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Décisions

CA Douai, ch. 1 sect. 2, 22 mai 2025, n° 23/03445

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 23/03445

22 mai 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 2

ARRÊT DU 22/05/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 23/03445 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VAZK

Décision (N° OP22-3572)

rendue le 03 juillet 2023 par l'Institut [11] de [Localité 8]

APPELANTE

La SCEV [L] [V]

représentée par son gérant Monsieur [L] [V]

ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Coraline Favrel, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

assistée de Me Timothée Chaste, avocat au barreau de Reims, avocat plaidant

INTIMÉE

La société de droit espagnol [K] [Localité 10] SL

représentée par ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 7]

[Localité 1] (Espagne)

défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 25 octobre 2023

EN PRÉSENCE DE :

L'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI)

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Madame [J] [E] munie d'un pouvoir

DÉBATS à l'audience publique du 11 février 2025, tenue en double rapporteur par Catherine Courteille et Carole Van Goetsenhoven après accord des parties et après rapport oral de l'affaire par Carole Van Goetsenhoven.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Catherine Courteille, présidente de chambre

Véronique Galliot, conseiller

Carole Van Goetsenhoven, conseiller

ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 mai 2025 (délibéré avancé) et signé par Catherine Courteille, présidente et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 02 décembre 2024

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 décembre 2024

****

EXPOSE DU LITIGE

Le 29 juin 2022, la SCEV [L] [V] (la société [L] [V]) a déposé la demande d'enregistrement n°4880777 portant sur le signe complexe DOMAINE [Localité 10] [Localité 6] LA GRANDE CÔTE.

Elle est enregistrée pour les produits de classe n°33: « Vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée "[Localité 6]" ».

Le 1er avril 1996, la société [K] [Localité 10] SL, société de droit espagnol, avait déposé la marque verbale de l'Union européenne [K] [Localité 10], enregistrée sous le n°000011486 et régulièrement renouvelée. Elle est enregistrée pour les produits de classe 33 « Boissons alcooliques (à l'exception des bières) ».

Le 31 août 2022, la société [K] [Localité 10] SL a formé opposition à l'enregistrement de la marque DOMAINE [Localité 10] [Localité 6] LA GRANDE CÔTE sur la base de sa marque sur le fondement du risque de confusion.

Par décision OPP 22-3572 / DDL rendue le 3 juillet 2023, le Directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle a reconnu l'opposition justifiée et rejeté la demande d'enregistrement.

Par déclaration reçue au greffe le 21 juillet 2023, la société [L] [V] a formé un recours en annulation de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 5 octobre 2023, la société [L] [V] demande à la cour de :

La déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

annuler la décision du Directeur de l'INPI du 3 juillet 2023 en toutes ses dispositions ;

rejeter l'opposition à l'encontre de la demande d'enregistrement de marque française Domaine [Localité 10] [Localité 6] [Adresse 9] n°4880777,

accepter et ordonner la demande d'enregistrement de marque DOMAINE [Localité 10] [Localité 6] LA GRANDE CÔTE n°4880777 pour les « Vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée "[Localité 6]" » de la Classe n°33,

ordonner la notification de l'arrêt à intervenir conformément aux dispositions de l'article R. 411-42 du code de la propriété intellectuelle ;

condamner la société [K] [Localité 10] SL à verser à M. [S] la somme de 5 000 euros au titre des frais de justice et sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;

condamner la société [K] [Localité 10] SL aux entiers dépens de l'instance.

Sur la comparaison des produits, elle soutient que les produits sont différents en ce que la classification de [Localité 12] opère effectivement une distinction entre les boissons alcoolisées et les vins d'appellation d'origine protégée. Elle ajoute que les vins bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée « [Localité 6] » ne peuvent être confondus, par le consommateur d'attention moyenne, avec n'importe quelle boisson alcoolisée.

Sur la comparaison des signes, elle conteste l'appréciation du directeur de l'INPI en ce qu'il a considéré que seul le terme [Localité 10] était dominant et prétend que le signe aurait dû être analysé dans son ensemble. Elle conclut que son signe est distinctif par tous les éléments qui le composent. Enfin, elle fait valoir que la comparaison des signes en présence ne permet pas au consommateur moyen d'ignorer que ses produits sont issus d'une exploitation protégée et issus de raisins produits sur son vignoble.

Le 1er juillet 2024, le Directeur général de l'INPI a transmis ses observations à la cour.

Le ministère public, par un avis écrit du 19 décembre 2024, s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

Bien que citée selon les modalités les articles 4 § 3 et 9 § 2 du règlement (CE) no 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020, la société [K] [Localité 10] SL n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées et rappelées ci-dessus.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 décembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d'annulation de la décision du Directeur général de l'INPI du 21 juillet 2023

Aux termes de l'article L711-1 du code de la propriété intellectuelle, la marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales.

Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire.

L'article L711-3 I du même code dispose que ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :

1° Une marque antérieure :

(...)

b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure.

Aux termes de l'article L713-2 du même code, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.

