CA Douai, ch. 2 sect. 2, 5 juin 2025, n° 24/05078
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 05/06/2025
N° de MINUTE :
N° RG 24/05078 - N° Portalis DBVT-V-B7I-V2YG
Jugement (N° 16/02591) rendu le 17 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dunkerque
APPELANT
Monsieur [W] [K] [C] [D] [N] [X]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 10], de nationalité française
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représenté par Me Camille Desbouis, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉS
SELARL Wra prise en la personne de Maître [P] [F] en qualité de commissaire à l'exécution du plan fonction à laquelle il a été désigné par jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque du 23 novembre 2018
ayant son siège [Adresse 9]
[Localité 6]
SELARL Wra prise en la personne de Maître [P] [F] en qualité de liquidateur de Monsieur [W] [X] fonction à laquelle il a été désigné par jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque du 17 octobre 2024
ayant son siège [Adresse 9]
[Localité 6]
Représentées par Me Catherine Camus Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
LE MINISTERE PUBLIC, pris en la personne de Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Douai
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par M. Christophe Delattre, substitut général près la cour d'appel de Douai
SA Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Yann Leupe, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 29 avril 2025 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 juin 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 25 mars 2025
****
FAITS ET PROCEDURE
Le 24 mars 2017, le tribunal de grande instance de Dunkerque a mis M.[X], agriculteur, en redressement judiciaire.
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) a déclaré au passif une créance d'un montant total de 376'952,80 euros au titre de deux prêts notariés, souscrits par M. [X] en septembre 2003 (pour 95'000 euros) et mai 2007 (pour 226'000 euros) afin de racheter l'exploitation agricole de ses parents.
Le 23 novembre 2018, un plan de redressement a été arrêté au profit de M. [X], sur une durée le 15 ans, la société WRA étant désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Par un arrêt du 8 septembre 2022, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire ayant admis en totalité la créance déclarée par la banque, faute pour M. [X] d'avoir saisi, dans le délai légal, le juge compétent pour trancher sa contestation.
Le commissaire à l'exécution du plan a donc demandé au débiteur le paiement de l'arriéré de dividendes relatif à cette créance.
Par un arrêt du 30 mai 2024, la cour d'appel a confirmé le jugement du 8 juin 2023 ayant rejeté la requête en modification du plan présentée par M.[X].
Par une requête du 12 juin 2024, M. [X] a demandé au juge-commissaire, d'une part, de rectifier l'échéancier du plan concernant la créance de la banque, estimant qu'il serait affecté d'une erreur matérielle, d'autre part, la communication de décomptes détaillés sous astreinte. Par une ordonnance du 26 juillet 2024, le juge-commissaire a rejeté cette requête. M. [X] a formé un recours contre cette ordonnance. La procédure y afférente est actuellement pendante.
Par une nouvelle requête du 7 août 2024, M. [X] a saisi le tribunal d'une demande de rectification d'échéancier.
Parallèlement, le commissaire à l'exécution du plan a saisi le tribunal d'une requête en résolution du plan et en ouverture d'une liquidation judiciaire.
Par un jugement du 17 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Dunkerque a notamment :
' sursis à statuer sur la requête présentée par M. [X] le 7 août 2024, jusqu'à l'arrêt à intervenir sur le recours formé contre l'ordonnance du juge commissaire du 26 juillet 2024 ;
' prononcé la résolution du plan de redressement de M. [X] ;
' ouvert à son égard une procédure de liquidation judiciaire portant sur ses patrimoines personnel et professionnel ;
' autorisé la poursuite de l'activité jusqu'au 31 mars 2025, terme de l'année culturale ;
' désigné la société WRA en qualité de liquidateur.
Le 24 octobre 2024, M. [X] a relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS DES PARTIES
' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 janvier 2025, M. [X] demande à la cour d'appel de :
Vu l'article L. 631-1 du code de commerce,
' juger ses demandes recevables et bien fondées ;
' infirmer le jugement entrepris ;
Et statuant à nouveau,
' juger que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé ;
' subsidiairement, compte tenu des circonstances du dossier et de la viabilité de son activité, juger que l'inexécution de ses obligations n'est pas suffisamment grave pour justifier la résolution du plan ;
' en conséquence dire n'y avoir lieu à liquidation judiciaire ;
' plus subsidiairement encore : autoriser la poursuite d'activité jusqu'à la fin du mois de mars 2025, pour tenir compte de la fin de la période de culture.
Il fait notamment valoir que :
' les échéanciers transmis par la banque ont été modifiés à plusieurs reprises et les sommes mentionnées sont inexactes. Selon le logiciel de calcul d'intérêts de son conseil, les créances en principal de la banque s'élèvent au 2 décembre 2022 :
* à 396 248,47 euros pour le premier prêt, et non à 469 106,42 euros comme indiqué par le commissaire à l'exécution du plan ;
* et à 87 854,43 euros au titre du second prêt, et non à 99 350,78 euros comme le mentionne le commissaire à l'exécution du plan ;
' la créance de la banque n'est toujours pas admise au passif suivant ce qui est réellement dû. Il y a manifestement une erreur dans le décompte des intérêts et frais transmis par la banque ;
' le commissaire l'exécution du plan lui demande de payer des intérêts non échus ;
' les conditions de la résolution de son plan ne sont pas réunies. En effet, en droit, cette résolution est encourue lorsque le débiteur est en état de cessation des paiements et pour déterminer l'inexécution des engagements du plan, les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation. Ils 'peuvent notamment tenir compte de l'évaluation du passif soulevée après l'adoption du plan' (p. 11) et ils apprécient souverainement la gravité de l'inexécution des engagements du débiteur soumis à un plan, cette inexécution devant être d'une certaine gravité ;
' en l'espèce, il ne se trouve pas en état de cessation des paiements. Il a toujours respecté les échéances du plan jusqu'à ce que la créance de la banque soit intégrée au passif, ce qui entraîné un rappel de dividendes pour la période du plan déjà échus. Ainsi, les impayés de dividendes 277'272,90 euros correspondent uniquement au rappel de cette créance ;
' or, le montant de la créance de la banque reprise au plan est inexact. Sur les sommes admises au passif, les intérêts calculés sont contestés à hauteur de 84'354,30 euros ;
' contrairement à ce que fait le commissaire à l'exécution du plan, les intérêts demandés pour les 15 années du plan de 'continuation' ne sont pas échus, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un passif exigible. Aucun état de cessation des paiements ne peut être caractérisé sur la base d'une créance non échue. Par ailleurs le commissaire à l'exécution du plan doit opérer une imputation des dividendes qu'il reçoit et qu'il affecte à la banque, 'à défaut de quoi cela revient à capitaliser' (p. 13). Il convient donc de modifier l'échéancier établi par le commissaire à l'exécution du plan pour reprendre les intérêts échus à chaque période d'exigibilité de dividendes ;
- les intérêts ne sont pas dus, de sorte que le dividende n'est pas exigible dans son intégralité ;
- en recalculant chacun des dividendes échu entre 2019 et 2024, en arrêtant le cours des intérêts à la date d'exigibilité de chaque dividende, le rappel de dividendes non contestés s'élève à 86'000 euros environ. Il a versé entre les mains du commissaire à l'exécution du plan une « avance » de plus de 26'000 euros, mais il ne peut être demandé de verser encore 60'000 euros sans qu'ait été tranchée la question du calcul des 'intérêts au plan'. En effet, dans cette hypothèse, rien ne dit que le « mandataire » se prononcerait en faveur d'un maintien du redressement judiciaire. La logique juridique commande de trancher en premier lieu la difficulté relative aux intérêts si l'échéancier du plan est modifié, il n'y a plus de difficultés. Il pourra régler le rappel de dividendes exacts et ne risquera plus de se voir reprocher des impayés de dividendes (p. 15).
