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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 28 mai 2025, n° 23/01322

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/01322

28 mai 2025

28/05/2025

ARRÊT N° 25/236

N° RG 23/01322

N° Portalis DBVI-V-B7H-PL53

NA - SC

Décision déférée du 23 Mars 2023

TJ de CASTRES - 21/01717

D. LABORDE

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 28/05/2025

à

Me Olivier THEVENOT

Me Amandine FERRE

Me Christophe NEROT

Me Nadia ZANIER

Me Ophélie BENOIT-DAIEF

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT HUIT MAI DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

SASU POLYEXPERT CONSTRUCTION

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Olivier THEVENOT de la SELARL THEVENOT MAYS BOSSON, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Représentée par Me Séverine VALLET de la SCP SCP D'AVOCATS COSTE, DAUDE, VALLET, LAMBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER (plaidant)

INTIMEES

Madame [K] [V]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Amandine FERRE, avocat au barreau D'ALBI

XL INSURANCE COMPANY SE

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Christophe NEROT de la SELARL VERBATEAM TOULOUSE, avocat au barreau de TOULOUSE

S.A.R.L. SOLS ET EAUX

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Nadia ZANIER de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

S.A.S. URETEK FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Représentée par Me Stéphanie NGUYEN NGOC de l'AARPI AXIAL Avocats, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 mars 2025 en audience publique, devant la cour composée de :

M. DEFIX, président

S. LECLERCQ, conseillère

N. ASSELAIN, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière : lors des débats M. POZZOBON

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière

EXPOSE DU LITIGE ET PROCEDURE

Par contrat du 5 novembre 2007, Mme [K] [V] a confié à la société Geoxia Midi-Pyrénées la construction d'une maison individuelle de la marque Maison Phénix, à [Localité 6], pour un prix de 106.345 euros.

Une assurance dommages ouvrage a été souscrite auprès de la société anonyme (Sa) Axa Corporate Solutions, à laquelle succède la société de droit étranger XL Insurance Compagny.

L'ouvrage a été réceptionné le 30 septembre 2008.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 novembre 2014, Mme [K] [V] a dénoncé à la société Geoxia et à la compagnie Axa Corporate Solutions l'apparition de fissures sur sa maison.

La société par actions simplifiée unipersonnelle (Sasu) Polyexpert, mandatée par l'assureur dommages-ouvrage, a établi les 6 janvier et 2 février 2015 des rapports confirmant la matérialité des désordres, consistant en des fissures extérieures et intérieures.

La société à responsabilité limitée (Sarl) Sols et Eaux, à qui a été confiée la réalisation d'une étude géotechnique de sol (mission G 5), a conclu dans un rapport du 16 mars 2015 que les désordres témoignaient d'un affaissement et basculement orientés vers le Sud et Sud-Est, que l'hétérogénéité dans la portance des sols pouvait avoir joué un rôle déstructurant au niveau des fondations, et que les sols étaient sensibles à la sécheresse. Elle a proposé deux solutions de reprise :

- une injection de résine sous les fondations,

- ou une reprise en sous-oeuvre des fondations par micropieux, devant être réalisée sous la responsabilité d'un Bet Structure.

Suivant protocole d'accord du 28 mars 2015, une provision de 10.000 euros a été alloué par l'assureur à Mme [K] [V].

À réception du rapport de la Sarl Sols et Eaux, la Sasu Polyexpert a consulté la société Sas Uretek, qui a émis le 20 octobre 2016 un devis de traitement du sol par injection partielle de résine, sous les murs porteurs, pour un montant de 24.397,82 euros TTC.

Dans son rapport du 21 décembre 2016, la société Polyexpert Construction préconise la réalisation de travaux de réparation en deux phases, la première comportant des injections de résine dans le sol, et la seconde comportant le traitement des fissures extérieures et intérieures, pour un montant total de 43.136,49 euros TTC, dont 24.397,82 euros TTC au titre des injections de résine dans le sol.

Le 9 janvier 2017, un protocole d'accord complémentaire a été signé pour un montant de 23.892 euros.

La société Uretek a procédé au traitement du sol par injection de résine expansive.

Ces travaux ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception du 12 mai 2017.

