Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 28 mai 2025, n° 24/01931

VERSAILLES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

LVMH Fragrance Brands (SAS)

Défendeur :

Parfums Ted Lapidus (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Mze, Me Caron, Me Dontot, Me Cuche

INPI, du 22 févr. 2024, n° OPP23-0865

22 février 2024

Exposé des faits

Le 5 janvier 2023, la société LVMH fragrance brands, ayant pour activité la fabrication de parfums et de produits pour la toilette, a déposé la demande d'enregistrement n° 4925995 portant sur le signe verbal FANTASQUE pour des « parfums ; eaux de toilette ; eaux de parfum ; eaux de Cologne ; parfums sous forme solide ».

Le 10 mars 2023, la société Parfums Ted Lapidus, chargée de la branche parfumerie de la maison de mode Ted Lapidus, a formé opposition à l'enregistrement de cette marque sur le fondement du risque de confusion avec sa marque française FANTASME déposée le 17 février 1988, enregistrée sous le n° 1451118 et régulièrement renouvelée, en invoquant les produits suivants en classe 03 : « produits de parfumerie, notamment : parfums et eau de toilette ». Au cours de la procédure d'opposition et sur demande de la société LVMH fragrance brands, elle a fourni des pièces visant à en établir l'usage sérieux.

Par décision du 22 février 2024 le directeur général de l'INPI (« l'INPI ») a reconnu justifiée l'opposition et rejeté la demande d'enregistrement déposée par la société LVMH fragrance brands.

Par déclaration du 20 mars 2024, la société LVMH fragrance brands a formé un recours en annulation.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 février 2025, elle demande à la cour d'annuler la décision OPP 23-0865 rendue le 22 février 2024 par l'INPI, en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de débouter la société Parfums Ted Lapidus de son opposition et de l'ensemble de ses prétentions, d'autoriser la demande d'enregistrement n° 4925995 portant sur le signe verbal FANTASQUE, de condamner la société Parfums Ted Lapidus à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions en réplique remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 mars 2025, la société Parfums Ted Lapidus demande à la cour de rejeter le recours en annulation formé par la société LVMH fragrance brands et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, et de la condamner à lui payer la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct.

Par observations du 17 décembre 2024, l'INPI soutient que sa décision est bien fondée, l'usage de la marque FANTASME étant démontré et les ressemblances entre les signes en présence étant de nature à emporter un risque de confusion.

Par avis communiqué par RPVA le 14 janvier 2025, le ministère public considère qu'il y a lieu de confirmer la décision de l'INPI.

SUR CE,

Sur l'usage sérieux de la marque FANTASME n° 1451118

L'article L. 712-5-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « l'opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq ans est rejetée lorsque l'opposant, sur requête du titulaire de la demande d'enregistrement, ne peut établir ['] que la marque antérieure a fait l'objet, pour les produits ou services sur lesquels est fondée l'opposition, d'un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la demande d'enregistrement contestée, dans les conditions prévues à l'article L.714-5 ['] ».

Il précise qu'« aux fins de l'examen de l'opposition, la marque antérieure n'est réputée enregistrée que pour ceux des produits ou des services pour lesquels un usage sérieux a été prouvé ou de juste motifs de non-usage établis ».

L'article L.714-5 du même code dispose qu'« est assimilé à un usage [sérieux] ['] :

1° l'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ; [']

3° l'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ;

4° l'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation ».

Une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque.

L'appréciation du caractère sérieux de l'usage suppose de prendre en considération l'ensemble des faits et circonstances propres à établir la réalité de son exploitation commerciale, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque.

L'usage sérieux d'une marque ne peut être démontré par des probabilités ou des présomptions mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent un usage effectif et suffisant de la marque sur le marché concerné. La preuve de l'usage doit ainsi porter sur la période, le lieu, l'importance et la nature de l'usage qui a été fait de la marque en relation avec les produits et services pertinents.

En l'espèce, la période de référence durant laquelle l'usage sérieux de la marque FANTASME doit être démontré en relation avec les produits fondant l'opposition s'étend du 5 janvier 2018 au 5 janvier 2023, date de dépôt de la demande d'enregistrement contestée FANTASQUE.

La société LVMH fragrance brands soutient que les éléments produits par la société Parfums Ted Lapidus ne permettent pas de démontrer un usage sérieux de la marque FANTASME pour des parfums au sein de la période de référence et avance notamment :

que les éléments de chiffre d'affaires ne sont pas fiables, leur source étant inconnue (document probablement interne) et leur contenu parfois incohérent (écart entre le montant figurant sur certaines factures et celui correspondant aux mêmes références dans la liste des factures) ;

que certaines factures communiquées sont datées hors période de référence, que d'autres font mention d'une version modifiée de la marque (LOVELY FANTASME) de nature à altérer son caractère distinctif, que d'autres ne sont pas explicites quant à la nature des produits vendus sous la marque, que celles qui concernent le territoire monégasque doivent être écartées, rien ne démontrant que la marque a été apposée en France, qu'en tout état de cause ces éléments ne démontreraient qu'un usage symbolique et non un usage sérieux de la marque FANTASME en France, les chiffres de vente étant anecdotiques (quelques centaines de produits par an, en regard des 150.000 flacons vendus chaque jour en France) ;

qu'au sein des extraits de liste de tarifs, le signe FANTASME ne renvoie pas explicitement à des produits de parfumerie ;

que les photographies des flacons de parfum ne peuvent être prises en considération en ce qu'elles ne permettent pas d'identifier une date et/ou un lieu de prise de vue de façon certaine ;

que les captures d'écran de sites de tiers où apparaît le flacon de parfum FANTASME ne sont pas pertinentes car hors période de référence et/ou impropres à démontrer une vente effective de produits.

