CA Bordeaux, 4e ch. com., 7 mai 2025, n° 24/00936
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 7 MAI 2025
N° RG 24/00936 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NU6F
S.A.S. DIIS GROUP
c/
Monsieur [W] [I]
S.A.S. CHAUROS
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 25 janvier 2024 (R.G. 2023M07790) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 28 février 2024
APPELANTE :
S.A.S. DIIS GROUP, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Anastasia SABA du Cabinet d'avocat WEIL GOTSHAL & MANGES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [W] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CHAUROS nommé à cette fonction par un jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire du Tribunal de Commerce de BORDEAUX en date du 29 novembre 2022 converti en liquidation judiciaire par le même Tribunal par jugement du 10 janvier 2023, domicilié en cette qualité [Adresse 3]
Représenté par Maître Esther RENTING substituant Maître Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A.S. CHAUROS, société en liquidation judiciaire qui avait son siège [Adresse 4], présidée par Holding Opéra, elle-même présidée par RUBI PARTICIPATIONS, elle-même représentée par son gérant Monsieur [O] [T] domicilié en cette qualité à son domicile personnel [Adresse 1]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 mars 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE :
1. La société par actions simplifiée Diis Group a pour activité le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion, de représentant de la masse, à l'exclusion de toute activité réglementée.
La société par actions simplifiée Chauros, présidée par la société par actions simplifiée Holding Opéra, a pour activité l'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, traiteur, glacier, chocolatier, salon de thé, vente de produits alimentaires.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a, par jugement du 29 novembre 2022, prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Chauros puis, le 10 janvier 2023, sa liquidation judiciaire et désigné Maître [I] en qualité de liquidateur judiciaire.
La société Diis Group, agissant en qualité de représentant de la masse des porteurs d'obligations, a, le 22 décembre 2022, déclaré au passif de la société Chauros le nantissement du fonds de commerce de la débitrice pour sûreté de la somme principale de 4.500.000 euros outre celle de 945.000 euros au titre des intérêts, ce en garantie d'un emprunt obligataire émis le 15 janvier 2019 par la société Holding Opéra, elle-même placée en redressement judiciaire par jugement du 27 janvier 2022.
Par courrier du 30 mai 2023, le liquidateur judiciaire a informé la société Diis Group que sa créance était contestée aux motifs que le contrat d'émission obligataire annexé à la déclaration de créance était un projet non signé, que les modalités de calcul des intérêts n'étaient pas précisées, et que la complexité du litige dépassait le pouvoir juridictionnel du juge-commissaire.
2. Par ordonnance prononcée le 26 octobre 2023, le juge commissaire a statué ainsi qu'il suit :
- constatons l'existence d'une contestation sérieuse ;
- prononçons un sursis à statuer ;
- invitons la société Diis Group à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion.
La société Diis Group a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 28 février 2024 et a signifié sa déclaration d'appel à la société Chauros le 26 avril 2024.
***
3. Par dernières conclusions notifiées le 22 avril 2024 par RPVA et signifiées le 26 avril suivant, avec la déclaration d'appel, à la société Chauros, la société Diis Group demande à la cour de :
A titre principal,
- constater que l'ordonnance rendue par le juge-commissaire en date du 25 janvier 2024 n'est pas spécialement motivée ;
- constater l'absence de sérieux de la contestation de la créance de nantissement ;
- constater que la contestation de la créance de nantissement relève bien du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire ;
- constater que le juge-commissaire peut statuer lui-même sur l'existence et le montant de la créance de nantissement ;
Par conséquent,
- infirmer, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue par le juge-commissaire en date du 25 janvier 2024 (RG n°2023M07790) ;
- ordonner l'admission, conformément à la déclaration de créance, de la créance de nantissement au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la société Chauros pour la somme totale de 5.445.000 euros, outre intérêts à échoir et éventuels intérêts de retard, au titre du nantissement ;
En tout état de cause,
- condamner solidairement les intimés au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner solidairement les intimés à payer les dépens.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 10 juillet 2024 par RPVA et signifiées le 12 juillet suivant à la société Chauros, la société Holding Opéra et Maître [W] [I], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Chauros, demandent à la cour de :
Vu les articles L.622-24 et suivants, R.622-23 et R.624-5 du code de commerce,
A titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 25 janvier 2024 par Monsieur le juge-commissaire ;
- débouter la société Diis Group de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- surseoir à statuer sur le principe et le quantum de la créance de la société Diis Group à l'égard de la société Chauros dans l'attente de l'issue de la procédure pendante devant la cour d'appel de Bordeaux (RG n°23/04107) concernant le cautionnement consenti par Rubi Participations au titre de l'emprunt obligataire émis par la société Holding Opéra ;
En tout état de cause,
- condamner la société Diis Group à payer la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Diis Group à supporter les dépens.