Quelques mois après la réalisation des travaux d'injection, Mme [K] [V] a constaté l'apparition de nouvelles fissures et l'aggravation des précédentes.

Mme [V] n'a pas effectué de nouvelle déclaration de sinistre auprès de son assureur dommages - ouvrage.

M. [D] [I], expert mandaté par Mme [V], a constaté, dans un rapport daté du 7 décembre 2018, des fissurations extérieures et intérieures qu'il a qualifiées de désordre structurel.

Par ordonnance du 12 juillet 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Castres, saisi par Mme [V] selon assignations des 21 et 23 mai, et 3 et 12 juin 2019, a ordonné une mesure d'expertise et désigné M. [X] [O] pour y procéder, en présence notamment des sociétés Uretek France, Sols et Eaux, Polyexpert Construction, et Axa Corporate Solutions.

L'expert a déposé son rapport le 23 décembre 2020.

Par actes d'huissier du 15 décembre 2021, Mme [K] [V] a fait assigner la société XL Insurance Compagny et la Sasu Polyexpert devant le tribunal judiciaire de Castres, pour obtenir leur condamnation in solidum à réparer les préjudices subis.

Suivant actes d'huissiers des 10 et 11 février 2022, la société XL Insurance Company a appelé en cause et en garantie la Sasu Polyexpert, la Sarl Sols & Eaux et la Sas Uretek France.

Par jugement du 23 mars 2023, le tribunal judiciaire de Castres a :

- condamné in solidum la Sas Polyexpert et la société XL Insurance Company Se à payer à Mme [K] [V] les sommes de :

* 80.550,33 euros au titre des travaux de reprise, laquelle somme sera actualisée en fonction de l'évolution de l'indice national du bâtiment tous corps d'état (BT01) publié par l'Insee à compter du 23 décembre 2020 et jusqu'au jugement,

* 9.013,04 euros au titre des préjudices annexes,

- dit que ces sommes portent intérêts au taux légal à compter du jugement,

- rejeté l'ensemble des demandes présentées à l'encontre des sociétés Sols et Eaux et Uretek,

- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné in solidum la Sas Polyexpert et la société XL Insurance Company Se à payer à Mme [K] [V] la somme de 3.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Polyexpert à payer à la société Sols et Eaux la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum la Sas Polyexpert et la société XL Insurance Company Se aux dépens, en ce compris les dépens de l'instance en référé et les frais d'expertise judiciaire,

- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- dans les rapports entre coobligés, dit que le partage de responsabilité s'effectuera à hauteur de 80% pour la Sas Polyexpert et à hauteur de 20% pour la société XL Insurance Company Se,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.

Par déclaration du 12 avril 2023, la Sas Polyexpert Construction a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 octobre 2023, la Sasu Polyexpert Construction, appelante, demande à la cour, au visa des articles 1231-1 et 1240 du code civil et de l'annexe 2 B 2) de l'article L. 243-1 du code des assurances, de :

- infirmer et à tout le moins réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Castres le 23 mars 2023,

En conséquence,

À titre principal,

- mettre hors de cause la Sas Polyexpert Construction en l'absence de faute dans l'exercice de ses missions en lien avec les préjudices invoqués,

- débouter Mme [V], la société XL Insurance Compagny Se ainsi que les sociétés Sols et Eaux et Uretek de l'ensemble de leurs conclusions fins et prétentions à l'égard de la Sas Polyexpert Construction,

- rejeter toute demande de condamnation formulée à l'égard de la Sas Polyexpert Construction,

À titre subsidiaire,

- condamner la Sarl Sols et Eaux ainsi que la Sasu Uretek à relever et garantir la Sas Polyexpert Construction de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre,

Plus subsidiairement encore,

- prononcer une imputabilité à l'égard de la Sas Polyexpert Construction qui ne saurait excéder 10 %,

- réduire la demande d'indemnisation formulée par Mme [V] à l'égard de la Sas Polyexpert Construction à hauteur de 44.550 euros toutes taxes comprises, auquel sera appliqué un pourcentage de perte de chance qui ne saurait être inférieur à 50 %,

- condamner la Sarl Sols et Eaux ainsi que la Sasu Uretek à relever et garantir la Sas Polyexpert Construction de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre,

