CA Lyon, 3e ch. A, 7 mai 2025, n° 23/01962
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bja (SCI)
Défendeur :
Hrp-Holding Rhodanienne Du Pneumatique (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dumurgier
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Pouderoux, SCP Reffay et Associés
EXPOSE DU LITIGE
La SCI BJA, co-gérée par M. [M] [O] et son épouse Mme [T] [O], a fait l'acquisition d'un terrain à bâtir d'une surface de 3.506 m2 situé à Meyzieu le 12 avril 2000, sur lequel elle a fait édifier un bâtiment à usage artisanal, commercial et industriel.
La SCI BJA a ensuite donné ce bâtiment en location à la société Le Pneu Lyonnais, gérée par M. [O], par bail commercial signé le 2 juin 2000.
Par acte notarié en date du 27 février 2008, la SCI BJA a cédé à son locataire, la société Le Pneu Lyonnais, l'usufruit de ce bien pendant une durée de 10 ans, à charge d'assurer toutes les réparations locatives, d'entretien ou de gros entretiens, conformément à ce qui était prévu au bail commercial.
Il était également prévu à l'acte que l'usufruitier percevrait des loyers pour l'appartement F2 loué par bail d'habitation à des conditions bien connues de l'acquéreur.
Par acte sous signature privée en date du 31 octobre 2009, les époux [O] ont cédé à la société Vulco, leur société holding HRP ' Holding [O] Pneus (ci-après la société HRP) qui détenait entre autres la société Le Pneu Lyonnais.
Les époux [O] sont restés propriétaires de la SCI BJA.
Le 18 janvier 2011, la société Vulco a procédé à la fusion de la société Le Pneu Lyonnais avec la société HRP.
Le 27 février 2018, au terme de l'usufruit, la société HRP a rendu les locaux appartenant à la SCI BJA, qui en a retrouvé la pleine propriété. Lors de cette remise, la SCI BJA a fait établir un état des lieux par constat d'huissier.
Par courrier du 9 mars 2018, la SCI BJA, constatant que le local n'avait pas été restitué en parfait état de réparation, a demandé à l'usufruitier d'accepter « le principe d'une indemnisation totale au regard des coûts de rénovation complète de l'immeuble de sorte qu'il retrouve son parfait état originel ».
Après plusieurs échanges non concluants, la SCI BJA a saisi le juge des référés près le tribunal de commerce de Lyon, aux fins que soit désigné un expert ayant pour mission d'évaluer le préjudice subi.
Par ordonnance de référé du 14 mai 2018, il a été fait droit à cette demande, M. [B] étant désigné en qualité d'expert. Ce dernier a déposé son rapport le 12 octobre 2020.
Par acte introductif d'instance en date du 24 décembre 2020, la SCI BJA a fait assigner la société HRP devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement contradictoire du 17 janvier 2023, le tribunal de commerce de Lyon, a :
condamné la société HRP ' Holding Rhodanienne du Pneumatique enseigne « HRP Vulco » à verser la somme de 30.004,50 euros à la société BJA pour la remise en état de ses locaux à la fin de l'usufruit,
jugé l'action engagée par la société HRP ' Holding Rhodanienne du Pneumatique enseigne « HRP Vulco » contre M. [M] [O] non prescrite et donc recevable,
condamné M. [M] [O] à garantir la société HRP ' Holding Rhodanienne du Pneumatique enseigne « HRP Vulco »,
rejeté comme non fondés tous les autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
condamné solidairement la société HRP ' Holding Rhodanienne du Pneumatique enseigne «HRP Vulco » et M. [M] [O] à verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société BJA,
condamné solidairement la société HRP ' Holding Rhodanienne du Pneumatique enseigne « HRP Vulco » et M. [M] [O] aux dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 9 mars 2023, la SCI BJA et M. [O] ont interjeté appel de ce jugement, portant sur l'ensemble des chefs de jugement expressément critiqués.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 9 juin 2023, la SCI BJA et M. [M] [O] demandent à la cour, au visa de l'article 1731 du code civil, des articles 600, 601, 605, 606 et 607 du code civil, de l'article 122 du code de procédure civile et de l'article 2224 du code civil de :
dire recevables et bien fondés la SCI BJA et M. [M] [O] en leur appel formé à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Lyon du 17 janvier 2023 en ce que cette juridiction a :
condamné la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à l'enseigne « HRP Vulco » à verser la somme de 30 004,50 ' à la société BJA pour la remise en état de ses locaux à la fin de l'usufruit,
