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Décisions

CA Papeete, ch. cabinet d, 22 mai 2025, n° 23/00262

PAPEETE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Banque de Polynésie (SA)

Défendeur :

Banque de Polynésie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boudry

Vice-président :

Mme Boudry

Conseillers :

M. Sekkaki, Mme Martinez

Avocats :

Me Tang, Me Piriou

T. mixte com. Papeete, du 16 juin 2023, …

16 juin 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Par requête reçue au greffe le 7 février 2018, la Banque de Polynésie a saisi le tribunal mixte de commerce de Papeete aux fins d'obtenir la condamnation solidaire de M. [J] [F] et de Mme [T] [I] à la somme de 5 060 139 xpf au titre de leur engagement de caution solidaire des engagements souscrits par la Sarl LBSM et notamment du crédit moyen terme n°232438 frais et intérêts provisoirement arrêtés au 28 décembre 2017 eu courant à compter de cette date au taux de 8,5% outre intérêts sur intérêts.

Par jugement en date du 16 juin 2023, le tribunal mixte de commerce a :

Condamné solidairement [T] [I] et M. [J] [F] à payer à la Banque de Polynésie conjointement et solidairement, la somme de 3 634 070 xpf en principal, frais outre les intérêts courant au taux légal à compter du 2 février 2018 et ce jusqu'à complet paiement, au titre de leur engagement de caution au bénéfice de la société LBSM,

Rejetté et débouté l'ensemble des moyens et prétentions présentés par Mme [T] [I] et M. [J] [F],

Ordonné l'exécution provisoire,

Condamné conjointement et solidairement Mme [T] [I] et M. [J] [M] à payer à la Banque de Polynésie la somme de 250 000 xpf au titre des frais irrépétibles,

Condamné conjointement et solidairement Mme [T] [I] et M. [J] [F] aux dépens, distraction au profit de la Selarl Jurispol.

Le tribunal pour l'essentiel a retenu la justification de la déclaration de créances produite par la Banque de Polynésie auprès du liquidateur judiciaire. Il a en outre écarté l'applicabilité de la loi de pays du 11 août 2006 à l'engagement de caution de Mme [T] [I] qui a agi dans le cadre de ses activités professionnelles, de même que l'existence d'un dol, madame [T] [I] disposant de toute l'information suffisante poour s'engager et alors que celle ci opère en tout état de cause une confusion entre l'existence d'un dol et le moyen tiré d'une faute de l'établissement bancaire pour manquement à son obligation de mise en garde. Le tribunal a enfin considéré Mme [T] [I] comme une caution avertie et qu'il n'était pas démontré l'existence d'un soutien abusif de la banque tout comme une disproportion entre les revenus et biens de la caution et son engagement.

Par requête enregistrée au greffe le 4 septembre 2023, Mme [T] [I] a relevé appel de la décision et sollicite de la cour de :

Dire l'appel recevable et bien fondé,

Infirmer le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce le 16 juin 2023,

Statuant à nouveau

A titre principal

Constater que la Banque de Polynésie n'a pas régulièrement déclaré sa créance au passif de la société LBSM,

Dire et juger recevable l'action de la Banque de Polynésie à son encontre,

Dire et juger nul et de nul effet son cautionnement en date du 17 janvier 2012 pour garantir le crédit accordé à la Sarl LBSM,

Condamner la Banque de Polynésie à lui payer la somme de 300 000 xpf au titre des frais irrépétibles et des dépens avec distraction d'usage au bénéfice de la Selarl Vaiana Tang et Sophie Dubau,

A titre subsidiaire,

Dire et juger nul et de nul effet son cautionnement en date du 17 janvier 2012 pour garantir le crédit accordé à la Sarl LBSM,

Dire et juger manifestement disproportionné le cautionnement accordé,

Constater la faute de la Banque de Polynésie,

En conséquence, la condamner à lui payer la somme de 200 000 xpf à titre de dommages et intérêts,

Ordonner la compensation des créances réciproques susceptibles d'exister entre les parties,

Dire et juger manifestement disproportionné le cautionnement accordé,

Débouter la Banque de Polynésie de l'ensemble des demandes dirigées contre elle en qualité de caution solidaire de la société LBSM,