La société LVMH fragrance brands ajoute que la société Parfums Ted Lapidus ne justifie pas d'un motif valable d'absence d'usage sérieux, que les arguments avancés par elle tenant à la pandémie et à l'inflation ainsi qu'au secteur très normé de la parfumerie et au fait que le parfum FANTASME serait positionné haut de gamme - ce qui est contradictoire avec les documents fournis montrant plutôt une volonté de brader les produits - afin d'expliquer les faibles chiffres de vente, montrent au contraire qu'elle n'est pas à l'aise avec ces chiffres qui relèvent de l'usage symbolique.

Il ressort de l'examen de l'ensemble des pièces produites par la société Parfums Ted Lapidus, comprenant notamment des factures datées de 2018, 2019, 2020, 2021, 2022 et 2023, des extraits de liste des tarifs des mêmes années, des photographies de produits FANTASME présentés à la vente dans plusieurs boutiques en France, des captures d'écran de plateformes de vente en ligne présentant à la vente les produits FANTASME, que l'usage sérieux de la marque FANTASME est établi pour les produits invoqués à l'appui de l'opposition à savoir les « produits de parfumerie, notamment : parfums et eau de toilette ».

En effet, les factures datées dans la période de référence et concernant des livraisons de produits en France démontrent un usage de la marque en France pour les produits en cause, les failles ou incohérences invoquées par la requérante à leur sujet n'étant pas de nature à faire échec à leur pertinence. Ainsi, la prétendue incohérence soulevée par la requérante quant aux montants de certaines factures n'est le fait, comme le démontre la défenderesse au travers des factures en question, que d'une simple remise. Le lien entre les intitulés figurant sur les factures et les produits n'est pas non plus sérieusement contesté par la requérante, rien ne permettant de mettre en doute les explications de la défenderesse, étayées par les autres pièces produites, notamment la liste des tarifs et les photographies des emballages, selon lesquelles « EDT » constitue l'abréviation de « eau de toilette », couramment utilisée par les professionnels du secteur, « 077007 » correspond à une référence interne, « 100 ML » désigne la quantité de liquide et « VAPO » le type de conditionnement, en l'occurrence un vaporisateur. Enfin, comme le retient à juste titre l'INPI, le point de savoir si la forme LOVELY FANTASME est un usage acceptable ou non de la marque FANTASME importe peu, dans la mesure où cette dernière apparaît sur toutes les factures.

S'agissant des pièces non datées ou datées hors de la période de référence, il n'y a pas lieu de les écarter dès lors qu'elles viennent compléter les pièces datées dans la période pertinente précédemment analysées dans la mesure où elles peuvent, comme l'a justement relevé l'INPI, apporter des informations valables sur la période considérée et la stabilité de l'exploitation. Ainsi, les photographies du flacon et du conditionnement du parfum FANTASME (pièces 6.13 à 6.15) sont utiles dans le cadre d'une appréciation globale en combinaison avec d'autres éléments de preuve datés dans la période pertinente dès lors qu'elles démontrent que le conditionnement du parfum FANTASME n'a pas été modifié depuis son lancement en 1992.

Il n'est pas par ailleurs nécessaire que l'usage soit quantitativement important pour être qualifié de sérieux, une certaine constance de l'usage ayant pu être constatée depuis 1992.

S'agissant des factures concernant des professionnels établis à [Localité 4], elles concernent des produits fabriqués et marqués en France, comme cela découle des factures indiquant que les marchandises sont « d'origine française » et de la mention « made in France » figurant au dos des emballages, et conservent donc, une pertinence au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que constitue un usage sérieux « l'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de leur exportation ». L'INPI a au demeurant à juste titre considéré que le débat à leur sujet importait peu, cet usage en dehors du territoire français étant minoritaire et l'usage sur le territoire français étant établi au travers d'autres pièces.

La cour fait dès lors sienne la conclusion de l'INPI selon laquelle est établi l'usage sérieux de la marque FANTASME pour les produits « produits de parfumerie, notamment : parfums et eau de toilette ».

Sur le risque de confusion

L'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que « ne peut être valablement enregistrée ['] une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment : 1° Une marque antérieure : ['] b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ».

Il n'est pas contesté que les produits visés par l'opposition (« parfums, eaux de toilette, eaux de parfum, eaux de Cologne, parfums sous forme solide ») sont identiques aux « parfums et eau de toilette » de la marque antérieure.

En revanche, la société LVMH fragrance brands conteste la proximité des signes verbaux FANTASME et FANTASQUE.