jugé l'action engagée par la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à l'enseigne « HRP Vulco » contre M. [M] [O] non prescrite et donc recevable,
condamné M. [M] [O] à garantir la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à l'enseigne « HRP Vulco »,
rejeté comme non fondés par tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
condamné solidairement la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à l'enseigne « HRP Vulco » et M. [M] [O] à verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société BJA,
condamné solidairement la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à l'enseigne « HRP Vulco » et M. [M] [O] aux dépens de l'instance,
Et, statuant à nouveau,
S'agissant de la société SCI BJA :
condamner la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à payer à la société SCI BJA la somme de 72.800 euros hors taxe en indemnisation du coût des travaux de reprise des désordres constatés dans l'immeuble concédé en usufruit à la société défenderesse, outre intérêts de droit à compter de la date de la présente assignation,
S'agissant de M. [M] [O] :
À titre principal,
dire la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique prescrite en son action formée à l'encontre de M. [M] [O] sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle,
À titre subsidiaire,
débouter la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formées à l'encontre de M. [M] [O],
S'agissant de la société SCI BJA et M. [M] [O], ensemble :
condamner la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à payer ensemble à la société SCI BJA et à M. [M] [O] la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant le premier juge, et la somme de 4 000 euros sur le même fondement juridique au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,
condamner la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique aux entiers dépens exposés devant le premier juge, qui comprendront les dépens exposés dans le cadre de la procédure de référé ayant conduit à la reddition de l'ordonnance de référé du 14 mai 2018 ainsi que le coût du rapport d'expertise [B] et enfin le coût du procès-verbal de constat d'huissier de justice du 27 mars 2018 et enfin le coût des deux procédures jointes,
condamner la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique aux dépens d'appel.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 7 septembre 2023, la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique demande à la cour, au visa des articles 2224 et 1240 et suivants du code civil, de :
débouter la SCI BJA et M. [M] [O] de leurs demandes présentées à la cour,
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 17 janvier 2023 en ce qu'il a retenu que l'assiette maximum de la demande de la SCI BJA ne pouvait porter que sur le montant des travaux retenus par l'expert judiciaire, vétusté déduite, soit 30.004,50 euros hors taxe, à l'exception de toute autre,
réformer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 17 janvier 2023 en ce qu'il a considéré que ces dommages étaient imputables à la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique, alors que celle-ci n'est pas responsable du non-respect de l'article 600 du code civil, n'ayant fait qu'acquérir les parts sociales de la société usufruitière, le démembrement initial de propriété ayant été effectué à l'époque où elle n'était pas actionnaire,
Pour le cas où une condamnation serait prononcée contre elle,
confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique contre M. [M] [O],
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 17 janvier 2023 qui a retenu que M. [M] [O] avait commis des fautes lors du démembrement de propriété et de la création de l'usufruit en ne respectant pas les dispositions de l'article 600 du code de procédure civile et en ne satisfaisant pas à son obligation précontractuelle d'information lors de la cession des parts sociales, obligation précontractuelle d'information sanctionnée et désormais reconnue par l'article 1112-1 du code civil, prolongation notamment des articles 1602 du code civil, 1134 alinéa 3, 1135, 1147 du même code, à relever et garantir indemne la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle et en cela réformer le jugement qui n'a pas tiré les conséquences de sa décision en retenant une obligation de la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique solidairement avec M. [M] [O] au titre d'un article 700 du code de procédure civile de 1 000 euros alloué à la SCI BJA et la condamnation aux dépens,
