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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 mai 2025, n° 24/09103

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pass'nord (SARL), Skeno (SARL), Action Logement Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Ranoux-Julien, Mme Prigent

Avocats :

Me Auché, Me Placktor, Me Teytaud, Me Picot

T. com. Paris, 13e ch., du 8 avr. 2024, …

8 avril 2024

EXPOSE DU LITIGE

La société Action Logement Services (la société ALS) a pour activité déclarée le « financement d'actions dans le domaine du logement notamment des salariés : collecte et distribution de la PEEC (opérations de crédit, attribution de subventions), acquisition et souscription de participations, concertation avec les établissements publics », en tant que « société agréée en qualité de société de financement au sens de l'article L. 511-1 du code monétaire et financier ».

Elle collecte la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), appelé également le « 1 % logement », versée chaque année par les entreprises de plus de 50 salariés du secteur privé et du secteur agricole.

La société Skeno, immatriculée le 1er octobre 2020, exerce l'activité de « conseil aux entreprises à l'exception des activités règlementées » et « accompagnement à la mobilité professionnelle ».

La société Pass'Nord, immatriculée le 1er octobre 2003, exerce l'activité de « conseil et assistance aux entreprises et personnes physiques pour la gestion de la mobilité géographique, nationale et internationale, la formation professionnelle ».

La société ALS attribuait une aide dénommée « Mobili-Pass » permettant aux salariés éligibles d'être accompagnés, dans leur recherche d'un logement locatif, par un « prestataire en mobilité professionnelle ».

Le dispositif Mobili-Pass a pris fin le 30 juin 2023.

Les sociétés Skeno et Pass'Nord s'estimant victimes d'une rupture brutale d'une relation commerciale ont, par acte du 11 janvier 2024, assigné la société ALS devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation.

Par jugement du 8 avril 2024, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société Skeno et la société Pass'Nord de leurs demandes principales visant une rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Condamné la société ALS à payer au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les sociétés Skeno et Pass'Nord, la somme de 100 000 euros à la société Skeno et celle de 100 000 euros à la société Pass'Nord, les déboutant du surplus de leurs demandes à ce titre ;

- Condamné la société ALS à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les déboutant du surplus de leurs demandes à ce titre ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en a débouté respectivement les parties ;

- Rappelé que l'exécution provisoire de la décision était de droit ;

- Condamné la société ALS aux dépens.

Par déclaration du 16 avril 2024, la société ALS a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Condamné la société ALS à payer au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les sociétés Skeno et Pass'Nord, la somme de 100 000 euros à la société Skeno et celle de 100 000 euros à la société Pass'Nord, les déboutant du surplus de leurs demandes à ce titre ;

- Condamné la société ALS à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société ALS et en ce qu'il l'en a déboutée ;

- Rappelé que l'exécution provisoire était de droit ;

- Condamné la société ALS aux dépens.

Par déclaration du 17 mai 2024, les sociétés Pass'Nord et Skeno ont interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Débouté la société Skeno et la société Pass'Nord de leurs demandes principales visant une rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Condamné la société ALS à payer au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les sociétés Skeno et Pass'Nord, un montant de 100 000 euros pour la société Skeno et de 100 000 euros pour la société Pass'Nord, les déboutant du surplus de leurs demandes à ce titre ;

- Condamné la société ALS à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les déboutant du surplus de leurs demandes à ce titre ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires et en a débouté respectivement les sociétés Skeno et Pass'Nord.

Par une ordonnance du 4 juillet 2024, les sociétés Skeno et Pass'Nord ont été autorisées à assigner à jour fixe la société ALS.

Par ordonnance du 19 décembre 2024, les deux instances d'appel ont été jointes.

