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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 15 mai 2025, n° 24/05632

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/05632

15 mai 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 15 MAI 2025

N° 2025/286

Rôle N° RG 24/05632 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM64S

SCI EDEN INVEST

C/

SARL TINAYA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS

Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN en date du 17 Avril 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/07095.

APPELANTE

SCI EDEN INVEST

représentée par son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 1]

représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Jean-Baptiste FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant

INTIMEE

SARL TINAYA

représentée par son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 8]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Célia SUSINI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 25 mars 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme MOGILKA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Séverine MOGILKA, Conseillère rapporteur

M. Laurent DESGOUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE:

Par acte sous seing privé en date du 15 février 2008, la société civile immobilière Azur a donné à bail commercial à la société à responsabilité limitée Tinaya un local situé [Adresse 7][Adresse 5] [Localité 2], moyennant paiement d'un loyer annuel de 200 000 euros HT, payable trimestriellement par termes de 50 000 euros avant le dixième jour de chaque semestre.

Par acte authentique en date du 14 décembre 2017, la société Azur a vendu à la société civile immobilière Eden Invest le bien immobilier donné en location à la société Tinaya.

Suite au jugement du tribunal administratif de Toulon, en date du 3 mai 2018, faisant injonction à la société Tinaya de supprimer les aménagements installés sur une emprise d'environ 1 900 m² appartenant au domaine public, en raison d'une occupation illicite, les sociétés Tinaya et Eden Invest ont convenu d'un protocole d'accord signé le 16 septembre 2018 aux termes duquel :

- dans l'attente de l'obtention par la société Tinaya d'un titre d'occupation du domaine public ou d'un contrat de concession pour l'usage de la plage et des activités nautiques, le loyer annuel était ramené à 140 000 euros hors taxes ;

- une fois l'autorisation permettant à la société Tinaya de retrouver son niveau d'activité obtenue, le montant du loyer serait fixé de manière définitive à la somme de 220 000 euros hors taxes par an dont il serait déduit le montant de l'ensemble des redevances dues par la société Tinaya au titre de la concession de la plage dépendant du domaine public, sans pour autant que le montant du loyer ne puisse être inférieur à 190 000 euros hors taxes par an ;

- l'autorisation d'occupation du domaine public devrait être obtenue au plus tard le 31 décembre 2020 ;

- pour le cas où la société Tinaya n'aurait pas obtenu ladite autorisation à l'issue de cette période, les parties convenaient de se rencontrer afin de définir les termes d'un nouvel accord financier concernant le droit d'occupation objet du bail ; le montant du loyer serait défini d'un commun accord et à défaut d'accord, à dire d'expert ; chaque partie désignera un expert au plus tard le 31 janvier 2021 ; à défaut d'accord entre les experts, ceux-ci pourraient solliciter l'intervention d'un troisième expert pour trancher les difficultés ; une décision concernant le nouveau loyer devrait intervenir dans un délai de 6 mois de la désignation dudit expert et le montant du nouveau loyer s'appliquerait avec effet rétroactif au 1er janvier 2021.

La société Tinaya n'a pas obtenu, avant le 31 décembre 2020, une autorisation d'occupation du domaine public.

En application du protocole d'accord, chaque société a désigné un expert.

Au vu de l'écart dans la détermination du loyer commercial par ces experts et en l'absence d'accord, la société Eden Invest a fait assigner la société Tinaya devant le tribunal de commerce de Fréjus, qui, par ordonnance de référé en date du 13 juin 2022, a désigné un troisième expert en constatant que l'expert désigné par la société Tinaya avait proposé à l'expert désigné par la société Eden Invest ce même nom.

Ce troisème expert a rendu son rapport le 12 septembre 2022.

Par acte de commissaire de justice en date du 24 avril 2023, la société Eden Invest a fait délivrer à la société Tinaya un commandement de payer la somme de 360 302,60 euros au titre de la dette locative.