Statuant à nouveau,
juger que M. [M] [O] sera tenu de relever et garantir la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique de l'ensemble des condamnations prononcées contre elle, que ce soit en principal, intérêts, article 700 du code de procédure civile, frais et dépens, y compris au titre de la mesure d'instruction, au profit de la SCI BJA,
condamner in solidum la SCI BJA et M. [M] [O] à payer à la société HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique une somme de 8 000 euros en application du code de procédure civile,
condamner in solidum la SCI BJA et M. [M] [O] aux entiers dépens d'appel.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 février 2024, les débats étant fixés au 5 février 2025.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de réparation des dommages subis par la SCI BJA
La SCI BJA fait valoir que :
dans le cadre des différentes opérations, d'abord la location puis l'octroi d'un usufruit de 10 ans, les locaux étaient censés être entretenus dans un premier temps par le locataire puis par l'usufruitier, et à défaut, le nu-propriétaire pouvait faire valoir ses droits pour obtenir la remise en état du bien à neuf,
aucun état des lieux n'a été fait lors de la cession des parts de la société HRP, ce qui implique que les locaux étaient parfaitement entretenus voire dans un état neuf et ne permettait pas aux premiers juges d'appliquer un coefficient de vétusté à l'indemnisation qui lui a été accordée,
s'agissant des pneus présents sur le terrain, même si l'expert a pu déterminer qu'une certaine quantité était présente lors de la cession de l'usufruit, cela ne doit pas conduire à appliquer une déduction de 30% en vertu de l'engagement contractuel de l'ex-locataire de rendre les locaux en parfait état, seul l'usufruitier devant assurer cette charge puisqu'il en a accepté la présence en entrant dans les lieux,
la liste des travaux de réparation ne concerne que des travaux d'entretien qui sont complètement à la charge de l'usufruitier, le nu-propriétaire n'a pas à supporter de frais à ce titre et les dispositions de l'article 607 du code civil ne trouvent pas à s'appliquer,
la vétusté retenue par l'expert ne l'aurait pas été si l'usufruitier avait fait le nécessaire pour l'entretien des locaux,
l'intimée ne démontre pas avoir entretenu les locaux de manière régulière,
si elle a pu relouer rapidement le bien, cette location n'est intervenue que contre la promesse de réalisation par le nu-propriétaire des travaux indiqués par l'expert pendant l'exécution du bail.
La société HRP fait valoir que :
l'expert a établi un récapitulatif des travaux de reprise et proposé deux valeurs : 53.762 euros HT en valeur à neuf (sans vétusté) et 30.004,50 euros HT avec vétusté, et il a conclu à l'absence de dommages immatériels puisque le local a été reloué dès le 28 juin 2018, soit trois mois après l'état des lieux de sortie du 27 mars 2018, ce qui exclut toute perte locative, sans compter que les travaux de remise en état n'avaient pas eu lieu,
s'agissant de l'évacuation des pneumatiques, l'expert a réalisé une ventilation entre les deux usufruitiers qui se sont succédés,
il convient de faire application de la vétusté à l'indemnisation sollicitée, étant rappelé que le bail initial du 2 juin 2000 contenait une clause prévoyant que le preneur s'engageait à rendre les lieux loués dans le même état que lors de son entrée, sachant qu'à l'époque, les locaux étaient neufs,
elle n'a pas acquis l'usufruit mais les parts de la société qui détenait la société Le Pneu Lyonnais, ce qui implique une transmission universelle de patrimoine, et elle est exposée aux fautes et manquements de M. [O], ancien usufruitier et ancien gérant, au détriment de la SCI BJA mais aussi du sien,
aucun état des lieux n'a été réalisé lors de la cession des parts et de l'entrée dans les lieux de la nouvelle société, ce qui n'a pas permis au repreneur de disposer d'éléments objectifs quant à l'état des lieux,
la responsabilité de la SCI BJA sous la gestion de M. [O] doit être retenue au titre de l'absence d'état des lieux et de l'absence d'entretien des locaux pendant la période où il était locataire puis usufruitier,
les premiers juges ont retenu, à la lecture du rapport d'expertise, que les postes de réparation relèvent de travaux d'entretien et qu'il est manifeste que l'usufruitier précédent et le locataire n'ont pas mis en 'uvre un entretien régulier et sérieux, aucune facture n'étant produite à ce titre.