Par leurs dernières conclusions notifiées le 24 janvier 2025, les sociétés Skeno et Pass'Nord demandent de :

Déclarer les sociétés Skeno et Pass'Nord recevables en leur appel principal et leur appel incident ;

Les dire bien fondées en leurs demandes ;

En conséquence,

I- A titre principal

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Skeno et la société Pass'Nord de leurs demandes principales visant une rupture brutale de la relation commerciale établie ;

Et statuant à nouveau,

- Juger que la société ALS a engagé sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-1 II du code de commerce ;

- Juger que la société ALS aurait dû accorder aux sociétés Skeno et Pass'Nord un délai de préavis de rupture total de 24 mois pour tenir compte des éléments pertinents de l'espèce et notamment de la durée de la relation commerciale et de la très forte dépendance économique des sociétés Skeno et Pass'Nord à titre incident ;

En conséquence,

- Condamner la société ALS à payer à la société Skeno la somme de 1 519 872 euros à titre de dommages-intérêts compensatoires ;

- Condamner la société ALS à payer à société Pass'Nord la somme de 255 426 euros à titre de dommages-intérêts compensatoires ;

- Condamner la société ALS à verser aux sociétés Skeno et Pass'Nord la somme de 10 000 euros chacune à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice lié aux licenciements ;

- Condamner la société ALS à verser à chacune des appelantes à titre incident la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct (préjudice moral) sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;

II- A titre subsidiaire

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société ALS a engagé sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil et a, par son comportement fautif et abusif, causé différents dommages aux appelantes à titre incident, en situation de très forte dépendance économique vis-à-vis de la société ALS ;

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Limité la condamnation de la société ALS au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les sociétés Skeno et Pass'Nord, à un montant de 100 000 euros pour la société Skeno et 100 000 euros pour la société Pass'Nord ;

* Débouté les sociétés Skeno et Pass'Nord du surplus de leurs demandes à ce titre ;

Et statuant à nouveau,

- Condamner la société ALS à payer à la société Skeno la somme de 1 519 872 euros à titre de dommages-intérêts compensatoires ;

- Condamner la société ALS à payer à société Pass'Nord la somme de 255 426 euros à titre de dommages-intérêts compensatoires ;

- Condamner la société ALS à verser aux sociétés Skeno et Pass'Nord la somme de 10 000 euros chacune à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice lié aux licenciements ;

- Condamner la société ALS à verser à chacune des sociétés Skeno et Pass'Nord à titre incident la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

III- Confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

IV- En tout état de cause

- Condamner la société ALS à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société ALS aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement par M. [E] [K], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions notifiées le 13 janvier 2025, la société ALS demande, au visa de l'article 920 du code de procédure civile, de l'article L442-1 du code de commerce, de l'article 1240 du code civil, de :

- In limine litis, prononcer l'irrecevabilité de l'appel des sociétés Skeno et Pass'Nord contre le jugement en ce que la requête des sociétés Skeno et Pass'Nord à M. le Premier président de la cour d'appel de Paris aux fins d'être autorisées à assigner à jour fixe n'était pas jointe à l'assignation délivrée le 17 juillet 2024 à la société ALS à la requête des sociétés Skeno et Pass'Nord ;

Sur le fond,

- Rejeter l'appel des sociétés Skeno et Pass'Nord ;

- Débouter les sociétés Skeno et Pass'Nord de l'ensemble de leurs demandes ;

Sur l'appel à titre principal de la société ALS,

- Recevoir la société ALS en son appel et le déclarer bien fondé ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé « que la relation entre les demanderesses et Action Logement Services n'est pas une relation commerciale au sens de l'article L 442-1, II du code de commerce » et a en conséquence débouté « la société Skeno et la société Pass'Nord de leurs demandes principales visant une rupture brutale de la relation commerciale établie » ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

* Jugé que la société ALS « a été négligente et imprudente en n'octroyant aucun délai aux demanderesses pour se réorganiser ou pour l'absence de proposition de substitution » ;

* Condamné « la société ALS à payer au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les sociétés Skeno et Pass'Nord à un montant de 100 000 euros pour la société Skeno et 100 000 euros pour la société Pass'Nord » ;