À titre subsidiaire, M. [X] fait valoir que le manquement est insuffisamment grave pour justifier la résolution du plan. En effet :
' pour ouvrir la liquidation judiciaire, le tribunal doit caractériser une inexécution suffisamment grave de ses obligations ;
' en l'espèce, son activité est tout à fait viable. Il résulte des pièces qu'il verse aux débats que la situation de son exploitation agricole est en constante amélioration, et ce dans de fortes proportions. Ces éléments démontrent également une situation pérenne justifiant qu'il soit en mesure de rembourser le passif sous réserve qu'il soit exact ;
' c'est du fait de l'absence de prise en considération de l'intégralité des créances déclarées lors de l'établissement du plan que celui-ci se trouve aujourd'hui impossible à respecter pour lui appelant, alors que l'impact des créances déclarées par la banque, et contestées, était prévisible.
' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 février 2025, la société WRA, en qualité de commissaire à l'exécution du plan et de liquidateur de M. [X], demande à la cour d'appel de :
' juger que M. [X] est dans l'incapacité de régler les dividendes de son plan de 'continuation' ;
' juger que M. [X] se trouve en état de cessation des paiements ;
' juger que M. [X] ne justifie pas d'une activité bénéficiaire permettant d'apurer tout son passif ;
En conséquence,
' confirmer le jugement ;
' débouter M. [X] de toutes ses demandes ;
' statuer sur les dépens comme de droit.
Elle fait essentiellement valoir que :
' même en excluant les intérêts de la créance de la banque, le montant des dividendes échus s'élève à la somme totale de 87'870,48 euros, et M. [X] est dans l'impossibilité de payer cette somme ;
' or, en application de l'article L. 626-21 du code de commerce, la banque, qui est le principal créancier, doit pouvoir être payée immédiatement de l'arriéré de dividendes déjà versés aux autres créanciers ;
' la gravité de l'inexécution, en montant comme en délais, justifie pleinement la résolution du plan ;
' les calculs tendant à voir le décompte d'intérêts modifié n'auront aucune incidence sur la situation de M. [X], qui est irrémédiablement compromise ;
' en outre les calculs invoqués par M. [X] sont erronés et inexacts ;
' à la suite du jugement entrepris, elle a reçu des déclarations de créances pour un total de 141'256,45 euros (v. la liste des créances au 21 janvier 2025), parmi lesquelles figurent des créances relatives à des impayés 'post RJ' (p. 12) d'un montant de 60'439,83 euros ;
' de plus, M. [X] utilise son compte joint personnel à des fins professionnelles et au 14 mai 2024 le solde de son compte professionnel s'élevait à 200 euros. La trésorerie est exsangue à cette date et M. [X] refuse de communiquer sa situation, n'évoquant jamais le niveau de ses comptes bancaires, n'adressant pas les éléments comptables et financiers demandés, et ne collaborant pas avec le commissaire à l'exécution du plan, empêchant ainsi ce dernier de disposer de la liste des créanciers à aviser. M. [X] ne dispose donc pas d'actif disponible pour faire face à son passif exigible, ce qui caractérise l'état de cessation des paiements ;
' la présentation des comptes de 2024 par M. [X] est trompeuse.
En effet, ne figure pas au compte de résultat les dettes non payées au cours de l'exercice. Par exemple, n'est pas mentionnée la dette de la MSA déclarée à concurrence de la somme de 21'144,25 euros. Les comptes produits démontrent au contraire la dégradation continue des équilibres financiers, le montant des dettes ayant augmenté de 743 000 à 785 000 euros. Le bilan 2024 révèle un état de cessation des paiements déjà établis, la trésorerie étant nulle ;
' en définitive M. [X] est donc dans l'incapacité de payer les dividendes de son plan de continuation, il se trouve en état de cessation des paiements et ne justifie pas une activité bénéficiaire et rentable permettant d'apurer tout son passif.
' Par ces dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 février 2025, la banque demande à la cour d'appel de :
' confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
Elle fait en particulier valoir que :
' selon les propres calculs du débiteur, repris uniquement pour les besoins du raisonnement, les dividendes impayés à son profit à elle, la banque, représentent un montant minimal de 85 000 euros, tandis que le commissaire à l'exécution du plan n'a reçu que 26 000 euros ;
' le calcul du débiteur fait fi d'un nouveau dividende de 25 000 euros dû au 23 février 2025, qui va porter le montant dû à la banque à 110 000 ;
' or, le commissaire à l'exécution du plan démontre l'impécuniosité actuelle du débiteur, ce qui confirme la cessation des paiements de ce dernier et la nécessité de prononcer la résolution du plan ;
' au surplus, elle conteste l'argument selon lequel l'infraction au plan ne serait pas « suffisamment grave » en ce qu'elle naîtrait uniquement de la rétroactivité de l'arrêt d'appel du 9 septembre 2022 au jour du jugement d'arrêté du plan. En effet, d'abord,
la rétroactivité de l'admission de la créance contestée à cette date est un effet de la loi. Ensuite, l'affirmation est fausse puisque même en considérant que le premier dividende ne pourrait prendre date qu'à compter du 9 septembre 2022 et laisserait seulement les trois premiers dividendes impayés, ceux-ci représentent 37 000 euros et dépassent l'actif disponible ;
' M. [X] n'a pas payé les deux dividendes échus de 2023 et 2024 depuis qu'il a été mis en demeure ;
' il n'est pas démontré que l'activité de M. [X] serait pérenne et que ses charges seraient maîtrisées.
' Par son avis du 18 février 2025, notifié par la voie électronique le 19 février suivant, le ministère public conclut à la confirmation du jugement querellé.
À l'appui il fait notamment observer que :
' il n'est pas de douteux que l'appelant n'est pas à jour de son plan depuis plusieurs années ;
' le décompte des dettes « post plan » caractérise également un nouvel état de cessation des paiements ;
' les premiers juges ont bien constaté le non-respect du plan et un nouvel état de cessation des paiements, ce qui justifie la confirmation du jugement entrepris.
***
Le 30 avril 2025, la cour d'appel a notifié par la voie électronique aux parties, en ce compris le ministère public, un avis fondé sur l'article 442 du code de procédure civile, en les invitant à présenter leurs observations sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'application l'article L. 631-20 (anciennement L. 631-20-1) du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021, applicable en la cause eu égard à la date du jugement d'ouverture dont appel.
Par une note notifiée par la voie électronique le 5 mai 2025 aux autres parties, la société WRA, ès qualités, indique que l'article L. 631-20 du code de commerce justifie de plus fort la confirmation du jugement qui a prononcé la résolution du plan et ouvert la liquidation judiciaire de M. [X].
Par une note en délibéré notifiée par la voie électronique le 7 mai 2025 aux autres parties et au ministère public, par les soins du greffe, le 14 mai 2025, la banque soutient que la banque est tenue d'ouvrir une liquidation judiciaire, dès lors que M. [X] ne conteste pas le principe de l'existence d'un dividende impayé et que l'actif disponible 'dépasse' [lire en réalité 'est inférieur'] au montant non discuté d'un tel dividende.
Par une note en délibéré notifiée par la voie électronique le 9 mai 2025 aux autres parties, M. [X] fait valoir que :
- l'article L. 631-20 est inapplicable en l'espèce, le jugement d'ouverture étant antérieur à sa date d'entrée en vigueur, datant du 24 mars 2017. C'est donc l'article L. 631-20-1 qui doit recevoir application ;
- le sujet est donc l'existence, ou non, d'un état de cessation des paiements, qui n'est pas caractérisé en l'espèce dans la mesure où, ainsi qu'il a été détaillé dans ses conclusions, le montant du passif exigible n'est pas établi.