Il résulte de l'article L. 712-4 du code de la propriété intellectuelle que dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d'enregistrement, une opposition peut être formée auprès du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle à l'encontre d'une demande d'enregistrement en cas d'atteinte à l'un des droits antérieurs suivants ayant effet en France :

1° Une marque antérieure en application du 1° du I de l'article L. 711-3 ;

2° Une marque antérieure jouissant d'une renommée en application du 2° du I de l'article L. 711-3 ;

3° Une dénomination ou une raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

4° Un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

5° Une indication géographique enregistrée mentionnée à l'article L. 722-1 ou une demande d'indication géographique sous réserve de l'homologation de son cahier des charges et de son enregistrement ultérieur ;

6° Le nom, l'image ou la renommée d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ;

7° Le nom d'une entité publique, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.

Une opposition peut également être formée en cas d'atteinte à une marque protégée dans un État partie à la convention de [Localité 14] pour la protection de la propriété industrielle dans les conditions prévues au III de l'article L. 711-3.

Le risque de confusion entre les services et produits et les signes caractérise l'atteinte à la marque antérieure.

Un risque de confusion est un risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant d'entreprises liées économiquement, il doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce.

L'appréciation du risque de confusion implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte quant à l'analyse des produits et services fournis et l'appréciation d'une similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte des éléments distinctifs et dominants de celles-ci (CJCE 12 juin 2007, Ohmi/Shaker C-334/05).

Sur la comparaison des produits

La marque antérieure a été déposée pour les produits « boissons alcooliques (à l'exception des bières) ».

La marque contestée a été déposée pour les produits « vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée « [Localité 6] » ».

Il s'ensuit que les deux marques ont été déposées pour des produits relevant de la catégorie générale des boissons alcoolisées, dont les vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée « [Localité 6] » constituent en réalité une sous-catégorie.

Aussi, ces produits appartiennent à la catégorie plus générale des « boissons alcooliques » désignée par la marque antérieure et sont en conséquence des produits identiques, sans que la spécificité des vins bénéficiant d'une appellation d'origine ne puisse suffire à écarter l'identité de produits.

Sur la comparaison des signes

L'appréciation de la similitude des signes suppose une appréciation globale prenant en compte la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques en tenant compte notamment des éléments distinctifs et dominants de celles-ci, à l'aune d'un consommateur moyen des services qui n'a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des marques mais doit se fier à l'image imparfaite qu'il en a gardée en mémoire. Il y a donc lieu de tenir compte du signe dans son entier et non de se limiter à une partie seulement du signe contesté.

La marque antérieure est une marque verbale « [K] [Localité 10] » et la marque contestée une marque complexe constituée d'un signe semi-figuratif : DOMAINE [Localité 10] [Localité 6] LA GRANDE COTE.

Sur le plan phonétique, le seul élément commun aux deux signes est le terme « [Localité 10] » ou « [Localité 10] ».

Ce terme présente un caractère distinctif, étant observé que la présence ou l'absence de l'accent sur le « E » est indifférente dès lors qu'il n'en découle pas de différence majeure notamment s'agissant de la prononciation du terme, au regard des produits concernés.

Toutefois, la marque antérieure associe ce terme à « [K] » uniquement alors que la marque contestée comprend six autres termes associés (Domaine, [Localité 6], la, grande, côte).

Si les termes « domaine » et « champagne » de la marque contestée ne peuvent constituer des éléments distinctifs dès lors qu'ils sont d'usage courant en matière de boissons alcooliques et sont descriptifs du produit de la marque, les termes « la grande côte » doivent quant à eux être qualifiés de distinctifs dès lors qu'ils sont d'usage spécifique à la marque contestée, qu'ils figurent sur une ligne distincte du signe et dans une calligraphie différente des autres termes. Ces termes sont donc, au vu de ces éléments, mis en avant dans le signe contesté, sans être d'usage courant pour les produits en cause, et revêtent un caractère distinctif.

Sur le plan phonétique, les signes se distinguent également par leur nombre de temps et leurs sonorités générales. Ainsi, la marque antérieure est composée de deux temps alors que la marque contestée comprend six temps distincts, l'importance de la différence de temps des deux signes induisant une différence de sonorité générale.

En outre, sur le plan visuel, le signe contesté est un signe complexe, utilisant deux couleurs distinctes et trois calligraphies différentes, conduisant à lui conférer une identité singulière, alors que le signe antérieur est un signe verbal sans spécificité propre. Il existe ainsi une différence visuelle majeure entre les deux signes, le signe de la marque contestée étant semi-figuratif, constitué de plusieurs calligraphies et couleurs, avec des termes organisés sur plusieurs lignes.

Ainsi, les impressions phonétiques et visuelles des deux signes sont bien distinctes.

Le seul terme commun « [Localité 10] » ne peut dès lors être considéré comme dominant, puisqu'il se situe, pour la marque contestée, dans un ensemble comprenant des spécificités marquées.

La comparaison des signes en présence, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, détermine une impression d'ensemble suffisamment différente pour exclure un risque de confusion dans l'esprit du public visé.

Sur l'appréciation globale

L'appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte et notamment la similitude des marques et celle des produits ou des services désignés. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits et services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement.

S'il existe une identité de produits entre les deux marques, il résulte de ce qui précède que la similarité entre les signes est exclue.

Le risque de confusion, au regard de cette appréciation globale, doit donc être écarté et la décision entreprise sera annulée.

Sur les demandes accessoires

La procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Annule la décision du Directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle [13] 22-3572 / DDL du 3 juillet 2023 ;

Rejette la demande formée par la SCEV [L] [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et au directeur de l'institut national de la propriété intellectuelle.

Le greffier

Anaïs Millescamps

La présidente

Catherine Courteille

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