CA Rouen, 1re ch. civ., 28 mai 2025, n° 24/01119
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SA
Défendeur :
SCP
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wittrant
Président :
Mme Berthiau-Jezequel
Conseiller :
Mme Deguette
Avocats :
Me Blonde, Me Badreau, Me Spagnol
Le 27 mai 2015, un contrat de réservation, reçu par Me [V] [M], notaire, portant sur la vente en l'état futur d'achèvement de 13 logements sociaux à [Localité 7] a été signé par la Sa [14], la [13], auprès de la Sa [15], aux droits de laquelle vient la société civile de construction vente [9] spécialement constituée pour cette opération. Le 12 janvier 2016, une garantie financière d'achèvement a été consentie à la Sccv [9] par la Sa [8].
Dans le cadre d'un échange épistolaire des 23 septembre 2015 pour la Sa [15] et 16 octobre 2015 pour la Sa [13], les parties au contrat de réservation ont pris accord sur une modification de l'échéancier initial des paiements dus par l'acquéreur.
Par acte authentique du 1er février 2016, reçu par Me [M], la Sccv [9] a vendu à la Sa [13] l'ensemble immobilier en l'état futur d'achèvement comprenant 13 maisons modulaires à énergie positive, avec jardins, voies de circulation et desserte, la livraison étant prévue à la date du 1er février 2017.
La Sa [15], associée-gérant de la Sccv [9], a été placée en liquidation judiciaire le 24 novembre 2016, décision entraînant l'arrêt des opérations de construction engagées par la Sccv [9], et ce, avant l'achèvement des fondations. En conséquence et sur saisine de l'administrateur provisoire, la Sccv [9] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Evreux le 1er juin 2017.
Le 5 juin 2017, la Sa [13] a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la Sccv [9] pour un montant de 780 519,91 euros correspondant aux sommes réglées en exécution du contrat de vente en l'état futur d'achèvement. Après sollicitation du garant le 15 mai 2017, le 5 juin 2017, elle a mis en demeure la Sa [8] de lui verser ce même montant en exécution de la garantie.
Par lettre du 21 juin 2017, la Sa [8] a répondu qu'elle substituait à sa garantie d'achèvement une garantie de remboursement ; qu'elle subordonnait cette garantie à la résolution de la vente et entendait la limiter à la somme de 443 805,88 euros, correspondant à 20 % du prix de vente de l'ensemble immobilier, en raison de la modification faite à son insu de l'échéancier des paiements prévu au contrat de réservation.
Par lettre du 19 juillet 2017, le liquidateur judiciaire de la Sccv [9] confirmé la résiliation du contrat de vente en l'état futur d'achèvement.
Par jugement du 12 juin 2018, le tribunal de grande instance d'Evreux, saisi par la Sa [13], a essentiellement prononcé la résiliation du contrat de vente en l'état futur d'achèvement, a condamné la Sa [8] à lui payer, au titre de sa garantie de remboursement, la somme de 443 805,88 euros et la [11] à exécuter son engagement de caution de la Sccv [9] dans la limite de
300 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement. Le 11 juillet 2018, la Sa [13] a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 3 juin 2020, la cour d'appel de Rouen a notamment :
- confirmé le jugement en ses dispositions ayant prononcé la résiliation du contrat de vente en l'état futur d'achèvement,
- infirmé le jugement pour le surplus,
et statuant à nouveau,
- prononcé l'annulation pour dol de la convention de garantie financière d'achèvement et de remboursement consentie par la Sa [8],
- débouté la Sa [13] de ses demandes faites à l'encontre de la Sa [8], et l'a condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le pourvoi en cassation formé à l'encontre de la décision a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2021.
Par acte d'huissier du 11 septembre 2020, la Sa [13] a assigné la Scp [V] [M] [10], devenue la Scp [M], devant le tribunal judiciaire d'Evreux aux fins d'engager sa responsabilité professionnelle et obtenir sa condamnation à lui réparer l'ensemble de ses préjudices.