Sur ce,
L'article 600 du code civil dispose que : « L'usufruitier prend les choses dans l'état où elles sont, mais il ne peut entrer en jouissance qu'après avoir fait dresser, en présence du propriétaire, ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l'usufruit. »
L'article 605 du même code dispose que : « L'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien, depuis l'ouverture de l'usufruit, auquel cas l'usufruitier est aussi tenu ».
L'article 606 du code civil dispose que : « Les grosses réparations sont celles des murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d'entretien ».
Il est constant que la SCI BJA a consenti à la société Le Pneu Lyonnais un bail commercial le 2 juin 2000 pour une durée de 9 ans, et que la convention prévoyait, qu'à la restitution des locaux, le preneur devrait rendre les lieux loués en bon état et s'acquitter ou rembourser le montant des réparations susceptibles d'être dues.
Cette même clause prévoyait la réalisation, y compris en l'absence du preneur, d'un état des lieux de sortie par l'architecte de l'immeuble qui devait fixer le montant des éventuels désordres et le coût des travaux à réaliser.
Suivant acte notarié du 27 février 2008, la SCI BJA, désignée comme vendeur, et la société Le Pneu Lyonnais, désignée comme acquéreur, ont signé une convention de cession de l'usufruit sur le bien immobilier appartenant à la première pour un montant de 390.000 euros, ce, pour une durée de 10 ans.
Il est indiqué à l'acte, concernant l'état des locaux, que l'acquéreur prendra le bien vendu dans l'état où il le trouvera le jour de son entrée en jouissance sans aucune autre garantie de la part du vendeur que les garanties dues en vertu de l'article 1792 du code civil pour celles des garanties encore susceptibles d'être mises en jeu à ce titre.
Aucune mention dans l'acte n'indique une obligation de restitution à l'état neuf ou en bon état des locaux à la fin de la période de jouissance de l'usufruit.
La SCI BJA ne verse aux débats aucune pièce ou élément justifiant qu'un état des lieux et un inventaire des meubles ou immeubles ont été dressés lors de l'entrée en jouissance. De même, aucun état des lieux de sortie n'est remis, en lien avec la cessation du bail commercial, alors que ledit bail prévoyait que les locaux devaient être rendus en bon état.
Il est constant que l'intégralité des parts sociales de la société HRP, elle-même propriétaire des parts de la société Le Pneu Lyonnais a été vendue à la société Vulco, qui a fusionné ces deux sociétés. Au titre de cette cession et de cette fusion, la société HRP est devenue propriétaire de l'usufruit consenti à la société Le Pneu Lyonnais, par transmission universelle de patrimoine.
Lors de la restitution des locaux au terme de l'usufruit de 10 ans, un conflit est né entre les parties sur la nécessité de procéder à des travaux de remise en état, la SCI BJA estimant qu'il appartenait à la société HRP de les prendre intégralement à sa charge, en vertu de la convention d'usufruit et, qu'à défaut d'état des lieux d'entrée, ceux-ci étaient réputés être en bon état.
Comme rappelé ci-dessus, la convention de cession d'usufruit versée aux débats par les parties appelantes ne comporte aucune clause concernant l'état dans lequel les locaux doivent être remis lors de la restitution des lieux, le régime étant celui de l'usufruit qui implique une répartition des travaux de gros 'uvre et d'entretien entre le nu-propriétaire et l'usufruitier.
Il était toutefois indiqué dans l'acte que la personne de l'acquéreur et du preneur à bail se confondait et que, de fait, le premier devrait bénéficier de locaux en bon état aux termes du premier contrat.
