CA Douai, ch. 1 sect. 1, 15 mai 2025, n° 21/04624
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 15/05/2025
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/04624 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T2CJ
Jugement (N° 20/07684)
rendu le 22 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANT
Monsieur [O] [W]
né le 22 octobre 1964 à [Localité 11]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Karl Vandamme, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur [B] [S]
[Adresse 1]
[Localité 8]
La société IRD Immo anciennement dénommée SAS Batixis
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 7]
représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistés de Me Juan Garcia, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Gaëlla Kerrar, avocat au barreau de Lille
La SCI CL
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 9]
[Localité 5]
défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 12 janvier 2022 à personne habilitée
Maître [B] [V], mandataire judiciaire, en sa qualité de liquidateur judicaire de la SCI CL
[Adresse 4]
[Localité 7]
représenté par Me Catherine Trognon-Lernon, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assisté de Me Christian Lequint, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Aurélie Jeanson, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 15 avril 2024, tenue par Samuel Vitse, magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Samuel Vitse, président de chambre
Céline Miller, conseiller
ARRÊT REPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025 après prorogation du délibéré en date du 04 juillet 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président en remplacement de Bruno Poupet, président empêché et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 mars 2024
****
La SCI CL était propriétaire d'un immeuble à usage de bureau et d'atelier situé [Adresse 10] (Nord), dont l'acquisition avait été financée par un prêt de 500 000 euros souscrit le 25 janvier 2008 auprès de la société Crédit coopératif.
Le capital de la SCI CL était détenu par :
- M. [O] [W] à hauteur de 42,5 % ;
- M. [B] [S] à hauteur de 42,5 % ;
- la société Batixis à hauteur de 15 %.
M. [W] en exerçait la gérance.
A compter du 1er avril 2008, l'immeuble susmentionné a été donné à bail à la société Cornille, également gérée par M. [W] et dont le capital était détenu par :
- La holding [W] à hauteur de 94,97 % ;
- M. [B] [S] à hauteur de 5 % ;
- MM. [O] [W], [Z] [N], [H] [W] et [J] [A], ainsi que Mme [Y] [N] à hauteur 0,03 %.
Le loyer de l'immeuble avait été fixé à 55 000 euros la première année, puis à 58 000 euros les années suivantes.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 29 septembre 2014, la société Crédit coopératif a mis en demeure la SCI CL de s'acquitter de quatre mensualités impayées.
Par nouvelle lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 mars 2015, elle a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure la SCI CL de lui payer la somme de 367 463,11 euros au titre du solde du prêt.
Le 24 octobre 2016, un commandement aux fins de saisie immobilière portant sur l'immeuble susmentionné a été délivré par la société Crédit coopératif.
Par jugement du 4 avril 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lille a dit que la créance de la banque s'élevait à la somme de 409 290,01 euros en principal et a autorisé la vente amiable du bien saisi pour un prix qui ne pourrait être inférieur à 300 000 euros.
Par arrêt du 29 novembre 2018, la cour d'appel de Douai a confirmé ce jugement, sauf en ce qu'il avait autorisé la vente amiable du bien saisi, et, statuant à nouveau, en a ordonné la vente forcée sur une mise à prix de 100 000 euros, l'affaire étant renvoyée devant le juge de l'exécution aux fins d'adjudication.
Par jugement du 28 février 2019, le juge de l'exécution a ordonné la vente aux enchères publiques du bien saisi.
Estimant que M. [W] avait commis des fautes de gestion et causé un préjudice à la SCI CL, M. [S] et la société Batixis l'ont assigné en indemnisation par acte du 22 mars 2019, la SCI CL étant également appelée en la cause.
Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal de grande instance de Lille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI CL, Maître [B] [V] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Par acte du 4 septembre 2019, M. [S] et la société Batixis ont assigné Maître [V], ès qualités, en intervention forcée.
Par jugement du 6 décembre 2019, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire, Maître [V] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire et assigné à ce titre en intervention forcée par M. [S] et la société Batixis.
Par jugement du 15 septembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lille a adjugé l'immeuble saisi au prix de 239 000 euros.
