CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 4 juin 2025, n° 21/05621
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Toulouse
Avocats :
Mme Ouvrel, Mme de Bechillon
Avocats :
Me Lacidi, Me Faupin, Me Rindermann, Me Bayard, Cabinet Lamy Pomies-Richaud Avocats Associes, SCP Buravan Desmettre Giguet Faupin, SAS DM Avocats & Partners, SELARL Cardonnel-Bayard
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 4 juin 2015, M. [B] [R] a vendu à M. [E] [L] un bateau Ultramar modèle WEEK-END 700 dénommé Marina III au prix de 18 000 euros. M. [B] [R] avait lui-même acquis ce bateau de M. [P] [W] le 5 février 2014, qui l'avait lui-même acheté le 30 août 2012 auprès de M. [Z] [C] et de Mme [N] [T].
Lors d'une mise à terre du navire pour carénage annuel le 23 mars 2016, il est apparu l'existence d'une fuite au niveau de la coque et qu'une fibre de verre se détachait de la coque sous la flottaison, faisant apparaître une très ancienne réparation. M. [E] [L] a fait intervenir le chantier Arpes pour obtenir un devis de réparation, l'entreprise indiquant que le devis dépassait nettement la valeur vénale du bateau.
Une expertise amiable a été diligentée par un expert maritime au contradictoire des parties qui a déposé son rapport le 5 décembre 2016. L'expert amiable, M. [V] [R] a relevé une infiltration d'eau résultant d'une réparation ancienne du fond du bateau, réalisée sans respecter les règles de l'art, ayant entraîné le pourrissement du bois ; il a précisé que la coque du navire n'était pas économiquement réparable.
Par acte du 1er juin 2017, M. [E] [L] a assigné M. [B] [R] devant le tribunal de grande instance de Tarascon pour obtenir la résolution de la vente au titre de la garantie des vices cachés, la restitution du prix et la réparation de ses préjudices.
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Par acte du 27 octobre 2017, M. [B] [R] a appelé M. [P] [W] en garantie, lui-même assignant à cette fin M. [Z] [C] et Mme [N] [T] aux mêmes fins le 13 avril 2018.
Les instances ont été jointes.
Par jugement réputé contradictoire en date du 1er avril 2021, le tribunal judiciaire de Tarascon a :
dit n'y avoir lieu à statuer sur la nullité de l'expertise faute de demande dans le dispositif d'aucune des parties,
dit que l'action n'est pas prescrite,
débouté M. [E] [L] de toutes ses demandes,
rejeté toutes autres demandes des parties,
condamné M. [E] [L] à payer à M. [B] [R], M. [P] [W] et M. [Z] [C] la somme de 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le tribunal a estimé qu'aucune demande ne figurait au dispositif des conclusions des parties reprenant une demande de nullité du rapport d'expertise, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner cette prétention.
Sur la prescription, le tribunal l'a écartée et a retenu que la première réunion d'expertise amiable avait eu lieu le 16 septembre 2016, le rapport d'expertise ayant été déposé le 5 décembre 2016, de sorte que M. [P] [W] avait jusqu'au 16 septembre 2018 ou au 5 décembre 2018 pour engager son action en garantie des vices cachés, ce qu'il a fait puisque l'assignation date du 13 avril 2018.
Au fond, le tribunal, sur la base du rapport d'expertise amiable a considéré que plusieurs explications pouvaient être retenues en termes d'origine du dommage causé à la coque du navire, ainsi qu'au titre de sa date de survenance qui mentionne une réparation ancienne, sans pouvoir la dater, et alors que la coque a été découpée par M. [E] [L], non contradictoirement et avant toute expertise amiable. Il en a déduit que M. [E] [L] ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un vice caché antérieur à la vente du bateau à son profit.
Selon déclaration reçue au greffe le 15 avril 2021, M. [E] [L] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes les dispositions du jugement déféré dûment reprises.
Par ordonnance sur incident du 26 janvier 2022, le conseiller de la mise en état de la chambre 1-1 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté la demande d'expertise judiciaire formée par M. [E] [L] et l'a condamné au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. Le conseiller de la mise en état a estimé que l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire ne pouvait avoir pour objet de pallier la carence du demandeur dans l'administration de la preuve. Il a ajouté qu'au vu des circonstances de fait, de l'ancienneté du litige et de l'indétermination de la date des réparations non litigieuses, il n'apparaissait pas qu'une telle mesure pourrait valablement contribuer à la solution du litige.