Le ministère public n'a fait parvenir à la cour d'appel aucune note en délibéré.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y a lieu de relever, d'abord, que, s'il demande l'infirmation du jugement entrepris dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [X] ne saisit toutefois la cour d'appel d'aucune critique concernant le chef du jugement ayant ordonné le sursis à statuer sur sa requête déposée le 7 août 2024, que ce soit dans le dispositif ou dans les motifs de ses conclusions d'appelant. Les autres parties ne formant pas non plus de critique sur ce point, ce chef de dispositif ne peut qu'être confirmé.
Ensuite, la déclaration d'appel portant sur l'intégralité des chefs du jugement entrepris, à l'exception de celui-ci relatif au sursis à statuer, ce sont les conclusions des parties qui déterminent les prétentions et moyens dont la cour est saisie et sur lesquels elle doit se prononcer, conformément l'article 4 du code de procédure civile.
Aucune des parties, pas même le ministère public, ne critique le jugement entrepris en ce que, dans son dispositif, il ouvre une liquidation judiciaire 'bi-patrimoniale' à l'égard de M. [X], après avoir constaté, dans ses motifs, que, le passif résultant d'engagements antérieurs au plan de redressement du 24 mars 2017, ce passif est nécessairement antérieur à la date d'entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, ce dont le jugement déduit que les créanciers de M. [X] disposent d'un droit de gage portant sur son patrimoine professionnel et personnel.
Il en résulte implicitement, mais nécessairement, qu'il a été considéré que M. [X] se trouvait en situation de surendettement, ce qui justifiait l'application de cette loi de 2022 (qui a notamment créé l'article L. 681-2, III, du code de commerce). De fait, au regard des conclusions d'appel respectives des parties, l'objet du litige porte exclusivement sur l'existence, ou non, d'un état de cessation des paiements de M. [X] au regard de ses dettes professionnelles, tout particulièrement celle détenue par la banque au titre des prêts notariés de 2003 et 2007, conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022 précitée.
En conséquence, ni les parties ni le ministère public n'émettant de critique sur le caractère bi-patrimonial de la liquidation judiciaire qu'il conviendrait d'ouvrir, le cas échéant, à l'endroit de M. [X], la cour d'appel, tenue de se conformer à l'objet du litige, cantonnera son appréciation à l'existence, ou non, d'un état de cessation des paiements au sens du livre VI du code de commerce, à l'exclusion de la situation de surendettement.
1°- Sur les demandes de résolution du plan et d'ouverture d'une liquidation judiciaire au regard de l'état de cessation des paiements du débiteur
En droit, l'article L. 626-27, I du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, applicable en la cause eu égard à la date du jugement d'ouverture dont appel, dispose que :
En cas de défaut de paiement des dividendes par le débiteur, le commissaire à l'exécution du plan procède à leur recouvrement conformément aux dispositions arrêtées. Il y est seul habilité. Lorsque le commissaire à l'exécution du plan a cessé ses fonctions, tout intéressé peut demander au tribunal la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de procéder à ce recouvrement.
Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n'exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.
Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l'exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire. Avant de statuer, le tribunal examine si la situation du débiteur répond aux conditions posées aux articles L. 645-1 et L. 645-2 et ouvre, le cas échéant, avec son accord, une procédure de rétablissement professionnel.
Ce texte, applicable au redressement judiciaire, prévoit deux causes distinctes de résolution d'un plan : l'inexécution de ce plan par le débiteur, ou l'apparition d'un nouvel état de cessation des paiements en cours d'exécution du plan. Ces deux causes ne doivent pas être confondues, dès lors qu'elles sont subordonnées à des conditions de fond distinctes et n'emportent pas nécessairement les mêmes conséquences.
Ainsi, dans la première hypothèse de résolution prévue à l'article L. 626-27,I, alinéa 2 (soit le non-respect des engagements prévus au plan), les juges du fond disposent d'une simple faculté de résolution du plan, qui relève de leur pouvoir souverain d'appréciation, quand bien même ils constateraient l'inexécution par le débiteur de ses engagements dans les délais fixés par le plan (v. not. : Com. 30 juin 2015, n° 14-16543 ; Com. 28 févr. 2018, n° 17-10289). Autrement dit, dans ce cas, la résolution du plan ne s'impose pas aux juges.
Cette première cause de résolution du plan est subordonnée à une seule condition : le constat de l'inexécution de ses engagements par le débiteur (Com. 24 juin 2008, n° 07-13720). Les juges ne sont donc ni tenus de rechercher si cette inexécution revêt un caractère suffisamment grave (Com. 30 juin 2015, n° 14-16544), ni de constater l'état de cessation des paiements (Com. 16 déc. 2008, n° 07-17130, publié ; Com. 18 mai 2016, n° 14-24313).
Et si, concomitamment à la résolution du plan pour inexécution, les juges peuvent ouvrir une liquidation judiciaire, ils doivent cependant caractériser la cessation des paiements du débiteur (V. not. : Com. 13 déc. 2017, n° 16-21159 ; Com. 9 sept. 2020, n° 18-23615), définie à l'article L. 631-1 du code de commerce. Ainsi, le seul défaut de respect du plan n'établissant pas, à lui seul, la cessation des paiements, encourt la cassation la décision qui prononce la résolution du plan pour inexécution de celui-ci et ouvre une liquidation judiciaire sans analyse, même sommaire, de l'actif disponible à la date de sa décision (Com. 2 juin 2021, n° 20-14101).
Dans la seconde hypothèse de résolution du plan prévue par l'article L. 626-27, I, alinéa 3 (soit la survenue d'un nouvel état de cessation des paiements), les juges du fond ne disposent d'aucune marge d'appréciation et sont tenus de prononcer de la résolution du plan.
Une seule condition de fond est alors requise : la caractérisation de la cessation des paiements (v. not. : Com. 9 sept. 2020, n° 18-23615 ; Com. 2 juin 2021, n° 20-14101), qui doit être constatée au cours de l'exécution du plan comme au jour où la cour d'appel statue (v. not. : Com. 8 janv. 2020, n° 18-16295 ; Com. 1er juill. 2020, n° 18-23552). Cela suffit à justifier la résolution du plan et le prononcé concomitant de la liquidation judiciaire, et ce alors même que le débiteur aurait régularisé tous les dividendes impayés (Com. 8 mars 2017, n° 15-17691 ; Com. 8 janv. 2020, n° 18-16.295). Les juges n'ont donc pas à rechercher si le plan a été, ou non, correctement exécuté par le débiteur (Com. 8 mars 2017, précité).
Surtout, dans cette seconde hypothèse de résolution de plan, lorsque celui-ci est un plan de redressement (et non de sauvegarde), l'article L. 631-20- 1, devenu L. 631-20, du code de commerce depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 15 septembre 2021, impose aux juges d'ouvrir d'une liquidation judiciaire (Com. 30 juin 2015, n° 14-16544), sans qu'il soit nécessaire qu'ils caractérisent l'impossibilité manifeste du redressement, à l'inverse de ce qu'exige l'article L. 640-1 en cas d'ouverture d'une liquidation judiciaire dans des conditions « classiques » (Com. 30 juin 2015, n° 14-16543).
Par ailleurs, l'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme « l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. »
Le passif exigible comprend l'ensemble des dettes certaines, liquides et exigibles, soit, en principe, toutes les dettes échues au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective, même si elles ne sont pas effectivement exigées.
Quant à l'actif disponible, il s'entend de l'actif utilisable ou réalisable immédiatement, ou réalisable à très court terme. En sont donc exclus les actifs réalisables à terme, dont la cession nécessite du temps et des formalités administratives, tels que la valeur du stock de marchandises (Com. 17 mai 1989, Bull. n° 152), le chiffre d'affaires et le résultat (Com. 26 mars 2013, n° 12-13391). L'absence d'actif disponible peut être déduite, notamment, de l'échec des voies d'exécution pratiquées par un créancier contre le débiteur (v. par ex. : Com. 13 sept. 2017, n° 16-16857 ; Com. 16 janv. 2019, n° 17-18450, publié), ou encore de la circonstance que le débiteur n'a lui-même invoqué, dans ses conclusions, aucun actif disponible pour faire face à son passif exigible (v. par ex. : Com. 5 mai 2015, n° 14-13935 ; Com. 2 nov. 2016, n° 14-18352 ; Com. 14 mars 2018, n° 16-24775).