Par acte de commissaire de justice en date du 25 juillet 2023, la société Eden Invest a fait délivrer à la société Tinaya un second commandement de payer la somme 440 302,90 euros au titre de la dette locative, visant la clause résolutoire contenue au contrat de bail.

La société Tinaya a formé opposition aux deux commandements de payer par actes de commissaire de justice en date des 24 mai et 21 août 2023.

Par acte de commissaire de justice en date du 10 octobre 2023, la société Eden Invest a fait assigner la société Tinaya, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan, aux fins de voir constater la résiliation du contrat de bail, ordonner l'explusion de la société locataire et obtenir le paiement d'une provision au titre de la dette locative ainsi que d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire en date du 17 avril 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan a :

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- dit n'y avoir lieu a référé ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle tendant au paiement de dommages et intérêts ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- enjoint aux parties de rencontrer un médiateur qui serait désigné par l'UMEDCAAP - Union des médiateurs près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

- condamné la société Eden Invest à payer à la société Tinaya une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Ce magistrat a, notamment, considéré que :

- l'objet du litige pendant devant le juge du fond n'était pas identique à celui soumis au juge des référés ;

- en raison des contestations formulées par la société Tinaya devant le juge du fond sur le montant de la créance locative invoquée par la société Eden Invest, la constatation de la résiliation du bail en application de la clause résolutoire et la demande en paiement d'une provision se heurtaient à des contestations sérieuses.

Par déclaration en date du 30 avril 2024, la société Eden Invest a interjeté appel de la décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dument reprises.

Par conclusions transmises le 8 août 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Eden Invest conclut à la réformation de l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- constater la résiliation du bail consenti par la société Eden Invest à la société Tinaya à effet du 25 août 2023 ;

- ordonner l'expulsion de la société Tinaya ainsi que de tous occupants de son chef ;

S'agissant des loyers et charges dus par la société Tinaya :

- à titre principal : condamner la société Tinaya au paiement de la somme provisionnelle de 432 303,60 euros TTC correspondant au montant des loyers dus à la date de délivrance de l'assignation, soit le 6 octobre 2023, outre les intérêts au taux légal sur la somme de 360 302,60 euros à compter du 24 avril 2023, date de signification du commandement de payer, et pour le surplus à compter de la date du 25 juillet 2023, date de signification du commandement de payer visant la clause résolutoire ;

- à titre subsidiaire : condamner la société Tinaya au paiement de la somme provisionnelle de 366 467,74 euros correspondant au montant des loyers dus à la date de délivrance de l'assignation, outre les intérêts au taux légal sur la somme de 360 302,60 euros à compter du 24 avril 2023 , date de signification du commandement de payer et pour le surplus à compter de la date du 25 juillet 2023 date de signification du commandement de payer visant la clause résolutoire ;

- en toute hypothèse, débouter la société Tinaya de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Tinaya au paiement de la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens incluant les frais de signification du commandement de payer du 24 avril 2023 et du commandement de payer visant la clause résolutoire du 27 juillet 2023.

Au soutien de ses prétentions, la société Eden Invest expose, notamment, que :

- la saisine du juge du fond n'interdit pas au juge des référés de constater la résiliation du contrat de bail en application de la clause résolutoire et ordonner l'expulsion dès lors que la demande du bailleur ne se heurte à aucune contestation sérieuse ;

- en l'absence de paiement des loyers par la société Tinaya, elle est confrontée à des difficultés pour régler le prêt lui ayant permis d'acquérir le bien objet de la location de telle sorte qu'il y a urgence à statuer ;

- aucune contestation sérieuse ne peut être retenue par la cour en l'état de la fixation conventionnelle du loyer ;

- la fixation du loyer commercial ne relève pas exclusivement de la compétence du juge, le loyer pouvant être fixé conventionnellement par les parties ;

- le contrat de bail comporte d'ailleurs une clause compromissoire en cas de survenance d'un différent ;

- le protocole d'accord signé par les parties prévoit une évaluation du loyer à dire d'expert ;

- la société Tinaya a respecté le processus de fixation du loyer prévu par le protocole d'accord en désignant un expert ;