En tout état de cause,

- condamner tout succombant à payer à la Sas Polyexpert Construction 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 août 2023, Mme [K] [V], intimée et formant appel incident, demande à la cour, au visa des articles 1231-1, 1240 et 1241 du code civil, de :

- réformer le jugement rendu le 23 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Castres en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [V] tendant à l'indemnisation de son préjudice de jouissance et son préjudice moral,

- condamner in solidum la société XL Insurance Company Se, venant aux droits Sa Axa Corporate Solutions, et la société Polyexpert Construction à verser à Mme [K] [V], à titre de dommages et intérêts la somme de 8.000 euros au titre du préjudice de jouissance et moral,

- condamner in solidum la société XL Insurance Company Se, venant aux droits Sa Axa Corporate Solutions, et la société Polyexpert Construction à verser à Mme [K] [V] la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société Xl Insurance Company Se, venant aux droits Sa Axa Corporate Solutions, et la société Polyexpert Construction aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 novembre 2023, la société XL Insurance Compagny Se, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants et 1231 et suivants du code civil, de l'article L. 231-2 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 242-1 du code des assurances, de :

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu une part de responsabilité de la société XL Insurance Compagny Se à hauteur de 20% des sommes allouées,

et statuant à nouveau à ce titre :

- juger que les désordres relèvent exclusivement des manquements à l'obligation de conseil imputables aux sociétés Polyexpert et Sols et Eaux intervenues en qualité de d'expert et de géotechnicien auprès de la société Axa XL et du manquement à son devoir de conseil de la société Uretek intervenue pour la réalisation des travaux de reprise,

- condamner in solidum la société Polyexpert, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la société Sols et Eaux, sur le fondement de la responsabilité quasi- délictuelle, et la société Uretek, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à relever et garantir la société XL Insurance Company Se de toutes condamnations qui seront prononcées à son encontre du fait des désordres subis par Mme [V],

- condamner in solidum la société Polyexpert, la société Uretek et la société Sols et Eaux à régler à la société XL Insurance Company Se la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,

- confirmer le jugement dont appel pour le surplus.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2023, la Sarl Sols et Eaux, intimée, demande à la cour :

À titre principal,

- de rejeter toutes les demandes dirigées contre la Sarl Sols et Eaux,

- de rejeter les appels incidents de la société XL Insurance Company Se et de Mme [V],

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Castres,

À titre subsidiaire,

- de condamner in solidum la Sas Uretek et la Sas Polypexpert à relever et garantir intégralement indemne de toute condamnation la Sarl Sols et Eaux sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,

En toute hypothèse,

- de condamner in solidum la Sas Uretek et la Sas Polypexpert à payer à la Sarl Sols et Eaux une indemnité de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, en ce compris celui de l'article A 444-32 du code de commerce en cas de recours à l'exécution forcée, avec droit pour Me Nadia Zanier de recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 août 2023, la Sas Uretek France, intimée, demande à la cour, au visa de l'article L. 242-1 du code des assurances et des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

À titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés XL Insurance Company Se, Sas Polyexpert Construction et Sols et Eaux de leur recours dirigé à l'encontre de la société Uretek France, au principal, intérêts, frais, article 700 et dépens,

À titre subsidiaire,

- limiter le montant du préjudice de l'assureur dommages-ouvrage à l'actualisation du coût des travaux entre 2017 et 2023, au titre de la campagne d'injections complémentaires,

- condamner la Sas Polyexpert Construction et la société Sols et Eaux à relever et garantir la société Uretek de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, au principal, intérêts, frais, article 700 et dépens,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner in solidum les sociétés XL Insurance Company Se, Polyexpert Construction et Sols et Eaux à payer à la société Uretek la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront directement recouvrés par Maître Ophélie Benoit-Daief du cabinet Lexavoué, avocat au Barreau de Toulouse.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 février 2025. L'affaire a été examinée à l'audience du 10 mars 2025.