Par jugement du 22 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Lille a essentiellement :
- débouté M. [W], la SCI CL et Maître [V], ès qualités, de leur demande tendant à voir déclarer irrecevable l'action ut singuli formée par la société Batixis et M. [S] ;
- déclaré la société Batixis et M. [S] recevables à agir pour le compte de la SCI CL au titre de l'action ut singuli ;
- condamné M. [W] à payer à la SCI CL la somme de 75 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2019 ;
- débouté la société Batixis et M. [S] de leurs demande en paiement de la somme de 18 060,21 euros ;
- débouté la société Batixis de sa demande en paiement de la somme de 2 689,66 euros en remboursement des impôts et taxes ;
- débouté M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 3 618,23 euros en remboursement des impôts et taxes ;
- condamné M. [W] à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 500 euros à la société Batixis et celle de 2 500 euros à M. [S].
M. [W], M. [S] et la société Batixis ont chacun interjeté appel de cette décision.
Les instances ont été jointes par ordonnances du conseiller de la mise en état.
Dans ses dernières conclusions remises le 20 mai 2022, M. [W] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
- débouté la société Batixis et M. [S] de leurs demande en paiement de la somme de 18 060,21 euros ;
- débouté la société Batixis de sa demande en paiement de la somme de 2 689,66 euros en remboursement des impôts et taxes ;
- débouté M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 3 618,23 euros en remboursement des impôts et taxes ;
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- dire irrecevable l'action de M. [S] et de la société Batixis ;
A titre subsidiaire :
- débouter M. [S] et la société Batixis de l'ensemble de leurs demandes ;
- débouter Maître [V], ès qualités, de ses demandes dirigées à son encontre ;
En toute hypothèse :
- condamner in solidum ou solidairement M. [S] et la société Batixis aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions remises le 2 mai 2022, la société Batixis, désormais dénommée IRD Immo, et M. [S] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable leur action ut singuli ;
- réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a :
' condamné M. [W] à payer à la SCI CL la somme de 75 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2019 ;
' débouté la société Batixis et M. [S] de leurs demande en paiement de la somme de 18 060,21 euros ;
' débouté la société Batixis de sa demande en paiement de la somme de 2 689,66 euros en remboursement des impôts et taxes ;
' débouté M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 3 618,23 euros en remboursement des impôts et taxes ;
' condamné M. [W] à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 500 euros à la société Batixis et celle de 2 500 euros à M. [S] ;
' rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties ;
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- condamner M. [W] à payer à la SCI CL, à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait des fautes commises, la somme principale de 243 882,72 euros à parfaire des intérêts conventionnels au taux de 8,27 % échus depuis le 18 août 2016 dus à la banque jusqu'à parfait règlement, outre la somme de 18 060,21 euros au titre des sommes indûment facturées pour la prétendue 'sous-traitance administrative', avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2019 ;
- le condamner à payer à la société Batixis la somme de 2 689,66 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
- le condamner à payer à M. [S] la somme de 3 618,23 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
- le condamner à payer à la société Batixis la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre la somme de 6 000 euros au même titre à M. [S] ;
A titre subsidiaire :
- le condamner à supporter et garantir la part contributive aux dettes comme aux pertes à laquelle la société Batixis sera tenue ;
- le condamner à supporter et garantir la part contributive aux dettes comme aux pertes à laquelle M. [S] sera tenu ;
- le condamner à payer à la société Batixis la somme de 2 689,66 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
- le condamner à payer à M. [S] la somme de 3.618,23 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
En tout état de cause :
- débouter M. [W] et Maître [V], ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner M. [W] à payer à la société Batixis la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- le condamner à payer à M. [S] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- le condamner aux dépens d'appel.