Par ordonnance sur incident du conseiller de la mise en état de la chambre 1-1 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 10 septembre 2024, il a été donné acte à M. [P] [W] de sa renonciation à soulever la péremption de l'instance.
Par dernières conclusions transmises le 13 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [E] [L] sollicite de la cour qu'elle :
déboute M. [P] [W] de ses demandes,
déboute M. [B] [R] de ses demandes,
déboute M. [Z] [C] de ses demandes,
confirme la décision entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu de statuer sur la nullité de l'expertise et dit que l'action n'était pas prescrite,
l'infirme pour le surplus,
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Statuant à nouveau :
À titre principal :
constate la présence d'un vice caché sur le navire Ultramar antérieurement à l'acquisition qu'il en a faite,
prononce la résolution de la vente du bateau intervenue le 4 juin 2015,
condamne M. [B] [R] à lui payer :
- 18 000 euros au titre du prix de vente,
- 1 680,20 euros au titre du remboursement des intérêts d'emprunt,
- 1 239,40 euros au titre du remboursement de la place au port à [Localité 5] en 2015,
- 1 534 euros au titre du remboursement de la place au port à [Localité 5] de janvier à décembre 2016,
- 390 euros au titre du grutage du bateau le 21 mars 2016,
- 1 102 euros au titre du remboursement de la place au port à sec à [Localité 8] d'avril 2016 à avril 2017,
- 1 237 euros au titre du remboursement de la place au port à sec à [Localité 8] d'avril 2017 à avril 2018,
- 1 237 euros au titre du remboursement de la place au port à sec à [Localité 8] d'avril 2017 à avril 2018,
- 802,87 euros au titre du remboursement des frais d'assurance d'août 2015 à février 2017,
- 510,90 euros au titre du remboursement des frais d'assurance 2018,
- 73,20 euros au titre de la taxe de séjour port,
- 1 148 au titre du remboursement de la taxe douanière,
- 10 000 euros au titre de son préjudice de jouissance,
condamne M. [B] [R] à lui payer la somme de 1 000 euros par mois courant à titre d'indemnité d'immobilisation courant jusqu'à parfaite restitution du bateau incluant les frais de stockage du bateau,
condamne M. [B] [R] à lui payer la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
À titre subsidiaire :
constate la présence d'un vice caché sur le navire,
prononce la résolution de la vente du bateau le 4 juin 2015,
condamne M. [B] [R] à lui payer la somme de 18 000 euros au titre du prix de vente,
condamne solidairement M. [B] [R], M. [P] [W] et M. [Z] [C] à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 10 854,57 euros en réparation de son préjudice matériel outre 10 000 euros au titre de son préjudice de jouissance,
condamne M. [B] [R] solidairement avec M. [P] [W] et M. [Z] [C] à lui payer la somme de 1 000 euros par mois courant à titre d'indemnité d'immobilisation courant jusqu'à parfaite restitution du navire incluant les frais de stockage du bateau,
condamne M. [B] [R] solidairement avec M. [P] [W] et M. [Z] [C] à lui payer la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
En tout état de cause :
disque M. [B] [R] devra exécuter la double obligation :
- du paiement de l'intégralité du principal de l'arrêt à intervenir dans le délai maximum d'un mois à compter de la signification de celui-ci sous peine d'astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai,
- de la récupération de leur bateau dans tout lieu où celui-ci est entreposé dans le délai maximum d'un mois à compter du règlement des effets de l'arrêt sous peine d'astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai,
condamne M. [B] [R] à lui payer la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, incluant les frais de l'expertise amiable.
M. [E] [L] s'oppose à toute nullité du rapport d'expertise, soutenant qu'ils'agit d'une demande nouvelle irrecevable en appel, relevant de la compétence du juge de la mise en état, et non fondée, dans la mesure où l'expert d'assurance a convoqué l'ensemble des parties aux réunions des 9 novembre 2016 et 29 novembre 2016 et où ses conclusions ont été soumises au débat contradictoire.