MOTIFS

* Sur les conclusions de l'expert

Il résulte des investigations de l'expert judiciaire que le phénomène de fissuration affectant les façades, d'ores et déjà observé par la société Polyexpert Construction, expert mandaté par l'assureur dommages-ouvrage en phase amiable, procède d'un défaut d'assemblage des panneaux préfabriqués à l'ossature métallique, et a pu être aggravé par la faible capacité portante du sol d'assise des fondations, observée par la société Sols et Eaux dans le cadre de l'étude géotechnique réalisée à la demande de la société Polyexpert Construction.

M.[O] indique ainsi que 'les désordres prennent leur origine dans la fixation défaillante des panneaux'. Il explique que 'les fissurations orthogonales sont quasi-généralisées sur les joints des éléments préfabriqués ; trois faces sur quatre sont affectées et elles ne sont pas forcément caractéristiques d'un ou plusieurs tassements différentiels ; les désordres s'annulent en pied de mur' (p 15).

Il conclut que 'le sinistre prend d'abord son origine dans la qualité d'exécution du gros-'uvre. L'éventuel tassement différentiel ne peut avoir qu'un effet aggravant' (p19).

L'expert rappelle ensuite que les travaux de reprise réalisés par la société Uretek ont consisté à renforcer partiellement le sol par injection de résine sous les murs affectés.

Or il considère que 'la reprise par injection ne pouvait en aucun cas être envisagée partiellement'. Il explique que 'le fait de traiter partiellement l'assise de l'immeuble expose ce dernier à des désordres de deuxième génération' (p 20, 21).

En réponse à un dire de la société Sols et Eaux, l'expert précise:

' Concernant la reprise par injection, à l'analyse des pathologies, les recherches auraient pu être d'abord orientées sur la qualité de fixation des panneaux et je n'aurais peut-être pas envisagé de renforcer le sol, ni de reprendre les fondations.

Cela dit, la reprise partielle engendre aujourd'hui de compléter ce traitement à partir du moment où le sol est peu portant et à partir du moment où on recherche à améliorer les caractéristiques mécaniques du sol ; on ne doit en aucun cas solliciter l'assise sous différentes formes' (p 24).

Il évalue les travaux de reprise nécessaires aux sommes suivantes:

- 44.550 euros TTC au titre de l'injection de résine étendue à l'ensemble de la maison, pour parvenir à l'homogénéisation du sol d'assise;

- 33.313,20 euros TTC pour les reprises des éléments préfabriqués;

- 11.297,13 euros TTC pour le traitement des façades, étant rappelé que Mme [V] a déjà reçu la somme de 8.360 euros pour les travaux de reprise de façade.

* Sur l'obligation à la dette

- responsabilité de la société Polyexpert Construction et de la société XL Insurance Company

L'assureur dommages-ouvrage est tenu, en application de l'article L 242-1 du code des assurances, au préfinancement de travaux efficaces, de nature à mettre fin aux désordres. Faute de ce faire, il engage sa responsabilité contractuelle.

En l'espèce, la société XL Insurance Company ne conteste pas, à l'égard de Mme [V], son obligation à réparation, dès lors qu'il est établi que les travaux qu'elle a financés, conformément aux préconisations de l'expert qu'elle a mandaté, n'ont pas mis fin aux désordres initiaux, de gravité décennale.

L'expert d'assurance répond quant à lui des fautes commises dans l'exécution de sa mission. Un tiers au contrat liant l'assureur à l'expert peut obtenir réparation du préjudice résultant pour lui d'un tel manquement.

Il résulte du rapport d'expertise que la société Polyexpert Construction, qui avait pour mission de déterminer et d'évaluer les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres portant atteinte à la solidité de l'ouvrage, a en l'espèce commis deux erreurs de diagnostic et de préconisation successives, d'une part en ne décelant pas le défaut d'assemblage des panneaux préfabriqués mis en oeuvre par le constructeur d'origine, en l'absence de consultation d'un bureau d'études techniques 'structures', et d'autre part en préconisant, conformément au devis présenté par la société Uretek France, un traitement seulement partiel du sol d'assise de la contruction.