Par jugement contradictoire du 19 mars 2024, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- débouté la Sa [13] de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de la Scp [M],
- condamné la Sa [13] aux entiers dépens,
- condamné la Sa [13] à payer à la Scp [M] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la Sa [13] de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration reçue au greffe le 22 mars 2024, la Sa [13] a formé appel de ce jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions uniques notifiées le 13 mai 2024, la Sa [14] demande à la cour, au visa des articles 16 du code de procédure civile, 1382 et subsidiairement 1147 ancien du code civil, de :
- annuler le jugement dont appel,
subsidiairement,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
en tout état de cause,
- condamner la Scp [M] à lui payer la somme de 894 047,25 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la Scp [M] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la Scp [M] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la Scp [M] aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Pour soutenir sa demande en nullité du jugement, elle expose que la décision est uniquement motivée sur l'ignorance du notaire des modalités de la garantie du [8] fixées sur la base de l'échéancier des paiements mentionné dans le contrat de réservation, alors que ce moyen n'avait été développé par aucune partie et n'était pas évoqué dans ses écritures de sorte que les premiers juges ont méconnu les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile.
Subsidiairement, s'agissant de la responsabilité de l'étude notariale, elle rappelle que le notaire doit veiller à l'efficacité technique et pratique des actes qu'il instrumente, sachant que les obligations qu'il souscrit à ce titre relèvent de la responsabilité délictuelle et qu'il doit ainsi s'assurer de la validité des garanties qu'il reçoit, étant observé que la perte d'une garantie oblige le notaire à indemniser le bénéficiaire lésé à hauteur de la valeur de la garantie perdue ; que le notaire est débiteur d'une obligation d'information et de conseil envers les parties à l'acte qu'il a rédigé à laquelle s'ajoute une obligation de mise en garde, la charge de la preuve du respect de ses obligations lui incombant.
Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 260-10-1. R. 261-22 et R 261-23 du code de la construction et de l'habitation, elle explique qu'en l'espèce, de façon irrévocable, la cour d'appel a, par décision du 3 juin 2020, annulé la garantie bancaire et l'a privé ainsi de toute possibilité d'obtenir le remboursement des sommes versées ; que l'absence de garantie d'achèvement et/ou de remboursement invalide rétroactivement le contrat de vente en l'état futur d'achèvement en application de l'article L. 260-10-1 du code de la construction ; qu'ainsi, l'annulation des garanties ne serait pas intervenue si le notaire ayant reçu l'acte de vente en l'état futur d'achèvement l'avait prévenue des risques d'invalidation de la garantie financière en cas de modification de l'échéancier des paiements puisqu'elle aurait pu alors solliciter préalablement l'accord du garant. Elle indique ainsi faire la démonstration de la faute du notaire instrumentaire.
Elle affirme que le notaire aurait dû s'assurer que la modification du calendrier des paiements avait été portée à la connaissance du garant, sachant qu'il appartenait également à la Scp [M], au titre de son obligation de conseil, d'informer les parties du risque d'annulation de la garantie dans cette hypothèse. Elle se réfère à la sommation interpellative du 26 février 2018 du [8] délivrée au notaire pour se plaindre de la modification de la grille d'échelonnement des paiements du prix de vente de sorte que le notaire était avisé de la difficulté et rappelle le calendrier des paiements visé dans chaque acte entre le 27 mai 2015 et le 1er février 2016 pour souligner que le notaire n'a pas informé les parties signataires que le nouvel échéancier des paiements d'une part contrevenait aux dispositions d'ordre public de l'article R. 261-14 du code de la construction et de l'habitation, le taux de 35 % du prix total étant dû à l'achèvement des fondations d'une seule maison alors que ce taux d'avancement aurait dû concerner les fondations de toutes les maisons, et d'autre part, poserait difficulté au garant. Elle en déduit que le notaire a manqué à ses obligations, la conséquence de cette faute étant l'annulation de la garantie d'achèvement de la banque et la privation de toute garantie.
Elle fait valoir que le préjudice qu'elle subit correspond aux sommes qu'elle a réglées à la venderesse et aux sommes qu'elle a dû régler dans le cadre du litige qui l'a opposé au [8], soit la somme totale de 893 047,25 euros, dont elle réclame paiement à titre de dommages et intérêts.