Dans ses conclusions remises le 22 février 2022, Maître [V], ès qualités, demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris ;
- dire et juger irrecevable l'action en responsabilité de droit commun (ut singuli) engagée par la société Batixis et M. [S] ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [W] à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Y ajoutant,
- condamner la société Batixis, M. [S] et/ou M. [W], à payer lui payer la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les mêmes aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Trognon-Lernon.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
En vertu de l'article 445 du même code, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la recevabilité de l'action personnelle formée à titre subsidiaire par M. [S] et la société Batixis, au regard du principe de non-cumul de l'action en responsabilité de droit commun avec celle pour insuffisance d'actif du droit des procédures collectives.
Toutes les parties ont produit une note en délibéré, à l'exception de Maître [V], ès qualités.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de préciser que, par commodité, il ne sera pas tenu compte de la nouvelle dénomination de la société Batixis dans les motifs de la présente décision, son ancienne dénomination figurant dans toutes les pièces de la procédure.
Sur la recevabilité de l'action ut singuli
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Il résulte de l'article 1843-5 du code civil qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants, laquelle est couramment dénommée ut singuli.
Les associés se trouvent ainsi habiles à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société à raison des fautes de gestion de son gérant, étant précisé que les éventuels dommages et intérêts sont alloués à celle-ci.
Il s'infère par ailleurs de l'article L. 651-2 du code de commerce que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée, étant précisé que les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine de la société débitrice et sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers.
L'article L. 651-3 du même code précise que, dans les cas prévus à l'article L. 651-2, le tribunal est saisi par le liquidateur ou le ministère public.
Il est constant que, lorsque la société a été mise en liquidation judiciaire, les dispositions permettant aux associés d'exercer l'action ut singuli doivent être écartées au profit de celles ouvrant au seul liquidateur, sauf l'initiative concurrente du ministère public, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, ce régime particulier de responsabilité étant exclusif de celui de droit commun (Com., 26 mai 1999, pourvoi n° 96-16.126 ; Com., 19 novembre 2013, pourvoi n° 12-16.099), étant précisé qu'il importe peu que les associés aient engagé l'action ut singuli préalablement à la mise en liquidation judiciaire de la société (Com., 30 juin 2015, pourvoi n° 14-23.928), l'intérêt à agir contemporain de cet engagement cessant en cas d'ouverture d'une liquidation judiciaire.
Le principe du non-cumul de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif et de l'action ut singuli s'explique par les conséquences spécifiques de la liquidation judiciaire, laquelle emporte le dessaisissement des organes de la société et la protection de l'intérêt des créanciers. Or, même si l'action ut singuli est de nature à reconstituer le patrimoine de la société et donc à majorer le gage général des créanciers sociaux, elle n'a pas été instituée dans leur intérêt propre et se trouve menée par des associés concernés par le dessaisissement précité.
La seule limite au principe du non-cumul des actions réside dans l'absence d'insuffisance d'actif. Une telle insuffisance conditionne en effet l'action en responsabilité du liquidateur et détermine ainsi le primat donné au régime spécial de responsabilité des procédures collectives (Com., 27 juin 2006, pourvoi n° 05-14.271).
En l'espèce, la SCI CL a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 6 décembre 2019, Maître [V] ayant été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Il est en outre acquis aux débats que ladite société présente une insuffisance d'actif, la comparaison du passif admis (560 897 euros) et du prix de revente de l'immeuble dépendant de la liquidation judiciaire (239 000 euros) confortant l'existence de cette insuffisance.
Il s'ensuit qu'en vertu du principe de non-cumul précédemment évoqué, M. [S] et la société Batixis sont irrecevables à agir ut singuli contre M. [W], seul le liquidateur judiciaire ou le ministère public étant habiles à rechercher la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif, peu important que le jugement de conversion en liquidation judiciaire ait été prononcée postérieurement à l'engagement de l'action ut singuli par les associés.
Il y a donc lieu, par réformation de la décision entreprise, de déclarer irrecevable l'action ut singuli formée par M. [S] et la société Batixis à l'encontre de M. [W].
Sur la recevabilité de l'action personnelle
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon l'article 1850 du code civil, qui participe du droit commun applicable aux sociétés civiles, chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.
Il est constant que la recevabilité de l'action en responsabilité de droit commun exercée par un associé à l'encontre des dirigeants d'une société faisant l'objet d'une procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel (Com., 7 mars 2006, pourvoi n° 04-16.536 ; Com., 9 mars 2010, pourvoi n° 08-21.547).
