Livv
Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 22 mai 2025, n° 23/05164

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hauduin

Vice-président :

M. Berthe

Conseiller :

Mme Jacqueline

Avocats :

SCP Marc Baclet Avocats, SARL Esia Avocats

TJ Beauvais, du 4 déc. 2023

4 décembre 2023

DECISION :

Suivant acte reçu le 11 avril 2018 par Me [N] [A], notaire à [Localité 10], Mme [R] [Y] a acquis de MM. [P] et [O] [T] une maison d'habitation sise [Adresse 2] pour un prix de 168 000 euros.

Courant 2019, Mme [R] [Y] a constaté diverses fuites au niveau de la cheminée et plus globalement un taux d'humidité important dans l'immeuble. Mme [Y] dénonçait également l'apparition de diverses fissures extérieures sur les murs de l'habitation.

Suivant ordonnance du 14 janvier 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Beauvais a désigné M. [K] [C] en qualité d'expert judiciaire, lequel a déposé son rapport le 22 octobre 2021.

Aucune solution amiable n'a pu être trouvée.

C'est dans ces conditions que Mme [R] [Y] a, par acte d'huissier du 9 mars 2022, fait assigner M. [P] [T] et M. [O] [T] devant le tribunal judiciaire de Beauvais aux fins notamment de solliciter l'indemnisation de son préjudice.

Mme [R] [Y] demandait au tribunal judiciaire de Beauvais de :

Condamner solidairement Messieurs [P] et [O] [T] à lui payer :

- La somme de 11 294,80 euros au titre des travaux de réfection,

- La somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance,

- La somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral,

- La somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner Messieurs [P] et [O] [T] solidairement aux dépens.

Mme [R] [Y] s'est fondée sur les articles 1792 et 192-1 du code civil, au motifs que les consorts [T] ont fait procéder au ravalement de la façade en 2018 et qu'en cela ils tirent leur qualité de constructeurs.

En première instance, les défendeurs ont fait valoir que les travaux réalisés sur la façade de la maison antérieurement à la vente n'étaient que de simples travaux d'esthétique et ne peuvent être analysés comme un ouvrage.

Par jugement du 4 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Beauvais a :

Débouté Mme [R] [Y] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

Mis les dépens à la charge de Mme [R] [Y] dont ceux relatifs à la procédure de référé et d'expertise judiciaire ;

Admis la SCP Gossard-Bolliet-Melin au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamné Mme [R] [Y] à payer à MM. [P] et [O] [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté Mme [R] [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelé que son jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration du 21 décembre 2023, Mme [Y] a interjeté appel de cette décision.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 27 février 2024 par lesquelles Mme [Y] demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

Déboute Mme [R] [Y] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

Met les dépens à la charge de Mme [R] [Y] dont ceux relatifs à la procédure de référé et d'expertise judiciaire ;

Admet la SCP Gossard-Bolliet-Melin au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [R] [Y] à payer à MM. [P] et [O] [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté Mme [R] [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner solidairement MM. [P] et [O] [T] à payer à Mme [R] [Y] :

1) La somme de 11 294,80 euros au titre des travaux de réfection ;

2) La somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance ;

3) La somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral ;

4) La somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner solidairement MM. [P] et [O] [T] aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise et de référé.

Elle expose :

- qu'elle a vu apparaître des fuites au niveau de la cheminée qui ont nécessité l'intervention d'un couvreur,

- que sont ensuite apparus de graves désordres sur l'ensemble des peintures et des murs de la maison, avec présence d'une humidité importante,

- qu'enfin sont apparues de graves fissures extérieures qui avaient été cachées par la pose d'un enduit,

- que selon l'expert amiable venu sur place, les fissures relèveraient probablement de plusieurs causes : défaut de mise en 'uvre structurelle, phénomène de dilatation, phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols,

- que l'absence de vide sanitaire et de ventilation rendent la maison humide et engendre de graves problèmes de remontées capillaires, que les vendeurs ne pouvaient ignorer l'existence de ces vices, M. [O] [T] ayant été maçon,

- que l'expert judiciaire conclut notamment : « Fissuration extérieure : l'ouvrage présente des fissures et lézardes au droit de ses pignons gauche et droit. (...) Les travaux de reprise sont inefficaces ; ils sont entachés de malfaçons et non-façons de mise en 'uvre. L'ouvrage est infiltrant, ce qui génère une impropriété à destination ; il est également atteint dans sa solidité. Des travaux de reprise sont à mettre en 'uvre. » et évalue les travaux de réfection à la somme de 11 294,80 euros,

- qu'un enduit de façade est un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil dès lors qu'il a une fonction d'étanchéité (Cass., 3° civ., 13 février 2020, n° 19-10249), l'enduit, en l'espèce, s'est fissuré (car mal posé), est devenu infiltrant et a entraîné une impropriété à destination.

Le conseil des consorts [T] informait la cour par message RPVA du 22 mai 2024 du décès de M. [O] [T], intimé, survenu le 13 janvier 2023 à [Localité 9].

Par décision du 21 juin 2024, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance.