Il est constant que, lors de son entrée en jouissance, la société Le Pneu Lyonnais n'a pas fait dresser d'état des lieux, ce qui ne permet de disposer ni d'un inventaire des meubles ni d'un état de l'immeuble sujet à usufruit.
Les appelants ne versent aux débats aucun élément de preuve de l'état des locaux à la date d'entrée en jouissance de l'usufruit.
Il en va de même concernant l'intimée suite à la cession des parts sociales de la société HRP, qui détient toutes les parts de la société Le Pneu Lyonnais et lors de la transmission universelle du patrimoine de cette dernière.
Or, à défaut d'inventaire, le nu-propriétaire est admis à la fin de l'usufruit à faire la preuve de la consistance du mobilier et de l'état des lieux par tous les moyens, y compris la preuve par commune renommée.
En outre, par analogie avec l'article 1731 du code civil, l'omission d'inventaire a pour conséquence de faire jouer contre l'usufruitier la présomption qu'il a reçu les meubles en bon état.
Le procès-verbal d'huissier dressé le 27 mars 2018 par la SCI BJA a recensé les désordres affectant le bien à la fin de l'usufruit, les éléments mis en avant entrant dans la catégorie des travaux d'entretien.
L'expert mandaté par le tribunal de commerce a également repris ce travail de recensement des désordres allégués dans chaque pièce de l'immeuble appartenant à la SCI BJA mais aussi, décrivant à chaque fois les désordres constatés, qu'il s'agisse de tâches, de trous dans les murs, importants ou trous de cheville, de la présence de fuites au niveau de lavabos ou du caractère inutilisable d'une douche, voire la présence d'un trou conséquent dans un mur, et a pu décrire également la présence de traces noires d'usures sur les murs ou de moisissures, ce dans les pages 17 à 34 de son rapport, chaque désordre étant photographié et permettant à la juridiction de déterminer si le désordre relève d'un défaut d'entretien ou bien de grosses réparations, avec dans ce dernier cas la vérification de ce qu'elles ne sont pas dues à un défaut d'entretien par le preneur. L'expert a également noté la présence à l'extérieur des locaux, dans l'enceinte de la propriété, de pneus usagés, pour lesquels il a pu déterminer qu'une partie était présente avant l'entrée dans les lieux de la société intimée, avec une augmentation de l'ordre de 70% de pneus entre 2007 et 2018.
Il est indiqué que, suite à la première réunion d'expertise et suite à la fourniture de devis, la SCI BJA a été autorisée à faire certains travaux afin de remettre le bien en location qui ont porté sur la reprise du portail sud et de son mécanisme d'ouverture, la démolition d'un mur séparatif intérieur sans reconstruction, le remplacement de panneaux de portes sectionnelles par des panneaux d'occasion, la reprise de faux plafonds (dont certains portaient des tâches de rouilles ou des traces noires), la reprise des bureaux dégradés au rez-de-chaussée et l'évacuation des pneumatiques, les factures étant remises lors de la seconde réunion d'expertise.
Dans le cadre de la mesure, les parties ont pu discuter de l'application d'un coefficient de vétusté puisque les bâtiments ont été construits en 2000, ont été occupés par le biais d'un bail commercial pendant 8 ans avant de faire l'objet d'un usufruit conventionnel pendant une durée de 10 ans.
L'expert a retenu que pendant les huit premières années, une période de franchise peut être appliquée, sans mise en 'uvre d'un coefficient de vétusté, ce dernier n'étant appliqué que de 2008 à 2018.
Dans le cadre de ses opérations, l'expert a apprécié les différents postes de préjudice et n'a retenu que les réparations effectivement réalisées par la SCI BJA, écartant les travaux non facturés même s'ils avaient fait l'objet d'un devis.
S'agissant des pneus, il a pu calculer que, concernant ceux présents sur le terrain autour de l'immeuble, le dernier usufruitier était responsable de 70% de cette masse au regard des éléments qu'il avait pu obtenir datant de 2007.
