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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 27 mai 2025, n° 21/00218

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

D. K.

Défendeur :

Gestimmo IV (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

M. Chappert, Mme Gandais

Avocats :

Me Boisnard, Me Mariel, Me Guillou, Me Hubert

TJ [Localité 6], du 22 déc. 2020, n° 20/…

22 décembre 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS Les Créateurs Contemporains Angevins (SAS CCA) est née de l'association de la SARL JGB Finance et de la SARL [K] [D] Investissement, dont M. [D] [K] a été le gérant.

La SCI Gestimmo IV est propriétaire de locaux situés au [Adresse 2] à Angers (Maine-et-Loire).

Un bail commercial a été conclu sur ces locaux par un acte sous seing privé du 26 février 2015 entre la SCI Gestimmo IV et :

"M. [K] [D] (...) agissant en son nom personnel et en tant que futur gérant de la société CCA, en cours d'immatriculation au RCS d'[Localité 6].

A l'obtention du Kbis de ladite société, un avenant sera rédigé par le Cabinet Alain Rousseau Immobilier pour substitution à cette personne morale"

prévoyant un loyer annuel de 25 200 euros HT, outre 450 euros de provision sur charges et une provision trimestrielle de 150 euros HT à valoir sur le remboursement de la taxe foncière.

La SAS Les Créateurs Contemporains Angevins a été immatriculée le 9 mars 2015 et, le 11 mai 2015, un avenant au bail commercial du 26 février 2015 a été conclu, prévoyant que :

"le bailleur accepte la substitution de M. [K] [D] (...) au profit de la CCA (...), représentée par son gérant M. [K] [D].

M. [K] [D] restera solidairement garant quant aux engagements résultant dudit bail".

La SAS Les Créateurs Contemporains Angevins a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 février 2020 et la SCI Gestimmo IV a déclaré une créance au titre des loyers des mois de novembre 2019 à janvier 2020.

La SCI Gestimmo IV a par ailleurs fait pratiquer, le 31 janvier 2020, une saisie conservatoire sur les comptes détenus par M. [K], en sa qualité de codébiteur solidaire des obligations résultant du bail commercial. Elle l'a ensuite fait assigner en paiement devant le tribunal judiciaire d'Angers par un acte d'huissier du 26'février 2020.

Par un jugement du 22 décembre 2020, réputé contradictoire, le tribunal judiciaire d'Angers a :

- condamné M. [K] à verser la somme de 8 677,47 euros à la SCI Gestimmo IV au titre des loyers impayés,

- condamné M. [K] à verser à la SCI Gestimmo IV une somme de 2'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit

Par une déclaration du 3 février 2021, M. [K] a interjeté appel de ce jugement, l'attaquant en chacun de ses chefs et intimant la SCI Gestimmo IV.

Les parties ont conclu et une ordonnance du 3 février 2025 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par des dernières conclusions (n° 3) remises au greffe par la voie électronique le 6 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [K] demande à la cour :

- de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

en conséquence, à titre principal,

- de débouter la SCI Gestimmo IV de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

- de dire et juger que le montant qu'il doit est de 4 477,47 euros,

en tout état de cause,

- de condamner la SCI Gestimmo IV à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

Par des dernières conclusions (n° 2) remises au greffe par la voie électronique le 17 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SCI Gestimmo IV demande à la cour :

- de débouter M. [K] de son appel et de toutes fins qu'il comporte,

- de la recevoir en son appel incident partiel et de réformer le jugement en ce qu'il a condamné M. [K] à lui verser la somme de 8 677,47 euros au titre des loyers impayés,

statuant à nouveau,

- de condamner M. [K] à lui payer la somme de 11'869,14 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et sauf mémoire,

- de confirmer le jugement pour le surplus,

y ajoutant,

- de condamner M. [K] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance,

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur le dol :

M. [K] explique que l'avenant du 11 mai 2015 n'avait pour objet que de lui substituer la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins dans le bail conclu le 26 février 2015, après l'immatriculation de la société. Il soutient que cet avenant lui a été soumis dans la précipitation, si bien qu'il ne s'est pas aperçu que la SCI'Gestimmo IV y avait inséré subrepticement une clause qui l'engageait comme garant solidaire de la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins. Il invoque l'existence d'un dol et la nullité de la clause en application de l'article 1184 du code civil, ce qu'il invoque comme moyen de défense.

La SCI Gestimmo IV lui oppose, en premier lieu, la prescription de l'article 2224 du code civil. Elle soutient en effet que plus de cinq années ont séparé la date de la conclusion de l'avenant contenant la clause litigieuse (11 mai 2015) de'celle de la signification des conclusions prises pour soulever la nullité pour la première fois (29 avril 2021). Elle ajoute que, l'avenant ayant été exécuté au moins pour partie par la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins qui s'est substituée à M. [K], ce dernier ne peut pas se prévaloir du caractère perpétuel de la nullité qu'il invoque par voie d'exception.