- la société locataire n'a pas contesté la compétence du tribunal de commerce saisi par la société bailleresse en vue de la désignation du troisième expert ;

- le protocole d'accord ne nécessite aucune interprétation sur les modalités de fixation du loyer ;

- le loyer applicable est celui déterminé par le troisième expert dans son rapport ;

- subsidiairement, si le rapport de l'expert n'avait aucune valeur et si le loyer ne pouvait être fixé conventionnellement, les termes du contrat de bail initial doivent s'appliquer ;

- cette demande ne s'avère pas irrecevable dans la mesure où elle tend aux mêmes fins que la demande principale et où lorsqu'un commandement de payer a été délivré pour une somme supérieure au montant réel de la créance, il demeure valable à due concurrence ;

- le contrat de bail prévoit, d'une part, une indexation qu'il convient d'appliquer et, d'autre part, une clause d'échelle mobile prévoyant une indexation automatique sans notification ;

- la société Tinaya disposait d'un délai de deux ans à compter du renouvellement du contrat de bail soit le 1er février 2018 pour saisir le juge en fixation du loyer et obtenir une fixation différente de celle figurant dans le contrat de bail ;

- la société Tinaya n'a pas payé l'intrégralité des loyers dus que ce soit en application du loyer fixé conventionnellement par le protocole d'accord ou du loyer indexé issu du contrat de bail de telle sorte que le contrat est résilié ;

- la procédure engagée n'est nullement abusive.

Par conclusions transmises le 7 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Tinaya sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence, dit n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts et débouté la société locataire de ses demandes plus amples et contraires. Elle demande, en outre, à la cour, statuant à nouveau, de :

- à titre principal :

- juger que le tribunal judiciaire de Draguignan est saisi au fond pour le même litige sous le numéro RG 23/06206 ;

- juger qu'il n'entre pas dans la compétence du juge des référés de fixer un loyer qui n'a pas été fixé judiciairement et qui fait l'objet d'une contestation par devant la juridiction du fond ;

- se déclarer incompétent à juger du litige ;

- dire n'y avoir lieu à référé ;

- déclarer irrecevable la demande nouvelle formulée pour la premiére fois en cause d'appel par la société Eden Invest ;

- à titre subsidiaire, sur l'existence de contestations sérieuses :

- juger que les demandes de la société Eden Invest se heurtent à plusieurs contestations sérieuses ;

- juger l'absence du caractére d'urgence des demandes de la société Eden Invest ;

- à titre infiniment subsidiaire :

- lui accorder un délai de 24 mois pour s'acquitter des loyers et charges dus à la société Eden Invest à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- ordonner la suspension, durant ces délais de paiement, de la résiliation du bail commercial ;

- en tout état de cause :

- débouter la société Eden Invest de l'ensemble de ses demandes ou si mieux plait au juge, dire n'y avoir lieu à référé;

- condamner la société Eden Invest au paiement de:

- la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, la société Tinaya fait, notamment, valoir que :

- le juge du fond étant saisi de l'opposition au commandement de payer, le juge des référés ne peut constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au contrat de bail ;

- le juge des référés ne peut interpréter le protocole d'accord et le rapport rendu par l'expert qui est contesté au fond ;

- ce juge ne peut appliquer un loyer qui n'a pas été fixé judiciairement et qui est contesté au fond ;

- le loyer sollicité par la société Eden Invest ne correpond nullement à celui mentionné dans le contrat de bail ;

- la société baileresse a retenu le loyer figurant dans le rapport d'expert qui lui est inopposable et n'a pas été homologué ;

- l'esprit du protocole d'accord était revoir à la baisse le montant du loyer et non à la hausse compte tenu de la perte de surface d'exploitation ;

- la société Eden Invest qui invoque l'urgence ne la démontre pas ;

- les demandes présentées par la société bailleresse se heurtent à plusieurs contestations sérieuses à savoir :