En l'espèce, le litige trouve sa source dans le fait que les répartitions à opérer au profit de la banque pour le remboursement de ses créances relatives aux prêts, en exécution du plan arrêté en 2017, n'ont pu être exigées de M. [X] qu'à compter de 2022, après qu'il a été statué définitivement sur l'admission de ces créances par un arrêt de la présente cour d'appel, conformément à l'article L. 626-21, alinéa 3, du code de commerce, ce qui a conduit le commissaire à l'exécution du plan à demander au débiteur un 'rappel' de dividendes échus.
Pour prononcer la résolution du plan et ouvrir la liquidation judiciaire de M. [X], les premiers juges ont retenu l'existence d'un état de cessation des paiements. Le prononcé de la résolution du plan est donc fondé sur la seconde hypothèse de résolution précédemment rappelée. Il s'ensuit que, si la cessation des paiements se vérifiait en cause d'appel :
- d'une part, la résolution du plan s'imposerait à la cour d'appel comme aux premiers juges, sans que la loi leur laisse le moindre pouvoir d'appréciation sur ce point, contrairement à ce que soutient M. [X] ;
- d'autre part, M. [X] ayant bénéficié d'un plan de redressement, la résolution de ce plan pour cause de cessation des paiements obligerait la cour d'appel à ouvrir une liquidation judiciaire, en application l'article L. 631-20-1, devenu L. 631-20, du code de commerce, tel que l'ont décidé les premiers juges.
Il résulte du plan de redressement arrêté au profit de M. [X] le 23 novembre 2018 que les dividendes, prévus sur 15 ans, sont payables comme suit :
- 1% la 1re année ;
- 2% la 2e année ;
- 5% de la 3e à la 10e année ;
- 10% de la 11e à la 13e année ;
- 12% la 14e année ;
- et 15% la 15e année.
Il est constant que, bien que le premier dividende fût exigible à compter du 23 novembre 2019, les dividendes suivants ont été automatiquement reportés de trois mois en application des mesures gouvernementales prises à l'occasion de la pandémie liée au Covid-19 et qu'à compter de 2021, les dividendes sont devenus exigibles le 23 février de chaque année.
En premier lieu, selon les propres calculs opérés par M. [X] (pp. 14-15 de ses conclusions), les dividendes échus entre 2019 et 2024 et dus à la banque au titre de sa créance relative aux prêts notariés de 2003 et 2007 s'élèvent aux sommes suivantes, en ce compris les intérêts recalculés :
' pour le premier dividende échu le 23 novembre 2019 : 4 271,52 euros ;
' pour le deuxième dividende échu le 23 février 2021 : 9 015,04 euros ;
' pour le troisième dividende échu le 23 février 2022 : 23'478,44 euros ;
' pour le quatrième dividende échu le 23 février 2023 : 24'419,03 euros ;
' pour le cinquième dividende échu le 23 février 2024 : 25'359,62 euros ;
Soit un total de 86'543,69 euros.
Par ailleurs, M. [X] indique, sans être démenti par l'une ou l'autre des intimées, qu'il a payé une « avance » de 26'901,26 euros à ce titre.
Ainsi, abstraction faite du montant des intérêts tel que calculé par le commissaire à l'exécution du plan - que l'appelant conteste -, la différence entre le montant total des dividendes échus et non contestés avant le jugement entrepris et le montant de l'avance payée par le débiteur s'élève à 59 642,43 euros (86'543,69 - 26'901,26). Cette somme, qui constitue un passif exigible incontestablement dû par le débiteur étant déterminée sur la base des propres calculs et déclarations de M. [X], c'est à mauvais escient que ce dernier objecte (p. 15 de ses conclusions) qu'il ne peut lui être demandé de 'verser encore la somme de 60'000 euros' tant que n'est pas tranchée la question du calcul des 'intérêts au plan'.
Par conséquent, nonobstant les autres dettes professionnelles de M.[X], son passif exigible s'élevait, au jour du jugement d'ouverture entrepris comme au jour où la cour d'appel statue, au moins à la somme de 59 642,43 euros, au titre des prêts bancaires.
En second lieu, il ressort des bilans comptables produits par M. [X] (ses pièces n° 17 et 36) que, bien que ses disponibilités s'élevaient à 8 621 euros au 31 mars 2023 (pièce n° 17 de l'appelant), elles ont diminué pour atteindre la somme de 480 euros au 31 mars 2024. Le commissaire à l'exécution du plan indique, sans être démenti sur ce point, qu'au 5 juin 2024, le compte professionnel de M. [X] présentait un solde positif de 200 euros. Il ne ressort pas des pièces versées aux débats en cause d'appel qu'il existerait un autre actif disponible, ni que le solde du compte bancaire professionnel de M. [X] aurait augmenté entre le 5 juin 2024 et le 17 octobre 2024, date du jugement d'ouverture entrepris, ni à la date du présent arrêt, M. [X] n'ayant pas déféré à la demande de communication des éléments relatifs à ses comptes bancaires que le commissaire à l'exécution du plan lui a envoyée par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception signée par le débiteur le 14 janvier 2025 (v. la pièce n° 25 de la société WRA). En tout état de cause, aucune des pièces versées aux débats ne démontre que l'actif disponible serait au moins égal au montant du passif exigible incontestable, qui s'élève à 59 642,43 euros.
Il découle donc de ces seuls motifs que l'état de cessation des paiements de M. [X] est caractérisé au cours du plan, la cessation des paiements étant établie à la date du jugement d'ouverture entrepris et à la date à laquelle du présent arrêt. Par voie de conséquence, il résulte de la combinaison des articles L. 626-27, I, alinéa 3, et L. 631-20-1, devenu L. 631-20, du code de commerce - ce dernier texte étant applicable en la cause, le jugement d'ouverture à prendre en compte étant celui prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire, qui est une nouvelle procédure, et non le jugement ouvrant le redressement judiciaire ayant abouti à l'arrêté du plan - , que la cour d'appel est obligée de prononcer la résolution le plan de redressement de M. [X] et de mettre l'intéressé en liquidation judiciaire.
Les demandes de M. [X] tendant, à titre principal, à ce qu'il soit jugé que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé et, subsidiairement, à ce qu'il n'y ait lieu à ouverture d'une liquidation judiciaire faute d'inexécution suffisamment grave du plan, ne peuvent donc qu'être rejetées et le jugement confirmé en ce qu'il a résolu le plan de redressement et ouvert la liquidation judiciaire.
A titre surabondant et purement informatif, eu égard au contentieux ayant opposé le débiteur et le commissaire à l'exécution du plan sur le calcul des intérêts de la créance de la banque, il sera précisé que la résolution du plan et l'ouverture de la liquidation judiciaire auront pour effet de rendre exigible la totalité de cette créance et imposera de recalculer les intérêts échus depuis la décision d'admission, en tenant compte des dividendes déjà payés par le débiteur.
Par ailleurs, le jugement entrepris ayant déjà autorisé la poursuite d'activité jusqu'à la fin du mois de mars 2025, la demande infiniment subsidiaire formée par M. [X] s'analyse en une demande de confirmation du jugement de ce chef. En l'absence de toute critique des intimées à cet égard, le jugement sera donc confirmé.