Ce préjudice personnel se distingue de celui commun aux créanciers sociaux en ce qu'il est propre à celui qui l'invoque. Aussi doit-il être étranger au non-paiement des créances sociales, préjudice inhérent à la procédure collective, dont la réparation ne peut être poursuivie que par les organes de la procédure.
Obéissant au droit commun de la responsabilité civile, cette action personnelle doit tendre à la réparation d'un préjudice certain et non pas simplement hypothétique (1re Civ., 28 juin 2012, pourvoi n° 11-19.265 ; 2e Civ., 30 novembre 2023, pourvoi n° 22-16.850).
En l'espèce, M. [S] et la société Batixis entendent agir à titre personnel aux fins d'obtenir le remboursement d'impositions acquittées pour le compte de la SCI CL (') et la garantie de leur contribution aux dettes et pertes de ladite société (').
') Sur les impositions acquittées pour le compte de la SCI CL
M. [S] et la société Batixis soutiennent avoir respectivement payé les sommes de 3 618,23 euros et 2 689,66 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'impôt sur les sociétés et de la taxe foncière.
Il ressort de leurs explications qu'il s'agit de sommes qui étaient dues par la SCI CL elle-même avant l'ouverture de la procédure collective, de sorte que de telles sommes s'analysent, en réalité, en des créances détenues envers ladite société.
Il s'ensuit qu'il ne s'agit pas d'un préjudice propre mais d'un préjudice commun avec celui des autres créanciers de la procédure collective, ce qui exclut qu'il puisse faire l'objet d'une action personnelle.
Il sera du reste observé que les mêmes prétentions financières étaient formées au titre de l'action ut singuli, dont on rappellera qu'elle ne peut tendre qu'à obtenir la réparation du préjudice causé à la société, ce qui conforte l'absence de préjudice personnel.
Au regard du principe de non-cumul de l'action en responsabilité de droit commun avec celle pour insuffisance d'actif du droit des procédures collectives, l'action en responsabilité formée au titre des impositions acquittées ne peut qu'être déclarée irrecevable.
') Sur la contribution aux dettes et pertes de la SCI CL
M. [S] et la société Batixis soutiennent qu'ils sont légalement tenus, en leur qualité d'associés d'une société civile immobilière, de contribuer conjointement et indéfiniment aux dettes et pertes de la SCI CL, dont ils estiment qu'elles procèdent des fautes de gestion de M. [W]. Ils considèrent que leur préjudice financier est certain, au motif que le passif de la procédure collective aurait été arrêté.
Aucun élément produit ne permet toutefois de vérifier que la procédure collective aurait été clôturée pour insuffisance d'actif, de sorte que le préjudice invoqué n'apparaît en l'état qu'éventuel. Il l'est d'autant plus sûrement que le liquidateur peut parfaitement engager une action en responsabilité pour insuffisance d'actif s'il estime à son tour que M. [W] s'est rendu coupable de fautes de gestion en lien avec une telle insuffisance, le produit de cette action étant susceptible de désintéresser les créanciers et ainsi d'éteindre le passif subsistant.
Aussi, le préjudice invoqué n'étant à ce stade qu'hypothétique, M. [S] et la société Batixis ne peuvent qu'être déboutés de leur demande en garantie formée à l'encontre de M. [W].