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S'agissant de la prescription invoquée par M. [Z] [C], M. [E] [L] indique s'en rapporter à justice.
Il fonde ses prétentions principalement sur les articles 1641 et suivants du code civil et dénonce un vice caché tenant en une ancienne et mauvaise réparation non décelable sans mise à terre du navire et inspection complète par un professionnel du nautisme. Il soutient que la coque est économiquement non réparable, de sorte que le navire est impropre à son usage. Il ajoute que la connaissance du vice par le vendeur n'est pas indispensable à la restitution du prix issue de la résolution de la vente. Il assure que les conclusions expertales établissent que la réparation litigieuse est antérieure à la vente entre M. [B] [R] et lui.
Subsidiairement, il invoque le défaut de délivrance conforme de l'article 1603 du code civil.
En termes de responsabilité, M. [E] [L] soutient que M. [B] [R] ne démontre pas que le bateau n'a pas subi d'avarie et qu'il n'a pas fait de réparation pendant qu'il était propriétaire du bateau en cause (attestation M. [D] insuffisante, pas de facture), alors qu'un entretien annuel a minima a dû intervenir. Il ajoute que l'expert évoque un choc entre la coque et une remorque ou des bers, alors que M. [B] [R] a acheté une remorque avec le bateau en février 2014. Il assure que les traces sur l'embase du moteur sont liées à des cordages et que l'hélice a été enlevée pour éviter tout vol, mais il dément tout choc sur ces parties du bateau. Il assure pour sa part n'avoir souffert aucun choc sur le bateau depuis son achat. L'appelant soutient que la réparation effectuée est antérieure à sa propre acquisition et que rien n'établit que M. [B] [R] n'en soit pas à l'origine. Il soutient que M. [B] [R] en connaissait l'existence, de sorte que l'intégralité de ses préjudices doit être réparée par ce dernier, dont la bonne foi ne peut pas être retenue, estimant qu'un faisceau d'indices démontre que la réparation est intervenue du fait de M. [B] [R] à la suite d'un accident sur sa remorque.
À titre subsidiaire, M. [E] [L] entend engager également la responsabilité de M. [P] [W] et de M. [Z] [C], solidairement avec M. [B] [R].
M. [E] [L] sollicite la restitution du prix de vente, des frais générés et de son préjudice de jouissance n'ayant pu naviguer avec son bateau depuis le 21 mars 2016.
Par dernières conclusions transmises le 13 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [B] [R] sollicite de la cour qu'elle :
À titre principal :
confirme le jugement entrepris,
À titre subsidiaire :
déboute M. [E] [L] de ses demandes en dommages et intérêts au regard de l'absence de connaissance par lui du vice caché,
dise qu'il ne saurait être retenu de restituer l'intégralité du prix de vente du navire, ce prix devant être diminué de la valeur du moteur et de la place au port, à savoir la somme de 10 000 euros,
déboute M. [P] [W] de sa demande de nullité et d'inopposabilité de l'expertise,
condamne M. [P] [W] à le relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre lui, y compris sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et au titre des dépens,
En tout état de cause :
condamne toute partie succombante à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
M. [B] [R] soutient, d'une part, que la preuve d'un vice préexistant à la vente n'est pas rapportée, la date du vice étant indéterminée au vu de la seule expertise amiable diligentée, qui a certes relevé qu'une réparation du navire a été effectuée sans être conforme aux règles de l'art, entraînant un défaut d'étanchéité de la coque du navire et un pourrissement de celle-ci. Pour sa part, il se défend d'avoir rencontré une difficulté avec la bateau et d'avoir réalisé des réparations sur celui-ci, alors que le bateau a manifestement subi un choc sous la coque depuis son acquisition par M. [E] [L], notamment sur l'embase du moteur avec talonnement. M. [B] [R] ajoute que M. [E] [L] a procédé à une exploration destructive de la coque avant toute expertise contradictoire, ne permettant pas d'exclure que l'appelant soit intervenu sur la coque avant toute investigation contradictoire.