***
La société Chauros, régulièrement assignée, ne s'est pas constituée.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 février 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
5. Au visa des articles L.624-2 et R.624-5 du code de commerce, la société Diis Group fait grief au juge commissaire d'avoir retenu son défaut de pouvoir juridictionnel et soutient que les motifs énoncés par la décision dont appel n'énoncent pas de contestation sérieuse ; que, en effet, le contrat d'émission obligataire est signé et comporte les éléments propres à permettre de calculer les intérêts du principal ; qu'il n'existe ni litige ni complexité en ce qui concerne la validité de la créance ici examinée qui a d'ailleurs été enregistrée dans le bilan de la société Holding Opéra clos le 31 décembre 2021, ainsi que les intérêts de la dette payés en cours d'exercice.
6. Maître [I] es qualités répond que la créance litigieuse est une créance au titre d'un nantissement consenti comme sûreté accessoire à un emprunt obligataire et à un cautionnement ;
qu'un litige est pendant devant la cour d'appel de Bordeaux concernant la créance de cautionnement ; que, en raison du caractère accessoire de l'engagement de nantissement, la cour d'appel devra, a minima, surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de ce litige.
L'intimé soutient par ailleurs que la société Diis Group sollicite, au sein de ses dernières écritures, outre l'admission de sa créance à hauteur de 5.445.000 euros, celle des intérêts à
échoir et éventuels intérêts de retard au titre du nantissement, ce qui ne correspond pas aux énonciations du bordereau d'inscription de privilège de nantissement de fonds de commerce ; que la cour ne pourra dès lors que constater que la demande d'admission d'intérêts à échoir et éventuels intérêts de retard est mal fondée.
Sur ce,
7. L'article L.624-2 du code de commerce dispose :
« Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d'admission est recevable, décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.»
L'article R.624-5 du code de commerce précise :
« Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.
Les tiers intéressés ne peuvent former tierce opposition contre la décision rendue par la juridiction compétente que dans le délai d'un mois à compter de sa transcription sur l'état des créances.»
8. La société Diis Group produit aux débats l'acte d'émission, par la société Holding Opéra, d'un emprunt obligataire d'un montant nominal total de 4.500.000 euros -soit 45 obligations d'une valeur nominale de 100.000 euros chacune- portant intérêt au taux fixe de 7 % l'an et venant à échéance le 17 janvier 2022.
Cette émission a fait l'objet d'une autorisation du comité de direction de la société Holding Opéra le 14 janvier 2019 et a été formalisée par un acte du 15 janvier 2019 signé par l'émetteur et fixant les modalités d'émission de ces 45 obligations, de leur souscription et de leur remboursement à l'échéance.
L'acte du 15 janvier 2019 désigne à l'article 15 la société Diis Group en qualité de représentant de la masse des porteurs finaux des obligations et explicite à l'article 5 le mode de calcul des intérêts de la dette.