Par conclusions uniques notifiées le 9 août 2024, la Scp [M] demande à la cour, au visa des articles 1116, 1117, 1147 et 1382 anciens du code civil, de :
- recevoir la Sa [13] en son appel, mais l'en dire mal fondée,
- débouter la Sa [13] de l'ensemble de ses demandes à son encontre,
- confirmer le jugement entrepris,
y ajoutant,
- condamner la Sa [13] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamner la Sa [13] aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo, au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
En introduction de la discussion, elle rappelle la qualité de la Sa [13] qui se présente sur son site internet comme une « Entreprise Sociale pour l'Habitat de l'Eure' une professionnelle du logement social depuis 90 ans ' » qui « capitalise des compétences pluridisciplinaires de constructeur, de gestionnaire de patrimoine locatif et d'aménageur... une logique de production du logement » assurant « la maîtrise d'ouvrage de plusieurs opérations d'éco-quartiers' » ; qu'en réalité la Sa [13] est un professionnel de l'achat et de la gestion de biens immobiliers et avait conscience des engagements pris dans le cadre du litige.
Pour obtenir le rejet de la demande de nullité du jugement, elle précise qu'il est clairement fait état dans les débats devant les premiers juges de l'engagement contractuel de la Sa [13] et de la modification du contrat initial sans information délivrée au notaire ; qu'en conséquence, le tribunal a tiré la conséquence logique des faits. Elle soutient dès lors que le reproche exprimé par l'appelante n'est pas justifié.
S'agissant de la responsabilité du notaire, relevant que la Sa [13] s'est engagée contractuellement envers la Sccv [9], sans en référer, ni au garant, ni au notaire, a modifié le contrat initial en accord uniquement avec sa cocontractante, elle fait valoir que la faute a été commise de façon conjointe par la Sa [13] et de la Sccv, et en aucun cas, par ses actes ; que ce motif a été retenu par la cour d'appel de Rouen dans sa décision du 3 juin 2020 pour prononcer l'annulation de la garantie d'achèvement pour dol ; que le notaire n'a été ni consulté ni même informé par l'appelante de la modification du calendrier des paiements pratiquée directement entre le vendeur et l'acquéreur.
Elle se réfère aux dispositions de l'article 1112-1 du code civil qui impose à la partie qui détient une « information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre » de l'aviser ; que si ce texte est inapplicable car entré en vigueur le 1er octobre 2016, il n'en reste pas moins que le dol a été retenu par la cour d'appel de façon irrévocable et qu'il y a lieu de retenir la motivation de l'arrêt pour exclure toute responsabilité du notaire ; que de façon acquise, la Sa [13] ne peut qu'être considérée comme ayant dissimulé intentionnellement le calendrier des paiements et avoir accepté une prise de risque importante.
Elle vise également les correspondances du conseil du [8] des 21 juin et
30 août 2017 expliquant les raisons de son refus de garantir l'intégralité des versements effectués au titre de la garantie de remboursement.
Elle souligne que la décision prononcée par la cour d'appel n'a pas été un anéantissement rétroactif du contrat de vente en l'état futur d'achèvement mais une résiliation soit une perte des effets de la convention pour l'avenir ; que seule la convention de garantie financière a été annulée ; qu'il convient de rappeler que la vente en l'état futur d'achèvement permet au propriétaire immobilier d'acquérir le bien au fur et à mesure de son achèvement au visa de l'article 1601-3 du code civil ; que les constructions réalisées sont donc propriété de la Sa [13] qui ne peut en réclamer le prix au titre de son préjudice.
Subsidiairement, sur le quantum des demandes indemnitaires formulées par la Sa [13], elle soutient qu'elle n'a aucune raison de supporter les conséquences de la décision intervenue par la volonté incontestée et éclairée de la Sa [13], postérieurement à la rédaction du contrat de réservation. Elle conclut donc au débouté de la Sa [13] en toutes ses demandes par confirmation du jugement.
La clôture de l'instruction est intervenue le 5 février 2025.
Par note du 13 mai 2025, la cour a interrogé les parties sur la production par la Sa [13], sous la cote procédure des conclusions n°2 « signifiées par RPVA le 12 août 2024 » qui n'ont pas été remises au greffe selon lecture du RPVA et ne sont pas assorties de la production de la notification faite à l'intimée, les seules conclusions en l'état régulières étant celles du 13 mai 2024. Elle a invité les parties à faire toutes observations utiles avant le 19 mai 2025 à 17 heures.
Par courrier du 15 mai 2025 le conseil de la Scp [M] confirme ne pas avoir reçu notification de conclusions le 12 août 2024.