* Condamné « la société ALS à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile » ;

* Rejeté « comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement », mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société ALS et en ce qu'il l'en a déboutée ;

* Rappelé « que l'exécution provisoire de la présente est de droit » ;

* Condamné « la société ALS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,93 euros dont 14,94 euros de taxe sur la valeur ajoutée » ;

Et, statuant à nouveau,

- Débouter les sociétés Skeno et Pass'Nord de l'ensemble de leurs demandes ;

Sur l'appel incident de la société ALS,

- Recevoir la société ALS en son appel incident et le déclarer bien fondé ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé « que la relation entre les sociétés Skeno et Pass'Nord et la société ALS n'est pas une relation commerciale au sens de l'article L 442-1, II du code de commerce » et a en conséquence débouté « la société Skeno et la société Pass'Nord de leurs demandes principales visant une rupture brutale de la relation commerciale établie » ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

* Jugé que la société ALS « a été négligente et imprudente en n'octroyant aucun délai aux demanderesses pour se réorganiser ou pour l'absence de proposition de substitution » ;

* Condamné « la société ALS à payer au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les demanderesses à un montant de 100 000 euros pour la société Skeno et 100 000 euros pour la société Pass'Nord » ;

* Condamné « la société ALS à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile » ;

* Rejeté « comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement », mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société ALS et en ce qu'il l'en a déboutée ;

* Rappelé « que l'exécution provisoire de la présente est de droit » ;

* Condamné « la société ALS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,93 euros dont 14,94 euros de taxe sur la valeur ajoutée » ;

Et, statuant à nouveau,

- Débouter les sociétés Skeno et Pass'Nord de l'ensemble de leurs demandes ;

Sur l'appel incident des sociétés Skeno et Pass'Nord,

- Rejeter l'appel incident des sociétés Skeno et Pass'Nord ;

- Débouter les sociétés Skeno et Pass'Nord de l'ensemble de leurs demandes ;

En tout état de cause,

- Condamner solidairement les sociétés Skeno et Pass'Nord à la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel

La société ALS soulève l'irrecevabilité de l'appel, prétendant que la copie de la requête d'autorisation d'assigner à jour fixe n'a pas été jointe à l'acte d'assignation.

Les sociétés Skeno et Pass'Nord soutiennent que l'irrégularité a été régularisée par une nouvelle assignation et que, la cause ayant disparu, l'appel est recevable.

L'article 920 du code de procédure civile dispose :

« L'appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé.

Copies de la requête, de l'ordonnance du premier président, et un exemplaire de la déclaration d'appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d'appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l'article 919, sont joints à l'assignation.

L'assignation informe l'intimé que, faute de constituer avocat avant la date de l'audience, il sera réputé s'en tenir à ses moyens de première instance.

L'assignation indique à l'intimé qu'il peut prendre connaissance au greffe de la copie des pièces visées dans la requête et lui fait sommation de communiquer avant la date de l'audience les nouvelles pièces dont il entend faire état. »

En l'espèce, contrairement aux prescriptions de l' article 920 du code de procédure civile, la copie de la requête n'était pas jointe à l'assignation délivrée le 17 juillet 2024 à la société ALS.

Cependant, les sociétés Skeno et Pass'Nord ont délivré le 15 janvier 2024 à la société ALS une nouvelle assignation en se conformant aux dispositions de l'article susvisé.

En application de l'article 126 du code de procédure civile, l'irrecevabilité sera écartée, sa cause ayant a disparu au jour où la cour statue.

L'appel est dès lors recevable.

Sur la rupture brutale d'une relation commerciale

Les sociétés Skeno et Pass'Nord prétendent qu'il a existé une relation commerciale avec la société ALS, que cette relation était continue et établie, et qu'elle a été rompue brutalement, sans notification écrite ni préavis qui aurait dû être d'une durée de 24 mois, alors qu'elles étaient dans un état de très forte dépendance économique. Elles font valoir qu'elles ont subi un préjudice financier et préjudice moral, qu'elles ont dû procédé à des licenciements, et qu'elles ont supporté des frais de procédure.