L'avenant litigieux ayant été conclu le 11 mai 2015, les dispositions du code civil sont celles antérieures à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

L'article 1304 du code civil prévoit ainsi que dans tous les cas où l'action en nullité d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans et que ce temps ne court, dans le cas d'un dol, que du jour où celui-ci a été découvert. Certes, la garantie solidaire de M.'[K] résulte d'une clause de l'avenant du 11 mai 2015, qu'il a dûment paraphé et signé. Mais M. [K] entend précisément démontrer qu'il n'a pas pris connaissance de cette clause par l'effet d'une manoeuvre dolosive de la SCI'Gestimmo IV, dont la caractérisation est une question distincte et relève du débat sur le fond. De ce fait, c'est bien à la date à laquelle la SCI Gestimmo IV a, pour la première fois, appelé M. [K] en sa qualité de garant solidaire que doit être fixé le point de départ de la prescription, soit au jour de la signification du procès-verbal de saisie conservatoire (31 janvier 2020). Moins de cinq ans séparant cette date de celle de la première demande de nullité (29 avril 2021), l'action est recevable.

En second lieu, la SCI Gestimmo IV conteste que les conditions du dol soient réunies. Sur ce point, il est exact que l'article 1116 du code civil subordonne le dol à la fois à la caractérisation d'un élément matériel et d'un élément intentionnel, dont il appartient à M. [K] de rapporter la preuve. Or, l'appelant se contente d'affirmer que l'avenant a été conclu dans la précipitation et il reproche à la SCI'Gestimmo IV d'avoir introduit subrepticement la clause prévoyant qu'il reste garant solidaire des obligations de la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins. Mais il n'apporte aucun élément au soutien de ces affirmations et au contraire, comme le fait remarquer l'intimée, la clause litigieuse figure clairement, dans un paragraphe distinct et en caractères parfaitement lisibles, en première page de l'avenant qui n'en compte que deux, dûment paraphées par M. [K] qui a tout aussi dûment signé l'acte.

Dans ces circonstances, l'appelant ne rapporte pas le preuve de l'élément matériel ni de l'élément intentionnel du dol qu'il invoque comme moyen de défense à l'action en paiement.

- sur le montant de la condamnation :

En première instance, la SCI Gestimmo IV a demandé la condamnation de M. [K] au paiement d'une somme de 11 569,96 euros en principal, recouvrant les loyers, provisions sur charges et taxe foncière, des mois de novembre 2019 à février 2020. Le premier juge n'a fait droit à cette demande qu'à hauteur de 8'677,47 euros correspondant aux loyers de novembre 2019 à janvier 2020, à'l'exclusion de celui de février 2020 concerné par la liquidation judiciaire ouverte le 14 février 2020.

(a) concernant le loyer de février 2020 :

En appel, la SCI Gestimmo IV demande que la condamnation soit portée à la somme de 11 869,14 euros, incluant l'échéance de février 2020 puisque l'article 6 des conditions particulières du bail commercial prévoit une exigibilité trimestrielle et par avance. La SCI Gestimmo IV en tire la conséquence que le loyer de février 2020 était exigible dès le mois de janvier 2020, soit avant l'ouverture de la procédure collective (14 février 2020).

Le décompte fourni par la SCI Gestimmo IV (pièce n° 4) reprend en réalité des impayés accumulés depuis l'année 2017. Il n'est pas discuté par M. [K] sur ce point, ni même sur les loyers couvrant la période du 1er novembre 2019 au 31 janvier 2020, qui ont motivé la condamnation prononcée par le premier juge. Il conteste en définitive uniquement la somme que la SCI Gestimmo IV réclame, prorata temporis, sur une période du 1er février 2020 au 19 février 2019.

L'article 6 des conditions particulières du bail commercial du 26 février 2015 est ainsi libellé :

'Le loyer est fixé à la somme de 25'200 euros HT (...) par an, correspondant à la valeur locative des lieux loués. Ce loyer sera payable d'avance et de la manière indiquée ci-dessous :

* 2 100 euros HT par mois, le premier paiement le 1er juin 2015, puis en début de chaque trimestre civil (...)'

Contrairement à ce que soutient l'appelant, le loyer est contractuellement exigible par avance et au début de chaque trimestre, seule ayant fait exception la première échéance du 1er juin 2015. L'échéance du mois de février 2020 est donc bien devenue exigible dès le 1er janvier 2020. Il est néanmoins pris acte que la SCI Gestimmo IV ne revendique pas l'intégralité des loyers trimestriels devenus exigibles au 1er janvier 2020, ni même l'intégralité de l'échéance du mois de février 2020, mais uniquement ceux couvrant la période antérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire. La SCI Gestimmo IV est donc fondée à obtenir la condamnation de M. [K] au paiement d'une somme de [(2 892,49 / 29) x 14] 1 396,37 euros au titre du mois de février 2020, la liquidation judiciaire ayant été ouverte le 14 février 2020 et non pas le 19 février 2020.

