CA Caen, 1re ch. civ., 27 mai 2025, n° 22/00813
CAEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Lambrecht (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barthe-Nari
Conseillers :
Mme Delaubier, Mme Gauci Scotte
Avocats :
Me Le Bret, Me Chereul, Me Lericheux
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant acte notarié du17 janvier 2015, la société [M]-Lambrecht a conclu avec la société Le Café de la Tornade un bail dérogatoire aux statuts des baux commerciaux portant sur une partie d'un immeuble situé à [Adresse 6]Calvados), [Adresse 7], pour une durée de 23 mois et 15 jours, soit pour la période du 17 janvier 2015 au 31 décembre 2016 et moyennant un loyer annuel de 13.200 euros hors taxe payable mensuellement par versement de 1.100 euros.
En outre, les mêmes parties ont convenu d'un 'bail mobilier' portant sur la location du mobilier équipant l'immeuble et de la licence IV ce, pour une même durée et moyennant un loyer annuel de 9 600 euros payable mensuellement le 1er de chaque mois par termes de 800 euros jusqu'à l'expiration du bail.
Il était expressément stipulé dans chacun des deux contrats les mentions suivantes :
' Pour sûreté et garantie de l'exécution des obligations de toute nature résultant de la présente convention à la charge du preneur, ce dernier versera au propriétaire, en dehors de la comptabilité du notaire soussigné, au plus tard le 31 juillet 2015 une somme de 5 000 euros.
Cette somme non productive d'intérêts est destinée à assurer au propriétaire la bonne exécution de l'ensemble des conditions des présentes.
Elle sera conservée par le propriétaire pendant toute la durée de la présente convention jusqu'au règlement entier et définitif de toutes les sommes de quelque convention jusqu'au règlement entier et définitif de toute les sommes de quelques nature et origine qu'elles soient que le preneur pourrait lui devoir'.
Les parties se sont accordées pour la remise par M. [D] [H], gérant de la société Le Café de La Tornade à la société [M]-Lambrecht, de deux chèques émis sur son compte personnel d'un montant de 5 000 euros chacun.
Par jugement du 9 décembre 2015 publié le 29 décembre 2015, le tribunal de commerce de Lisieux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Le Café de la Tornade, laquelle a été clôturée pour insuffisance d'actifs le 26 juillet 2017.
La société [M]-Lambrecht a procédé à l'encaissement des deux chèques qui lui avaient été remis par M. [H] le 14 décembre 2015.
Par lettre recommandée du 4 juillet 2016 reçue le 5 juillet suivant, M. [H] a mis en demeure la société [M]-Lambrecht de lui restituer la somme de 10 000 euros qu'il estimait indûment encaissée, dans un délai de 15 jours, ce, en vain.
Par acte du 3 octobre 2019, M. [H] a fait assigner la société [M]-Lambrecht aux fins de la voir condamner à lui restituer la somme de 10 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'encaissement des fonds, le 14 décembre 2015.
Par jugement réputé contradictoire du 11 mai 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :
- débouté M. [H] en sa demande de restitution de la somme de 10 000 euros par la société [M]-Lambrecht ;
- débouté M. [H] de ses autres demandes ;
- condamné M. [H] aux entiers dépens.
Par déclaration du 1er avril 2022, M. [H] a formé appel de ce jugement, le critiquant en l'ensemble de ses dispositions.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 27 décembre 2022, M. [H] demande à la cour, au visa des articles 1376 et suivants du code civil, 1153 et 2224 du même code, et de l'article L. 110-4 du code de commerce de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions qu'il rappelle et, statuant à nouveau, de :
- condamner la société [M]-Lambrecht à lui restituer la somme de 10 000 euros au titre des fonds indûment perçus et ce, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de la date de leur encaissement, à savoir le 14 décembre 2015 ;
- déclarer irrecevable comme prescrite la demande reconventionnelle en paiement formée en cause d'appel par la société [M]-Lambrecht à son encontre ;
- débouter, en tout état de cause, la société [M]-Lambrecht de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société [M]-Lambrecht à lui verser la somme 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre à supporter les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 29 septembre 2022, la société [M]-Lambrecht demande à la cour, au visa des articles 1376 et 2288 du code civil, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande infondée de restitution de la somme de 10 000 euros, de ses autres demandes et mis à sa charge les dépens de l'instance ;
- débouter par conséquent M. [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Y ajoutant,
- condamner M. [H] à lui payer, en sa qualité de caution, la somme de 3 478 euros représentant le solde de la dette locative déduction faite des 10 000 euros encaissés, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 juillet 2016 ;
- condamner M. [H] au paiement d'une indemnité de 2 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Chereul - avocat, qui en sollicite la distraction sur le fondement de l'article 699 du même code.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 5 février 2025.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Le tribunal a rejeté les demandes formées par M. [H] en relevant principalement que celui-ci ne rapportait pas la preuve de l'encaissement effectif des deux chèques de 5.000 euros par la société [M]-Lambrecht et ne justifiait pas davantage que le bailleur avait été désintéressé de ses créances et du caractère indu du dit encaissement.