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'issue du litige justifie que soient infirmés les chefs du jugement relatifs aux dépens et frais irrépétibles. M. [S] ainsi que la société Batixis seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Catherine Trognon-Lernon. L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare M. [B] [S] et la société IRD Immo, anciennement dénommée Batixis, irrecevables à agir au titre de l'action ut singuli ;
Les déclare irrecevables à agir personnellement en paiement des impositions acquittées pour le compte de la SCI CL ;
Les déboute de leur demande en garantie formée au titre de la contribution aux dettes et pertes de la SCI CL ;
Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel, Maître CatherineTrognon-Lernon étant autorisée à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Pour le président empêché
Samuel Vitse
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 15/05/2025
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/04624 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T2CJ
Jugement (N° 20/07684)
rendu le 22 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANT
Monsieur [O] [W]
né le 22 octobre 1964 à [Localité 11]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Karl Vandamme, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur [B] [S]
[Adresse 1]
[Localité 8]
La société IRD Immo anciennement dénommée SAS Batixis
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 7]
représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistés de Me Juan Garcia, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Gaëlla Kerrar, avocat au barreau de Lille
La SCI CL
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 9]
[Localité 5]
défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 12 janvier 2022 à personne habilitée
Maître [B] [V], mandataire judiciaire, en sa qualité de liquidateur judicaire de la SCI CL
[Adresse 4]
[Localité 7]
représenté par Me Catherine Trognon-Lernon, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assisté de Me Christian Lequint, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Aurélie Jeanson, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 15 avril 2024, tenue par Samuel Vitse, magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Samuel Vitse, président de chambre
Céline Miller, conseiller
ARRÊT REPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025 après prorogation du délibéré en date du 04 juillet 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président en remplacement de Bruno Poupet, président empêché et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 mars 2024
****
La SCI CL était propriétaire d'un immeuble à usage de bureau et d'atelier situé [Adresse 10] (Nord), dont l'acquisition avait été financée par un prêt de 500 000 euros souscrit le 25 janvier 2008 auprès de la société Crédit coopératif.
Le capital de la SCI CL était détenu par :
- M. [O] [W] à hauteur de 42,5 % ;
- M. [B] [S] à hauteur de 42,5 % ;
- la société Batixis à hauteur de 15 %.
M. [W] en exerçait la gérance.
A compter du 1er avril 2008, l'immeuble susmentionné a été donné à bail à la société Cornille, également gérée par M. [W] et dont le capital était détenu par :
- La holding [W] à hauteur de 94,97 % ;
- M. [B] [S] à hauteur de 5 % ;
- MM. [O] [W], [Z] [N], [H] [W] et [J] [A], ainsi que Mme [Y] [N] à hauteur 0,03 %.
Le loyer de l'immeuble avait été fixé à 55 000 euros la première année, puis à 58 000 euros les années suivantes.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 29 septembre 2014, la société Crédit coopératif a mis en demeure la SCI CL de s'acquitter de quatre mensualités impayées.
Par nouvelle lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 mars 2015, elle a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure la SCI CL de lui payer la somme de 367 463,11 euros au titre du solde du prêt.
Le 24 octobre 2016, un commandement aux fins de saisie immobilière portant sur l'immeuble susmentionné a été délivré par la société Crédit coopératif.
Par jugement du 4 avril 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lille a dit que la créance de la banque s'élevait à la somme de 409 290,01 euros en principal et a autorisé la vente amiable du bien saisi pour un prix qui ne pourrait être inférieur à 300 000 euros.
Par arrêt du 29 novembre 2018, la cour d'appel de Douai a confirmé ce jugement, sauf en ce qu'il avait autorisé la vente amiable du bien saisi, et, statuant à nouveau, en a ordonné la vente forcée sur une mise à prix de 100 000 euros, l'affaire étant renvoyée devant le juge de l'exécution aux fins d'adjudication.
Par jugement du 28 février 2019, le juge de l'exécution a ordonné la vente aux enchères publiques du bien saisi.
Estimant que M. [W] avait commis des fautes de gestion et causé un préjudice à la SCI CL, M. [S] et la société Batixis l'ont assigné en indemnisation par acte du 22 mars 2019, la SCI CL étant également appelée en la cause.
Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal de grande instance de Lille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI CL, Maître [B] [V] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Par acte du 4 septembre 2019, M. [S] et la société Batixis ont assigné Maître [V], ès qualités, en intervention forcée.
Par jugement du 6 décembre 2019, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire, Maître [V] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire et assigné à ce titre en intervention forcée par M. [S] et la société Batixis.
Par jugement du 15 septembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lille a adjugé l'immeuble saisi au prix de 239 000 euros.