Condamner la Banque de Polynésie à lui payer la somme de 200 000 xpf au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens d'instance au profit de la Selarl Vaiana Tang et Sophie Dubau représentée par Me Vaiana Tang.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que la déclaration produite par la Banque de Polynésie ne permet pas de vérifier la régularité de celle ci. Elle soutient en outre qu'au regard tant des dispositions de l'article 1326 du code civil que des articles 53 et suivants de la loi du pays 2016-28 du 11 août 2026, applicables à tout engagement de caution de personne physique même contracté antérieurement envers un créancier professionnel peu importante la qualité d'associé et de gérant de la société, son engagement de caution est nul faute de comporter les mentions manuscrites exigées par les textes susvisés et alors qu'il n'a pas par ailleurs été régularisé dans les 12 mois de l'entrée en vigueur de la loi du 11 août 2006 conformément à l'article 74 de la dite loi. Elle fait valoir en outre que cet engagement de caution est nul également en raison de la réticence dolosive de l'établissement bancaire à son égard concernant la situation irrémédiablement compromise de la société LBSM que la banque de Polynésie se devait d'analyser plutôt que de soutenir par un financement abusif prolongeant artificiellement la vie de la société et engageant en tant que telle sa responsabilité délectuellement à son égard sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. Elle soutient que la Banque aurait dû en tout état de cause en sa qualité de caution non avertie la mettre en garde sans que sa qualité de gérante ne puisse lui donner la qualité de caution avertie, étant simple salariée depuis 20 ans sans compétence particulièrement pour évaluer les risques liés à l'acte de cautionnement au regard de sa capacité financière. Enfin, elle fait valoir le caractère manifestement disproportionné de son cautionnement au regard de ses revenus et charges au jour de la souscription de l'engagement de caution.

Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 26 avril 2024, la Banque de Polynésie sollicite au visa des articles 1134 et 1147 du code civil de :

Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de Mme [T] [I],

Débouter Mme [T] [I] de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions,

Confirmer le jugement du 16 juin 2023 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamner Mme [T] [I] à payer à la Banque de Polynésie la somme de 250 000 xpf au titre des frais irrépétibles par application de l'article 407 du code de procédure civile,

Les condamner conjointement et solidairement aux entiers dépens dont distraction d'usage au profit de la Selarl Jurispol.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir la justification de la régularité de sa déclaration de créance et l'applicabilité de l'article L621-48 du code de commerce permettant d'établir que son action est recevable. Elle soutient en outre que les dispositions relatives au cautionnement de loi de Pays du 11 août 2006 ne sont pas d'ordre public et rétroactives et ne sont donc entrées en vigueur que postérieurement à l'acte d'engagement de caution de M. [J] [F] et de Mme [T] [I] et même à la date où la dette est devenue exigible. Elle soutient que l'acte de caution de Mme [T] [I] est conforme aux dispositions de l'article 1326 du code civil lesquelles ne sont pas en tout état de cause une condition de validité de l'acte mais un élément de preuve. Elle soutient par ailleurs que Mme [T] [I] détenait avec son compagnon M. [J] [F] 50 % des parts sociales tout en exercçant avec ce dernier une cogérance de la société de sorte qu'elle était nécessairement informée de la situation financière de son entreprise ce qui résulte d'ailleurs expréssément de l'acte de prêt. Par ailleurs, l'appelante confond le dol et le manquement à un devoir d'information et de conseil qui ne consiste non en une nullité de l'acte de cautionnement mais en l'allocation de dommages et intérêts. Elle conteste tout soutien abusif de la société LBSM en ce que celle ci qui a exploité pendant 08 ans un restaurant situé à [Localité 4] sans difficulté, l'objet financement étant non seulement de consolider le découvert sur le compte passé débiteur en 2012 mais aussi de réaliser des travaux pour dynamiser l'activité de sorte que la situation de la société n'était pas irrémédiablement compromise ce qu'admet l'appelante dans l'acte de prêt que dans ses écritures. La Banque de Polynésie fait par ailleurs valoir que Mme [T] [I] ne peut être considérée comme une caution non avertie au regard de ses qualités de gérante, associée et d'emprunteuse avertie en ce qu'elle a au nom de la société obtenu deux prêts outre un découvert autorisé en compte courant et qu'elle a souscrit également un prêt immobilier et qu'elle n'était donc tenue à son égard à aucun devoir de mise en garde et ce d'auant qu'elle ne disposait pas d'informations sur la société que Mme [T] [I] n'avait pas elle même et qu'il n'est pas démontré que le prêt d'un montant de 5 500 000 xpf avec des échéances de 166 077 xpf étaient disproportionnées à l'activité de la société LBSM. Enfin, elle conteste toute disproportion du cautionnement aux biens et revenus de l'appelante qui passe sous silence un certain nombre de revenus lesquels résultent de ses comptes produits en première instance et alors que le terrain sur lequel elle habite avait en 2001 une valeur de 8 000 000 xpf.