Il était établi que suivant attestation dévolutive du 15 mai 2024, M. [P] [O] [T], se trouve le seul héritier de [O] [F] [T]. Il se constituait en intervention volontaire aux droits de son père et l'instance était reprise le 1er juillet 2024.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 24 mai 2024 par lesquelles M. [P] [T] demande à la cour de :

À titre principal

Confirmer en toute ses dispositions le jugement entrepris,

Ce faisant,

Débouter Mme [R] [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

À titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement,

Fixer le montant dû par M. [P] [T] à Mme [R] [Y] à la somme de 11 294,80 euros TTC au titre des travaux de reprise des fissures extérieures,

Débouter Mme [R] [Y] de ses autres demandes, fins et prétentions,

En tout état de cause,

Condamner Mme [R] [Y] à lui payer la somme de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner Mme [R] [Y] en tous les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP Gossard-Bolliet-Melin, avocats aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Il expose :

- que lui et son père n'ont pas procédé à l'édification d'un ouvrage,

- qu'il n'a jamais été question de poser un enduit complet assurant une fonction d'étanchéité de l'habitation mais, comme le mentionne l'expert, d'une « trame fibrée au droit de certaines fissures, avant mise en 'uvre d'un enduit mince »,

- que quand l'expert évoque le fait que « l'ouvrage est infiltrant, ce qui génère une impropriété à destination ; il est également atteint dans sa solidité », il ne fait nullement référence aux travaux réalisés par les consorts [T] mais bien à l'ouvrage au sens des murs de l'immeuble affectés d'un désordre ancien de fissurations comme évoqué par l'expert en page 11 de son rapport, qui trouve son origine dans un phénomène de retrait-gonflement du sol argileux,

- que c'est bien ce désordre ancien de fissurations du fait du sol, portant sur les murs de l'immeuble qui le rend impropre à sa destination et en aucun cas les travaux d'enduit réalisés,

- que le mur n'a pas été réalisé par les consorts [T],

- que les travaux d'enduit étaient purement esthétiques,

- que le fondement juridique de la responsabilité du constructeur d'ouvrage exposé par Mme [Y] n'a en réalité que pour seul et unique objectif de contourner la prescription biennale de l'action sur le fondement de la garantie des vices cachés en ce sens que la vente a eu lieu le 11 avril 2018 et que son assignation en référé a été délivrée le 18 décembre 2020, qu'ainsi l'action en garantie des vices cachés (non invoquée) est donc prescrite.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

La clôture a été prononcée le 4 décembre 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 30 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes indemnitaires de Mme [Y] sur le fondement de la garantie décennale :

Il résulte des articles 1792 et 1792-1 du code civil que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Est réputé constructeur de l'ouvrage toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire.

Aux termes de l'article 9 code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

S'agissant des travaux de ravalement, ceux qui ont pour objet d'assurer une étanchéité peuvent relever de la garantie décennale. En revanche, une peinture ou un simple enduit de façade, non susceptible de porter atteinte à la destination ou à la solidité de l'immeuble, ne relève pas de la garantie décennale.

En l'espèce, l'expert judiciaire a constaté la présence de fissures et lézardes au droit des pignons gauche et droit de la maison et a relevé qu'un ravalement de la façade aurait été entrepris en 2018. Le mode de reprise de la façade a consisté en la mise en 'uvre de trame fibrée au droit de certaines fissures, avant mise en 'uvre d'un « enduit mince ».

S'il peut être considéré que les fissures extérieures ont été cachées par la pose de cet enduit mince, Mme [Y] produit des factures et devis d'octobre et novembre 2019 ainsi qu'un rapport d'expertise privé du 25 octobre 2019 qui démontrent sa connaissance des vices à cette époque.

Forclose en son action en garantie des vices cachés, elle invoque dorénavant la garantie décennale.

Le rapport d'expertise privé qu'elle produit fait état de vices cachés et précise que les fissures affectant les murs et pignons relèvent de plusieurs causes et notamment un phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Il indique en outre que l'absence de vide sanitaire et de ventilation rendent la maison humide et engendre des problèmes de remontées capillaires.

Mme [Y] verse également aux débats deux attestations, celle de M. [X] [M] qui indique que «M. [T] avait faire repeindre les murs extérieurs de sa maison avant sa mise en vente » et celle de Mme [B] [S] épouse [G] qui indique qu'avant la vente M. [T] avait fait réaliser un crépi sur la façade du bien.

Il résulte de ces éléments que les désordres se rattachent à la structure des murs de l'immeuble affectés d'un désordre ancien de fissurations non imputable aux vendeurs qui n'en sont pas les constructeurs et que comme le souligne à juste titre la juridiction du premier degré, il n'est nullement fait état de travaux d'étanchéité ou de gros 'uvre mais de travaux de couvertures de fissures qui ne peuvent aboutir à la mise en 'uvre du régime de responsabilité sans faute tirée de la garantie décennale.

Dans ces conditions, Mme [Y] sera déboutée ses demandes indemnitaires et la décision entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Mme [R] [Y] qui succombe sera condamnée aux dépens de l'appel et la décision de première instance sera confirmée en ses dispositions afférentes aux dépens. Il conviendra également d'autoriser le recouvrement direct contre la partie condamnée des dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile

En outre, il apparaît équitable de laisser à chacune des parties la charge de leurs frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Infirme la décision entreprise en ses dispositions afférentes aux frais irrépétibles,

La confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne Mme [R] [Y] aux dépens de l'appel et autorise leur recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Laisse à chacune des parties la charge des frais irrépétibles qu'elles ont exposés en première instance et en appel,

Rejette les autres demandes.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site