- le juge du fond est déjà saisi pour voir notamment dire que les procédures initiées devant le tribunal de commerce sont nulles ;

- le rapport d'expertise lui est inopposable dans la mesure où l'expert a été désigné par le tribunal de commerce qui n'est pas compétent en matière de baux commerciaux et de fixation du montant du loyer et où les conclusions n'ont pas été homologuées ;

- en l'état des accords entre les parties compte tenu de la réduction de la surface d'exploitation, le loyer ne peut être fixé, comme proposé par l'expert, à la somme de 247 000 euros correspondant à une hausse du loyer et non une réduction ;

- elle est à jour du paiement des loyers conformément au protocole d'accord le fixant à 140 000 euros annuel ;

- la demande subsidiaire présentée par la société Eden Invest sur le fondement du loyer plafonné est irrecevable car nouvelle ;

- une telle demande se heurte à des contestations sérieuse à savoir :

- le loyer plafonné n'a fait l'objet d'aucun commandement de payer ;

- la société ne peut solliciter l'application d'un loyer en application du contrat de bail renouvelé alors qu'un protocole d'accord a été conclu postérieurement ;

- la société bailleresse n'a nullement informé la locataire de l'indexation du loyer puisqu'un protocole d'accord a été convenu ;

- la société bailleresse confond les règles applicables aux loyers commerciaux et la saisine du juge des loyers commerciaux dans un délai de deux ans ;

- la procédure s'avérant abusive, la société Eden Invest doit être condamnée à des dommages et intérêts.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 11 mars 2025.

Par soit-transmis en date du 16 avril 2025, la cour a indiqué aux conseils des parties qu'elle s'interrogeait sur la date à laquelle le juge de la mise en état avait été saisi dans le cadre de l'instance au fond, initiée par assignation délivrée le 21 août 2024, devant le tribunal judiciaire de Draguignan, aux fins d'annulation du commandement de payer et les a invités à présenter, le cas échéant, leurs observations parle truchement d'une note en délibéré avant le 25 avril suivant.

Par note transmise le 24 avril 2025, le conseil de la société Tinaya a transmis les fiches détaillées RPVA des instances en cours devant le tribunal judiciaire de Draguignan et précisé qu'aucun incident n'avait été soumis au juge de la mise en état jusqu'au 26 novembre 2024.

Par note transmise le même jour, le conseil de la société Eden Invest a aussi transmis une fiche RPVA et indiqué que le juge de la mise en état ne pouvant constater la résiliation du contrat de bail et ordonner l'explusion du locataire, le juge des référés demeure compétent à cette fin. Il a précisé que les loyers de l'année 2024 n'ont pas été réglés par la société Tinaya.

Par une seconde note transmise le même jour, le conseil de la société Tinaya a affirmé que les loyers sont réglés à hauteur du montant fixé par le protocole d'accord et transmis des relevés bancaires.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater', 'donner acte', 'dire et/ou juger' ou 'déclarer' qui, sauf dispositions légales spécifiques, ne sont pas des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais des moyens qui ne figurent que par erreur dans le dispositif, plutôt que dans la partie discussion des conclusions d'appel.

Par ailleurs, en application des dispositions des articles 542 et 562 alinéa 1 du code de procédure civile, les sociétés Eden Invest et Tinaya ne présentant aucune demande relative à l'injonction de rencontrer une médiateur prononcée par le premier juge , pourtant déférée à la cour par la déclaration d'appel, il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a prononcé cette injonction.

- Sur 'l'incompétence' du juge des référés :

En vertu des dispositions de l'article 484 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires.

Aux termes de l'article 789 du même code, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

- statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance : les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;

- allouer une provision pour le procès ;

- accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;

- ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;

- ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ;

- statuer sur les fins de non-recevoir.

En application des dispositions de ce texte, le juge des référés perd son pouvoir d'accorder une provision ou d'ordonner une mesure provisoire si le juge de la mise en état est saisi antérieurement à la signification de l'assignation qui le saisit.