Le conseil de la Sa [13] n'a pas répondu à la demande d'observations de la cour.
MOTIFS
Sur les conclusions n°2 de la Sa [13]
Il ressort tant de la lecture des messages Rpva que des observations émises par l'intimée que la Sa [13] n'a pas remis au greffe et n'a pas notifié les conclusions n°2 portant la mention « signifiées par Rpva le 12 août 2024 ». Dès lors, la cour ne statuera que sur les conclusions remises et notifiées le 13 mai 2024.
Sur la demande d'annulation du jugement du 19 mars 2024
L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l'espèce, il résulte des énonciations du jugement que les débats intervenus entre les parties ont notamment porté sur la connaissance ou l'ignorance par Me [M], notaire instrumentaire de la vente en l'état futur d'achèvement, de la modification de l'échéancier des paiements par la Sccv [9] et la Sa [13]. En effet, l'exposé des moyens des parties dans la décision, similaires à ceux qui sont développés devant la cour, permet de vérifier que :
- « Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 mai 2023' La société [13] estime que le notaire' a commis une faute à son égard en ne l'informant pas des risques d'invalidation de la garantie financière en cas de modification de l'échéancier' ne l'a également pas informée que ce nouvel échéancier contrevenait aux dispositions de l'ordre public de l'article R261-14 du code de la construction et de l'habitation' » ;
- « Dans ses dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2023,' La SCP [M] fait valoir que la société [13] est un professionnel de l'achat et de la gestion de biens immobiliers et précise que c'est notamment en cette qualité que la cour d'appel de Rouen lui a reproché d'avoir donné son accord à la modification de l'échéancier des paiements par courrier en date du 16 octobre 2015, en dehors de toute intervention du notaire et sans en informer le garant. 'en aucun celle (la faute) du notaire, non consulté ni même informé par la société [13]' ».
Par une lecture des conclusions et pièces soumises aux débats, le tribunal a donc recherché, pour caractériser l'existence de la faute alléguée et de manquements éventuels aux obligations du notaire instrumentaire, si Me [M] avait eu connaissance de la modification de l'échéancier et de ses conditions ; il en a conclu, ce sans soulever d'office un moyen non soumis aux débats, que :
« Il en résulte que la SCP [M] ne pouvait pas envisager en l'état des éléments transmis par les parties à l'acte de vente que la garantie financière d'achèvement souscrite par la SCCV [9] auprès de la société [8] l'avait été sur l'échéancier initialement prévu au contrat de réservation et non sur l'échéancier modifié au cours du mois d'octobre 2015. »
En conséquence, le tribunal n'a pas commis une violation du principe du contradictoire posé par l'article 16 susvisé ; la demande en annulation du jugement sera rejetée.
Sur la responsabilité du notaire
L'article 1382 ancien du code civil applicable en l'espèce dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le notaire doit assurer la validité et l'efficacité des actes qu'il reçoit. Il est soumis à une obligation d'information et de conseil envers son client et doit procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité des actes qu'il dresse. Le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l'acte auquel il prête son concours.
Il incombe dès lors à celui qui souhaite mettre en jeu la responsabilité délictuelle du notaire de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
En l'espèce, le contrat de réservation, rédigé par Me [M], et signé entre la Sa [15], aux droits de laquelle vient la Sccv [9], et la Sa [13] le 27 mai 2015, portant sur la vente en l'état futur d'achèvement de 13 logements sociaux à [Localité 7], prévoyait un échéancier des paiements « pour chacun des logements édifiés ». L'acte rappelait expressément que « conformément à la loi, l'échelonnement du paiement du prix n'excède pas :
. 35 % à l'achèvement des fondations
. 70 % à la mise hors d'eau
. 95 % à l'achèvement de l'immeuble. ».
Par courrier du 23 septembre 2015, M. [K] [Z], président directeur général de la Sa [15], a proposé au représentant de la Sa [13] une modification des appels de fonds devant intervenir afin de « réduire significativement l'impact sur la trésorerie de cette organisation juridique et financière que nous impose le garant. ».