Par jugement du 22 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Lille a essentiellement :
- débouté M. [W], la SCI CL et Maître [V], ès qualités, de leur demande tendant à voir déclarer irrecevable l'action ut singuli formée par la société Batixis et M. [S] ;
- déclaré la société Batixis et M. [S] recevables à agir pour le compte de la SCI CL au titre de l'action ut singuli ;
- condamné M. [W] à payer à la SCI CL la somme de 75 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2019 ;
- débouté la société Batixis et M. [S] de leurs demande en paiement de la somme de 18 060,21 euros ;
- débouté la société Batixis de sa demande en paiement de la somme de 2 689,66 euros en remboursement des impôts et taxes ;
- débouté M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 3 618,23 euros en remboursement des impôts et taxes ;
- condamné M. [W] à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 500 euros à la société Batixis et celle de 2 500 euros à M. [S].
M. [W], M. [S] et la société Batixis ont chacun interjeté appel de cette décision.
Les instances ont été jointes par ordonnances du conseiller de la mise en état.
Dans ses dernières conclusions remises le 20 mai 2022, M. [W] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
- débouté la société Batixis et M. [S] de leurs demande en paiement de la somme de 18 060,21 euros ;
- débouté la société Batixis de sa demande en paiement de la somme de 2 689,66 euros en remboursement des impôts et taxes ;
- débouté M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 3 618,23 euros en remboursement des impôts et taxes ;
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- dire irrecevable l'action de M. [S] et de la société Batixis ;
A titre subsidiaire :
- débouter M. [S] et la société Batixis de l'ensemble de leurs demandes ;
- débouter Maître [V], ès qualités, de ses demandes dirigées à son encontre ;
En toute hypothèse :
- condamner in solidum ou solidairement M. [S] et la société Batixis aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions remises le 2 mai 2022, la société Batixis, désormais dénommée IRD Immo, et M. [S] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable leur action ut singuli ;
- réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a :
' condamné M. [W] à payer à la SCI CL la somme de 75 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2019 ;
' débouté la société Batixis et M. [S] de leurs demande en paiement de la somme de 18 060,21 euros ;
' débouté la société Batixis de sa demande en paiement de la somme de 2 689,66 euros en remboursement des impôts et taxes ;
' débouté M. [S] de sa demande en paiement de la somme de 3 618,23 euros en remboursement des impôts et taxes ;
' condamné M. [W] à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 500 euros à la société Batixis et celle de 2 500 euros à M. [S] ;
' rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties ;
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- condamner M. [W] à payer à la SCI CL, à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait des fautes commises, la somme principale de 243 882,72 euros à parfaire des intérêts conventionnels au taux de 8,27 % échus depuis le 18 août 2016 dus à la banque jusqu'à parfait règlement, outre la somme de 18 060,21 euros au titre des sommes indûment facturées pour la prétendue 'sous-traitance administrative', avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2019 ;
- le condamner à payer à la société Batixis la somme de 2 689,66 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
- le condamner à payer à M. [S] la somme de 3 618,23 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
- le condamner à payer à la société Batixis la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre la somme de 6 000 euros au même titre à M. [S] ;
A titre subsidiaire :
- le condamner à supporter et garantir la part contributive aux dettes comme aux pertes à laquelle la société Batixis sera tenue ;
- le condamner à supporter et garantir la part contributive aux dettes comme aux pertes à laquelle M. [S] sera tenu ;
- le condamner à payer à la société Batixis la somme de 2 689,66 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
- le condamner à payer à M. [S] la somme de 3.618,23 euros au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, avec intérêts judiciaires au taux légal ;
En tout état de cause :
- débouter M. [W] et Maître [V], ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner M. [W] à payer à la société Batixis la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- le condamner à payer à M. [S] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- le condamner aux dépens d'appel.