S'agissant de la comparaison des signes, la cour observe une grande proximité visuelle, les signes ayant en commun la longue séquence [FANTAS] et la lettre finale [E] et ne différant que par la substitution des lettres QU à la lettre M, proximité que les différences soulevées par la société LVMH fragrance brands quant au nombre de lettres (9 pour l'un, 8 pour l'autre) et aux angles, doux et arrondis de « QU », pointus de « M », ne suffisent pas à atténuer.

Au plan phonétique, FANTASQUE et FANTASME présentent le même nombre de sons, contrairement à ce que soutient la requérante, et leur attaque est identique

Enfin, au plan conceptuel, s'il est vrai, comme le soulève la société LVMH fragrance brands, que leurs définitions diffèrent, FANTASME désignant, selon le Larousse en ligne, « une représentation imaginaire traduisant des désirs plus ou moins conscients » alors que FANTASQUE est un adjectif désignant, selon le Larousse en ligne, ce qui est « sujet à des fantaisies, à des caprices », l'INPI a mené une appréciation correcte en considérant que ces significations ne sont pas suffisamment claires, en ce qu'elles ne seront pas immédiatement et aussi finement perçues par le public de référence, en l'espèce le grand public, ni suffisamment contrastées, dans la mesure où elles évoquent toutes deux l'imaginaire, la fantaisie ou un comportement échappant à la raison, pour parvenir à elles seules à neutraliser les fortes similitudes visuelles et phonétiques et écarter tout risque de confusion.

S'agissant de la distinctivité des signes en présence, la requérante soutient, qu'à l'inverse de FANTASQUE qui est totalement arbitraire pour désigner des produits de parfumerie et jouit ainsi d'une forte distinctivité, le terme FANTASME est faiblement distinctif pour désigner des produits de parfumerie, en ce qu'il renvoie aux notions de désir, séduction, sensualité, étroitement liées à ces produits, évoquant donc une caractéristique du produit, l'un des objectifs des consommateurs étant de plaire à autrui en se rendant séduisant, et observe que de nombreux articles dédiés à l'univers des parfums renvoient à la notion de fantasme, ce terme étant également régulièrement utilisé au sein des dénominations de produits de parfumerie ou de la communication qui les accompagne, et que de nombreuses 'uvres artistiques associent fantasmes et odeurs. Selon elle, FANTASME, faiblement distinctif et ne bénéficiant en l'espèce d'aucune renommée ou notoriété, n'apparaissant même pas sur le site internet de la société Parfums Ted Lapidus, ne peut prétendre qu'à un degré de protection limité, rendant moins aisée la caractérisation d'un risque de confusion.

La cour observe que si le terme FANTASME peut être perçu comme ayant un certain pouvoir évocateur en ce qu'il renvoie à la séduction pouvant être subjectivement associée aux produits de parfumerie, il ne fait pas allusion aux caractéristiques de ces produits de sorte que sa distinctivité et, partant, son degré de protection ne sont pas aussi faibles que le soutient la requérante.

Par ailleurs, le moyen tiré de l'absence de renommée de la marque antérieure est inopérant, la société Parfums Ted Lapidus n'invoquant pas la renommée au soutien de son opposition, fondée sur le seul risque de confusion et d'association.

Enfin, la solution retenue par l'EUIPO dans la décision invoquée par la requérante, outre qu'elle ne lie aucunement l'INPI ou la cour, concerne une marque complexe comprenant FANTASQUE mais également d'autres éléments, lesquels n'ont pas été indifférents dans l'appréciation menée par l'EUIPO, qui indique que « les éléments de différenciation en particulier, l'élément figuratif distinctif et l'élément « GIVENCHY » au sein de la marque contestée, sont clairement perceptibles et sont d'autant plus propres à exclure tout risque de confusion entre les marques que le public leur portera une attention au moins équivalente à celle portée aux lettres « FANTAS*(*)E » communes aux marques antérieures « FANTASME » et à l'élément « FANTASQUE » de la marque contestée ».

L'appréciation globale du risque de confusion impliquant la prise en compte d'une certaine interdépendance des facteurs selon laquelle un faible degré de similitude entre les produits et services peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les signes, et inversement, il résulte, du fait de l'identité des produits en cause et des ressemblances visuelles et phonétiques prépondérantes existant entre les signes FANTASME et FANTASQUE, ressemblances que la différence conceptuelle est insuffisante à neutraliser, qu'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public sur l'origine des produits.

Le recours en annulation de la décision de l'INPI sera par conséquent rejeté.

Sur les demandes accessoires

Succombant en son recours, la société LVMH fragrance brands sera condamnée aux dépens de l'instance et ne peut prétendre à une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera en revanche condamnée à payer à la société Parfums Ted Lapidus une somme de 8.000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette le recours en annulation formé à l'encontre de la décision du directeur général de l'INPI du 22 février 2024 statuant sur l'opposition OPP 23-0865 ;

Déboute la société LVMH fragrance brands de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société LVMH fragrance brands à payer à la société Parfums Ted Lapidus la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société LVMH fragrance brands aux dépens du recours.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site