La société Polyexpert Construction est donc également obligée à réparation à l'égard de Mme [V]. Elle ne peut utilement contester l'imputabilité du préjudice invoqué par Mme [V], ni soutenir que ce préjudice s'analyse en une perte de chance, alors qu'il est certain que si l'expert dommages-ouvrage avait initialement préconisé les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres, tant en ce qui concerne les assemblages des panneaux préfabriqués qu'en ce qui concerne le traitement par injection, ceux-ci auraient été financés par l'assureur dommages-ouvrage, qui ne contestait pas sa garantie. Le préjudice consécutif au retard de réalisation des travaux nécessaires est de même imputable à l'erreur de diagnostic de la société Polyexpert Construction. L'ensemble du préjudice invoqué par Mme [V] est donc en relation de causalité directe avec les erreurs de l'expert.

Le jugement est ainsi confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société XL Insurance Company et la société Polyexpert Construction à réparer les préjudices subis par Mme [V].

- évaluation des dommages

Mme [V] demande implicitement confirmation du jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société XL Insurance Company et la société Polyexpert Construction à lui payer les sommes de 80.550,33 euros au titre des travaux de reprise, et 9.013,04 euros au titre des préjudices annexes (soit 5.042,64 euros au titre des frais de garde-meubles, 2.520 euros au titre des frais de relogement et 1.468,40 euros au titre de l'expertise amiable). Elle demande en revanche infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'attribution d'une indemnité complémentaire en réparation de son préjudice moral et de jouissance, et paiement de 8.000 euros de ce chef, en faisant valoir qu'elle a vécu dans une maison fissurée, sans pouvoir procéder aux aménagements souhaités, et a subi les tracas liés au litige.

Ni la société XL Insurance Company, ni la société Polyexpert Construction ne présentent d'observations sur l'évaluation des indemnités allouées par le tribunal. La société XL Insurance Company conclut à la confirmation du jugement sur ce point, y compris en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [V] au titre de son préjudice moral et de jouissance complémentaire.

Le tribunal a pris en compte les frais de relogement pendant l'exécution des travaux. Mais le retard d'exécution des travaux indispensables pour mettre fin aux désordres a aussi prolongé le préjudice de jouissance subi par Mme [V], du fait des désordres et de l'impossibilité de procéder aux travaux décoratifs intérieurs, différés dans l'attente des travaux de consolidation et de reprise des fissures.

Une indemnité complémentaire de 3.000 euros doit être allouée à Mme [V] en compensation de ce préjudice, et mise à la charge tant de la société Polyexpert Construction que de la société XL Insurance Company, étant rappelé que l'obligation de l'assureur dommages-ouvrage n'est pas fondée sur la garantie d'assurance contractuelle, qui ne comprend pas l'indemnisation des dommages immatériels, mais sur sa responsabilité contractuelle, du fait du financement de travaux insuffisants.

Le jugement est infirmé sur ce point.

* Sur la contribution à la dette

La répartition de la charge définitive de la dette doit prendre en compte la distinction:

- des sommes qui auraient dû en toute hypothèse, en l'absence d'erreur de diagnostic et de préconisation de l'expert dommages-ouvrage, être supportées, dès l'origine, par l'assureur dommages-ouvrage, et qui doivent rester à la charge définitive de la société XL Insurance Company,

- et des indemnités complémentaires qui résultent du retard d'exécution des travaux nécessaires, entraînant l'aggravation des dommages et le renchérissement du coût des travaux de reprise.

Une difficulté résulte des termes du rapport d'expertise, qui tout en confirmant la faible capacité de portance des sols, ce à quoi le traitement par injection avait vocation à remédier, conclut que la cause réelle des désordres procède de la mauvaise exécution du gros-'uvre.

Ainsi, l'expert judiciaire indique que ' Concernant la reprise par injection, à l'analyse des pathologies, les recherches auraient pu être d'abord orientées sur la qualité de fixation des panneaux et je n'aurais peut-être pas envisagé de renforcer le sol, ni de reprendre les fondations'. Il peut en être déduit qu'il existait initialement une chance que la seule préconisation d'une reprise des assemblages des panneaux préfabriqués ait suffi à mettre fin aux désordres. Mais à ce jour, l'expert, compte tenu du traitement partiel du sol déjà réalisé, préconise en toute hypothèse d'étendre les injections à la zone non traitée.