(b) sur le dépôt de garantie :

M. [K] demande que le dépôt de garantie (4 200 euros) soit déduit du montant de la condamnation puisqu'il l'a réglé à titre personnel lors de la signature du bail commercial du 26 février 2015 et qu'à défaut, il serait condamné à payer deux fois la même somme. La SCI Gestimmo IV répond que seul le preneur peut obtenir la restitution du dépôt de garantie et que, par l'effet de l'avenant du 11 mai 2015, la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins est devenue locataire en lieu et place de M. [K]. Elle en tire la conclusion que seul le liquidateur judiciaire aurait été recevable à agir en restitution du dépôt de garantie, ce qu'il s'est gardé de faire en raison des travaux qui ont dû être réalisés lors de la sortie de la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins. Elle ajoute que l'article 8 des conditions particulières n'envisage la restitution du dépôt de garantie que '(...) sous réserve de l'exécution par lui [le preneur] de toutes les clauses et conditions du bail', ce qui n'a pas été le cas puisque la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins a arrêté de payer ses loyers à compter du mois de novembre 2019.

La question consiste à savoir qui peut prétendre à la restitution du montant du dépôt de garantie, dont il n'est pas discuté qu'il a été versé par M. [K] personnellement. Le statut des baux commerciaux ne réglemente pas cette question, que les parties peuvent donc librement organiser dans leur contrat. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'aux termes de l'article 3 des conditions générales du bail commercial du 26 février 2015 :

'le PRENEUR a versé à la signature du présent bail, à titre de dépôt de garantie, au BAILLEUR, qui le reconnaît, une somme correspondant à DEUX mois de loyer hors taxes, et dont le montant sera précisé aux conditions particulières.

Le dépôt de garantie sera affecté, à l'expiration du bail ou lors de sa résiliation anticipée, pour quelque cause que ce soit, au règlement de toutes sommes que le PRENEUR pourraient devoir au BAILLEUR, étant précisé que le PRENEUR ne pourra en aucun cas imputer sur ce dépôt les échéances de loyers et de charges (...)'

et qu'aux termes de l'article 8 des conditions particulières :

'pour garantir l'exécution des obligations lui incombant, le PRENEUR verse au BAILLEUR une somme de 4 200 euros représentant DEUX mois de loyers HT à titre de dépôt de garantie. Ce dépôt ne sera ni productif d'intérêt, ni'imputable sur la dernière échéance de loyers et sera remboursable après le départ du PRENEUR sous réserve de l'exécution par lui de toutes les clauses et conditions du bail (...)'

aucune de ces dispositions ne prévoyant spécifiquement à qui le dépôt de garantie doit être restitué au départ de la locataire et après déduction éventuelle des sommes restant dues à la bailleresse. L'avenant du 11 mai 2019 ne contient pas non plus de stipulation quant au créancier de la restitution du dépôt de garantie.

La position de M. [K] est dès lors de soutenir que le dépôt de garantie doit être restitué à celui qui l'a versé et celle de la SCI Gestimmo IV est d'affirmer que le dépôt de garantie ne peut être réclamé que par celui qui a la qualité de locataire. Le dépôt de garantie est un gage qui fait naître à la charge du bailleur une obligation d'en restituer son montant, en tout ou partie, au constituant, lequel n'est pas nécessairement le locataire à la date de la fin du bail. L'intimée n'explique d'ailleurs pas en quoi la simple substitution de la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins à M. [K] en tant que preneur aurait pour conséquence, comme elle l'affirme, que la première serait désormais seule fondée à réclamer la restitution du dépôt de garantie qui a été versé par le second. M. [K] peut en conséquence réclamer la compensation du montant du dépôt de garantie avec les sommes réclamées par la SCI Gestimmo IV.

Cette dernière invoque certes que la nécessité de travaux de remise en état à la sortie de la SAS Les Créateurs Contemporains Angevins et que le manquement par celle-ci de ses obligations contractuelles justifient la non-restitution du dépôt de garantie. Mais elle ne rapporte aucune preuve des premiers et elle n'invoque, au titre du second, que le non-paiement des loyers, dont il est précisément tenu compte par l'effet de la compensation avec les sommes restant dues à la bailleresse à ce titre. La SCI Gestimmo IV ne rapporte donc pas la preuve d'un motif de nature à priver, ou même de diminuer, le'montant du dépôt de garantie à restituer.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et à partir du décompte fourni par l'intimée, le montant de la condamnation s'établit comme suit :

* arriéré au 31 décembre 2019................................................7 081,57 euros

* loyers du 01/01/2020 au 31/01/2020.....................................2 892,49 euros

* loyer du 01/01/2020 au 14/02/2020.......................................1 396,37 euros

* dépôt de garantie......................................................................- 4 200 euros

soit une somme totale de 7 170,43 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt (comme demandé par la SCI Gestimmo IV).

- sur les demandes accessoires :

Le jugement est confirmé dans ses dispositions ayant statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

M. [K], qui succombe dans l'essentiel de ses prétentions, sera considéré comme la partie perdante. Il sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à la SCI Gestimmo IV d'une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, lui-même étant débouté de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a fixé le montant de la condamnation de M. [K] à la somme de 8 677,47 euros ;

y ajoutant,

Condamne M. [K] à payer à la SCI Gestimmo IV la somme de 7'170,43'euros avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Déboute M. [K] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [K] à verser à la SCI Gestimmo IV une somme de 5'000'euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne M. [K] aux dépens d'appel.

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