L'appelante verse également à son dossier l'échange de messages électroniques du 30 décembre 2021 entre l'émetteur et le représentant de la masse des obligataires relatif à la modification de la structure de la dette et de ses garanties, ainsi que le procès-verbal de l'assemblée générale des obligataires réunie le 14 janvier 2022 approuvant ces modifications et, en particulier, le report de l'échéance de remboursement au 29 février 2024.
Il est de plus produit la convention de nantissement de premier rang conclue le 18 avril 2019 entre les sociétés Chauros et Diis Group et le bordereau d'inscription de privilège au registre du commerce de Bordeaux en date du 31 janvier 2020.
Il s'agit d'une créance dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture, de sorte que la société Diis Group es qualités a, à juste titre, déclaré sa créance entre les mains du liquidateur, ce dans des formes et délais qui ne font pas l'objet de discussion.
9. Cette créance, reposant sur la constitution d'une garantie du remboursement de l'émission d'un emprunt obligataire de 4.500.000 euros par la société Holding Opéra, est étayée par les documents relatifs et il n'apparaît pas que les motifs de discussion de cette déclaration de créance constituent une contestation sérieuse au sens de l'article L.624-2 du code de commerce.
En particulier, la convention de nantissement a expressément pour objet la garantie d'une obligation de paiement à échéance de la somme de 4.500.000 euros au taux fixe de 7 % l'an, soit, compte tenu de la durée de l'emprunt obligataire, un total de 945.000 euros d'intérêts.
L'obligation garantie, telle que résultant de l'engagement de la société Holding Opéra en date du 15 janvier 2019 sur autorisation de son comité de direction, comporte également l'engagement par la société émettrice, à l'article 5.5 de son acte d'engagement, de payer des intérêts de retard ; elle est expressément rappelée en préambule de la convention de nantissement, lequel mentionne expressément, au titre de l'obligation garantie, « toutes sommes dues par l'émetteur [c'est-à-dire la société Holding Opéra] et les cautions aux porteurs d'obligations au titre des obligations, en principal, intérêts, intérêts de retard, commissions, indemnités, rémunérations, frais et autres accessoires et toutes autres sommes que l'émetteur et les cautions pourraient devoir au titre des documents de financement.»
Ainsi, le fait que le bordereau d'inscription de la sûreté ne porte que sur l'obligation principale (soit le remboursement de la somme empruntée et des intérêts contractuellement arrêtés) n'interdisait pas à la société Diis Group de déclarer, au titre de sa créance, les intérêts d'un montant total de 945.000 euros, « ou intérêts à échoir, intérêts de retard, commissions, indemnités, rémunérations, frais et autres accessoires et toutes autres sommes que l'émetteur et les cautions pourraient devoir au titre des documents de financement », ce dans les mêmes termes, donc, que cet engagement rappelé dans la convention de nantissement.
Enfin, le litige mentionné par l'intimé comme susceptible d'avoir une influence sur le présent procès a donné lieu au prononcé, le 18 décembre 2024, d'un arrêt de la cour admettant au passif de la liquidation judiciaire de la société Rubi Participations la créance à titre privilégié de 4.671.000 euros outre intérêts à échoir et éventuels intérêts de retard déclarée le 23 mars 2022 par la société Diis Group, en qualité de représentant de la masse des porteurs d'obligations, au titre de l'acte de cautionnement solidaire du 15 janvier 2019 de l'emprunt obligataire émis le 15 janvier 2019 par la société Holding Opéra.
10. Il y a donc lieu, infirmant l'ordonnance déférée, de prononcer l'admission de la créance de la société Diis Group es qualités au passif de la liquidation judiciaire de la société Chauros.
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance prononcée le 25 janvier 2024 par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux.
