CA Bordeaux, 4e ch. com., 14 mai 2025, n° 23/01784
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Maaf Assurances (SA)
Défendeur :
Adimed (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Bayle, Me Gajja-Benfeddoul
EXPOSE DU LITIGE :
1. Par contrat du 15 janvier 2020, la société d'exercice libéral Adimed a confié à la société par actions simplifiée Bord'eau Plomberie divers travaux dont en particulier l'installation d'un système de climatisation au sein d'un cabinet d'ophtalmologie situé à [Localité 3].
Le 5 octobre 2020, la société Adimed a signé le procès-verbal de réception des travaux, sans émettre de réserve.
En raison de dysfonctionnements de la climatisation, la société Bord'eau Plomberie est intervenue, sans résultat.
Par courrier du 7 septembre 2021, la société Adimed a vainement mis en demeure la société Bord'eau Plomberie de finir les travaux, mise en demeure renouvelée le 13 septembre suivant par son conseil.
Par acte du 25 novembre 2021, la société Adimed a assigné la société Bord'eau Plomberie devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes.
Par jugement réputé contradictoire prononcé le 5 mai 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a condamné la société Bord'eau Plomberie à payer à la société Adimed la somme de 7'936,83 euros au titre du coût des travaux de reprise de l'installation défectueuse et 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance.
2. La société Adimed a assigné la société MAAF Assurances, assureur décennal de la société Bord'eau Plomberie, par acte de commissaire de justice du 12 août 2022 devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Par jugement du 16 mars 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- Débouté la société MAAF Assurances SA de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamné la société MAAF Assurances SA à payer à la société Adimed SELARL les sommes suivantes :
7'936,83 euros au titre de la facture de climatisation ;
2000 euros au titre du préjudice de jouissance
- Condamné la société MAAF Assurances à payer à la société Adimed SARL la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit que l'exécution provisoire est de droit ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Condamné la société MAAF Assurances SA aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe du 12 avril 2023, la SA MAAF Assurances a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SELARL Adimed.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
3. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 10 juillet 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la compagnie MAAF demande à la cour de :
Vu les articles 1792 et suivants du code civil,
Vu l'article 16 du code de procédure civile,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Vu le jugement du tribunal de commerce du 5 mai 2022,
Vu le jugement du tribunal de commerce du 16 mars 2023,
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 mars 2023 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
- Débouté la société MAAF Assurances SA de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamné la société MAAF Assurances SA à payer à la société Adimed SELARL les sommes suivantes :
7'936,83 euros au titre de la facture de climatisation ;
2000 euros au titre du préjudice de jouissance
- Condamné la société MAAF Assurances à payer à la société Adimed SELARL la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit que l'exécution provisoire est de droit ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Condamné la société MAAF Assurances SA aux entiers dépens de l'instance.
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal,
- Juger que la SELARL Adimed ne justifie pas de la réalité des désordres et de leur nature.
- Juger que la SELARL Adimed ne justifie pas du quantum de ses demandes indemnitaires.
En conséquence,
- Débouter la SELARL Adimed de l'ensemble des demandes formulées à l'encontre de la Compagnie MAAF Assurances.
A titre subsidiaire,
- Juger que la garantie responsabilité civile décennale de la compagnie MAAF Assurances n'est pas mobilisable.
En conséquence,
- Débouter la SELARL Adimed de l'ensemble des demandes formulées à l'encontre de la compagnie MAAF Assurances.
A titre infiniment subsidiaire,
Si par extraordinaire, la nature décennale des désordres était retenue,
- Juger que le contrat de la compagnie MAAF Assurances ne garantit pas le préjudice de jouissance qui ne serait pas de nature pécuniaire.
En conséquence,
- Débouter la SELARL Adimed de sa demande de règlement au titre de son préjudice de jouissance.
- A défaut, déduire la franchise opposable d'un montant de 1'200 euros des sommes mises à la charge de la compagnie MAAF Assurances.
En tout état de cause
- Condamner la SELARL Adimed à restituer les sommes versées par la compagnie
MAAF Assurances dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement de première
instance.