M. [H] réitère ses demandes en cause d'appel sur le fondement de la répétition de l'indu en affirmant qu'il n'était débiteur d'aucune somme envers la société [M]-Lambrecht.
En réplique aux moyens et arguments développés par la société [M]-Lambrecht, il assure que les deux chèques litigieux ont été émis non pas à titre de garantie de son engagement de caution contracté pour le seul bail commercial mais bien au titre du dépôt de garantie prévu dans chacun des contrats de bail, et devant être pris en charge par le preneur, soit la société Le Café de la Tornade.
Il ajoute que la société [M]-Lambrecht ne disposait d'aucun titre exécutoire à son encontre l'autorisant à procéder à une mesure d'exécution forcée à son encontre.
Il soutient encore que la société [M]-Lambrecht ne justifie pas avoir réalisé une quelconque déclaration de créance entre les mains du mandataire liquidateur de la société Le Café de la Tornade, de sorte qu'en application de l'article 2314 du code civil, il doit être déchargé de ses obligations au titre de son engagement de caution.
Il en déduit, qu'eu égard à l'inexistence d'une quelconque dette contractée envers la société [M]-Lambrecht, il est fondé en sa demande de répétition de l'indu.
La société [M]-Lambrecht fait valoir qu'il incombe à M. [H] de démontrer qu'il a réglé une dette qui ne lui incombait pas.
Elle ajoute qu'en se portant caution des dettes locatives de la société Le Café de la Tornade, M. [H] s'est rendu débiteur à son égard du fait de la défaillance du preneur, ce dernier ayant été mis en demeure au titre des deux baux indivisibles, d'avoir à lui régler diverses sommes au titre de loyers et taxes impayés. Elle en déduit que l'encaissement des chèques remis par M. [H] à titre de 'caution' comme le mentionnent les talons produits, était ainsi justifié.
Sur ce,
Aux termes de l'article 1376 du code civil dans sa version en vigueur avant l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et applicable au cas d'espèce, 'celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.'
Un chèque est un instrument de paiement que le bénéficiaire peut faire encaisser même dans le cas où il lui a été "remis à titre de garantie", sauf à lui à en restituer le montant si le paiement reçu était indu.
Ainsi, il est de principe que le tireur d'un chèque, payé par la banque, peut exercer l'action en répétition de l'indu s'il rapporte la preuve qu'aucune dette entre les deux parties ne justifiait le paiement du chèque.
L'origine de la créance d'indu étant le fait juridique du paiement, la créance d'indu contre le bénéficiaire d'un chèque trouve son origine, non dans l'émission du chèque, mais dans son encaissement.
Toutefois, la répétition s'applique lorsque le paiement est devenu ultérieurement indu.
C'est au débiteur en restitution des sommes qu'il prétend avoir indûment payées qu'il incombe de prouver le caractère indu du paiement.
En l'espèce, il est constant que M. [H], gérant de la société Le Café de la Tornade, a remis à la société [M]-Lambrecht, à l'occasion de la conclusion des deux baux souscrits le 17 janvier 2015, deux chèques émis à l'ordre du bailleur le 14 janvier précédent sur le compte ouvert dans les livres de la Société Générale par 'M. [D] [H] ou Mme [E] [H]'pour une somme de 5.000 euros chacun.
Si l'examen des baux conclus, de la date de leur émission, du montant des sommes inscrites et des circonstances de l'affaire permet de retenir que cette remise a été effectuée au titre du dépôt de garantie convenu contractuellement entre la société [M]-Lambrecht et la société Le Café de la Tornade lors de la conclusion de chacun de ces contrats, il doit aussi être relevé la mention manuscrite 'caution' apposée sur le talon de chacun de ces chèques alors que M. [H] explique que le preneur, société nouvellement crée, était dans l'incapacité immédiate de procéder à ce versement.
De fait, les baux font état du 'cautionnement' consenti par l'appelant 'pour garantir au propriétaire le paiement régulier et exact des loyers ci-dessus stipulés ainsi que l'exécution des présentes, et à la demande de ce dernier', M. [H] déclarant 'avoir parfaite connaissance de la portée de l'engagement souscrit ci-après au moyen des explications fournies par le notaire et déclarer en conséquence se rendre et constituer caution solidaire du preneur envers le propriétaire pour l'exécution de chacune des conditions du présent bail', et 'renoncer expressément à se prévaloir des bénéfices de discussion et de division'.
Aucune partie ne conteste la qualification donné à cet engagement de cautionnement - accessoire du contrat de bail-, lequel ne constitue pas la garantie autonome prévue par l'article 2321 du code civil.