Il a également exclu les travaux de reconstruction d'une cuisine au motif qu'aucune preuve de ce que celle-ci existait en 2008 n'était rapportée.
Il a ainsi conclu que les travaux réalisés pour la remise en état des lieux s'élevaient à 53.752 euros HT en valeur à neuf et 30.004,50 euros HT en valeur d'usage, vétusté déduite.
Dans ses conclusions, l'expert a rappelé que l'application d'un coefficient de vétusté dépendait de l'appréciation de la juridiction et a indiqué que la SCI BJA a pu relouer les locaux un mois après la mise en 'uvre des premiers travaux, ce qui est une durée normale concernant ce type de bien et exclut tout préjudice économique.
La société HRP entend faire valoir qu'elle ne peut être considérée comme un nouvel usufruitier qui aurait eu à charge de faire dresser un état des lieux tel que prévu à l'article 600 du code civil puisqu'à l'origine, elle était connue sous le nom de la société Vulco et a uniquement acquis les parts sociales de la holding HRP qui elle-même détenait l'intégralité du capital social de la société Le Pneu Lyonnais qui détenait dans son patrimoine l'usufruit conventionnel.
Elle estime qu'en l'absence de toute modification des parties, on ne peut lui imputer la charge de la preuve de l'état neuf ou dégradé des lieux.
Qu'il s'agisse de l'une ou l'autre des parties, chacune échoue à rapporter la preuve de l'état des bâtiments lors de son entrée dans les lieux, et lors de la cession des parts, étant rappelé que le titulaire de l'usufruit conventionnel n'était pas modifié, ce qui excluait toute application de l'article 600 du code civil à cette date-là.
Toutefois, les constatations de l'expert judiciaire s'agissant de l'état des lieux démontrent qu'au terme de l'usufruit, les locaux étaient dégradés.
La nature des désordres relevés, notamment les taches sur les sols et les murs, les éléments de porte cassés en divers endroits, ou même la présence d'une fuite non réparée, relève des travaux d'entretien à la charge de l'usufruitier, étant rappelé que la société intimée a occupé les locaux de 2009 à 2018.
En l'absence de preuve par chacune des parties de l'état des locaux lors de l'entrée dans les lieux ou bien d'état des lieux de sortie entre la fin du bail commercial et la cession de l'usufruit pour une durée de 10 ans, il convient de faire application de la présomption de remise en bon état des locaux en 2008 à l'usufruitier conventionnel.
Il appartenait à l'intimée, si elle constatait que les locaux dans lesquels elle entrait étaient dégradés de le faire constater ou bien d'en avertir le nu-propriétaire, ce, même sans avoir recours aux dispositions de l'article 600 du code civil.
La société HRP a donc été le seul occupant des locaux appartenant à la SCI BJA pendant une durée de 9 ans et il lui revenait de réaliser les travaux d'entretien nécessaires conformément à ses obligations légales.
Or, elle ne verse aux débats aucune facture ou autre justificatif établissant l'intervention de sociétés pour l'entretien des locaux ou même des factures d'achat de matériaux destinés à de petites réparations, démontrant qu'elle a respecté l'obligation d'entretien mise à sa charge.
De même, si elle entend mettre en cause la responsabilité de Monsieur [O], elle ne démontre pas que celui-ci, auparavant gérant de la société Le Pneu Lyonnais, avait laissé les locaux dans un état aussi dégradé que ce qu'il a été constaté à son départ des lieux.
L'intimée ne peut également prétendre que, pendant neuf années d'exercice d'une activité en lien avec l'automobile, elle n'aurait pas taché les lieux ou subis des désagréments en lien avec les produits utilisés dans le cadre de ce type d'activité, comme notamment la pollution.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient d'infirmer dans sa totalité la décision déférée et de mettre à la charge de la société HRP l'intégralité des travaux de reprise chiffrés par l'expert soit la somme de 53.752 euros HT, les autres travaux réclamés par la SCI BJA notamment l'installation d'une cuisine ou la reconstruction de certaines pièces n'étant pas justifiés faute d'état des lieux lors de l'entrée en jouissance en 2008 et de détail précis des biens et immeubles composant l'assiette de l'usufruit à cette date.