Dans ses conclusions remises le 22 février 2022, Maître [V], ès qualités, demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris ;
- dire et juger irrecevable l'action en responsabilité de droit commun (ut singuli) engagée par la société Batixis et M. [S] ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [W] à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Y ajoutant,
- condamner la société Batixis, M. [S] et/ou M. [W], à payer lui payer la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les mêmes aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Trognon-Lernon.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
En vertu de l'article 445 du même code, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la recevabilité de l'action personnelle formée à titre subsidiaire par M. [S] et la société Batixis, au regard du principe de non-cumul de l'action en responsabilité de droit commun avec celle pour insuffisance d'actif du droit des procédures collectives.
Toutes les parties ont produit une note en délibéré, à l'exception de Maître [V], ès qualités.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de préciser que, par commodité, il ne sera pas tenu compte de la nouvelle dénomination de la société Batixis dans les motifs de la présente décision, son ancienne dénomination figurant dans toutes les pièces de la procédure.
Sur la recevabilité de l'action ut singuli
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Il résulte de l'article 1843-5 du code civil qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants, laquelle est couramment dénommée ut singuli.
Les associés se trouvent ainsi habiles à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société à raison des fautes de gestion de son gérant, étant précisé que les éventuels dommages et intérêts sont alloués à celle-ci.
Il s'infère par ailleurs de l'article L. 651-2 du code de commerce que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée, étant précisé que les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine de la société débitrice et sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers.
L'article L. 651-3 du même code précise que, dans les cas prévus à l'article L. 651-2, le tribunal est saisi par le liquidateur ou le ministère public.
Il est constant que, lorsque la société a été mise en liquidation judiciaire, les dispositions permettant aux associés d'exercer l'action ut singuli doivent être écartées au profit de celles ouvrant au seul liquidateur, sauf l'initiative concurrente du ministère public, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, ce régime particulier de responsabilité étant exclusif de celui de droit commun (Com., 26 mai 1999, pourvoi n° 96-16.126 ; Com., 19 novembre 2013, pourvoi n° 12-16.099), étant précisé qu'il importe peu que les associés aient engagé l'action ut singuli préalablement à la mise en liquidation judiciaire de la société (Com., 30 juin 2015, pourvoi n° 14-23.928), l'intérêt à agir contemporain de cet engagement cessant en cas d'ouverture d'une liquidation judiciaire.
Le principe du non-cumul de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif et de l'action ut singuli s'explique par les conséquences spécifiques de la liquidation judiciaire, laquelle emporte le dessaisissement des organes de la société et la protection de l'intérêt des créanciers. Or, même si l'action ut singuli est de nature à reconstituer le patrimoine de la société et donc à majorer le gage général des créanciers sociaux, elle n'a pas été instituée dans leur intérêt propre et se trouve menée par des associés concernés par le dessaisissement précité.
La seule limite au principe du non-cumul des actions réside dans l'absence d'insuffisance d'actif. Une telle insuffisance conditionne en effet l'action en responsabilité du liquidateur et détermine ainsi le primat donné au régime spécial de responsabilité des procédures collectives (Com., 27 juin 2006, pourvoi n° 05-14.271).
En l'espèce, la SCI CL a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 6 décembre 2019, Maître [V] ayant été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Il est en outre acquis aux débats que ladite société présente une insuffisance d'actif, la comparaison du passif admis (560 897 euros) et du prix de revente de l'immeuble dépendant de la liquidation judiciaire (239 000 euros) confortant l'existence de cette insuffisance.
Il s'ensuit qu'en vertu du principe de non-cumul précédemment évoqué, M. [S] et la société Batixis sont irrecevables à agir ut singuli contre M. [W], seul le liquidateur judiciaire ou le ministère public étant habiles à rechercher la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif, peu important que le jugement de conversion en liquidation judiciaire ait été prononcée postérieurement à l'engagement de l'action ut singuli par les associés.
Il y a donc lieu, par réformation de la décision entreprise, de déclarer irrecevable l'action ut singuli formée par M. [S] et la société Batixis à l'encontre de M. [W].
Sur la recevabilité de l'action personnelle
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon l'article 1850 du code civil, qui participe du droit commun applicable aux sociétés civiles, chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.
Il est constant que la recevabilité de l'action en responsabilité de droit commun exercée par un associé à l'encontre des dirigeants d'une société faisant l'objet d'une procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel (Com., 7 mars 2006, pourvoi n° 04-16.536 ; Com., 9 mars 2010, pourvoi n° 08-21.547).