La société XL Insurance Company aurait dû supporter en tout état de cause le coût des travaux de reprise des assemblages des panneaux préfabriqués, le coût de reprise des fissures initiales et les frais de garde-meubles préalables à l'exécution des travaux. En revanche, elle n'aurait pas supporté, en exécution de la seule garantie contractuelle d'assurance dommages-ouvrage, la réparation des préjudices immatériels exclue de l'assurance obligatoire, ni les 'désordres de deuxième génération' évoqués par l'expert, auxquels l'ouvrage a été exposé du fait du traitement seulement partiel du sol par injection de résine. En ce qui concerne les travaux de traitement du sol par injection de résine, tant pour le traitement partiel réalisé en 2017, d'un coût de 24.397,82 euros, que pour l'extension préconisée par l'expert des travaux d'injection à la zone non traitée initialement, d'un coût de 44.550 euros, il doit être considéré, au regard des conclusions de l'expert, que l'assureur a également perdu une chance, du fait de l'erreur de diagnostic concernant la cause essentielle des désordres, d'éviter de supporter le coût de ces travaux. La valeur de cette chance ne peut toutefois équivaloir au coût des travaux, puisque l'expert n'exclut pas formellement l'utilité, ab initio, de tels travaux: M.[O] indique ainsi 'je n'ai pas été opposé au traitement par injection de résine à basse pression mais au traitement localisé qui doit être aujourd'hui généralisé'.

La société Polyexpert Construction, quels que soient ses recours à l'encontre des spécialistes qu'elle a consultés, a failli à sa mission contractuelle à l'égard de l'assureur dommages-ouvrage, dès lors que faute d'avoir consulté un bureau d'études techniques 'structures', elle n'a pas correctement déterminé la cause réelle des dommages, et qu'elle a retenu des travaux de reprise en toute hypothèse insuffisants pour y mettre fin. L'erreur de diagnostic initiale sur l'origine du désordre, procédant essentiellement de l'insuffisance de la structure et non de la faible portance des sols selon l'expert judiciaire, a fait perdre à l'assureur une chance d'éviter d'engager des travaux de traitement du sol, puisque l'expert judiciaire indique qu'il 'n'aurai(t) peut-être pas envisagé de renforcer le sol, ni de reprendre les fondations'. Le fait de ne prescrire qu'un traitement partiel des sols expose par ailleurs l'ouvrage à 'des désordres de deuxième génération' et entraîne un renchérissement du coût global des travaux d'injection, par rapport à celui qui aurait été exposé si le traitement avait été étendu, dès l'origine, à toute la maison. Enfin, les dommages immatériels subis par Mme [V] n'auraient pas été pris en charge par l'assureur dommage-ouvrage.

La société Uretek France a établi le 20 octobre 2016 un devis de traitement du sol par injection partielle de résine, sous les murs porteurs, pour un montant de 24.397,82 euros. Dans son rapport du 21 décembre 2016, la société Polyexpert Construction préconise notamment la réalisation d'injections de résine dans le sol, pour un montant de 24.397,82 euros, conformément au devis de la société Uretek France. Les pièces versées aux débats ne permettent pas de déterminer si la société Uretek France 'a été sollicitée pour une reprise partielle', comme le retient l'expert, ou a spontanément proposé une telle reprise. En toute hypothèse la responsabilité de cette erreur incombe tant à l'expert dommages-ouvrage, à qui il appartenait de déterminer la solution réparatoire appropriée et de vérifier la pertience du devis qui lui était soumis, qu'à la société Uretek France, qui devait à tout le moins, en considération de sa compétence spécialisée, alerter l'expert dommages-ouvrage sur l'inopportunité d'une reprise seulement partielle. Le manquement de la société Uretek France à son devoir de conseil a concouru à l'aggravation des dommages subis par Mme [V], et au renchérissement du coût des travaux du fait qu'ils n'ont pas été réalisés ab initio. En revanche, aucun manquement ne lui est imputable quant à détermination de la cause des désordres liée au défaut d'assemblage des panneaux, alors notamment que son devis précise que 'les injections ne traitent que le sol et ne confèrent pas à l'ouvrage de rigidité supplémentaire. En cas de déficiences structurelles celles-ci devront faire l'objet de travaux complémentaires qui ne sont pas de notre compétence'. Le manquement de la société Uretek n'a fait que retarder l'exécution de travaux d'injection sur l'intégralité de la surface. Il a ainsi contribué à l'aggravation des fissures et du préjudice de jouissance de Mme [V]. Mais rien ne justifie que la société Uretek prenne en charge les travaux de traitement du sol par injection de résine. Si l'on considère que le traitement du sol était en toute hypothèse nécessaire, ce coût aurait dû être supporté par l'assureur dommages-ouvrage. Si l'on retient au contraire que la reprise de la fixation des panneaux aurait pu suffire à remédier aux désordres, de sorte que le traitement du sol était initialement inutile, la société Uretek n'a pas à répondre de l'erreur de diagnostic sur la cause des désordres, qui n'est imputable qu'à la société Polyexpert Construction.