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D'autre part, à titre subsidiaire, s'il devait être retenu l'existence d'un vice antérieur à la vente du 4 juin 2015, M. [B] [R] soutient qu'il préexistait alors à sa propre acquisition et qu'il en ignorait tout, le vice étant décrit comme invisible à l'oeil nu. Il invoque donc sa bonne foi. En application de l'article 1646 du code civil, il fait alors valoir qu'il ne pourrait être tenu d'indemniser M. [E] [L] que de la restitution du prix de vente dont il convient de déduire la valeur du moteur non défectueux et de la place au port acquise avec l'achat du navire, de sorte qu'il ne pourrait être redevable envers M. [E] [L] que d'une somme de 8 000 euros maximum. M. [B] [R] entend, dans le cadre de la chaîne de contrats, appeler en garantie son vendeur, M. [P] [W].
S'agissant enfin de la nullité du rapport d'expertise de M. [A] [R], M. [B] [R] fait valoir que M. [P] [W] était présent lors de l'expertise amiable, et a été en mesure de présenter ses observations. Il ajoute que l'homonymie avec l'expert judiciaire n'implique aucun défaut d'impartialité de la part de l'expert. Il estime donc cette nullité ou inopposabilité non fondée.
Par dernières conclusions transmises le 21 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [P] [W] sollicite de la cour qu'elle :
déclare recevable mais mal fondé l'appel de M. [E] [L],
juge nul et de nul effet le rapport d'expertise de M. [R], et, en tout état de cause le déclare inopposable à son endroit,
confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [E] [L] de ses demandes et l'en déboute à son égard,
À titre principal :
juge que l'origine, la cause et la date du sinistre ne sont pas rapportées,
juge que le bateau était exempt de tous dommages après sa vente par M. [P] [W] à M. [B] [R] le 5 février 2014,
condamne M. [E] [L] à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamne M. [E] [L] au paiement des entiers dépens, avec distraction,
À titre subsidiaire :
déclare recevable et bien fondée son assignation en intervention forcée contre M. [Z] [C] et Mme [N] [T],
condamne M. [Z] [C] et Mme [N] [T] à le relever et garantir de toutes condamnations à son endroit,
condamne M. [Z] [C] et Mme [N] [T] à lui payer 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamne M. [Z] [C] et Mme [N] [T] au paiement des dépens avec distraction.
M. [P] [W] invoque en premier lieu la nullité du rapport d'expertise pour violation du principe de la contradiction. Il soutient qu'une première réunion a eu lieu le 16 septembre 2016 sans convocation préalable des parties, que l'expert a examiné le bateau seul le 21 septembre 2016 sans avoir convoqué les parties, et que son conseil technique n'a pas été convoqué pour la réunion du 29 novembre 2016. L'intimé souligne en outre l'homonymie entre l'expert et M. [B] [R].
Au titre des responsabilités, M. [P] [W] soutient que les pièces produites n'établissent en rien que le vice dénoncé préexistait à l'acquisition par M. [E] [L] du bateau en cause, ou à celle du même bien par M. [B] [R]. Il fait valoir que M. [E] [L] est sorti en mer sur le bateau avec M. [B] [R] à plusieurs reprises, a procédé à une découpe de la coque entre le 21 et le 23 mars 2016, hors tout contradictoire, 6 mois avant l'intervention de l'expert, et en remettant le bateau à l'eau entre temps. Il ajoute qu'aucun élément ne permet de dire que le navire n'a pas subi de choc postérieurement à sa vente du bateau. Au contraire, il soutient que les éléments de l'espèce démontrent que le dommage sur le bateau est intervenu après qu'il a lui-même revendu ce navire, du moins que l'origine, la cause et la date du sinistre ne sont pas précisément connues et ne peuvent être imputées à l'un ou l'autre des propriétaires successifs du navire. Il relève que l'expert souligne les incertitudes entourant les interventions et avaries subies sur le bateau, y compris au niveau de l'embase du moteur et de l'hélice, et précise lui-même que les réparations en cause peuvent être antérieures à sa propre jouissance du navire.
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A titre subsidiaire, M. [P] [W] appelle en garantie ses vendeurs, M. [Z] [C] et Mme [N] [T].
Par dernières conclusions transmises le 20 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [Z] [C] sollicite de la cour qu'elle :
infirme le jugement en ce qu'il n'a pas constaté la prescription de l'action de M. [P] [W] à son endroit et dise que la prescription est intervenue,
réforme le jugement et prononce sa mise hors de cause,
dise que la démonstration d'un vice caché antérieur à la vente du 31 août 2012 entre lui et M. [P] [W] n'est pas rapportée,
confirme le jugement pour le surplus,
condamne toute partie à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens avec distraction.