Enfin, succombant, M. [X] doit être condamné aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
- REJETTE les demandes de M. [X] tendant, à titre principal, à ce qu'il soit jugé que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé et, subsidiairement, à ce qu'il n'y ait pas lieu à ouverture d'une liquidation judiciaire faute d'inexécution suffisamment grave du plan ;
- En conséquence, CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
- CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 05/06/2025
N° de MINUTE :
N° RG 24/05078 - N° Portalis DBVT-V-B7I-V2YG
Jugement (N° 16/02591) rendu le 17 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Dunkerque
APPELANT
Monsieur [W] [K] [C] [D] [N] [X]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 10], de nationalité française
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représenté par Me Camille Desbouis, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉS
SELARL Wra prise en la personne de Maître [P] [F] en qualité de commissaire à l'exécution du plan fonction à laquelle il a été désigné par jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque du 23 novembre 2018
ayant son siège [Adresse 9]
[Localité 6]
SELARL Wra prise en la personne de Maître [P] [F] en qualité de liquidateur de Monsieur [W] [X] fonction à laquelle il a été désigné par jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque du 17 octobre 2024
ayant son siège [Adresse 9]
[Localité 6]
Représentées par Me Catherine Camus Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
LE MINISTERE PUBLIC, pris en la personne de Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Douai
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par M. Christophe Delattre, substitut général près la cour d'appel de Douai
SA Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Yann Leupe, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 29 avril 2025 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 juin 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 25 mars 2025
****
FAITS ET PROCEDURE
Le 24 mars 2017, le tribunal de grande instance de Dunkerque a mis M.[X], agriculteur, en redressement judiciaire.
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) a déclaré au passif une créance d'un montant total de 376'952,80 euros au titre de deux prêts notariés, souscrits par M. [X] en septembre 2003 (pour 95'000 euros) et mai 2007 (pour 226'000 euros) afin de racheter l'exploitation agricole de ses parents.
Le 23 novembre 2018, un plan de redressement a été arrêté au profit de M. [X], sur une durée le 15 ans, la société WRA étant désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Par un arrêt du 8 septembre 2022, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire ayant admis en totalité la créance déclarée par la banque, faute pour M. [X] d'avoir saisi, dans le délai légal, le juge compétent pour trancher sa contestation.
Le commissaire à l'exécution du plan a donc demandé au débiteur le paiement de l'arriéré de dividendes relatif à cette créance.
Par un arrêt du 30 mai 2024, la cour d'appel a confirmé le jugement du 8 juin 2023 ayant rejeté la requête en modification du plan présentée par M.[X].
Par une requête du 12 juin 2024, M. [X] a demandé au juge-commissaire, d'une part, de rectifier l'échéancier du plan concernant la créance de la banque, estimant qu'il serait affecté d'une erreur matérielle, d'autre part, la communication de décomptes détaillés sous astreinte. Par une ordonnance du 26 juillet 2024, le juge-commissaire a rejeté cette requête. M. [X] a formé un recours contre cette ordonnance. La procédure y afférente est actuellement pendante.
Par une nouvelle requête du 7 août 2024, M. [X] a saisi le tribunal d'une demande de rectification d'échéancier.
Parallèlement, le commissaire à l'exécution du plan a saisi le tribunal d'une requête en résolution du plan et en ouverture d'une liquidation judiciaire.
Par un jugement du 17 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Dunkerque a notamment :
' sursis à statuer sur la requête présentée par M. [X] le 7 août 2024, jusqu'à l'arrêt à intervenir sur le recours formé contre l'ordonnance du juge commissaire du 26 juillet 2024 ;
' prononcé la résolution du plan de redressement de M. [X] ;
' ouvert à son égard une procédure de liquidation judiciaire portant sur ses patrimoines personnel et professionnel ;
' autorisé la poursuite de l'activité jusqu'au 31 mars 2025, terme de l'année culturale ;
' désigné la société WRA en qualité de liquidateur.
Le 24 octobre 2024, M. [X] a relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS DES PARTIES
' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 janvier 2025, M. [X] demande à la cour d'appel de :
Vu l'article L. 631-1 du code de commerce,
' juger ses demandes recevables et bien fondées ;
' infirmer le jugement entrepris ;
Et statuant à nouveau,
' juger que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé ;
' subsidiairement, compte tenu des circonstances du dossier et de la viabilité de son activité, juger que l'inexécution de ses obligations n'est pas suffisamment grave pour justifier la résolution du plan ;
' en conséquence dire n'y avoir lieu à liquidation judiciaire ;
' plus subsidiairement encore : autoriser la poursuite d'activité jusqu'à la fin du mois de mars 2025, pour tenir compte de la fin de la période de culture.
Il fait notamment valoir que :
' les échéanciers transmis par la banque ont été modifiés à plusieurs reprises et les sommes mentionnées sont inexactes. Selon le logiciel de calcul d'intérêts de son conseil, les créances en principal de la banque s'élèvent au 2 décembre 2022 :
* à 396 248,47 euros pour le premier prêt, et non à 469 106,42 euros comme indiqué par le commissaire à l'exécution du plan ;
* et à 87 854,43 euros au titre du second prêt, et non à 99 350,78 euros comme le mentionne le commissaire à l'exécution du plan ;
' la créance de la banque n'est toujours pas admise au passif suivant ce qui est réellement dû. Il y a manifestement une erreur dans le décompte des intérêts et frais transmis par la banque ;
' le commissaire l'exécution du plan lui demande de payer des intérêts non échus ;
' les conditions de la résolution de son plan ne sont pas réunies. En effet, en droit, cette résolution est encourue lorsque le débiteur est en état de cessation des paiements et pour déterminer l'inexécution des engagements du plan, les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation. Ils 'peuvent notamment tenir compte de l'évaluation du passif soulevée après l'adoption du plan' (p. 11) et ils apprécient souverainement la gravité de l'inexécution des engagements du débiteur soumis à un plan, cette inexécution devant être d'une certaine gravité ;
' en l'espèce, il ne se trouve pas en état de cessation des paiements. Il a toujours respecté les échéances du plan jusqu'à ce que la créance de la banque soit intégrée au passif, ce qui entraîné un rappel de dividendes pour la période du plan déjà échus. Ainsi, les impayés de dividendes 277'272,90 euros correspondent uniquement au rappel de cette créance ;
' or, le montant de la créance de la banque reprise au plan est inexact. Sur les sommes admises au passif, les intérêts calculés sont contestés à hauteur de 84'354,30 euros ;
' contrairement à ce que fait le commissaire à l'exécution du plan, les intérêts demandés pour les 15 années du plan de 'continuation' ne sont pas échus, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un passif exigible. Aucun état de cessation des paiements ne peut être caractérisé sur la base d'une créance non échue. Par ailleurs le commissaire à l'exécution du plan doit opérer une imputation des dividendes qu'il reçoit et qu'il affecte à la banque, 'à défaut de quoi cela revient à capitaliser' (p. 13). Il convient donc de modifier l'échéancier établi par le commissaire à l'exécution du plan pour reprendre les intérêts échus à chaque période d'exigibilité de dividendes ;
- les intérêts ne sont pas dus, de sorte que le dividende n'est pas exigible dans son intégralité ;
- en recalculant chacun des dividendes échu entre 2019 et 2024, en arrêtant le cours des intérêts à la date d'exigibilité de chaque dividende, le rappel de dividendes non contestés s'élève à 86'000 euros environ. Il a versé entre les mains du commissaire à l'exécution du plan une « avance » de plus de 26'000 euros, mais il ne peut être demandé de verser encore 60'000 euros sans qu'ait été tranchée la question du calcul des 'intérêts au plan'. En effet, dans cette hypothèse, rien ne dit que le « mandataire » se prononcerait en faveur d'un maintien du redressement judiciaire. La logique juridique commande de trancher en premier lieu la difficulté relative aux intérêts si l'échéancier du plan est modifié, il n'y a plus de difficultés. Il pourra régler le rappel de dividendes exacts et ne risquera plus de se voir reprocher des impayés de dividendes (p. 15).
