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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 3 juin 2025, n° 22/00924

CHAMBÉRY

Autre

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dumaine (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hacquard

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Ledain, Mermet & Associes

TJ [Localité 7], du 4 avr. 2022

4 avril 2022

Faits et procédure

Selon contrat en date du 12 juillet 2013, la SCI Les Quais a donné à bail commercial à la société Belkacemi'Duclos un local situé à Évian-les-Bains (74500) pour une durée de 9 ans expirant le 31 mars 2022. La société Belkacemi'Duclos ayant été placée en liquidation judiciaire, la société Dumaine a fait l'acquisition de son fonds de commerce incluant son droit au bail par adjudication du 9 mai 2016. La société Dumaine a cessé de régler ses loyers à compter d'avril 2020 et sa bailleresse a délivré un commandement de payer le 27 janvier 2021 visant la clause résolutoire et lui a donné congé par exploit d'huissier délivré le 20 avril 2021 en application de l'article L 145'14 du code de commerce.

Par acte d'huissier du 7 septembre 2021, la SCI Les Quais a assigné la société Dumaine devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, notamment aux fins de faire prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial.

Par jugement du 4 avril 2022, le tribunal judicaire de Thonon-les-Bains, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

- Rejeté la demande de la société Dumaine de réouverture des débats et de rabat de l'ordonnance de clôture ;

- Constaté la résiliation, à la date du 28 février 2021, du bail commercial portant sur le local sis [Adresse 2] à [Localité 5], conclu le 12 juillet 2013 et cédé le 9 mai 2016 à la société Dumaine, par le jeu de la clause résolutoire y figurant ;

- Déclaré la société Dumaine occupante sans droit ni titre du local commercial objet du bail commercial à compter du 28 février 2021 ;

- Condamné la société Dumaine et tout occupant de son chef à restituer à la SCI Les Quais le local dont s'agit libre de toute occupation de sa personne, de toute personne de son chef et de son matériel, objet du bail commercial, dans le délai de 15 jours suivant la signification du présent jugement, sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai ;

- Dit que faute pour la société Dumaine de libérer le local précité de sa personne et de ses biens ainsi que tout occupant de son chef, il pourra être procédé à son expulsion, avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, si besoin est ;

- Condamné la société Dumaine à payer à la SCI Les Quais la somme de 12.000,81 euros, somme à parfaire, à valoir sur les arriérés de loyer jusqu'au mois de février 2021, d'indemnités d'occupation à compter du 1er mars 2021 et de provision sur charges et frais;

- Fixé l'indemnité d'occupation due par la société Dumaine à la SCI Les Quais, à compter du 1er mars 2021, à la somme de 50 euros, par jour de retard, et ce, jusqu'à délaissement effectif des lieux par remise des clés ;

- Condamné la société Dumaine à payer à la SCI Les Quais la somme de 50 euros par jour de retard à compter du 1er mars 2021, jusqu'à libération effective des lieux par remise des clés ;

- Débouté la SCI Les Quais de sa demande tendant à obtenir la fixation de l'indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 985,32 euros TTC ;

- Constaté l'acquisition, par la SCI Les Quais, du dépôt de garantie versé par la société Dumaine à titre d'indemnité forfaitaire ;

- Condamné la société Dumaine à payer à la SCI Les Quais une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Dumaine aux entiers dépens de l'instance lesquels comprendront les frais du commandement de payer délivré le 27 janvier 2021.

Au visa principalement des motifs suivants :

La société Dumaine n'acquitte plus les loyers depuis une année et n'a pas donné suite au commandement du 27 janvier 2021 dans le mois ayant suivi sa signification ;

Une indemnité d'occupation a été contractuellement prévue, en des termes clairs et non susceptibles d'interprétation qui s'imposent à la société Dumaine, dès lors, la SCI Les Quais n'est pas fondée à demander le règlement d'une indemnité d'occupation mensuelle supplémentaire de 985 euros, correspondant au montant du loyer, à compter de la résiliation du bail effective depuis le 28 février 2021.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 24 mai 2022, la société Dumaine a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a débouté la SCI Les Quais de sa demande tendant à obtenir la fixation de l'indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 985,32 euros TTC.