En l'espèce,l'instance engagée par la société Tinaya devant le tribunal judiciaire de Draguignan a pour objet la contestation d'un commandement de payer. Or, l'instance pendante en appel porte sur la constatation de la résiliation du contrat de bail par application de la clause résolutoire, outre le paiement d'une provision au titre des loyers impayés. L'objet des litiges n'est pas identique.

Par ailleurs, il résulte de la fiche RPVA de l'instance en opposition au commandement de payer pendante devant le tribunal judiciaire de Draguignan que l'audience d'orientation et le renvoi à la mise en état a eu lieu le 24 octobre 2023 soit postérieurement à la délivrance de l'assignation en référé intervenue le 6 octobre précédent.

Au vu de ces éléments, il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce que le juge des référés s'est déclaré compétent pour statuer sur l'action intentée par la société Eden Invest.

- Sur le constat de la clause résolutoire :

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En application des dispositions de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

A titre liminaire, il doit être relevé que l'urgence n'a pas lieu d'être caractérisée dès lors que l'action est fondée sur les dispositions de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile.

En l'espèce, le bail liant la société Tinaya à la société Eden Invest comporte une clause résolutoire aux termes de laquelle 'il est expréssement convenu qu'en cas de non-exécution par le preneur de l'un quelconque de ses engagements ou en cas de non-paiement à son échéance de l'un quelconque des termes du loyer convenu, ou des charges et impôts récupérables par la bailleur, le bail sera résilié de plein droit un mois après une mise en demeure délivrée par acte extra-judiciaire au preneur de régulariser sa situation et contenant déclaration par le bailleur d'user du bénéfice de la clause et qu'à peine de nullité, ce commandement doit mentionner le délai d'un mois imparti au destinataire pour régulariser sa situation'.

Par acte de commissaire de justice en date du 25 juillet 2023, la société Eden Invest a fait délivrer à la société Tinaya un commandement d'avoir à payer une somme de 440 302,90 euros toutes taxes comprises au titre de la dette locative des années 2021, 2022 et 2023, commandement visant la clause résolutoire contenue au contrat de bail.

Or, à l'issue du délai d'un mois à compter de la signification du commandement, la société Tinaya n'a pas réglé les causes du commandement.

Elle ne conteste pas cette absence de paiement mais se prévaut de contestations sérieuses pour faire obstacle à la validation du mécanisme résolutoire.

S'agissant de la saisine de la juridiction du fond, comme explicité précédemment, elle ne fait nullement obstacle à la compétence du juge des référés pour constater la résiliation du contrat de bail.

S'agissant de la délivrance d'un commandement de payer sur la base d'un rapport d'expertise qui lui est inopposable, l'application du protocole transactionnel et les paiements effectués par la société Tinaya, il doit être rappelé qu'un commandement de payer délivré pour une somme supérieure à celle réellement due n'en est pas moins valable pour la partie non contestable de la dette.

Certes, les sommes visées au commandement de payer sont basées sur le loyer fixé par le troisième expert, M. [R], à hauteur de 247 000 euros hors taxes et un tel rapport d'expertise est contesté, notamment sur la question de son opposabilité à la société Tinaya.

Cependant, en retenant le loyer le plus faible fixé par les experts à savoir celui de Mme [F], expert désigné par la société Tinaya, d'un montant de 159 000 euros hors taxes, soit 182 400 euros avec TVA, pour l'année 2021, le commandement de payer demeure causé puisque la société preneuse a effectué des paiements sur la base d'un loyer inférieur de 140 000 euros hors taxes, mentionné dans le protocole d'accord.

Or, au vu des mentions de ce protocole, il est évident que le loyer de 140 000 euros hors taxes s'applique jusqu'au 1er janvier 2021 et que postérieurement, le loyer est révisé et fixé conformément à la procédure déterminée dans l'accord avec experts. La clause 1.4 du protocole ne souffre d'aucune ambiguïté et ne nécessite aucune interprétation.

Sur la base du loyer le plus bas issu des expertises, la société Tinaya n'a pas réglé l'intégralité des loyers et le commandement de payer demeure valable.