À titre subsidiaire, M. [X] fait valoir que le manquement est insuffisamment grave pour justifier la résolution du plan. En effet :
' pour ouvrir la liquidation judiciaire, le tribunal doit caractériser une inexécution suffisamment grave de ses obligations ;
' en l'espèce, son activité est tout à fait viable. Il résulte des pièces qu'il verse aux débats que la situation de son exploitation agricole est en constante amélioration, et ce dans de fortes proportions. Ces éléments démontrent également une situation pérenne justifiant qu'il soit en mesure de rembourser le passif sous réserve qu'il soit exact ;
' c'est du fait de l'absence de prise en considération de l'intégralité des créances déclarées lors de l'établissement du plan que celui-ci se trouve aujourd'hui impossible à respecter pour lui appelant, alors que l'impact des créances déclarées par la banque, et contestées, était prévisible.
' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 février 2025, la société WRA, en qualité de commissaire à l'exécution du plan et de liquidateur de M. [X], demande à la cour d'appel de :
' juger que M. [X] est dans l'incapacité de régler les dividendes de son plan de 'continuation' ;
' juger que M. [X] se trouve en état de cessation des paiements ;
' juger que M. [X] ne justifie pas d'une activité bénéficiaire permettant d'apurer tout son passif ;
En conséquence,
' confirmer le jugement ;
' débouter M. [X] de toutes ses demandes ;
' statuer sur les dépens comme de droit.
Elle fait essentiellement valoir que :
' même en excluant les intérêts de la créance de la banque, le montant des dividendes échus s'élève à la somme totale de 87'870,48 euros, et M. [X] est dans l'impossibilité de payer cette somme ;
' or, en application de l'article L. 626-21 du code de commerce, la banque, qui est le principal créancier, doit pouvoir être payée immédiatement de l'arriéré de dividendes déjà versés aux autres créanciers ;
' la gravité de l'inexécution, en montant comme en délais, justifie pleinement la résolution du plan ;
' les calculs tendant à voir le décompte d'intérêts modifié n'auront aucune incidence sur la situation de M. [X], qui est irrémédiablement compromise ;
' en outre les calculs invoqués par M. [X] sont erronés et inexacts ;
' à la suite du jugement entrepris, elle a reçu des déclarations de créances pour un total de 141'256,45 euros (v. la liste des créances au 21 janvier 2025), parmi lesquelles figurent des créances relatives à des impayés 'post RJ' (p. 12) d'un montant de 60'439,83 euros ;
' de plus, M. [X] utilise son compte joint personnel à des fins professionnelles et au 14 mai 2024 le solde de son compte professionnel s'élevait à 200 euros. La trésorerie est exsangue à cette date et M. [X] refuse de communiquer sa situation, n'évoquant jamais le niveau de ses comptes bancaires, n'adressant pas les éléments comptables et financiers demandés, et ne collaborant pas avec le commissaire à l'exécution du plan, empêchant ainsi ce dernier de disposer de la liste des créanciers à aviser. M. [X] ne dispose donc pas d'actif disponible pour faire face à son passif exigible, ce qui caractérise l'état de cessation des paiements ;
' la présentation des comptes de 2024 par M. [X] est trompeuse.
En effet, ne figure pas au compte de résultat les dettes non payées au cours de l'exercice. Par exemple, n'est pas mentionnée la dette de la MSA déclarée à concurrence de la somme de 21'144,25 euros. Les comptes produits démontrent au contraire la dégradation continue des équilibres financiers, le montant des dettes ayant augmenté de 743 000 à 785 000 euros. Le bilan 2024 révèle un état de cessation des paiements déjà établis, la trésorerie étant nulle ;
' en définitive M. [X] est donc dans l'incapacité de payer les dividendes de son plan de continuation, il se trouve en état de cessation des paiements et ne justifie pas une activité bénéficiaire et rentable permettant d'apurer tout son passif.
' Par ces dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 février 2025, la banque demande à la cour d'appel de :
' confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
Elle fait en particulier valoir que :
' selon les propres calculs du débiteur, repris uniquement pour les besoins du raisonnement, les dividendes impayés à son profit à elle, la banque, représentent un montant minimal de 85 000 euros, tandis que le commissaire à l'exécution du plan n'a reçu que 26 000 euros ;
' le calcul du débiteur fait fi d'un nouveau dividende de 25 000 euros dû au 23 février 2025, qui va porter le montant dû à la banque à 110 000 ;
' or, le commissaire à l'exécution du plan démontre l'impécuniosité actuelle du débiteur, ce qui confirme la cessation des paiements de ce dernier et la nécessité de prononcer la résolution du plan ;
' au surplus, elle conteste l'argument selon lequel l'infraction au plan ne serait pas « suffisamment grave » en ce qu'elle naîtrait uniquement de la rétroactivité de l'arrêt d'appel du 9 septembre 2022 au jour du jugement d'arrêté du plan. En effet, d'abord,
la rétroactivité de l'admission de la créance contestée à cette date est un effet de la loi. Ensuite, l'affirmation est fausse puisque même en considérant que le premier dividende ne pourrait prendre date qu'à compter du 9 septembre 2022 et laisserait seulement les trois premiers dividendes impayés, ceux-ci représentent 37 000 euros et dépassent l'actif disponible ;
' M. [X] n'a pas payé les deux dividendes échus de 2023 et 2024 depuis qu'il a été mis en demeure ;
' il n'est pas démontré que l'activité de M. [X] serait pérenne et que ses charges seraient maîtrisées.
' Par son avis du 18 février 2025, notifié par la voie électronique le 19 février suivant, le ministère public conclut à la confirmation du jugement querellé.
À l'appui il fait notamment observer que :
' il n'est pas de douteux que l'appelant n'est pas à jour de son plan depuis plusieurs années ;
' le décompte des dettes « post plan » caractérise également un nouvel état de cessation des paiements ;
' les premiers juges ont bien constaté le non-respect du plan et un nouvel état de cessation des paiements, ce qui justifie la confirmation du jugement entrepris.
***
Le 30 avril 2025, la cour d'appel a notifié par la voie électronique aux parties, en ce compris le ministère public, un avis fondé sur l'article 442 du code de procédure civile, en les invitant à présenter leurs observations sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'application l'article L. 631-20 (anciennement L. 631-20-1) du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021, applicable en la cause eu égard à la date du jugement d'ouverture dont appel.
Par une note notifiée par la voie électronique le 5 mai 2025 aux autres parties, la société WRA, ès qualités, indique que l'article L. 631-20 du code de commerce justifie de plus fort la confirmation du jugement qui a prononcé la résolution du plan et ouvert la liquidation judiciaire de M. [X].
Par une note en délibéré notifiée par la voie électronique le 7 mai 2025 aux autres parties et au ministère public, par les soins du greffe, le 14 mai 2025, la banque soutient que la banque est tenue d'ouvrir une liquidation judiciaire, dès lors que M. [X] ne conteste pas le principe de l'existence d'un dividende impayé et que l'actif disponible 'dépasse' [lire en réalité 'est inférieur'] au montant non discuté d'un tel dividende.
Par une note en délibéré notifiée par la voie électronique le 9 mai 2025 aux autres parties, M. [X] fait valoir que :
- l'article L. 631-20 est inapplicable en l'espèce, le jugement d'ouverture étant antérieur à sa date d'entrée en vigueur, datant du 24 mars 2017. C'est donc l'article L. 631-20-1 qui doit recevoir application ;
- le sujet est donc l'existence, ou non, d'un état de cessation des paiements, qui n'est pas caractérisé en l'espèce dans la mesure où, ainsi qu'il a été détaillé dans ses conclusions, le montant du passif exigible n'est pas établi.