Ce préjudice personnel se distingue de celui commun aux créanciers sociaux en ce qu'il est propre à celui qui l'invoque. Aussi doit-il être étranger au non-paiement des créances sociales, préjudice inhérent à la procédure collective, dont la réparation ne peut être poursuivie que par les organes de la procédure.
Obéissant au droit commun de la responsabilité civile, cette action personnelle doit tendre à la réparation d'un préjudice certain et non pas simplement hypothétique (1re Civ., 28 juin 2012, pourvoi n° 11-19.265 ; 2e Civ., 30 novembre 2023, pourvoi n° 22-16.850).
En l'espèce, M. [S] et la société Batixis entendent agir à titre personnel aux fins d'obtenir le remboursement d'impositions acquittées pour le compte de la SCI CL (') et la garantie de leur contribution aux dettes et pertes de ladite société (').
') Sur les impositions acquittées pour le compte de la SCI CL
M. [S] et la société Batixis soutiennent avoir respectivement payé les sommes de 3 618,23 euros et 2 689,66 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'impôt sur les sociétés et de la taxe foncière.
Il ressort de leurs explications qu'il s'agit de sommes qui étaient dues par la SCI CL elle-même avant l'ouverture de la procédure collective, de sorte que de telles sommes s'analysent, en réalité, en des créances détenues envers ladite société.
Il s'ensuit qu'il ne s'agit pas d'un préjudice propre mais d'un préjudice commun avec celui des autres créanciers de la procédure collective, ce qui exclut qu'il puisse faire l'objet d'une action personnelle.
Il sera du reste observé que les mêmes prétentions financières étaient formées au titre de l'action ut singuli, dont on rappellera qu'elle ne peut tendre qu'à obtenir la réparation du préjudice causé à la société, ce qui conforte l'absence de préjudice personnel.
Au regard du principe de non-cumul de l'action en responsabilité de droit commun avec celle pour insuffisance d'actif du droit des procédures collectives, l'action en responsabilité formée au titre des impositions acquittées ne peut qu'être déclarée irrecevable.
') Sur la contribution aux dettes et pertes de la SCI CL
M. [S] et la société Batixis soutiennent qu'ils sont légalement tenus, en leur qualité d'associés d'une société civile immobilière, de contribuer conjointement et indéfiniment aux dettes et pertes de la SCI CL, dont ils estiment qu'elles procèdent des fautes de gestion de M. [W]. Ils considèrent que leur préjudice financier est certain, au motif que le passif de la procédure collective aurait été arrêté.
Aucun élément produit ne permet toutefois de vérifier que la procédure collective aurait été clôturée pour insuffisance d'actif, de sorte que le préjudice invoqué n'apparaît en l'état qu'éventuel. Il l'est d'autant plus sûrement que le liquidateur peut parfaitement engager une action en responsabilité pour insuffisance d'actif s'il estime à son tour que M. [W] s'est rendu coupable de fautes de gestion en lien avec une telle insuffisance, le produit de cette action étant susceptible de désintéresser les créanciers et ainsi d'éteindre le passif subsistant.
Aussi, le préjudice invoqué n'étant à ce stade qu'hypothétique, M. [S] et la société Batixis ne peuvent qu'être déboutés de leur demande en garantie formée à l'encontre de M. [W].
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'issue du litige justifie que soient infirmés les chefs du jugement relatifs aux dépens et frais irrépétibles. M. [S] ainsi que la société Batixis seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Catherine Trognon-Lernon. L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare M. [B] [S] et la société IRD Immo, anciennement dénommée Batixis, irrecevables à agir au titre de l'action ut singuli ;
Les déclare irrecevables à agir personnellement en paiement des impositions acquittées pour le compte de la SCI CL ;
Les déboute de leur demande en garantie formée au titre de la contribution aux dettes et pertes de la SCI CL ;
Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel, Maître CatherineTrognon-Lernon étant autorisée à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Pour le président empêché
Samuel Vitse