M. [Z] [C] soulève, tout d'abord, la prescription de l'action intentée par M. [P] [W] contre lui, celle-ci résultant d'une assignation en date du 27 octobre 2017, alors que la vente est intervenue entre eux le 31 août 2012, de sorte que tant le délai de prescription de 5 ans de l'article 2224 du code civil que celui de deux ans de l'article 1648 du code civil sont expirés.
Par ailleurs, M. [Z] [C] estime que l'appel en garantie exercé par M. [P] [W] ne présente pas de lien suffisant avec les prétentions principales dès lors qu'aucun élément susceptible de mettre en cause sa propre responsabilité n'est établi.
En outre, M. [Z] [C] fait valoir que les expertises intervenues, à la demande des assureurs respectifs de M. [E] [L] et de M. [B] [R], ne sont pas objectives et sont dépourvues de force probante quant à la démonstration d'un vice caché antérieur à la vente intervenue entre M. [P] [W] et lui. Il soutient que M. [E] [L] ne procède que par affirmations, sa garantie ne pouvant aucunement être retenue.
Mme [N] [T], régulièrement intimée à étude le 21 septembre 2021, dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat et n'a pas conclu.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 25 février 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de nullité et d'inopposabilité de l'expertise présentée par M. [P] [W]
Tout d'abord, la prétention tendant à la nullité du rapport d'expertise de M. [V] [R] en date du 5 décembre 2016 ne peut être considérée comme nouvelle dès lors que cette question a été évoquée devant le premier juge qui a seul apprécié la situation en considérant ne pas être saisi faute de demande à ce titre dans le dispositif des conclusions de l'une ou l'autre des parties. Néanmoins, certains intimés, notamment M. [P] [W], avait cru avoir présenté une telle prétention qui ne peut être déclarée nouvelle au sens des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, de sorte qu'elle est recevable.
En pages 2 et 3 du rapport de M. [V] [R], il appert que ce dernier a procédé à trois réunions, l'une le 16 septembre 2016, en la seule présence de M. [E] [L], étant mandaté par l'assureur protection juridique de ce dernier, la Matmut, deux autres les 9 et 29 novembre 2016, toutes à [Localité 9], au contradictoire des autres parties. Ainsi, M. [V] [R] indique qu'étaient présents le 9 novembre, M. [E] [L], M. [B] [R], le conseil de ce dernier et l'expert de son assureur, M. [P] [W] et son expert d'assurance. De même, M. [V] [R] précise que, le 29 novembre 2016, étaient présents M. [E] [L], M. [B] [R], son conseil et son assureur d'assurance, M. [P] [W] tandis que M. [Z] [C] et Mme [N] [T] étaient absents. Certes, le conseil technique de M. [P] [W] n'était pas présent, celui-ci n'ayant pas été disponible à la date retenue par l'expert, ainsi que le courrier produit en atteste. Le fait que l'expert n'ait pas prévu une nouvelle date à raison de la seule indisponibilité de ce conseil technique, alors que la partie elle-même, en l'occurrence M. [P] [W], était présente, ne constitue pas une violation du contradictoire.
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De même, le fait que la première réunion d'expertise ait eu lieu en la seule présence de l'assuré, s'agissant d'une expertise amiable diligentée par l'assureur protection juridique, correspond au processus habituel en la matière. Ainsi que M. [V] [R] l'a indiqué à son mandant, l'assureur Matmut, le 23 septembre 2016, ce n'est qu'après cette première expertise et après avoir examiné le navire le 21 septembre suivant qu'il lui est apparu nécessaire de procéder par expertise contradictoire, en présence des deux derniers propriétaires du navire en cause.
Dans ces conditions, aucune violation du contradictoire justifiant la nullité du rapport d'expertise amiable n'est démontrée, ni aucun motif d'inopposabilité de ce rapport d'investigation à M. [P] [W] n'est justifié, étant une fois encore observé qu'il s'agit d'un rapport amiable, et non d'une mesure d'expertise judiciaire.
La demande de nullité du rapport d'expertise, recevable, sera donc rejetée.