Le ministère public n'a fait parvenir à la cour d'appel aucune note en délibéré.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y a lieu de relever, d'abord, que, s'il demande l'infirmation du jugement entrepris dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [X] ne saisit toutefois la cour d'appel d'aucune critique concernant le chef du jugement ayant ordonné le sursis à statuer sur sa requête déposée le 7 août 2024, que ce soit dans le dispositif ou dans les motifs de ses conclusions d'appelant. Les autres parties ne formant pas non plus de critique sur ce point, ce chef de dispositif ne peut qu'être confirmé.
Ensuite, la déclaration d'appel portant sur l'intégralité des chefs du jugement entrepris, à l'exception de celui-ci relatif au sursis à statuer, ce sont les conclusions des parties qui déterminent les prétentions et moyens dont la cour est saisie et sur lesquels elle doit se prononcer, conformément l'article 4 du code de procédure civile.
Aucune des parties, pas même le ministère public, ne critique le jugement entrepris en ce que, dans son dispositif, il ouvre une liquidation judiciaire 'bi-patrimoniale' à l'égard de M. [X], après avoir constaté, dans ses motifs, que, le passif résultant d'engagements antérieurs au plan de redressement du 24 mars 2017, ce passif est nécessairement antérieur à la date d'entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, ce dont le jugement déduit que les créanciers de M. [X] disposent d'un droit de gage portant sur son patrimoine professionnel et personnel.
Il en résulte implicitement, mais nécessairement, qu'il a été considéré que M. [X] se trouvait en situation de surendettement, ce qui justifiait l'application de cette loi de 2022 (qui a notamment créé l'article L. 681-2, III, du code de commerce). De fait, au regard des conclusions d'appel respectives des parties, l'objet du litige porte exclusivement sur l'existence, ou non, d'un état de cessation des paiements de M. [X] au regard de ses dettes professionnelles, tout particulièrement celle détenue par la banque au titre des prêts notariés de 2003 et 2007, conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022 précitée.
En conséquence, ni les parties ni le ministère public n'émettant de critique sur le caractère bi-patrimonial de la liquidation judiciaire qu'il conviendrait d'ouvrir, le cas échéant, à l'endroit de M. [X], la cour d'appel, tenue de se conformer à l'objet du litige, cantonnera son appréciation à l'existence, ou non, d'un état de cessation des paiements au sens du livre VI du code de commerce, à l'exclusion de la situation de surendettement.
1°- Sur les demandes de résolution du plan et d'ouverture d'une liquidation judiciaire au regard de l'état de cessation des paiements du débiteur
En droit, l'article L. 626-27, I du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, applicable en la cause eu égard à la date du jugement d'ouverture dont appel, dispose que :
En cas de défaut de paiement des dividendes par le débiteur, le commissaire à l'exécution du plan procède à leur recouvrement conformément aux dispositions arrêtées. Il y est seul habilité. Lorsque le commissaire à l'exécution du plan a cessé ses fonctions, tout intéressé peut demander au tribunal la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de procéder à ce recouvrement.
Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n'exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.
Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l'exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire. Avant de statuer, le tribunal examine si la situation du débiteur répond aux conditions posées aux articles L. 645-1 et L. 645-2 et ouvre, le cas échéant, avec son accord, une procédure de rétablissement professionnel.
Ce texte, applicable au redressement judiciaire, prévoit deux causes distinctes de résolution d'un plan : l'inexécution de ce plan par le débiteur, ou l'apparition d'un nouvel état de cessation des paiements en cours d'exécution du plan. Ces deux causes ne doivent pas être confondues, dès lors qu'elles sont subordonnées à des conditions de fond distinctes et n'emportent pas nécessairement les mêmes conséquences.
Ainsi, dans la première hypothèse de résolution prévue à l'article L. 626-27,I, alinéa 2 (soit le non-respect des engagements prévus au plan), les juges du fond disposent d'une simple faculté de résolution du plan, qui relève de leur pouvoir souverain d'appréciation, quand bien même ils constateraient l'inexécution par le débiteur de ses engagements dans les délais fixés par le plan (v. not. : Com. 30 juin 2015, n° 14-16543 ; Com. 28 févr. 2018, n° 17-10289). Autrement dit, dans ce cas, la résolution du plan ne s'impose pas aux juges.
Cette première cause de résolution du plan est subordonnée à une seule condition : le constat de l'inexécution de ses engagements par le débiteur (Com. 24 juin 2008, n° 07-13720). Les juges ne sont donc ni tenus de rechercher si cette inexécution revêt un caractère suffisamment grave (Com. 30 juin 2015, n° 14-16544), ni de constater l'état de cessation des paiements (Com. 16 déc. 2008, n° 07-17130, publié ; Com. 18 mai 2016, n° 14-24313).
Et si, concomitamment à la résolution du plan pour inexécution, les juges peuvent ouvrir une liquidation judiciaire, ils doivent cependant caractériser la cessation des paiements du débiteur (V. not. : Com. 13 déc. 2017, n° 16-21159 ; Com. 9 sept. 2020, n° 18-23615), définie à l'article L. 631-1 du code de commerce. Ainsi, le seul défaut de respect du plan n'établissant pas, à lui seul, la cessation des paiements, encourt la cassation la décision qui prononce la résolution du plan pour inexécution de celui-ci et ouvre une liquidation judiciaire sans analyse, même sommaire, de l'actif disponible à la date de sa décision (Com. 2 juin 2021, n° 20-14101).
Dans la seconde hypothèse de résolution du plan prévue par l'article L. 626-27, I, alinéa 3 (soit la survenue d'un nouvel état de cessation des paiements), les juges du fond ne disposent d'aucune marge d'appréciation et sont tenus de prononcer de la résolution du plan.
Une seule condition de fond est alors requise : la caractérisation de la cessation des paiements (v. not. : Com. 9 sept. 2020, n° 18-23615 ; Com. 2 juin 2021, n° 20-14101), qui doit être constatée au cours de l'exécution du plan comme au jour où la cour d'appel statue (v. not. : Com. 8 janv. 2020, n° 18-16295 ; Com. 1er juill. 2020, n° 18-23552). Cela suffit à justifier la résolution du plan et le prononcé concomitant de la liquidation judiciaire, et ce alors même que le débiteur aurait régularisé tous les dividendes impayés (Com. 8 mars 2017, n° 15-17691 ; Com. 8 janv. 2020, n° 18-16.295). Les juges n'ont donc pas à rechercher si le plan a été, ou non, correctement exécuté par le débiteur (Com. 8 mars 2017, précité).
Surtout, dans cette seconde hypothèse de résolution de plan, lorsque celui-ci est un plan de redressement (et non de sauvegarde), l'article L. 631-20- 1, devenu L. 631-20, du code de commerce depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 15 septembre 2021, impose aux juges d'ouvrir d'une liquidation judiciaire (Com. 30 juin 2015, n° 14-16544), sans qu'il soit nécessaire qu'ils caractérisent l'impossibilité manifeste du redressement, à l'inverse de ce qu'exige l'article L. 640-1 en cas d'ouverture d'une liquidation judiciaire dans des conditions « classiques » (Com. 30 juin 2015, n° 14-16543).
Par ailleurs, l'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme « l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. »
Le passif exigible comprend l'ensemble des dettes certaines, liquides et exigibles, soit, en principe, toutes les dettes échues au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective, même si elles ne sont pas effectivement exigées.
Quant à l'actif disponible, il s'entend de l'actif utilisable ou réalisable immédiatement, ou réalisable à très court terme. En sont donc exclus les actifs réalisables à terme, dont la cession nécessite du temps et des formalités administratives, tels que la valeur du stock de marchandises (Com. 17 mai 1989, Bull. n° 152), le chiffre d'affaires et le résultat (Com. 26 mars 2013, n° 12-13391). L'absence d'actif disponible peut être déduite, notamment, de l'échec des voies d'exécution pratiquées par un créancier contre le débiteur (v. par ex. : Com. 13 sept. 2017, n° 16-16857 ; Com. 16 janv. 2019, n° 17-18450, publié), ou encore de la circonstance que le débiteur n'a lui-même invoqué, dans ses conclusions, aucun actif disponible pour faire face à son passif exigible (v. par ex. : Com. 5 mai 2015, n° 14-13935 ; Com. 2 nov. 2016, n° 14-18352 ; Com. 14 mars 2018, n° 16-24775).