La décision déférée sera donc infirmée et la société HRP sera condamnée à payer à la SCI BJA la somme de 53.752 euros HT au titre des travaux de reprise.
Sur la recevabilité de l'action de la société HRP à l'encontre de M. [O]
M. [O] fait valoir que :
l'action à son encontre est prescrite puisque la société HRP vise des actes de gestion qui dateraient au plus tard du 31 octobre 2009 alors que la prescription de l'action à son encontre est de 5 ans,
si une faute doit être retenue du fait d'un défaut d'établissement d'état des lieux, cette faute date de 2009, date de la cession de l'usufruit,
l'état du bâtiment était connu de la société HRP lors de son entrée dans les lieux et elle ne peut se fonder sur la demande de dédommagement pour décaler la date de connaissance du fait lui permettant d'exercer son action au 9 mars 2018.
La société HRP fait valoir que :
l'action exercée est une action mobilière qui se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer,
la concernant, le dommage ne lui a été révélé que le 9 mars 2018, date à laquelle une correspondance du conseil des appelants faisait valoir qu'à la date de cession de l'usufruit temporaire, l'immeuble était selon eux en bon état et que de fait, la concluante était considérée comme seule responsable de la dégradation du bâtiment et était sommée de rembourser,
elle a assigné M. [O] par acte du 30 septembre 2021, soit dans le délai imparti par les textes,
la question relative à l'existence d'une faute détachable ou non relève de l'appréciation au fond de la situation.
Sur ce,
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Au regard des éléments versés aux débats et de la chronologie du dossier, la société HRP n'a été informée des demandes d'indemnisation, et donc des faits lui permettant d'exercer ses droits, qu'à compter de sa mise en cause soit le 9 mars 2018 puisqu'aucune demande ne lui avait été adressée jusque-là.
L'assignation par la société HRP de M. [O] aux fins de faire reconnaître une faute personnelle de celui-ci, c'est-à-dire une faute de gestion contraire à l'intérêt social qui permet son appel en garantie, date du 30 septembre 2021, soit dans le délai de 5 ans à compter de la découverte du dommage.
L'action de la société HRP est donc recevable.
La décision déférée sera confirmée sur ce point.
Sur l'appel en garantie formé à l'encontre de M. [O] par la société HRP
M. [O] fait valoir que :
à défaut d'inventaire lors de l'entrée en jouissance des lieux, la société HRP est réputée avoir repris des locaux en bon état et ne peut prétendre à l'existence d'une faute à son encontre,
le mauvais état de l'immeuble est en lien avec le défaut d'entretien par l'usufruitier c'est-à-dire l'intimée à compter de la reprise de l'usufruit, cette dernière n'ayant pas respecté les dispositions de l'article 605 du code civil,
aucune faute détachable de ses fonctions de gérant n'est démontrée à l'encontre du concluant, étant rappelé qu'une faute de ce type relève d'une particulière gravité,
il convient d'envisager la faute du dirigeant de la société HRP lors de l'acquisition des parts qui a accepté de reprendre un usufruit appartenant à la société qui portait sur des locaux en mauvais état,
vu la date de construction, l'état des locaux en 2009 lors de la reprise, ne pouvait relever d'une dégradation massive.