- Condamner la SELARL Adimed au paiement de la somme de 3'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
***
4. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 6 février 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la SELARL Adimed demande à la cour de :
Vu les articles L. 113-5, L.124-1 et L.124-3 du code des assurances,
Vu les articles 1792 et suivants du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux 16 mars 2023,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 mars 2023,
- Débouter la MAAF Assurances SA de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner la MAAF Assurances SA à payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 février 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la responsabilité de la société Bord'eau Plomberie
5. La société Maaf Assurances fait grief au jugement déféré de l'avoir condamnée à prendre en charge la reprise des désordres dont se plaint la société Adimed et soutient d'une part qu'il n'a été réalisé aucune constatation des désordres allégués, ni par voie amiable ni par un commissaire de justice.
L'appelante indique qu'il est de principe qu'une expertise amiable ne saurait suffire à démontrer la réalité d'un désordre et son imputabilité aux travaux de la société Bord'eau Plomberie, son assurée ; que les courriels et le devis d'une entreprise sollicitée par l'intimée elle-même ne sauraient suffire à cet égard ; que le montant de la demande n'est pas davantage explicité.
6. Au visa de l'article L.124-3 du code des assurances, la société Adimed répond qu'il est de principe qu'un jugement ayant reconnu un assuré responsable sur le fondement de la garantie décennale est opposable à l'assureur qui n'était pas partie à l'instance initiale ; que, au surplus, la réalité des désordres et le montant des travaux nécessaires -ici le remplacement intégral du système de climatisation- sont dûment et précisément justifiés.
Sur ce,
7. L'article L.124-3 du code des assurances dispose :
« Le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.
L'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.»
Il est constant en droit que, bien que l'assureur n'ait pas été appelé à l'instance en responsabilité conduite contre son assuré, la décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur, dans ses rapports avec la victime, la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est, dès lors, à ce titre, opposable lorsque cette victime exerce son action directe ; que la dette de responsabilité de l'assuré est acquise en son principe comme en son montant et que l'assureur ne peut plus contester sa garantie qu'au regard des stipulations de sa police.
8. Par jugement réputé contradictoire prononcé le 5 mai 2022, dont il n'est pas discuté qu'il est devenu irrévocable, le tribunal de commerce de Bordeaux a, sur le fondement de la responsabilité décennale de la société Bord'eau Plomberie, condamné celle-ci à payer à la société Adimed la somme principale de 7.936,83 euros.
En exécution de ce jugement, la société Adimed a vainement fait procéder en octobre 2022 à une saisie de deux comptes bancaires de la société Bord'eau Plomberie.
9. Il résulte de ces éléments que le principe de l'imputabilité des désordres à la société Bord'eau Plomberie et le montant de l'indemnisation des préjudices qui en découlent sont aujourd'hui opposables à la société Maaf Assurances, son assureur.
Sur la garantie de l'assureur
10. La société Maaf Assurances soutient que sa garantie n'est pas mobilisable en l'espèce. Elle explique que la société Bord'eau Plomberie a conclu un contrat garantissant sa responsabilité civile décennale pour l'exercice des activités de plomberie et installations sanitaires et de salles de bain et installation thermique de génie climatique ; que sa garantie n'a donc vocation à être mobilisée que pour les désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination ou portant atteinte à la solidité de l'ouvrage, conformément à l'article 1792 du code civil ; que ce n'est pas le cas lorsque le désordre était apparent lors de la réception de l'ouvrage et lorsque le désordre a fait l'objet d'une réserve à la réception ; que, de plus, cette garantie n'est pas mobilisable pour les désordres apparus durant l'année de parfait achèvement.
L'appelante fait valoir que la société Adimed indique elle-même dans son assignation que l'installation de climatisation n'a jamais fonctionné ; qu'il en résulte que le dysfonctionnement allégué existe depuis la réception de l'installation le 5 octobre 2020, ce qui était apparent ; que, dès lors, la réception sans réserve de ce désordre apparent exonère la société Maaf Assurances de toute application de sa garantie.
11. La société Adimed répond que le Docteur [H] [J], médecin spécialiste en ophtalmologie et gérant de la société Adimed n'est en aucun cas un professionnel de la construction, de sorte qu'il n'était pas en mesure de prendre connaissance des désordres affectant l'installation de climatisation au moment de la réception s'ils étaient déjà présents ; que, s'il avait constaté la défaillance au jour de la réception, les travaux n'auraient pas été acceptés sans réserve ; que, d'ailleurs, le jour de la réception des travaux, le responsable de la société Bord'eau Plomberie a mis en marche l'installation ; que ce n'est qu'à l'arrivée des fortes chaleurs que la société Adimed a constaté la défaillance de la fonction de refroidissement.