En l'espèce, le litige trouve sa source dans le fait que les répartitions à opérer au profit de la banque pour le remboursement de ses créances relatives aux prêts, en exécution du plan arrêté en 2017, n'ont pu être exigées de M. [X] qu'à compter de 2022, après qu'il a été statué définitivement sur l'admission de ces créances par un arrêt de la présente cour d'appel, conformément à l'article L. 626-21, alinéa 3, du code de commerce, ce qui a conduit le commissaire à l'exécution du plan à demander au débiteur un 'rappel' de dividendes échus.
Pour prononcer la résolution du plan et ouvrir la liquidation judiciaire de M. [X], les premiers juges ont retenu l'existence d'un état de cessation des paiements. Le prononcé de la résolution du plan est donc fondé sur la seconde hypothèse de résolution précédemment rappelée. Il s'ensuit que, si la cessation des paiements se vérifiait en cause d'appel :
- d'une part, la résolution du plan s'imposerait à la cour d'appel comme aux premiers juges, sans que la loi leur laisse le moindre pouvoir d'appréciation sur ce point, contrairement à ce que soutient M. [X] ;
- d'autre part, M. [X] ayant bénéficié d'un plan de redressement, la résolution de ce plan pour cause de cessation des paiements obligerait la cour d'appel à ouvrir une liquidation judiciaire, en application l'article L. 631-20-1, devenu L. 631-20, du code de commerce, tel que l'ont décidé les premiers juges.
Il résulte du plan de redressement arrêté au profit de M. [X] le 23 novembre 2018 que les dividendes, prévus sur 15 ans, sont payables comme suit :
- 1% la 1re année ;
- 2% la 2e année ;
- 5% de la 3e à la 10e année ;
- 10% de la 11e à la 13e année ;
- 12% la 14e année ;
- et 15% la 15e année.
Il est constant que, bien que le premier dividende fût exigible à compter du 23 novembre 2019, les dividendes suivants ont été automatiquement reportés de trois mois en application des mesures gouvernementales prises à l'occasion de la pandémie liée au Covid-19 et qu'à compter de 2021, les dividendes sont devenus exigibles le 23 février de chaque année.
En premier lieu, selon les propres calculs opérés par M. [X] (pp. 14-15 de ses conclusions), les dividendes échus entre 2019 et 2024 et dus à la banque au titre de sa créance relative aux prêts notariés de 2003 et 2007 s'élèvent aux sommes suivantes, en ce compris les intérêts recalculés :
' pour le premier dividende échu le 23 novembre 2019 : 4 271,52 euros ;
' pour le deuxième dividende échu le 23 février 2021 : 9 015,04 euros ;
' pour le troisième dividende échu le 23 février 2022 : 23'478,44 euros ;
' pour le quatrième dividende échu le 23 février 2023 : 24'419,03 euros ;
' pour le cinquième dividende échu le 23 février 2024 : 25'359,62 euros ;
Soit un total de 86'543,69 euros.
Par ailleurs, M. [X] indique, sans être démenti par l'une ou l'autre des intimées, qu'il a payé une « avance » de 26'901,26 euros à ce titre.
Ainsi, abstraction faite du montant des intérêts tel que calculé par le commissaire à l'exécution du plan - que l'appelant conteste -, la différence entre le montant total des dividendes échus et non contestés avant le jugement entrepris et le montant de l'avance payée par le débiteur s'élève à 59 642,43 euros (86'543,69 - 26'901,26). Cette somme, qui constitue un passif exigible incontestablement dû par le débiteur étant déterminée sur la base des propres calculs et déclarations de M. [X], c'est à mauvais escient que ce dernier objecte (p. 15 de ses conclusions) qu'il ne peut lui être demandé de 'verser encore la somme de 60'000 euros' tant que n'est pas tranchée la question du calcul des 'intérêts au plan'.
Par conséquent, nonobstant les autres dettes professionnelles de M.[X], son passif exigible s'élevait, au jour du jugement d'ouverture entrepris comme au jour où la cour d'appel statue, au moins à la somme de 59 642,43 euros, au titre des prêts bancaires.
En second lieu, il ressort des bilans comptables produits par M. [X] (ses pièces n° 17 et 36) que, bien que ses disponibilités s'élevaient à 8 621 euros au 31 mars 2023 (pièce n° 17 de l'appelant), elles ont diminué pour atteindre la somme de 480 euros au 31 mars 2024. Le commissaire à l'exécution du plan indique, sans être démenti sur ce point, qu'au 5 juin 2024, le compte professionnel de M. [X] présentait un solde positif de 200 euros. Il ne ressort pas des pièces versées aux débats en cause d'appel qu'il existerait un autre actif disponible, ni que le solde du compte bancaire professionnel de M. [X] aurait augmenté entre le 5 juin 2024 et le 17 octobre 2024, date du jugement d'ouverture entrepris, ni à la date du présent arrêt, M. [X] n'ayant pas déféré à la demande de communication des éléments relatifs à ses comptes bancaires que le commissaire à l'exécution du plan lui a envoyée par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception signée par le débiteur le 14 janvier 2025 (v. la pièce n° 25 de la société WRA). En tout état de cause, aucune des pièces versées aux débats ne démontre que l'actif disponible serait au moins égal au montant du passif exigible incontestable, qui s'élève à 59 642,43 euros.
Il découle donc de ces seuls motifs que l'état de cessation des paiements de M. [X] est caractérisé au cours du plan, la cessation des paiements étant établie à la date du jugement d'ouverture entrepris et à la date à laquelle du présent arrêt. Par voie de conséquence, il résulte de la combinaison des articles L. 626-27, I, alinéa 3, et L. 631-20-1, devenu L. 631-20, du code de commerce - ce dernier texte étant applicable en la cause, le jugement d'ouverture à prendre en compte étant celui prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire, qui est une nouvelle procédure, et non le jugement ouvrant le redressement judiciaire ayant abouti à l'arrêté du plan - , que la cour d'appel est obligée de prononcer la résolution le plan de redressement de M. [X] et de mettre l'intéressé en liquidation judiciaire.
Les demandes de M. [X] tendant, à titre principal, à ce qu'il soit jugé que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé et, subsidiairement, à ce qu'il n'y ait lieu à ouverture d'une liquidation judiciaire faute d'inexécution suffisamment grave du plan, ne peuvent donc qu'être rejetées et le jugement confirmé en ce qu'il a résolu le plan de redressement et ouvert la liquidation judiciaire.
A titre surabondant et purement informatif, eu égard au contentieux ayant opposé le débiteur et le commissaire à l'exécution du plan sur le calcul des intérêts de la créance de la banque, il sera précisé que la résolution du plan et l'ouverture de la liquidation judiciaire auront pour effet de rendre exigible la totalité de cette créance et imposera de recalculer les intérêts échus depuis la décision d'admission, en tenant compte des dividendes déjà payés par le débiteur.
Par ailleurs, le jugement entrepris ayant déjà autorisé la poursuite d'activité jusqu'à la fin du mois de mars 2025, la demande infiniment subsidiaire formée par M. [X] s'analyse en une demande de confirmation du jugement de ce chef. En l'absence de toute critique des intimées à cet égard, le jugement sera donc confirmé.
Enfin, succombant, M. [X] doit être condamné aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
- REJETTE les demandes de M. [X] tendant, à titre principal, à ce qu'il soit jugé que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé et, subsidiairement, à ce qu'il n'y ait pas lieu à ouverture d'une liquidation judiciaire faute d'inexécution suffisamment grave du plan ;
- En conséquence, CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
- CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot