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Décisions

CA Nouméa, ch. civ., 2 juin 2025, n° 23/00319

NOUMÉA

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Action Entreprises (SARL)

Défendeur :

Action Entreprises (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Genicon

Conseillers :

Mme Xivecas, Mme Magherbi

Avocats :

Me Chatain, Me Ouamara, Me Marie

TPI Nouméa, du 11 sept. 2023, n° 21/3089

11 septembre 2023

FAITS, PROCÉDURE, ET MOYENS DES PARTIES.

Le 20 octobre 2020, Monsieur [R] [V], propriétaire de 100 % des parts sociales des SARL DIETI SHOP et B55, a donné mandat de vente exclusif à la SARL ACTION ENTREPRISES pour la recherche d'un acquéreur pour ses parts sociales, au prix principal de 36 millions de francs CFP moyennant une rémunération fixée à 8 % HT du montant total de la transaction.

Il était précisé à l'article 3 de l'acte : « Cette rémunération est due dès la réalisation de l'opération même si elle est conclue sans les soins du mandataire. Dans le cas ou Monsieur [R] [V] apporte un client, la commission sera diminuée d'un tiers.»

Aux termes du mandat, la société ACTION ENTREPRISES s'est engagée pour une durée de six mois, renouvelable par tacite reconduction.

Une première offre d'achat n'a pas été acceptée.

Le 5 août 2021, la société ACTION ENTREPRISES a soumis à Monsieur [R] [V] une offre d'achat présentée par Mesdames [U] et [K] [N] pour un montant de 35 millions de francs Pacifique, sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt d'un montant maximum de 31 millions francs CFP.

L'offre a été acceptée le jour même par Monsieur [R] [V].

Le 31 août 2021, le juriste des acheteurs en charge de la rédaction du compromis a adressé à la société ACTION ENTREPRISES les projets d'actes, qui ont été transmis à Monsieur [V].

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 septembre 2021, Monsieur [R] [V] a notifié à la société ACTION ENTREPRISES qu'il mettait fin au mandat.

La commission de la société ACTION ENTREPRISES n'a pas été réglée de sa commission.

Monsieur [R] [V] a, par courriels en date des 1er et 4 octobre 2021, postérieurement à la révocation du mandat, continué à avoir des échanges avec les potentiels acquéreurs, revenant sur les conditions de l'offre qu'il avait acceptée.

PROCEDURE DE PREMEIERE INSTANCE

Par requête signifiée le 9 novembre 2021, déposée le 15 novembre 2021, la SARL ACTION ENTREPRISES a assigné Monsieur [R] [V], devant le tribunal de première instance de Nouméa auquel elle a demandé, par application des dispositions de l'article 1147 du Code civil, de l'indemniser au titre de la perte de chance de percevoir une commission.

Par jugement du 11 septembre 2023, le tribunal de première instance Nouméa a rendu la décision dont la teneur suit :

- CONDAMNE Monsieur [R] [V] à. payer à la SARL ACTION ENTREPRISES la somme de 1.306.667 FCFP;

- DEBOUTE Monsieur [R] [V] de l'ensemble de ses demandes ;

- CONDAMNE Monsieur [R] [V] à verser à. la SARL ACTION ENTREPRISES la somme de 300.000 F.CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie ;

- CONDAMNE Monsieur [R] [V] aux dépens de l'instance ;

- AUTORISE la SELARLCALEXIS à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.

PROCEDURE D'APPEL

M. [V] a fait appel de cette décision et demande à la cour de :

- REFORMER le jugement rendu le 11 septembre 2023 par le Tribunal de première instance de NOUMEA en toutes ses dispositions.

Statuant de nouveau,

- DEBOUTER la SARL ACTION ENTREPRISES de toutes ses demandes ;

- LA CONDAMNER au paiement d'une une somme de 300 000 FCFP au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.

Il fait notamment valoir les moyens et arguments suivants :

- la société mandataire était en charge de la rédaction de la promesse de vente;

- si selon les dispositions de l'article 1589 du Code civil la promesse de vente vaut vente lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix, l'offre signée le 5 août 2021 ne peut s'analyser en une promesse de vente au sens de cet article;

- l'offre d'achat du 5 août 2021 précisait sous le paragraphe intitulé « cadre de la transaction » la signature d'un acte de vente sous condition suspensive avant le 13 août 2021;

- au 31 août 2021, aucun compromis ne lui avait été adressé;

- il a reçu le 1er septembre 2021 un projet de la société ACTION ENTREPRISES relatif à la cession des deux entreprises;

- au retour de l'acte signé par les deux parties, le délai a été modifié à la main par la société ACTION ENTREPRISES, qui a biffé le 13 pour le remplacer par le 31;

- le compromis de vente n'a pas été signé à la date convenue;

- le délai étant expiré, il n'était plus lié par les termes de l'offre d'achat du 5 août 2021;

- en tout état de cause, les clauses de l'acte n'étaient pas conformes au cadre de la transaction signée le 5 août 2021, avec notamment l'ajout de l'obligation pour le cédant d'obtenir par écrit de ses fournisseurs l'agrément de Mme [N] et leur engagement à maintenir avec celle-ci les relations commerciales, dans les conditions actuelles;

- se sentant trahi, il a décidé de dénoncer le mandat exclusif de vente le liant à la société ACTION ENTREPRISES.