Sur les demandes présentées par M. [E] [L] contre M. [B] [R]
Sur la résolution de la vente
Sur le fondement de la garantie des vices cachés
En vertu de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Par application de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
En vertu de l'article 1642 du code civil, le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.
Aux termes de l'article 1643 du code civil, le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
En application de ces dispositions, la jurisprudence applique la garantie des vices cachés quand le bien vendu présente un défaut non apparent et suffisamment grave pour rendre la chose impropre à l'usage auquel l'acheteur pouvait sérieusement s'attendre compte tenu de la nature du bien vendu, dès lors que le vice est antérieur à la vente, et plus précisément au transfert des risques.
L'article 1644 du code civil dispose que dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
Par application de l'article 1648-1 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Le vendeur professionnel est présumé connaître les vices, y compris non apparents, affectant la chose qu'il vend.
En l'occurrence, il est acquis que M. [E] [L] a acheté à M. [B] [R] le bateau Ultramar WE 700 dénommé Marina III le 4 juin 2015, lui-même l'ayant acquis de M. [P] [W] le 5 février 2014, et lui-même l'ayant acheté le 30 août 2012 auprès de M. [Z] [C] et de Mme [N] [T]. Ce navire a donc changé de propriétaires à plusieurs reprises en trois ans de temps.
Il résulte des pièces produites, et notamment du devis de l'entreprise Arpes du 14 avril 2016, qu'après mise hors d'eau du navire pour réfaction de son carénage annuel en mars 2016 ou à la suite d'une difficulté de conduite constatée, les circonstances précises de cette sortie d'eau n'étant pas précisément établies, M. [E] [L] a constaté qu'une plaque de fibre de verre se détachait de la coque, sous la flottaison, l'a retirée et a découvert une ancienne et mauvaise réparation. L'entreprise a dressé une facture de remise en état de la coque du bateau à hauteur de 8 400 euros.
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L'assureur protection juridique de M. [E] [L] a diligenté une expertise confiée à M. [V] [R] qui a donc rencontré l'appelant le 16 septembre 2016, examiné le navire le 21 septembre suivant, puis organisé deux réunions d'expertise, au contradictoire des précédents vendeurs et acheteurs du bateau, les 9 novembre et 21 novembre 2016.
Dans le cadre du courrier qu'il transmettait à son mandant le 23 septembre 2016, en vue de rendre contradictoires les investigations qu'il menait, M. [V] [R] a indiqué que le navire présentait, lors de son examen le 21 septembre, 'une ancienne et mauvaise réparation qui ne pouvait pas être décelée sans mise à terre du navire et inspection complète réalisée par un professionnel du nautisme'. Il indiquait alors également que la coque n'était pas économiquement réparable.
Aux termes de son rapport du 5 décembre 2016, l'expert M. [V] [R] constate que 'le navire est présenté à terre sur bers à la place qu 'il occupe depuis 2016, la présence d'une découpe dans la coque sur l'arrière tribord sous flottaison, cette découpe ayant été réalisée par M. [E] [L], et permettant de mettre en évidence non seulement une ancienne et mauvaise réparation, mais une infiltration d'eau qui a complètement pourri l'âme du composite.'
L'expert décrit la dite réparation en précisant : 'Après repose de l'élément découpé, nous observons l'emplacement d'une perforation où a été injecté une mousse polyuréthanne (employée régulièrement dans le bâtiment), deux pièces métalliques (qui n'ont jamais fait partie de la construction d'origine). Par-dessus cette perforation, il a été apposé des tissus de verre, ce travail de très mauvaise qualité tant par le choix des tissus de verre, que par l'application et la saturation de la résine ou la réparation du support non poncé intégralement a permis de laisser s'infiltrer de l'eau. Dans le temps cette eau a migré et pourri l'âme balsa du composite.'
S'agissant de ses conclusions, M. [V] [R] estime que 'cette réparation est antérieure à la vente du navire compte tenu de l'état avancé et étendu du pourrissement du bois. Cette réparation ne pouvait pas se voir par un non initié. Cette réparation cachait le problème du pourrissement du bois'. Il retient le caractère non économiquement réparable de la coque du navire.