Aucune contestation sérieuse ne peut être retenue en lien avec la délivrance du commandement de payer sur la base du troisième rapport d'expertise contesté, l'application du protocole transactionnel et les paiements effectués par la société Tinaya.

Dans ces conditions, le commandement de payer doit produire ses effets et le mécanisme résolutoire s'applique au 26 juillet 2023.

Dès lors, le contrat de bail commercial liant les sociétés Tinaya et Eden Invest est résilié au 26 juillet 2023.

L'ordonnance déférée est donc infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé.

- Sur la demande de provision:

Par application de l'article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement constestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article 1728 du code civil, le locataire est obligé de payer les loyers aux termes convenus.

Devenu occupant sans droit ni titre du fait de l'acquisition de la clause résolutoire, il est tenu de payer une somme équivalente au loyer augmenté des charges à titre de réparation du préjudice subi par le bailleur.

En l'espèce, la société Eden Invest sollicite, à titre principal, le paiement d'une provision au titre des loyers impayés à la date de la délivrance de l'assignation, calculée sur la base du loyer fixé par le troisième expert, avec intérêts au taux légal.

Or, comme mentionné précédemment, l'opposabilité de ce rapport d'expertise à la société Tinaya est contestée.

Toutefois, eu égard à la procédure de fixation du loyer à compter du 1er janvier 2021 issue du protocole transactionnel conclu par les parties, le loyer le plus bas issu de l'expertise de Mme [F], expert désigné par la société Tinaya, est incontestablement dû.

Aussi, le montant de la provision de loyers impayés doit être déterminé sur cette base à savoir un loyer de 159 000 euros hors taxes, soit 182 400 euros avec TVA.

Pour la période du 1er janvier 2021 au 6 octobre 2023, le montant non contestable des loyers impayés peut être évalué à la somme minimale de 72 148,76 euros ( 14 301 euros pour l'année 2021, 28 923,88 euros pour l'année 2022 et 28 923,88 pour l'année 2023 ), somme tenant compte des paiements effectués par la société Tinaya à hauteur de 168 099 euros en 2021 puis 168 000 en 2022 puis 2023.

Par conséquent, la société Tinaya doit être condamnée à payer à la société Eden Invest la somme de 72 148,76 euros à titre de provision à valoir sur les loyers impayés entre les 1er janvier 2021 et 6 octobre 2023, avec intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2024, date du premier commandement de payer, sur la somme de 50 455,85 euros, du 25 juillet 2023, date du deuxième commandement de payer, sur la somme de 7 230,97 euros et de la présente décision pour le solde.

- Sur la demande de délais de paiement :

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 alinéa 2 du du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée : la clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

L'article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, la société Tinaya verse aux débats une attestation mentionnant le chiffre d'affaires réalisé anuellement depuis le 1er octobre 2014 jusqu'au 31 décembre 2023.

Il doit être relevé une baisse significative du chiffre d'affaires à compter du 1er octobre 2017 que la société attribue à la perte d'une partie de la surface d'exploitation.

Cependant, la société Tinaya expose que sa candidature a été retenue en vue de l'obtention d'une concession d'un lot de plage, ce qui est de nature à lui permettre d'agrandir sa surface d'exploitation et subséquemment, augmenter son chiffre d'affaires.

Malgré la baisse du chiffre d'affaires, la société Tinaya a effectué des paiements au titre des loyers et respecté le protocole transactionnel conclu entre les parties.

Même si elle conteste le loyer invoqué par la société bailleresse, elle a réglé à hauteur de 168 000 euros le loyer depuis le 1er jnavier 2021.

La société Tinaya apparaît donc être de bonne foi et en mesure de solder sa dette locative par échelonnement.

Par ailleurs, la société Eden Invest ne formule aucune objection à la demande de délais de paiement présentée par la société preneuse. Le premier juge a d'ailleurs indiqué dans son ordonnance qu'elle n'était pas opposée aux délais de paiement.