Statuant à nouveau,
Prononce l'admission au passif de la liquidation judiciaire de la société Chauros la créance de nantissement de second rang de fonds de commerce constitué pour sûreté de la somme de 5.445.000 euros au titre de l'emprunt obligataire émis le 15 janvier 2019 par la société Holding Opéra, créance déclarée le 22 décembre 2022 par la société Diis Group en qualité de représentant de la masse des porteurs d'obligations.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 7 MAI 2025
N° RG 24/00936 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NU6F
S.A.S. DIIS GROUP
c/
Monsieur [W] [I]
S.A.S. CHAUROS
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 25 janvier 2024 (R.G. 2023M07790) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 28 février 2024
APPELANTE :
S.A.S. DIIS GROUP, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Anastasia SABA du Cabinet d'avocat WEIL GOTSHAL & MANGES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [W] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CHAUROS nommé à cette fonction par un jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire du Tribunal de Commerce de BORDEAUX en date du 29 novembre 2022 converti en liquidation judiciaire par le même Tribunal par jugement du 10 janvier 2023, domicilié en cette qualité [Adresse 3]
Représenté par Maître Esther RENTING substituant Maître Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A.S. CHAUROS, société en liquidation judiciaire qui avait son siège [Adresse 4], présidée par Holding Opéra, elle-même présidée par RUBI PARTICIPATIONS, elle-même représentée par son gérant Monsieur [O] [T] domicilié en cette qualité à son domicile personnel [Adresse 1]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 mars 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE :
1. La société par actions simplifiée Diis Group a pour activité le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion, de représentant de la masse, à l'exclusion de toute activité réglementée.
La société par actions simplifiée Chauros, présidée par la société par actions simplifiée Holding Opéra, a pour activité l'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, traiteur, glacier, chocolatier, salon de thé, vente de produits alimentaires.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a, par jugement du 29 novembre 2022, prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Chauros puis, le 10 janvier 2023, sa liquidation judiciaire et désigné Maître [I] en qualité de liquidateur judiciaire.
La société Diis Group, agissant en qualité de représentant de la masse des porteurs d'obligations, a, le 22 décembre 2022, déclaré au passif de la société Chauros le nantissement du fonds de commerce de la débitrice pour sûreté de la somme principale de 4.500.000 euros outre celle de 945.000 euros au titre des intérêts, ce en garantie d'un emprunt obligataire émis le 15 janvier 2019 par la société Holding Opéra, elle-même placée en redressement judiciaire par jugement du 27 janvier 2022.
Par courrier du 30 mai 2023, le liquidateur judiciaire a informé la société Diis Group que sa créance était contestée aux motifs que le contrat d'émission obligataire annexé à la déclaration de créance était un projet non signé, que les modalités de calcul des intérêts n'étaient pas précisées, et que la complexité du litige dépassait le pouvoir juridictionnel du juge-commissaire.
2. Par ordonnance prononcée le 26 octobre 2023, le juge commissaire a statué ainsi qu'il suit :
- constatons l'existence d'une contestation sérieuse ;
- prononçons un sursis à statuer ;
- invitons la société Diis Group à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion.
La société Diis Group a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 28 février 2024 et a signifié sa déclaration d'appel à la société Chauros le 26 avril 2024.
***
3. Par dernières conclusions notifiées le 22 avril 2024 par RPVA et signifiées le 26 avril suivant, avec la déclaration d'appel, à la société Chauros, la société Diis Group demande à la cour de :
A titre principal,
- constater que l'ordonnance rendue par le juge-commissaire en date du 25 janvier 2024 n'est pas spécialement motivée ;
- constater l'absence de sérieux de la contestation de la créance de nantissement ;
- constater que la contestation de la créance de nantissement relève bien du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire ;
- constater que le juge-commissaire peut statuer lui-même sur l'existence et le montant de la créance de nantissement ;
Par conséquent,
- infirmer, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue par le juge-commissaire en date du 25 janvier 2024 (RG n°2023M07790) ;
- ordonner l'admission, conformément à la déclaration de créance, de la créance de nantissement au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la société Chauros pour la somme totale de 5.445.000 euros, outre intérêts à échoir et éventuels intérêts de retard, au titre du nantissement ;
En tout état de cause,
- condamner solidairement les intimés au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner solidairement les intimés à payer les dépens.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 10 juillet 2024 par RPVA et signifiées le 12 juillet suivant à la société Chauros, la société Holding Opéra et Maître [W] [I], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Chauros, demandent à la cour de :
Vu les articles L.622-24 et suivants, R.622-23 et R.624-5 du code de commerce,
A titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 25 janvier 2024 par Monsieur le juge-commissaire ;
- débouter la société Diis Group de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- surseoir à statuer sur le principe et le quantum de la créance de la société Diis Group à l'égard de la société Chauros dans l'attente de l'issue de la procédure pendante devant la cour d'appel de Bordeaux (RG n°23/04107) concernant le cautionnement consenti par Rubi Participations au titre de l'emprunt obligataire émis par la société Holding Opéra ;
En tout état de cause,
- condamner la société Diis Group à payer la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Diis Group à supporter les dépens.
