243-1 du code des assurances payée par l'assureur au tiers lésé suppose, toutefois, que la responsabilité décennale de l'assuré soit établie ou reconnue par lui afin de préserver ses droits.
Il est constant que l'assureur en garantie décennale qui a réglé la franchise contractuelle à l'assureur dommages ouvrage peut agir contre son assuré en remboursement du montant de la franchise. L'action de la société Axa France Iard est, en effet, fondée sur le contrat d'assurance souscrit. Il en résulte que la convention CRAC, qui constitue un mode de règlement amiable entre assureurs en dehors de toute recherche de responsabilité, est indifférent en l'espèce. Contrairement à ce qu'affirme la société SPIE Batignolles grand ouest, la convention CRAC ne constitue pas le fondement de la demande de remboursement de franchise de la société Axa France Iard à son égard, son action étant fondée sur les dispositions du contrat d'assurance précitées de sorte que l'opposabilité ou non de la convention CRAC est ici indifférente contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.
Il appartient à la société Axa France Iard qui, en sa qualité d'assureur décennal de la société SPIE Batignolles centre ouest, devenue SPIE Batignolles grand ouest, de démontrer que les désordres qu'elle a indemnisés sont de nature à engager la responsabilité décennale de son assurée. La responsabilité décennale de l'assuré doit être établie ou reconnue par lui.
En vertu de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
La mise en oeuvre de la garantie décennale requiert donc :
- l'existence d'un ouvrage : ce qui est le cas en l'espèce s'agissant d'immeubles de logements et de parking.
- l'existence d'une réception ; ce qui n'est pas non plus sujet à discussion en l'espèce, celle-ci étant intervenue le 26 septembre 1997 pour le parking et le 30 janvier 1998 pour les logements.
- l'existence d'un dommage à l'ouvrage ou à un élément d'équipement qui entre dans le champ de l'article 1792 du code civil à savoir :
- un dommage qui compromet la solidité de l'ouvrage ou affecte la solidité d'un élément d'équipement indissociable ou affecte un élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS : sous-entendu des fabricants)
- ou qui rend l'ouvrage impropre à sa destination.
En l'espèce, il n'est pas discuté par la société SPIE Batignolles grand ouest que le rapport d'expertise dommages ouvrage lui est opposable. La société Axa France Iard justifie, par ailleurs, que ladite expertise s'est déroulée conformément au principe du contradictoire, en y associant effectivement la société SPIE Batignolles en tant que constructeur.
L'expertise dommages ouvrage a mis en évidence un phénomène de retrait non maîtrisé du béton à l'origine des fissurations, elles-mêmes cause des infiltrations et a imputé la responsabilité de ce désordre affectant les seuls travaux de gros oeuvres à la société SPIE Batignolles.
Il est établi que la société Axa France Iard a indemnisé l'assureur dommages ouvrage en mars 2018 en lui versant une somme de 232 009,50 euros dans le cadre d'une déclaration de sinistre du 30 janvier 2009 intervenue plus de 10 ans après la réception des travaux en septembre 1997.
Si la responsabilité décennale des constructeurs ne peut plus être recherchée après l'expiration d'un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux au visa des articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, il va différemment si les désordres sont considérés comme évolutifs.
Il est constant que les désordres sont évolutifs si les nouveaux désordres constatés au-delà de l'expiration du délai décennal trouvent leur siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature avait été constaté et dont la réparation avait été demandée avant l'expiration de ce délai.
En l'espèce, il résulte des différents rapports de l'expertise dommages ouvrage que les désordres indemnisés portant sur de nouvelles fissurations infiltrantes affectant le radier dénoncé en 2009 font suite au désordre dénoncé en 2003 s'agissant d'infiltrations qui se produisent au travers du cuvelage de la partie du parking en lien avec les fissures affectant le radier et qui affectent la solidité d'éléments constitutifs. Ainsi, le désordre apparu après le délai décennal s'inscrit à la suite d'un désordre de même nature de gravité décennale.
De plus, le désordre initial de 2003 a été dénoncé dans le délai garanti et a fait l'objet d'une précédente indemnisation, une action en justice n'était plus nécessaire de sorte que les dommages indemnisés en 2018 peuvent être considérés comme évolutifs.
De surcroît, il résulte du courrier du 21 juin 2011 adressé par LRAR à la société SPIE Batignolles ouest à la société Axa France Iard qu'elle a reconnu le caractère évolutif des désordres et a sollicité la garantie de son assureur de responsabilité décennale en écrivant : 'nous prenons attache avec vous dans le cadre de l'affaire ci-dessus référencée et faisons suite à votre envoi du rapport intermédiaire n°1 le 18 mai 2010. Compte tenu de la nature et de la date de déclaration de ces désordres, nous vous remercions de bien vouloir nous confirmer que votre compagnie garantira notre société au titre du contrat de responsabilité civile décennale n°37503671998187 du fait de leur caractère évolutif et consécutif de ceux objets de votre précédent dossier enregistré sous la référence 229.737.420.04.' Les termes de ce courrier sont parfaitement explicites sur la reconnaissance de sa responsabilité par la SPIE Batignolles grand ouest et ne peut, en aucun cas, être interprété comme une volonté d'interrompre la prescription comme tente de le soutenir cette dernière.
Par conséquent, il apparaît que la responsabilité décennale de la société SPIE Batignolles grand ouest est établie, ce qu'elle a d'ailleurs expressément reconnu aux termes du courrier du 21 juin 2011 précité. La société Axa France Iard est donc, dans ces conditions, bien fondée à solliciter le remboursement de la franchise auprès de son assuré. Le jugement qui l'a déboutée de cette demande sera infirmé.
S'agissant du montant de la franchise, il résulte de l'article 5 des conditions particulières du contrat d'assurance précitées que le montant de la franchise est fixé par sinistre à 600 000 francs soit 91 469,41 euros pour les activités de gros oeuvre et que ce montant est revalorisé en fonction de la variation de l'index bâtiment national BT01 entre la date de déclaration d'ouverture du chantier, en l'espèce 15 juillet 1996 et celle de réparation du sinistre, en l'espèce le 8 mars 2018.
Il ne peut être reproché à la société Axa France Iard une indemnisation tardive en ce qu'il a été précédemment démontré que les désordres étaient évolutifs, ce qu'a reconnu la société SPIE Batignolles grand ouest dans le courrier précité et qu'il a fallu attendre l'organisation d'une expertise dommages ouvrage.
De plus, la société Axa France Iard relève justement qu'il ne peut être invoqué l'absence de réparation pérenne et efficace en 2003 par la société SPIE grand ouest alors qu'elle a effectué elle-même une partie de ses travaux de reprise qui se sont avérés insuffisants.
Par conséquent, il convient de faire droit à la demande de la société Axa France Iard de voir condamner la société SPIE Batignolles grand ouest à lui verser la somme de 153 765,92 euros en remboursement de sa franchise. Le jugement sera infirmé.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant, la société SPIE Batignolles grand ouest sera condamnée à verser la somme de 3 000 euros à la société Axa France Iard au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. La société SPIE Batignolles grand ouest sera également condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe :
Déclare recevable l'appel interjeté par la société Axa France Iard ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute la société SPIE Batignolles grand ouest de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamne la société SPIE Batignolles grand ouest à payer à la société Axa France Iard la somme de 153 765,92 euros en remboursement de sa franchise ;
Condamne la société SPIE Batignolles grand ouest à payer à la société Axa France Iard la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SPIE Batignolles grand ouest à payer à la société Axa France Iard aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.