Il est par ailleurs établi en cause d'appel et non contesté que les deux chèques ont été soumis à l'encaissement par le bailleur le 14 décembre 2015, soit cinq jours après le jugement du tribunal de commerce de Lisieux ouvrant une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Le Café de la Tornade, laquelle a été clôturée pour insuffisance d'actifs le 26 juillet 2017.
La société [M]-Lambrecht explique qu'elle a procédé à l'encaissement des deux chèques au seul titre de l'engagement de caution pris par M. [H] au regard des dettes locatives contractées par la société Le Café de la Tornade.
Elle se prévaut ainsi de l'existence d'une dette locative de la société Le Café de la Tornade au titre de loyers et taxes non payées pour la période antérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire d'un montant de 13.468 euros, laquelle serait due en conséquence par M. [H] au titre de son engagement de caution solidaire.
Néanmoins, il doit être relevé que la lettre recommandée de mise en demeure informant la caution du non-respect des engagements du preneur est en date du 4 mars 2016, soit postérieure à l'encaissement des chèques litigieux, de sorte que la société [M]-Lambrecht ne pouvait ainsi agir sans mise en demeure préalable de M. [H].
En outre, l'appelant invoque avec raison l'application des dispositions de l'article 2314 du code civil qui prévoyait dans sa version en vigueur applicable au cas d'espèce que 'la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution'.
En effet, la société [M]-Lambrecht ne conteste pas ne pas avoir déclaré sa créance dans les délais requis au passif de la liquidation judiciaire de la société Le Café de la Tornade alors que, si ce défaut de déclaration n'éteint pas la créance, il reste que le créancier ne peut plus participer aux répartitions et dividendes prévus dans le cadre de la procédure collective en application de l'article L. 622-26 du code de commerce.
Cette absence de déclaration de la créance constituant une omission fautive de la société [M]-Lambrecht a entraîné l'impossibilité pour la caution de bénéficier d'un recours subrogatoire à l'égard de la société Le Café de la Tornade, et il doit être retenu que la subrogation a été rendue impossible par le fait du créancier.
Or, ce dernier, à qui incombe la charge de la preuve d'établir que la subrogation devenue impossible n'aurait pas été efficace, ne produit aucun élément démontrant que la subrogation n'aurait apporté aucun avantage à la caution, de sorte qu'en application de l'article 2314 du code civil, celle-ci se trouve déchargée de ses engagements.
Il en résulte que M. [H], déchargé de son obligation à paiement, est fondé à obtenir la restitution de la somme de 10.000 euros par la société [M]-Lambrecht avec intérêts au taux légal à compter du jour de sa demande, soit le 4 juillet 2016, date de l'envoi de la lettre recommandée de mise en demeure adressée par l'appelant à l'intimée.
- Sur la demande reconventionnelle formée par la société [M]-Lambrecht :
En application de l'article 2288 du code civil et au titre de l'engagement de caution pris par M. [H], la société [M]-Lambrecht réclame une somme de 3.468 euros, correspondant à la dette locative de 13.468 euros due par la société Le Café de la Tornade déduction faite de la somme de 10.000 euros déjà encaissée.
M. [H] soulève l'irrecevabilité de cette demande comme prescrite au visa des articles 2224 du code civil et L. 110-4-1 du code de commerce et ce, même en tenant compte d'une éventuelle suspension du délai de prescription durant la procédure de liquidation judiciaire.
Sur ce,
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En outre, en application de l'article L110-4 du codede commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
En l'espèce, même à retenir en application de l'article L622-25-1du code de commerce, que la prescription ait été interrompue jusqu'à la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Le Café de la Tornade, nonobstant le fait que la société [M]-Lambrecht ne prétend pas avoir procédé à une quelconque déclaration de créance, de sorte qu'il y aurait lieu de reporter le point de départ de la prescription quinquennale au jugement du 26 juillet 2017 ayant prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, la cour ne peut que constater que la demande de l'intimée, formée pour la première fois l'encontre de M. [H] en sa qualité de caution, par conclusions du 27 septembre 2022, soit postérieurement au terme du délai quinquennal de prescription, est prescrite.
- Sur les demandes accessoires :
La solution apportée au présent litige conduit la cour à infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [M]-Lambrecht, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sa demande présentée au titre de ses frais irrépétibles sera rejetée.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée et de condamner la société [M]-Lambrecht à payer à M. [H] au paiement de la somme de 1 500 euros sur ce fondement, somme qui vaudra pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu le 11 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Caen en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare prescrite la demande formée par la société [M]-Lambrecht à l'encontre de M. [D] [H] en sa qualité de caution de la société Le Café de la Tornade au titre du solde de la dette locative ;
Condamne la société [M]-Lambrecht à payer à M. [D] [H] la somme de 10.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2016 ;
Condamne la société [M]-Lambrecht à payer à M. [D] [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [M]-Lambrecht aux entiers dépens de première instance et de la procédure d'appel avec application des dispositions des textes sur l'aide juridictionnelle.