***
La société Chauros, régulièrement assignée, ne s'est pas constituée.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 février 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
5. Au visa des articles L.624-2 et R.624-5 du code de commerce, la société Diis Group fait grief au juge commissaire d'avoir retenu son défaut de pouvoir juridictionnel et soutient que les motifs énoncés par la décision dont appel n'énoncent pas de contestation sérieuse ; que, en effet, le contrat d'émission obligataire est signé et comporte les éléments propres à permettre de calculer les intérêts du principal ; qu'il n'existe ni litige ni complexité en ce qui concerne la validité de la créance ici examinée qui a d'ailleurs été enregistrée dans le bilan de la société Holding Opéra clos le 31 décembre 2021, ainsi que les intérêts de la dette payés en cours d'exercice.
6. Maître [I] es qualités répond que la créance litigieuse est une créance au titre d'un nantissement consenti comme sûreté accessoire à un emprunt obligataire et à un cautionnement ;
qu'un litige est pendant devant la cour d'appel de Bordeaux concernant la créance de cautionnement ; que, en raison du caractère accessoire de l'engagement de nantissement, la cour d'appel devra, a minima, surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de ce litige.
L'intimé soutient par ailleurs que la société Diis Group sollicite, au sein de ses dernières écritures, outre l'admission de sa créance à hauteur de 5.445.000 euros, celle des intérêts à
échoir et éventuels intérêts de retard au titre du nantissement, ce qui ne correspond pas aux énonciations du bordereau d'inscription de privilège de nantissement de fonds de commerce ; que la cour ne pourra dès lors que constater que la demande d'admission d'intérêts à échoir et éventuels intérêts de retard est mal fondée.
Sur ce,
7. L'article L.624-2 du code de commerce dispose :
« Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d'admission est recevable, décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.»
L'article R.624-5 du code de commerce précise :
« Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.
Les tiers intéressés ne peuvent former tierce opposition contre la décision rendue par la juridiction compétente que dans le délai d'un mois à compter de sa transcription sur l'état des créances.»
8. La société Diis Group produit aux débats l'acte d'émission, par la société Holding Opéra, d'un emprunt obligataire d'un montant nominal total de 4.500.000 euros -soit 45 obligations d'une valeur nominale de 100.000 euros chacune- portant intérêt au taux fixe de 7 % l'an et venant à échéance le 17 janvier 2022.
Cette émission a fait l'objet d'une autorisation du comité de direction de la société Holding Opéra le 14 janvier 2019 et a été formalisée par un acte du 15 janvier 2019 signé par l'émetteur et fixant les modalités d'émission de ces 45 obligations, de leur souscription et de leur remboursement à l'échéance.
L'acte du 15 janvier 2019 désigne à l'article 15 la société Diis Group en qualité de représentant de la masse des porteurs finaux des obligations et explicite à l'article 5 le mode de calcul des intérêts de la dette.
L'appelante verse également à son dossier l'échange de messages électroniques du 30 décembre 2021 entre l'émetteur et le représentant de la masse des obligataires relatif à la modification de la structure de la dette et de ses garanties, ainsi que le procès-verbal de l'assemblée générale des obligataires réunie le 14 janvier 2022 approuvant ces modifications et, en particulier, le report de l'échéance de remboursement au 29 février 2024.