De tels éléments conduisent à accorder des délais de paiement d'une durée de 24 mois à la société Tinaya afin qu'elle acquitte sa dette telle que fixée de manière incontestable par la présente décision.

La société Tinaya est ainsi autorisée à se libérer de sa dette fixée à 72 148,76 euros par 23 mensualités de 3 006 euros et une dernière mensualité soldant la dette en principal, frais et intérêts.

Si elle se libère dans ce délai, en sus du paiement du loyer et charges courants, de la dette, la clause résolutoire sera réputée ne pas avoir joué.

A défaut, la clause produira tous ses effets. La société Tinaya, occupante sans droit ni titre, sera tenue au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer révisé, augmenté des charges qui auraient été dus, si le bail s'était poursuivi et à défaut de départ volontaire, la société Eden Invest sera autorisée à faire procéder à son explusion.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :

Aux termes de l'article 1240du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui a causé à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'article 1241 du même code dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

En application des dispositions de ce texte, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette en dommages et intérêts, sur le fondement de ces textes, que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, l'action engagée par la société Eden Invest ne peut être qualifiée d'abusive eu égard le constat de la résiliation du contrat de bail même si les effets sont suspendus en raison des délais de paiement.

Par conséquent, la société Tinaya doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'ordonnance entreprise doit être infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

L'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle a condamnée la société Eden Invest à payer à la société Tinaya la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La société Tinaya qui succombe prinicpalement à l'instance doit être déboutée de sa demande formulée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 1 500 euros à ce titre.

La société Tinaya supportera, en outre, les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- enjoint aux parties de rencontrer un médiateur ;

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate la résiliation du bail commercial liant la société à responsabilité limitée Tinaya à la société civile Immobilière Eden Invest portant sur les locaux sis [Adresse 6], lieudit " [Adresse 4] à [Adresse 3], à compter du 26 juillet 2023 ;

Condamne la société à responsabilité limitée Tinaya à payer à la société civile immobilière Eden Invest la somme de 72 148,76 euros à titre de provision à valoir sur les loyers impayés entre les 1er janvier 2021 et 6 octobre 2023, avec intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2024, date du premier commandement de payer, sur la somme de 50 455,85 euros, du 25 juillet 2023, date du deuxième commandement de payer, sur la somme de 7 230,97 euros et de la présente décision pour le solde ;

Accorde à la société à responsabilité limitée Tinaya des délais de paiement de 24 mois pour s'acquitter de la dette locative ;

Dit que la société à responsabilité limitée Tinaya est autorisée à se libérer de sa dette par 23 mensualités de 3 006 euros et une dernière mensualité soldant la dette en principal, frais et intérêts, la première échéance devant intervenir, en sus du loyer courant, avant le 10 du mois qui suivra la signification du présent arrêt ;

Suspend, pendant le cours de ce délai, les effets de la clause résolutoire, laquelle sera réputée n'avoir jamais joué si la société à responsabilité limitée Tinaya se libère de sa dette dans le délai précité en sus du paiement du loyer et charges courants ;

Dit qu'à défaut de paiement de l'arriéré ou du loyer et des charges courants :

- la totalité de la somme restant due deviendra immédiatement exigible ;

- la clause résolutoire reprendra son plein effet ;

- faute de départ volontaire des lieux loués, il pourra être procédé à l'expulsion de la société à responsabilité limitée Tinaya et de tous occupants de son chef, passé le délai d'un mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à libérer les lieux ;

- le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

- la société à responsabilité limitée Tinaya sera tenue, jusqu'à parfaite libération des lieux, au paiement, à titre provisionnel, d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer révisé, augmenté des charges qui auraient été dues, si le bail s'était poursuivi ;

Condamne la société à responsabilité limitée Tinaya à payer à la société civile Eden Invest la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société à responsabilité limitée Tinaya de sa demande fondée sur les mêmes dispositions ;

Condamne la société à responsabilité limitée Tinaya aux dépens de première instance et d'appel.

La greffière Le président

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