Enfin, le tribunal a à juste titre rejeté les demandes formées à l'encontre de la société Sols et Eaux, à qui n'a été confiée qu'une mission G 5 de géotechnicien qu'elle a remplie sans qu'aucune faute ne soit relevée à son encontre, qui n'a pas préconisé le cantonnement des injections de résine, et à qui il n'appartenait pas d'émettre un quelconque diagnostic en ce qui concerne la structure de l'immeuble.

En considération de ces éléments, la charge définitive de la réparation doit peser:

- à hauteur de 60% sur la société XL Insurance Company,

- à hauteur de 30% sur la société Polyexpert Construction,

- et à hauteur de 10% sur la société Uretek France.

Les recours s'exerceront dans cette mesure.

Le jugement est infirmé en ce sens.

* Sur les demandes accessoires

Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la société Polyexpert Construction et de la société XL Insurance Company les dépens de première instance outre une indemnité allouée à Mme [V] au titre des frais irrépétibles de première instance, et en ce qu'il a mis à la charge de la société Polyexpert Construction une somme au titre des frais irrépétibles exposés par la société Sols et Eaux.

La société Polyexpert Construction et la société XL Insurance Company doivent supporter les dépens d'appel, et régler à Mme [V] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

La société Polyexpert Construction doit également verser à la société Sols et Eaux une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

La charge définitive des dépens de première instance et d'appel, et des sommes allouées à Mme [V] au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, suivra celle du principal et pèsera:

- à hauteur de 60% sur la société XL Insurance Company,

- à hauteur de 30% sur la société Polyexpert Construction,

- et à hauteur de 10% sur la société Uretek France.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 23 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Castres, sauf en ce qu'il a :

- rejeté l'ensemble des demandes présentées à l'encontre de la société Uretek France,

- rejeté la demande d'indemnité complémentaire de Mme [V] au titre de son préjudice de jouissance,

- dit que, dans les rapports entre coobligés, le partage de responsabilité s'effectuera à hauteur de 80% pour la Sas Polyexpert et à hauteur de 20% pour la société XL Insurance Company Se;

Statuant à nouveau sur ces chefs de décision infirmés et y ajoutant,

Condamne in solidum la société XL Insurance Company et la société Polyexpert Construction à payer à Mme [V] une indemnité complémentaire de 3.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;

Dit que la charge définitive des indemnités allouées à Mme [V] en principal et intérêts pèsera :

- à hauteur de 60% sur la société XL Insurance Company,

- à hauteur de 30% sur la société Polyexpert Construction,

- et à hauteur de 10% sur la société Uretek France ;

Dit que les recours s'exerceront dans cette mesure ;

Condamne in solidum la société XL Insurance Company et la société Polyexpert Construction aux dépens d'appel, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Me Benoit-Daief et Me Zanier, qui en font la demande ;

Condamne in solidum la société XL Insurance Company et la société Polyexpert Construction à payer à Mme [V] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la société Polyexpert Construction à payer à la société Sols et Eaux la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Dit que la charge définitive des dépens de première instance et d'appel, et des indemnités allouées à Mme [V] au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, pèsera :

- à hauteur de 60% sur la société XL Insurance Company,

- à hauteur de 30% sur la société Polyexpert Construction,

- et à hauteur de 10% sur la société Uretek France.

La greffière Le président

M. POZZOBON M. DEFIX

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