Sur ce,
12. L'article 1792 du code civil dispose :
« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.»
13. Il n'est pas discuté que la société Bord'eau Plomberie était, pour la réalisation des travaux litigieux, assurée auprès de la société Maaf Assurances au titre de sa responsabilité décennale, ce qui est d'ailleurs établi par la production de l'attestation en ce sens par l'intimée et du contrat à effet au 4 novembre 2019 par l'appelante.
Il n'est pas non plus discuté que l'installation de climatisation objet du litige doit être qualifiée d'ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil.
14. La société Adimed produit à son dossier le procès-verbal de réception des travaux en date du 5 octobre 2020, signé par le maître d'ouvrage et par l'entrepreneur, dont les mentions indiquent que les travaux ont été réceptionnés sans réserves.
Les pièces produites par l'intimée, en particulier le message de M. [I], conseiller technique thermodynamique en date du 25 novembre 2021, mettent en évidence le fait que l'installation peut être mise en marche mais qu'elle est affectée de désordres dans sa construction qui ont pour effet une absence d'échange thermique et un mauvais renouvellement du flux d'air. Il en résulte que le système de refroidissement ne fonctionne pas, ce qui rend cette installation impropre à sa destination.
Il ne peut être sérieusement opposé à la société Adimed le fait que son gérant a écrit, dans une mise en demeure postérieure de 11 mois à la réception des travaux, que l'installation n'a jamais fonctionné ; il s'agit manifestement d'une formule ab irato compte tenu de la carence répétée puis du silence de la société Bord'eau Plomberie opposé aux réclamations de sa cliente ; de plus, il n'est pas discuté que la société Adimed est spécialisée dans le secteur médical, de sorte qu'elle n'est pas un professionnel de la construction.
15. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que la garantie décennale de la société Maaf Assurances était mobilisable au titre des désordres litigieux.
16. La société Adimed réclame par ailleurs l'indemnisation de son préjudice de jouissance et tend à la mise en oeuvre à ce titre d'une garantie dommages immatériels annexe à la garantie responsabilité décennale de la société Bord'eau Plomberie.
17. Toutefois, l'intimée, sur laquelle repose la charge de cette preuve, n'établit pas qu'elle est susceptible de bénéficier d'une garantie consentie par la société Maaf Assurances au titre de l'indemnisation des préjudices immatériels subis par les co-contractants de l'assurée.
En effet, la société Adimed se prévaut des éléments figurant en pages 23 et 83 des conditions générales du contrat souscrit par la société Bord'eau Plomberie. Or les dommages immatériels garantis y sont ainsi définis :
« (...) nous garantissons la responsabilité que vous encourez lorsque le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage subit personnellement des dommages immatériels qui sont la conséquence directe d'un dommage matériel engageant l'une des responsabilités après réception (...)»
« Dommages immatériels : préjudice pécuniaire subi par un tiers résultant de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service ou de la perte d'un bénéfice.»
Il résulte de cette définition que les dommages immatériels garantis sont les dommages qui génèrent une perte financière telle qu'une perte d'exploitation ou une perte de loyers (exemple d'ailleurs donné en page 23 des conditions générales du contrat), de sorte que le préjudice de jouissance n'entre pas dans le champ de cette garantie.
18. La cour infirmera donc le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Maaf Assurances à indemniser la société Adimed à ce titre. Il faut préciser qu'il n'y a pas lieu de condamner l'intimée à restituer les sommes concernées, la présente décision valant titre à cet égard.
19. Il convient enfin de confirmer les chefs de dispositif de ce jugement relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
Y ajoutant, la cour condamnera la société Maaf Assurances à payer les dépens de l'appel et à verser à l'intimée une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Infirme le jugement prononcé le 16 mars 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a condamné la société la société Maaf Assurances à payer à la société Adimed la somme de 2.000 euros au titre du préjudice de jouissance.
Statuant à nouveau de ce chef,
Déboute la société Adimed de sa demande en indemnisation de son préjudice de jouissance.
Confirme pour le surplus le jugement prononcé le 16 mars 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société Maaf Assurances à payer à la société Adimed la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Maaf Assurances à payer les dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.