M. [J] [F] n'a pas conclu ni constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2025.

MOTIFS

Sur les constatations à dire et juger

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de "constatations" ou à "dire et juger" qui ne constituent pas, en l'espèce, des prétentions susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.

Sur la demande d'irrecevabilité de l'action de la Banque de Polynésie

Selon l'article L. 621-46 du code de commerce, à défaut de déclaration dans les délais fixés par décret en Conseil d'Etat, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait. En ce cas, ils ne peuvent concourir que pour la distribution des répartitions postérieures à leur demande

La forclusion n'est pas opposable aux créanciers mentionnés dans la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-43, dès lors qu'ils n'ont pas été avisés personnellement.

L'action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai d'un an à compter de la décision d'ouverture ou, pour les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-4 du code du travail, de l'expiration du délai pendant lequel les créances résultant du contrat de travail sont garanties par ces institutions. L'appel de la décision du juge-commissaire statuant sur le relevé de forclusion est porté devant la cour d'appel.

Les créances qui n'ont pas été déclarées et n'ont pas donné lieu à relevé de forclusion sont éteintes.

Par ailleurs selon l'article L622-48 alinéa 2du code de commerce, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation toute action contre les cautions personnelles personnes physiques. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans.

En l'espèce, il est constant des pièces produites aux débats que la société LBSM a été placée en redressement judiciaire par jugement du 24 juin 2013 puis en liquidation judciaire par jugement du 27 octobre 2014.

La Banque de Polynésie justifie de sa déclaration de créances par une copie de la dite déclaration adressée à Me [L] [N], représentant des créanciers désigné dans le jugement du 24 juin 2013 avec copie de l'accusé de réception signé le 02 septembre 2013.

Le jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire, l'action contre Mme [T] [I] en sa qualité de caution est par conséquent recevable.

C'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté la prétention de Mme [T] [I] aux fins d'irrecavbilité de l'action de l'établissement bancaire.

Sur la nullité alléguée de l'acte de cautionnement

* sur la nullité alléguée en raison des mentions omises dans l'acte de cautionnement

Selon l'article 1326 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française,

le billet ou la promesse sous seing privé par lequel une seule partie s'engage envers l'autre à lui payer une somme d'argent ou une chose appréciable, doit être écrit en entier de la main de celui qui le souscrit ; ou du moins il faut qu'outre sa signature il ait écrit de sa main un bon ou un approuvé portant en toutes lettres la somme ou la quantité de la chose.

Comme le relève à juste titre l'intimée, l'article 1326 du code civil est une régle de preuve et non de validité de l'acte sous seing privé. Par ailleurs, conformément à cet article, l'engagement de caution de Mme [T] [I] comporte bien le montant de l'engagement manuscrit de celle ci avec la somme écrite en chiffres et en lettres.

La loi de pays 2016-28 en date du 11 août 2006, dans son article 54 dispose que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : 'En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même.'

Cet article similaire aux anciens articles L.331-1 et L331-2 du code de la consommation ne s'applique pas uniquement au consommateur tel que défini par l'article 1 de la dite loi mais à toute personne physique qui s'engage en qualité de caution envers un créancier professionnel et s'applique donc même à un cautionnement commercial sousscrit par un dirigeant de société pour les besoins de celle ci.

Selon l'article 2 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française, la loi ne dispose que pour l'avenir. Elle n'a point d'effet rétroactif.

Selon l'article 74 de la dite loi, celle ci, les dispositions de la présente loi du pays entrent en vigueur au premier jour du sixième mois suivant sa promulgation. Toutefois, pour les contrats en cours, les dispositions de la présente loi du pays s'appliquent au premier jour du douzième mois suivant sa promulgation.

Contrairement au moyen soulevé par la Banque de Polynésie, et en application de la décision 2004-490 du Conseil constitutionnel du 12 février 2004, il n'y a pas que les dispositions d'ordre public des lois de pays qui peuvent s'appliquer aux contrats en cours mais lorsque l'intérêt général le justifie.

En tout état de cause, les dispositions de la loi y compris d'ordre public qui s'appliquent aux contrat en cours ne concernent que l'exécution du contrat et non la formation du contrat et ne peut donc frapper de nullité des actes valablement passés avant sa promulgation.

Le contrat de cautionnement ayant été souscrit par Mme [T] [I] le 17 janvier 2012 soit bien antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de pays du 11 août 2016 promulguée le 11 août 2016 et applicable aux contrats en cours le 1er septembre 2017 aux contrats déjà souscrits, n'était donc pas soumis aux exigences de l'article 54 de la dite loi.