De son côté, l'expert de M. [B] [R], le cabinet Polyexpert, lui-même mandaté par son propre assureur, la Macif, pour l'assister dans le cadre de l'expertise amiable de M. [V] [R], a donné son avis technique dans une note du 15 novembre 2016. Il estime également que la coque n'est pas économiquement réparable et confirme l'existence d'une réparation sur la coque non efficace. En revanche, cet expert retient que la 'datation précise de la réparation est impossible' et que 'l'état de pourrissement avancé de l'âme du sandwich laisse penser que la réparation date a minima de plusieurs mois, voire de plusieurs années'. Pour sa part, il évoque un poinçonnement de la coque par un chandelier de ber et/ou des rouleaux d'une remorque.
Le cabinet polyexpert ajoute que la dérive du moteur est endommagée, étant observé que l'hélice de la vedette n'est plus présente, M. [E] [L] précisant, in fine, l'avoir enlevée pour éviter tout vol. Aucun lien précis, étayé par des éléments de preuve, ne permet de relier ou non un incident sur le moteur avec le sinistre observé à l'arrière tribord du navire.
Au vu de ces éléments, il apparaît que le navire acquis par M. [E] [L] auprès de M. [B] [R] présente effectivement un vice tenant à une réparation de mauvaise qualité de la coque du navire ayant entraîné le pourrissement du composite la constituant pour partie, celle-ci n'étant plus économiquement réparable, au vu de sa valeur actuelle, s'agissant d'un bateau fabriqué en 1997. Ce vice rend donc le bateau, du moins la coque de celui-ci, impropre à son usage, des éléments concordants en attestant.
Cependant, s'agissant de l'antériorité du vice par rapport à la vente, il convient de relever que seule l'expertise de M. [V] [R] tendrait à la fixer avant la vente du 4 juin 2015. Or, il s'agit d'une expertise amiable qui n'est pas corroborée par d'autres éléments extérieurs et objectifs de nature à établir avec certitude l'antériorité du vice. L'expert conseil de M. [B] [R] a lui indiqué ne pas être en mesure de dater cette réparation, évoquant une période allant de mois en années, étant observé que les constatations de ces conseillers techniques sont intervenues en septembre et novembre 2016 alors que le navire était la propriété de M. [E] [L] depuis 15 mois au moins. En outre, même l'expertise de M. [V] [R] n'est intervenue sur le vice en cause qu'en septembre 2016 alors que M. [E] [L] a, de son chef, procédé à des mesures destructrices et invasives sur la coque de la navette dès mars 2016, en dehors de toute démarche contradictoire et de toute constatation objectivée. La conservation du bateau dans l'intervalle n'est pas documentée.
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M. [E] [L] tente de soutenir que M. [B] [R] a fait mettre hors d'eau le navire en mars 2015 pendant trois semaines, ce qui pourrait correspondre au temps requis pour effectuer la réparation défaillante incriminée, mettant cet élément en lien avec la détention d'une remorque par M. [B] [R]. Or, d'une part, M. [B] [R] produit une attestation de M. [D] qui indique avoir conservé le bateau trois semaines dans son atelier de [Localité 6] en mars 2015 'pour sa révision et une réparation relative au moteur Honda, sans avoir observé d'anomalie sur la coque du bateau', donc pour des motifs distincts et sans lien. D'autre part, si cette indication n'est pas corroborée par une facture ou d'autres documents techniques, il convient de ne pas inverser la charge de la preuve de l'antériorité du vice dénoncé par M. [E] [L], celle-ci lui appartenant, sans qu'il soit attendue la preuve inverse par M. [B] [R]. Cette argumentation avancée par M. [E] [L] relève donc de simples supputations, non confirmées, ni matériellement étayées.
En définitive, les éléments de preuve apportés par M. [E] [L], qui tiennent principalement en une expertise amiable, non corroborée par d'autres éléments extérieurs, sont insuffisants pour dater le vice effectivement relevé ni permettre, a minima, d'en déduire avec certitude qu'il était antérieur à sa propre acquisition du bateau en cause, le 4 juin 2015.
Dans ces circonstances, les conditions de mise en oeuvre de la garantie des vices cachés due par le vendeur, M. [B] [R], ne sont pas réunies, quelle que soit sa bonne ou mauvaise foi. Ainsi, l'intégralité des demandes présentées par M. [E] [L] contre M. [B] [R] doivent être rejetées, ainsi que retenu par le premier juge dont la décision sera confirmée sur ce point.