La société HRP fait valoir que :
M. [O] a commis des fautes à double titre, tout d'abord en sa qualité de gérant des différentes sociétés (BJA et Le Pneu Lyonnais) mais aussi en raison du non-respect des obligations précontractuelles de renseignement,
l'article 600 du code civil prévoit que l'usufruitier prend les choses dans l'état où elles sont mais peut faire dresser en présence du propriétaire dûment appelé un état des lieux et inventaire, ce qui n'a pas été le cas,
la SCI BJA a indiqué dans ses écritures que si les locaux étaient en mauvais état lors de l'entrée dans les lieux du nouvel usufruitier, la faute en revenait à l'occupant précédent et au locataire, à savoir M. [O],
cette faute reprochée à M. [O] est incompatible avec l'intérêt de la SCI BJA et est donc détachable de ses fonctions de gérant,
M. [O] est responsable du démembrement de propriété qui s'est fait à son profit alors qu'il dirigeait la SCI BJA mais aussi la société Le Pneu Lyonnais, ce qui lui permettait de tirer profit de cette situation en ne payant pas de loyer comme usufruitier,
M. [O] a transmis les locaux obtenus dans le cadre de l'usufruit, en l'état à l'acquéreur de toutes les parts de la société HRP,
M. [O] était redevable en tant que gérant de la SCI BJA mais aussi en tant qu'usufruitier précédent d'une obligation précontractuelle de renseignement concernant l'état des lieux lors de la cession des parts de la société HRP, cette faute étant susceptible de remettre en cause le consentement à l'achat de la totalité des parts de cette société.
Sur ce,
L'article 1112-1 du code civil dispose que : « [Localité 6] des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
La société HRP entend engager la responsabilité personnelle de M. [O] au motif que l'absence d'information par ce dernier concernant l'état exact des locaux est contraire à l'intérêt de la SCI BJA, mais l'a aussi empêchée de contracter dans des conditions acceptables lors de l'acquisition de l'intégralité des parts sociales. Elle indique également que celui-ci a occupé les lieux de manière permanente depuis leur construction, d'abord dans le cadre d'un bail commercial puis de l'usufruit contractuel consenti à la société Le Pneu Lyonnais.
Or, il est constant que la société Vulco, qui a acquis les parts de la société HRP, qui est une holding et détenait notamment la société Le Pneu Lyonnais avant de fusionner ces deux sociétés, exerce une activité commerciale et il lui appartenait, si elle estimait ne pas être suffisamment informée, de se rendre dans les locaux qui étaient occupés par la dernière société afin de vérifier leur état ou de solliciter des éléments complémentaires auprès du dirigeant de la SCI BJA.
La société HRP prétend que M. [O] a agi dans un intérêt contraire à celui de la SCI BJA en ne lui fournissant pas les éléments relatifs à l'état des lieux et en ne faisant pas d'état des lieux.
Si M. [O], en tant que gérant de la société Le Pneu Lyonnais n'a pas réalisé l'état des lieux prévu à l'article 600 du code civil lors de l'entrée en jouissance, il est rappelé qu'il avait obligation de remettre les lieux en bon état à la fin du bail commercial.
La société HRP ne démontre à aucun moment que l'intéressé ne s'est pas acquitté de cette obligation et ne démontre pas non plus que lors de son entrée dans les locaux, ceux-ci étaient déjà dans un état de dégradation avancée.
Au regard de ces éléments, il convient de rejeter l'appel en garantie formé par la société HRP à l'encontre de M. [O].
En conséquence, la décision déférée sera infirmée sur ce point, ce qui entraîne également une infirmation de la décision sur les demandes accessoires.
Sur les demandes accessoires
La société HRP échouant en ses prétentions, elle sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure de première instance, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire, et les dépens d'appel.
L'équité commande d'accorder à la SCI BJA et à Monsieur [O] une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En conséquence, la société HRP sera condamnée à leur verser la somme de 5.000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel,
Infirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a déclaré recevable l'action de la SAS HRP-Holding Rhodanienne de Pneumatique à l'encontre de M. [M] [O],
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SAS HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à payer à la SCI BJA la somme de 53.752 euros HT au titre des travaux de reprise,
Déboute la SAS HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique de sa demande de garantie formée à l'encontre de M. [M] [O],
Condamne la SAS HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique aux entiers dépens de la procédure de première instance, qui comprendront notamment les frais de la mesure d'expertise judiciaire, et de la procédure d'appel,
Condamne la SAS HRP-Holding Rhodanienne du Pneumatique à payer à la SCI BJA et à M. [M] [O] la somme de 5.000 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.