Par ordonnance du 1er juin 2023, la conseillère de la mise en état de la 1e section de la chambre civile de la cour d'appel de Chambéry a :

- débouté la SCI Les Quais de sa demande de radiation de l'affaire du rôle de la cour d'appel dès lord que l'essentiel des condamnations prononcées par le jugement dont appel a été exécuté,

- débouté les parties de leurs demandes d'indemnité procédurale,

- condamné la SCI Les Quais aux dépens de l'incident.

Prétentions et moyens des parties :

Par dernières écritures du 27 janvier 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Dumaine sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

Statuant à nouveau,

- Juger que le bail commercial du 12 juillet 2013 ne peut être résilié compte tenu du congé délivré par la SCI Les Quais le 20 avril 2021 ;

- Débouter la SCI Les Quais de sa demande de résiliation du bail commercial ;

- Juger son maintien dans lieux donnés à bail dans le cadre du bail commercial du 12 juillet 2013 ;

- Rejeter la demande d'expulsion ;

- Débouter la SCI Les Quais de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire,

- Suspendre les effets de la clause résolutoire du bail commercial du 12 juillet 2013 ;

- Juger et l'autoriser à consigner les loyers commerciaux sur le compte séquestre de la CARPA de l'Ordre des Avocats du Barreau de Thonon-les-Bains ;

En tout état de cause,

- Condamner la SCI Les Quais à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SCI Les Quais au paiement des entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit de Me Ledain, avocat.

Au soutien de ses prétentions, la société Dumaine fait notamment valoir que :

Par exploit d'huissier de justice du 20 avril 2021, la SCI Les Quais lui a notifié un congé, sans offre de renouvellement, pour la date du 31 mars 2021, par conséquent le 31 mars 2021, le bail commercial du 12 juillet 2013 n'est plus en vigueur et ses effets contractuels cessent entre les parties du fait de la notification du congé par le bailleur, dès lors le Tribunal Judiciaire de Thonon-les-Bains ne pouvait pas à la date du 4 avril 2022 constater la résiliation du dit bail ;

Tant que le locataire sortant n'a pas perçu le montant de l'indemnité d'éviction, il peut se maintenir dans les lieux, aux clauses et conditions du bail expiré, le seul congé délivré par la bailleresse n'est donc pas de nature à lui faire perdre son droit à occupation.

Par dernières écritures du 20 janvier 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SCI Les Quais demande à la cour de :

- Confirmer le jugement prononcé le 4 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Thonon-les Bains en toutes ses dispositions ;

- Débouter la société Dumaine de l'intégralité de ses demandes ;

- Condamner la société Dumaine à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

Au soutien de ses prétentions, la SCI Les Quais fait notamment valoir que :

La société Dumaine se maintient dans les lieux sans payer la moindre contrepartie financière, le locataire n'a donc pas satisfait à une obligation essentielle du contrat de bail, à savoir le paiement des loyers aux termes convenus, et la bailleresse s'est finalement trouvée contrainte de procéder par voie de saisies attribution afin d'obtenir le règlement des indemnités d'occupation dues par la société Dumaine ;

Le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a constaté la résiliation par le jeu de la clause résolutoire à la date du 28 février 2021 soit une date antérieure à la date d'effet du congé sans offre de renouvellement, il importe peu que le jugement ait été prononcé postérieurement, puisque c'est la date de la résiliation fixée par le tribunal qui importe en la matière ;

La demande de maintien dans les lieux présentées par la société Dumaine sera donc rejetée pour ce motif ;

La jurisprudence considère que le retard répété dans le paiement du loyer caractérise un motif grave et légitime de refus de renouvellement et justifiant l'absence de proposition d'une indemnité d'éviction ;

Ce motif grave et légitime est d'autant plus caractérisé que la société Dumaine ne paye pas la moindre indemnité d'occupation à ce jour malgré les condamnations prononcées par le premier juge, avec exécution provisoire.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance du 3 février 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 15 avril 2025.

MOTIFS ET DECISION

I- Sur la résiliation du bail commercial

L'article L141-45 du code de commerce applicable au litige dispose 'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.'

Le bail commercial conclu entre les parties initiales le 12 juillet 2013, pour la durée de 9 années à compter du 1er avril 2013, a lié la société les Quais et la société Belkacemi-Duclos, dont les droits ont été transférés en 2016 à la société Dumaine. Ce bail contient un article 11 'résiliation' qui énonce en son alinéa 3 'A défaut d'exécution parfaite par le preneur de l'une quelconque, si minime soit-elle, de ses obligations issues du présent contrat, comme à défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer, charges, taxes et/ou accessoires, ainsi que des frais de commandement et autres frais de poursuites, celui-ci sera résilié de plein droit un mois après la délivrance d'un commandement d'exécuter resté infructueux, reprenant cette clause avec volonté d'en user, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, ni de former une demande en justice, même dans le cas de paiement ou d'exécution postérieures à l'expiration du délai ci-dessus.' Le loyer était en outre fixé dans l'article 5 à huit mille quatre cents euros hors taxes et hors charges, TVA en sus, indexé sur l'ICC.