C'est à juste titre que le jugement a rejeté la demande en nullité de Mme [T] [I] à ce titre.

* sur la nullité alléguée en raison de la réticence dolosive de la banque sur la situation de la société LBSM

Selon l'article 116 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

L'existence d'un dol peut être déduite du silence volontairement gardé par un cocontractant, indépendamment de l'existence d'un devoir d'information et de conseil.

Dans le cas particulier du cautionnement, il est admis aujourd'hui que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence, la banque qui, sachant la situation de son débiteur irrémédiablement compromise ou, à tout le moins, lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l'incitant ainsi à s'engager.( par ex. Com. 16 juin 2015, no 14.10.375.).

En l'espèce, Mme [T] [I] fait part sans en justfier, les relevés de compte dont il est fait dans la requête d'appel n'étant pas produit aux débats, que la société LSBM a fonctionné en position créditrice pendant de nombreuses années sans aucun incident de paiement avant de passer suite à des difficultés en position débitrice.

Cet élément qui n'est pas contesté par la Banque de Polynésie était toutefois nécessairement connue de Mme [T] [I] dont il n'est pas contesté qu'elle a occupé pendant plus de 08 ans la fonction de gérante outre la qualité d'associée telle que cela résulte des statuts de la société même si la pièce n°1 de la Banque de Polynésie relative à la décision de l'assemblée générale en date du 28 décembre 2004 n'est pas produite aux débats.

En l'absence de toute autre pièce produite aux débats, il n'est pas démontré l'existence d'une situation irrémédiablement compromise, laquelle ne peut se déduire du placement en redressement judiciaire un an et demi après.

C'est à juste titre que le jugement a rejeté la demande en nullité de Mme [T] [I] à ce titre.

Sur la responsabilité de la Banque de Polynésie

* Sur le financement allégué d'une situation irrémédiablement compromise

Selon l'article 1382 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui à dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le soutien abusif peut se définir comme le fait pour un établissement de crédit de soutenir financiérement un client en lui accordant des concours financiers ou un crédit ruineux alors qu'il a connaissance de sa situation irrémédiablement compromise.

Deux conditions doivent donc être justifiées par le débiteur : la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal et la connaissance par la banque de cette situation désespérée.

La situation irrémédiablement compromise apparaît quand l'entreprise est de mannière irréversible dans l'impossibilité de poursuivre son exploitation.

En l'espèce, Mme [T] [I] qui ne verse aucune pièce à l'appui de sa requête d'appel, ne justifie pas de la situation irrémédiablement compromise de la société LBSM dont elle reconnaît qu'elle a parfaitement fonctionné pendant 08 ans et qui devait par ce financement pour se réorganiser tant par l'apurement de la situation financiére que par la réalisation de travaux.

C'est à juste titre que le premier juge a rejeté cette prétention de Mme [T] [I] et le jugement sera confirmé sur ce point.

* Sur le manquement allégué au devoir de mise en garde de l'engagement du risque d'endettement né de l'octroi du crédit

Il est de principe que l'établissement bancaire doit mettre en garde la caution quant à sa capacité financière et quant aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts au débiteur principal (Cass., ch. mixte, 29 juin 2007, no 05-21.104 ).

La jurisprudence réserve cependant cette mise en garde aux cautions profanes, excluant les cautions averties du bénéfice de cette protection, sauf si la caution avertie parvient à démontrer que la banque disposait d'informations qu'elle-même ignorait, notamment sur la situation financière et les capacités de remboursement du débiteur principal (V. par ex. : Com. 15 déc. 2009, no 08-20.702 ) .

Généralement le profane, le non averti se reconnaît dans son inaptitude à évaluer lui-même les riques de l'opération financée par l'emprunt prédendu excessif. Cette qualité s'apprécie non seulement au regard de son niveau de qualification et de son expérience des affaires mais aussi de la complexité envisagée et de son implication personnelle dans l'affaire.

Il est à cet égard de jurisprudence constante que la qualité de caution averte ne peut se déduire de la seule qualité de dirigeant et associé de la société débitrice ( Cass com 22 mars 2016, n°14-20216).

Il appartient au créancier de démontrer que le dirigeant caution est une caution avertie au regard de ses compétences et expériences.

En l'espèce, c'est à juste titre que l'établissement bancaire fait état de la qualité de gérante et associée de Mme [T] [I] mais également de son expérience, celle ci ayant contracté pour elle même et sa société quatre prêts et un découvert autorisé en compte courant. Il est par ailleurs indiqué qu'elle a été salariée d'une entreprise pendant 20 ans et gérante pendant plusieurs années de la société LBSM.