La société ALS conteste l'existence d'une relation commerciale établie, d'une rupture brutale, d'une dépendance économique, et soutient que les préjudices allégués ne sont pas justifiés.

Selon l'article L. 442-1, II du code de commerce, dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.

La relation commerciale est établie lorsqu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel, et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux dans la durée.

La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Il doit s'agir d'une relation commerciale portant sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service, l'auteur de la rupture ayant une activité économique.

En l'espèce, l'aide Mobili-Pass a été instituée dans le cadre d'une convention quinquennale 2018-2022 conclue le 16 janvier 2018, pour une durée de cinq ans du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2022, entre l'Etat et l'association Action Logement Groupe, parue au journal officiel le 8 février 2018. Cette aide était prévue dans l'annexe 1 de cette convention.

Il est précisé, à l'article 3 de cette convention, intitulé « Périmètre des opérateurs du groupe Action Logement concernés », que, parmi « les entités du groupe Action Logement menant des actions au titre de la présente convention », la société ALS est la « société de financement en charge de la collecte et de la souscription des ressources de la PEEC ainsi que de la distribution des emplois en application de la convention et des directives d'ALG ».

Aux termes de sa « charte mobilité », l'ALS définit l'aide « Mobili-Pass » comme étant « une subvention et/ou prêt accordé par Action Logement Services à une personne physique en situation d'accès à l'emploi, de mobilité professionnelle ou de formation dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, afin de l'aider à supporter les dépenses relatives à un changement de logement ». Elle précise que « la subvention permet au salarié de bénéficier de de l'accompagnement d'un professionnel de conseil en mobilité » et que « les prestations proposées visent à accompagner le salarié dans l'ensemble des opérations et démarches liées au changement de logement, du recensement des attentes de la famille jusqu'à la mise en service du logement. »

Il est indiqué que la charte « ne constitue pas en tant que telle une condition à l'obtention d'une aide Mobili-Pass délivrée par Action Logement Services. »

Concernant « le professionnel de conseil en mobilité », la charte expose que ce professionnel « développe une offre large de services afin d'offrir un accompagnement personnalisé au bénéficiaire de l'aide Mobili-Pass et sa famille » et que « sa gamme de prestations peut couvrir toute action visant à faciliter son intégration dans un nouvel environnement.

La charte établie par la société ALS ne crée pas une relation économique entre elle-même et « le professionnel de conseil en mobilité », dont elle retirerait une contrepartie ou un avantage économique, mais pose un cadre d'intervention de ce professionnel avec le salarié bénéficiaire de l'aide.

La directive établie par la société ALS précise que l'aide comprend notamment « les frais d'accompagnement à la recherche d'un logement », que « la prestation d'accompagnement à la recherche d'un logement est réalisée par un prestataire de mobilité dans le respect d'une charte dite « charte mobilité », et indique le contenu de la prestation.

Cette aide est accordée et versée au salarié bénéficiaire qui en fait la demande.

Si la directive permet de verser la subvention, destinée à financer les frais d'accompagnement à la recherche d'un logement locatif, « entre les mains du prestataire mobilité sur délégation de paiement dûment signée par le bénéficiaire », il n'est pas pour autant créé une relation commerciale entre la société ALS et le prestataire.

Ainsi, l'aide Mobili-Pass est accordée par la société ALS au salarié qui fait le choix de contracter avec un « professionnel de conseil en mobilité » pour l'accompagner dans sa mobilité professionnelle.

Les sociétés Skeno et Pass'Nord, en leur qualité de « professionnel de conseil en mobilité », n'étaient pas missionnées ni rémunérées par la société ALS pour distribuer un produit ou un service, mais ont contracté avec des bénéficiaires de l'aide Mobili-Pass pour fournir à ces derniers des prestations d'accompagnement dans la recherche d'un logement.

En l'absence d'une relation commerciale, les dispositions susvisées de l'article L. 442-1, II du code de commerce ne sont pas applicables.

Les demandes des sociétés Skeno et Pass'Nord formées sur ce fondement doivent être rejetées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité délictuelle

Les sociétés Skeno et Pass'Nord réclament subsidiairement la réparation de leurs préjudices sur le fondement de l'article 1240 du code civil, invoquant un comportement fautif et abusif de la part de la société ALS.

La société ALS conteste avoir commis une faute de négligence ou d'imprudence, faisant valoir que la suppression du Mobili-Pass ne résulte pas d'une décision de gestion interne mais d'une décision de l'Etat et de la société ALGroup, la fin de cette aide étant programmée. Elle ajoute qu'il ne lui est reproché aucun comportement distinct de la rupture brutale d'une relation commerciale alléguée qui est un fondement juridique exclusif de l'article 1240 du code civil.

L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Aucune relation commerciale n'existait entre d'une part, la société ALS, et d'autre part les sociétés Skeno et Pass'Nord.

Il est rappelé que l'aide Mobili-Pass a été instituée dans le cadre d'une convention quinquennale 2018-2022 conclue le 16 janvier 2018, pour une durée de cinq ans du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2022, entre l'Etat et l'association Action Logement Groupe, parue au journal officiel le 8 février 2018, et que la société ALS était « en charge de la collecte et de la souscription des ressources de la PEEC ainsi que de la distribution des emplois en application de la convention et des directives d'ALG ».

Par courriel du 4 avril 2023, les sociétés Skeno et Pass'Nord ont été informées que « l'enveloppe dédiée à cette aide devrait être épuisée au plus tard le 30 juin 2023 » et qu'à « partir de cette date, plus aucune nouvelle demande ne pourra être acceptée ».

Le dispositif « Mobili-Pass », reposant sur des fonds publics, n'a pas été reconduit, étant relevé que la convention quinquennale 2023-2027 du 16 juin 2023, parue au journal officiel du 12 août 2023, a maintenu l'existence d'aides à la mobilité professionnelle « sous forme d'avances, de prêts, de subventions ou de garantie en vue d'accompagner la mobilité professionnelle », précisant que « l'offre, qui sera refondue pour accompagner les jeunes actifs, en particulier les apprentis et les alternants, a vocation à s'adapter aux différentes situations individuelles, avec un objectif d'accompagner 800 000 salariés sur la période » et que « les modalités et le financement de ces aides sont définis par directives d'ALG. »

Les sociétés Skeno et Pass'Nord, professionnelles de l'accompagnement à la mobilité professionnelle, connaissaient le cadre de ce dispositif et sa durée.

Elles ne démontrent pas l'existence d'une faute de négligence ou d'imprudence de la société ALS, qui n'avait pas le pouvoir de décider de la reconduction de l'aide Mobili-Pass ou de la création d'un autre dispositif.

En conséquence, leurs demandes indemnitaires seront rejetées.

Le jugement sera infirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les sociétés Skeno et Pass'Nord, qui succombent, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

Il apparaît équitable de les condamner in solidum à payer à la société ALS la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de rejeter leurs demandes à ce titre.

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l'appel interjeté par la société Skeno et la société Pass'Nord ;

Infirme le jugement du 8 avril 2024 du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société Action Logement Services à payer, au visa de l'article 1240 du code civil, en réparation des différents préjudices subis par les sociétés Skeno et Pass'Nord, la somme de 100 000 euros à la société Skeno et celle de 100 000 euros à la société Pass'Nord, à verser à la société Skeno et à la société Pass'Nord la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette les demandes indemnitaires de la société Skeno et de la société Pass'Nord sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil ;

Condamne la société Skeno et la société Pass'Nord in solidum à payer à la société Action Logement Services la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes de la société Skeno et de la société Pass'Nord au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Skeno et la société Pass'Nord in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

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