Il convient d'observer qu'à la suite du procès-verbal d'adjudication vente de fonds de commerce de restauration ayant érigé la société Dumaine en qualité de preneur, le 9 mai 2016, plusieurs commandements de payer les loyers visant la clause résolutoire ont été délivrés et sont versés aux débats :

- le 1er août 2016, pour un impayé de 2.282 euros,

- le 9 février 2017 pour un impayé de 2.437,92 euros,

- le 28 août 2017 pour un impayé de 2.698,87 euros,

- le 27 janvier 2021 pour un impayé de 5.103,57 euros,

- ainsi qu'un congé sans offre de renouvellement, le 20 avril 2021, pour la date du 31 mars 2022, faisant état d'un motif grave et légitime au sens de l'article L145-16-1 du code de commerce, soit le non-paiement des loyers.

En l'espèce, la société Dumaine n'a pas donné suite au commandement de payer délivré le 27 janvier 2021 et n'a réglé aucune somme entre le 15 avril 2020 et le 1er août 2021 selon décompte arrêté à cette date fourni par le bailleur. Les effets de la clause résolutoire sont donc acquis un mois après délivrance du commandement, soit le 28 février 2021.

Toutefois, lorsqu'un commandement de payer a été délivré, puis un congé avec offre de renouvellement sous réserve éventuellement de la fixation judiciaire du loyer renouvelé, le bailleur est considéré comme ayant renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées au commandement antérieur (Civ. 3e, 11 mai 2022, pourvoi n°19-13.738).

Néanmoins, en l'espèce, le congé délivré le 20 avril 2021, soit dans les délais et formes prescrites, indiquait bien que 'le requérant s'oppose au renouvellement de votre bail sans paiement d'une indemnité d'éviction pour le motif suivant : non paiement des loyers, constitutif d'un motif grave et légitime au sens de l'article L145-17-1 du code de commerce. Plusieurs commandements de payer vous ont été délivrés par acte de mon ministère, à savoir, en date du 01/08/2016, 09/02/2017, 08/08/2017 et 12/04/2019.'

Il y a donc lieu de confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions, le montant de l'arriéré locatif et indemnitaire n'étant pas formellement contesté.

II- Sur la demande de suspension de la clause résolutoire

En application de l'article L141-45 alinéa 2 du code de commerce précité, le juge peut suspendre les effets de la clause résolutoire afin de permettre au locataire de se libérer de sa dette.

L'article 1244-1 alinéa 1 du code civil applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 dispose ainsi 'Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.'

L'octroi de délais de paiement suppose la réunion de plusieurs conditions,un débiteur de bonne foi qui rencontre des difficultés financières ponctuelles, et la justification de ce qu'il dispose des capacités financières suffisantes pour se libérer de la dette dans les délais prescrits, soit deux années.

En l'espèce, il résulte des propres conclusions de la société Dumaine que 'le 21 décembre 2022, la SCI [Adresse 6] a fait pratiquer par commissaires de justice une saisie -attribution sur les comptes de la société Dumaine pour un montant de 48 010,06 euros, en recouvrement de l'intégralité des condamnations mises à la charge de la société Dumaine (...) La saisie a été fructueuse dans son intégralité.' En ne réglant aucun loyer et aucune indemnité d'occupation de façon spontanée, alors qu'elle en avait la possibilité, puisque son compte bancaire était approvisionné à hauteur d'au moins 48.000 euros, la société Dumaine n'a manifestement pas démontré sa bonne foi, de sorte que, nonobstant l'absence de tout élément sur sa situation financière, il n'y a pas lieur de lui accorder des délais de paiement, ou de l'autoriser à consigner les loyers qui sont légitimement dûs à tout bailleur qui met à disposition des locaux commerciaux.

III- Sur les demandes accessoires

Succombant en son appel, la société Dumaine supportera les dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'une indemnité procédurale de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Dumaine aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne la société Dumaine à payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société [Adresse 6].

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

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