Il est de plus produit la convention de nantissement de premier rang conclue le 18 avril 2019 entre les sociétés Chauros et Diis Group et le bordereau d'inscription de privilège au registre du commerce de Bordeaux en date du 31 janvier 2020.
Il s'agit d'une créance dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture, de sorte que la société Diis Group es qualités a, à juste titre, déclaré sa créance entre les mains du liquidateur, ce dans des formes et délais qui ne font pas l'objet de discussion.
9. Cette créance, reposant sur la constitution d'une garantie du remboursement de l'émission d'un emprunt obligataire de 4.500.000 euros par la société Holding Opéra, est étayée par les documents relatifs et il n'apparaît pas que les motifs de discussion de cette déclaration de créance constituent une contestation sérieuse au sens de l'article L.624-2 du code de commerce.
En particulier, la convention de nantissement a expressément pour objet la garantie d'une obligation de paiement à échéance de la somme de 4.500.000 euros au taux fixe de 7 % l'an, soit, compte tenu de la durée de l'emprunt obligataire, un total de 945.000 euros d'intérêts.
L'obligation garantie, telle que résultant de l'engagement de la société Holding Opéra en date du 15 janvier 2019 sur autorisation de son comité de direction, comporte également l'engagement par la société émettrice, à l'article 5.5 de son acte d'engagement, de payer des intérêts de retard ; elle est expressément rappelée en préambule de la convention de nantissement, lequel mentionne expressément, au titre de l'obligation garantie, « toutes sommes dues par l'émetteur [c'est-à-dire la société Holding Opéra] et les cautions aux porteurs d'obligations au titre des obligations, en principal, intérêts, intérêts de retard, commissions, indemnités, rémunérations, frais et autres accessoires et toutes autres sommes que l'émetteur et les cautions pourraient devoir au titre des documents de financement.»
Ainsi, le fait que le bordereau d'inscription de la sûreté ne porte que sur l'obligation principale (soit le remboursement de la somme empruntée et des intérêts contractuellement arrêtés) n'interdisait pas à la société Diis Group de déclarer, au titre de sa créance, les intérêts d'un montant total de 945.000 euros, « ou intérêts à échoir, intérêts de retard, commissions, indemnités, rémunérations, frais et autres accessoires et toutes autres sommes que l'émetteur et les cautions pourraient devoir au titre des documents de financement », ce dans les mêmes termes, donc, que cet engagement rappelé dans la convention de nantissement.
Enfin, le litige mentionné par l'intimé comme susceptible d'avoir une influence sur le présent procès a donné lieu au prononcé, le 18 décembre 2024, d'un arrêt de la cour admettant au passif de la liquidation judiciaire de la société Rubi Participations la créance à titre privilégié de 4.671.000 euros outre intérêts à échoir et éventuels intérêts de retard déclarée le 23 mars 2022 par la société Diis Group, en qualité de représentant de la masse des porteurs d'obligations, au titre de l'acte de cautionnement solidaire du 15 janvier 2019 de l'emprunt obligataire émis le 15 janvier 2019 par la société Holding Opéra.
10. Il y a donc lieu, infirmant l'ordonnance déférée, de prononcer l'admission de la créance de la société Diis Group es qualités au passif de la liquidation judiciaire de la société Chauros.
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance prononcée le 25 janvier 2024 par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux.
Statuant à nouveau,
Prononce l'admission au passif de la liquidation judiciaire de la société Chauros la créance de nantissement de second rang de fonds de commerce constitué pour sûreté de la somme de 5.445.000 euros au titre de l'emprunt obligataire émis le 15 janvier 2019 par la société Holding Opéra, créance déclarée le 22 décembre 2022 par la société Diis Group en qualité de représentant de la masse des porteurs d'obligations.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président