Il n'est pas démontré par ailleurs que l'opération était d'une particulière complexité s'agissant d'un crédit contracté aux fins d'assainir la situation financière de l'entreprise par le remboursement anticipé de deux prêts et le comblement du découvert autorisé outre le financement de travaux.

Au regard de la durée de l'exercice de son mandat en qualité de gérante, des crédits déjà contractés pour l'entreprise et pour elle même ainsi des modalités de l'opération, c'est à juste titre que le tribunal mixte de commerce a considéré Mme [T] [I] comme une caution avertie.

Mme [T] [I] ne rapporte pas la preuve que la banque disposait par ailleurs de plus d'informations qu'elle même en avait.

Il n'est ainsi pas démontré un manquement de la banque au titre de son devoir de mise en garde.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la prétention de Mme [T] [I] à ce titre.

Sur le caractère manifestement disproportionné du cautionnement de Mme [T] [I]

Selon l'article LP.56 de la loi du Pays n°2016-28 du 11 août 2016 relative à la protection des consommateurs, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne phyisque dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Ainsi qu'il a déjà été rappelé au titre de les demandes en nullité, le contrat de cautionnement ayant été souscrit par Mme [T] [I] le 17 janvier 2012 soit bien antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de Pays du 11 août 2016 promulguée le 11 août 2016 et applicable aux contrats en cours le 1er septembre 2017 aux contrats déjà souscrits, n'était donc pas soumis au moment de sa formation aux exigences de l'article 56 de la dite loi.

Si Mme [T] [I] dans ses moyens ne sollicite que l'application de l'article LP.56 de la loi de pays, dans son dispositif elle sollicite à titre subsidiaire de dire et juger manifestement disproportionné le cautionnement qui lui a été accordé, de constater la faute de la banque de Polynésie et en conséquence la condamner à payer à Mme [T] [I] la somme de 2 millions de francs pacifiques, de sorte qu'il doit être retenu qu'elle fonde sa demande en responsabilité de l'établissement bancaire également à ce titre.

Il est effectivement de jurisprudence constante avant l'entrée en vigueur de la loi de Pays que si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, la responsabilité du créancier est engagée et peut donner lieu à des dommages et intérêts.

L'appréciation de la proportionnalité doit prendre en compte les biens et revenus de la caution, ainsi qu'y invite le texte, y compris les comptes courants d'associés.

La cour a précisé que la disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c'est-à-dire, en l'espèce, aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement. Doit également être pris en considération l'endettement global de la caution au moment de la conclusion de la sûreté.

En l'espèce, il est constant que la Banque de Polynésie a accordé un concours d'un montant global de 5 500 000 xpf à la société LBSM.

Il est également admis que seule Mme [T] [I] travaillait dans le couple et que celui ci avait deux enfants à charge.

Cependant comme le relève à juste titre l'établissement bancaire et alors que Mme [T] [I] ne verse aucune pièce en cause d'appel, l'analyse des comptes bancaires fait apparaître que celle ci a perçu entre janvier et octobre 2011, une moyenne mensuelle de 467'010,1 xpf à titre de salaire outre la somme de 60 000 xpf au titre de son compte courant associé et des virements réguliers par remise de chèque de 80 000 xpf. Il n'est pas contesté non plus qu'elle est propriétaire d'une maison d'habitation à [Localité 5] dont le seul terrain valait en 2001, 8 000 000 xpf.

Elle assumait outre les charges de la vie courante et un crédit immobilier de 109 668 xpf.

Si un courrier de la banque en date du 16 décembre 2011 fait état d'un réaménagement de la durée de prêt, il n'est pas fait état pour autant d'incidents de paiement.

Il n'est ainsi pas démontré le caractére manifestement disproportionné du cautionnement et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes à ce titre.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Mme [T] [I] qui succombe à titre principal sera condamnée aux dépens.

Il est par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de la Banque de Polynésie ses frais irrépétibles que Mme [T] [I] sera condamnée à lui payer à hauteur de 150 000 xpf.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française au bénéfice de Mme [T] [I]. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de celle ci à ce titre et sa demande en appel sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette toutes prétentions plus amples et contraires ;

Condamne Mme [T] [I] à payer à la Banque de Polynésie la somme de 150 000 xpf au titre de ses frais irrépétibles,

Condamne Mme [T] [I] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la Selarl Jurispol qui en fait la demande.

Prononcé à [Localité 6], le 22 mai 2025.

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