Ainsi, après avoir repris, en page 1 de la correspondance, le tableau prévu dans le contrat de réservation, il a précisé clairement : « Ce plan de paiement est conforme à l'article R 261-14 du code de la Construction et de l'Habitation et conforme à l'élévation des ouvrages s'ils étaient réalisés selon un mode de construction traditionnel. ». Il explique ensuite les difficultés financières expliquant une consommation très rapide des fonds et un « besoin en fonds de roulement qui atteindra un pic de 750 000 euros en semaine 16 du projet » pour proposer un « plan des paiements qui soit opposable au garant et permette à [15] de voir ses appels de fonds honorés dès le démarrage du projet ». Le tableau fait notamment état d'un taux de paiement de 49 % lors de la « pose de la première maison ». Une demande de paiement à réception de la notification est sollicitée au lieu du délai de 30 jours fixé dans le contrat de réservation.
Le 25 septembre 2015, par acte sous seing privé, la Sccv [9] a conclu auprès du [8] une convention relative à la délivrance d'une garantie financière d'achèvement fixant les conditions d'octroi de la couverture, la Sas [11] intervenant alors en qualité de caution solidaire.
Par courrier du 16 octobre 2015, M. [L] [N], directeur général délégué de la Sa [13], a confirmé accepter la modification de l'échéancier prévu au contrat de réservation, conformément à la proposition portée au courrier du 23 septembre 2015 précité, tout en précisant : « Si vous en êtes d'accord, je demanderai à Me [M] de modifier l'acte en conséquence. Je profite de ce courrier pour vous demander de lui adresser votre projet de GFA avant sa signature, afin qu'il puisse en contrôler la couverture. »
Par acte sous seing privé du 12 janvier 2016, la garantie financière d'achèvement a été accordée, toutes les conditions fixées par la convention du 25 septembre 2015 étant remplies.
L'acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement établi le 1er février 2016 par Me [M] mentionne en page 11 au paragraphe « REMISE DE DOCUMENTS A L'ACQUEREUR » la remise de la garantie financière d'achèvement par la Sccv [9] à la Sa [13], et en page 28 au paragraphe « Garantie d'achèvement extrinsèque », le fait que « la garantie d'achèvement, conforme au décret n°67-1166 du 22 décembre 1967, a été délivrée au constructeur par la banque [8], dont le siège est à [Adresse 12]. Une copie de cette garantie du 12 janvier 2016 est ci-annexée. »
Il ressort surtout de cet acte qu'en pages 6 et 7 après un paragraphe dédié au paiement de la partie exigible comptant soit la somme de 443 805,98 euros, les différentes phases de l'échéancier sont détaillées pour correspondre au surplus du prix soit la somme de 1 775 223,52 euros et précisément :
- un taux de 14 % à la mise en fabrication de la 1ère maison ;
- un taux de 1 % à l'achèvement des fondations soit un taux global de 35 %,
- un taux de 14 % exigible à la pose de la première maison soit alors un total des sommes versées de 1 087 324,41 euros sur un prix de vente total de
2 219 029,40 euros.
- un taux de 21 % à la mise hors d'eau soit un taux global de 70 %.
Le tableau porté dans l'acte correspond partiellement au tableau des paiements proposé dans la correspondance de la Sa [15] du 23 septembre 2015. L'acte reprend la disposition relative à la conformité « à la loi » imposant des règlements n'excédant pas :
« . 35 % à l'achèvement des fondations
. 70 % à la mise hors d'eau
. 95 % à l'achèvement de l'immeuble. ».
Il s'agit en réalité des termes de l'article R.261-14 du code de la construction et de l'habitation.
En premier lieu, ces deux pages de l'acte authentique relatives aux conditions de versement du prix prouvent la connaissance préalable qu'a acquise le notaire de la modification du plan des paiements convenu entre les parties.
En second lieu, la comparaison entre le contrat de réservation et l'acte de vente d'une part et la lecture du tableau d'autre part, sont des éléments mettant en évidence des différences substantielles qui devaient attirer l'attention du notaire et lui imposaient d'en vérifier les conséquences pour l'acquéreur. Ce contrôle s'imposait d'autant plus que le contrat de réservation prévoyait un taux de paiement applicable sur « chacun des logements » alors que l'acte de vente fixait un taux plus élevé dès la « pose de la 1ère maison ».
Professionnel de la vente immobilière, et bien que non rédacteur des actes relatifs à la garantie financière, la vigilance normale du notaire sur l'équilibre financier de l'opération et donc la couverture de la garantie d'achèvement devait naturellement le conduire à s'interroger sur l'information donnée au garant et dès lors sur la portée voire la validité de la convention octroyée par le [8]. Il ne pouvait ignorer les conditions d'octroi d'une telle garantie notamment dans le cadre de la communication à la banque garante du contrat de réservation.
Le risque financier pour la Sa [13] étant évident, le notaire avait l'obligation de mettre en garde l'acquéreur sur les dangers d'une opération financière conséquente avec paiement échelonné du prix ne correspondant pas à l'exécution suffisante des travaux. Le descriptif du programme détaillé était explicite de surcroît sur le niveau de financement.
En conséquence, la Scp [M] a commis des manquements fautifs au titre de l'obligation d'information à l'intention de l'acquéreur et en l'espèce de son devoir de vérification de l'information donnée au garant des modifications intervenues du plan de paiement du prix.
Toutefois, il ressort de la correspondance émanant du vendeur le 23 septembre 2015 que son auteur a clairement avisé l'acquéreur, s'agissant des paiements, de la différence entre les dispositions conformes prévues au contrat de réservation et les conditions réglementaires mais contraignantes proposées. Les motifs conduisant à la modification du plan des paiements échelonnés sont particulièrement circonstanciés et quand bien même il n'aurait pas été éclairé, permettait à l'acquéreur de mesurer le risque financier au regard notamment, des besoins en fonds massifs avant même la pose des treize maisons.
La Sa [13] est elle-même un professionnel de l'immobilier et de la construction comme l'indique l'intimée en se référant aux qualités présentées par la société : l'acceptation de l'offre du plan de paiement du prix a été exprimée par le directeur général délégué en connaissance de cause. Il a même proposé de réduire le délai de paiement des appels de fonds à quinze jours à compter de la demande. Il a visé à la fois la transmission qu'il ferait de la modification du plan au notaire instrumentaire et la production de la garantie financière d'achèvement par le vendeur au notaire pour contrôle de la couverture. Elle ne peut reprocher un défaut d'information au notaire dans ce contexte d'acceptation des risques.
La Sa [13] invoque comme conséquence des fautes du notaire le défaut de recours supporté sur l'ensemble des versements effectués dans le cadre de la garantie financière d'achèvement substituée par la garantie de remboursement. Toutefois, en l'espèce, l'absence de garantie n'a pas pour origine la faute commise par le notaire qui aurait conduit éventuellement, suivant l'annonce initialement faite par le [8], à une limitation du remboursement à hauteur de 20 % du prix correspondant à la somme exigible lors de la signature. Elle a pour cause exclusive le dol commis par le vendeur en raison d'une absence intentionnelle d'informations délivrées au [8].
La cour d'appel de Rouen a retenu dans la motivation de son arrêt du 3 juin 2020 que « il résulte du courrier susvisé (23 septembre 2015) que la venderesse, partie à la convention de garantie financière d'achèvement, a volontairement caché à la société [8] les contraintes financières qui étaient les siennes, liées au « système constructif industrialisé » qu'elle avait adopté, ainsi que la modification de l'équilibre financier de l'opération, qui a notamment conduit la société [13] à prendre un risque important' » et que « La société [13], si elle a donné son accord à la modification sollicitée par la société [15] selon courrier du
16 octobre 2015, s'est également abstenue d'en informer le garant ». Au regard de « la dissimulation d'informations relatives à la situation de débiteur au moment de la conclusion d'un engagement de garantie » et des conditions propres au vice du consentement constitué par le dol, la cour d'appel a prononcé l'annulation de la convention de garantie financière d'achèvement et de remboursement consentie le
25 septembre 2015 par la société [8].
En conséquence, la Sa [13] sera déboutée de sa demande et le jugement confirmé.
Sur les frais de procédure
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles n'emportent pas de critiques et seront confirmées.
La Sa [13] succombe à l'instance et en supportera les dépens, dont distraction est accordée au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo conformément à l'article
699 du code de procédure civile.
Elle sera condamnée à payer à la Scp [M] la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Rejette la demande d'annulation du jugement du tribunal judiciaire d'Evreux du
19 mars 2024, formée par la Sa [14],
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la Sa [14] à payer à la Scp [M] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Sa [14] aux dépens de l'instance, dont distraction est accordée au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo conformément à l'article 699 du code de procédure civile.