Pour défaut de délivrance conforme
Ce fondement invoqué à titre subsidiaire par M. [E] [L] n'est pas davantage pertinent pour permettre de faire droit à ses prétentions dès lors que la date d'apparition du vice, à savoir la date de la réparation inefficiente de la coque de la vedette, n'est pas établie et n'est pas justifiée comme étant antérieure à l'acquisition du 4 juin 2015.
Sur ce fondement également, les prétentions de M. [E] [L] doivent être rejetées et la décision entreprise confirmée.
Sur les conséquences de la résolution et l'indemnisation des préjudices de M. [E] [L]
En l'absence de mise en oeuvre de toute garantie des vices cachés ou responsabilité de M. [B] [R], toutes les prétentions indemnitaires émises par M. [E] [L], au titre de la restitution du prix du bateau, de l'indemnisation de ses préjudices matériel et de jouissance, de l'octroi d'une indemnité d'immobilisation du bateau, et de dommages et intérêts pour résistance abusive, ne peuvent qu'être rejetées. La décision entreprise sera confirmée à ces titres.
Sur l'appel en garantie de M. [B] [R] par M. [P] [W]
En l'absence de condamnation et de mise en oeuvre d'une quelconque responsabilité de M. [B] [R] envers M. [E] [L], l'appel en garantie de M. [P] [W] par M. [B] [R] se trouve privé d'objet. La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté toute prétention à ce titre.
Sur les demandes subsidiaires d'indemnisation présentées par M. [E] [L] contre M. [B] [R], M. [P] [W] et M. [Z] [C] in solidum
Dès lors que M. [E] [L] échoue à démontrer l'imputabilité du vice identifié à M. [B] [R], en raison de l'absence de démonstration de l'antériorité de celui-ci à sa propre acquisition du bateau, a fortiori, il ne parvient pas à démontrer l'implication de M. [P] [W] et de M. [Z] [C] dans la réparation litigieuse. Toutes prétentions, présentées à titre subsidiaire, à ce titre, ne peuvent qu'être écartées, ce que le premier juge a justement retenu.
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Sur l'appel en garantie de M. [P] [W] par M. [Z] [C] et Mme [N] [T]
Contrairement à ce que prétend M. [Z] [C] à ce titre, aucune prescription de l'action de M. [P] [W] à son endroit n'est encourue dès lors que le point de départ de celle-ci,
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tant au regard des dispositions relatives à la garantie des vices cachés qu'au regard de l'article 2224 du code civil, ne peut consister qu'en la connaissance du vice dénoncé, et non en la date de la vente de 2012. Or, M. [P] [W] n'a été informé de celui-ci qu'à partir du moment où il a été mis en cause par M. [B] [R], soit par acte du 27 octobre 2017, de sorte que l'action par lui-même engagée contre M. [Z] [C] et Mme [N] [T] par acte du 13 avril 2018 n'est pas prescrite.
En tout état de cause, en l'absence de condamnation et de mise en oeuvre d'une quelconque responsabilité de M. [P] [W] envers M. [B] [R], l'appel en garantie de M. [Z] [C] par M. [P] [W] se trouve privé d'objet. La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté toute prétention à ce titre.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [E] [L], qui succombe au litige, supportera les dépens de première instance et d'appel. En outre, les indemnités auxquelles il a été condamné en première instance au titre des frais irrépétibles seront confirmées, et, une indemnité supplémentaire de 1 000 euros chacun sera mise à sa charge au bénéfice de M. [B] [R], M. [P] [W] et M. [Z] [C], soit 3 000 euros au total, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en considération de l'équité et de la situation économique respectives des parties.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable la demande tendant à la nullité du rapport d'expertise de M. [V] [R] du 5 décembre 2016,
Rejette la demande tendant à la nullité du rapport d'expertise de M. [V] [R] du 5 décembre 2016,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant :
Condamne M. [E] [L] au paiement des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] [L] à payer à M. [B] [R] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] [L] à payer à M. [P] [W] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] [L] à payer à M. [Z] [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
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Déboute M. [E] [L] de sa demande sur ce même fondement.