La Société ACTION ENTREPRISES demande à la cour de

- CONFIRMER le jugement

- DEBOUTER Monsieur [R] [V] de l'ensemble de ses prétentions

- CONDAMNER Monsieur [R] [V] au paiement de la somme de 300.000 F CFP au titre de l"article 700 du CPCNC ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Sarl Fabien MARIE, Avocats.

Elle fait notamment valoir les moyens et arguments suivants :

- les conditions de l'offre du 5 août 2021, acceptée par Monsieur [R] [V], étaient expressément mentionnées et il n'était pas prévu que le défaut de signature du protocole sous condition suspensive avant le 13, puis le 31 août 2021 (date modifiée avec l'accord des parties pour laisser un délai suffisant au cabinet juridique WEIMANN FISSELIER pour rédiger le protocole) emporterait la caducité de l'offre;

- une telle condition aurait été potestative et aurait en conséquence été entachée de nullité, la réalisation de celle-ci dépendant seule du bon vouloir de Monsieur [R] [V], qui aurait pu, de fait, unilatéralement refuser de signer le compromis

- la date de mise en forme de l'offre n'était pas une date extinctive de l'offre;

- le compromis, n'est que la formalisation de l'offre acceptée;

- seule la non réalisation de la condition suspensive dans les délais convenus pouvait délier les parties de leur engagement ;

- la condition suspensive d'obtention d'un prêt a été réalisée le 10 novembre 2021, avant l'expiration du délai fixé;

- rien ne pouvait s'opposer à la signature des actes de cession de parts;

- le 31 août 2021, le juriste en charge de la rédaction du compromis a adressé à la société ACTION ENTREPRISES les projets d'actes, qui ont immédiatement été transmis à Monsieur [V];

- par courriel du 7 septembre 2021, sans évoquer une quelconque caducité de l'offre acceptée, Monsieur [R] [V] a simplement précisé qu'il avait quelques points à rectifier et qu'il avait soumis ses projets à ses conseils, restant dans l'attente de leur retour ; par courriel en date du 8 septembre 2021, Monsieur [R] [V] a indiqué encore qu'il discutait des projets avec ses conseils et que l'offre acceptée aux conditions offertes valait contrat et engageait l'offrant;

- la poursuite des échanges entre les parties et le cabinet juridique après le 31 août 2021 démontre qu'il n'avait pas été convenu par les parties que la date du 31 août 2021 serait extinctive et rendrait l'offre caduque;

- Monsieur [R] [V] a, par courriels en date des 1er et 4 octobre 2021, postérieurement à la révocation du mandat, continué à avoir des échanges avec les acquéreurs, revenant sur les conditions de l'offre qu'il avait acceptée;

- le comportement fautif du mandant, qui a brutalement décidé de mettre fin au mandat avant de finaliser tout de même la vente, par pure opportunité, pour économiser la commission qu'il devait dans le cadre du mandat, et renégocier les conditions de la cession, a fait perdre à la société ACTION ENTREPRISES une chance de percevoir la commission prévue dans le mandat de vente;

MOTIFS

Sur l'offre acceptée

Le 5 août 2021, Monsieur [R] [V] et Mesdames [U] et [K] [N] ont signé une offre d'achat portant sur l'acquisition par ces dernières de 100 % des parts sociales des SARL DIETISHOP et B55 pour un montant total de 35 millions de francs Pacifique.

Il a été prévu dans le cadre de cet accord, la signature d'un acte de vente sous condition suspensive d'obtention d'un prêt d'un montant maximum de 31 millions de francs Pacifique avant le 31 août 2021.

L'offre d'achat acceptée par Monsieur [R] [V] le 5 août 2021 comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et précise de manière ferme l'acquisition de 100 % des parts sociales de la SARL DIETISHOP et de la SARL B55 par Mme [U] [N] et Mme [K] [N] ou toute autre société holding s'y substituant pour un montant total de 35 millions de francs Pacifique.

Il résulte des termes de l'offre d'achat que son acceptation par Monsieur [R] [V], propriétaire des parts sociales, vaut accord sur la chose et sur le prix, ce que confirme la mention manuscrite apposée par le vendeur avant sa signature : « bon pour accord de cession ».

L'acte du 5 août 2021, qui constate l'accord des parties sur la chose et sur le prix s'analyse bien en une promesse synallagmatique de vente valant vente en application de l'article 1589 du Code civil.

Les parties n'ont pas entendu faire de l'établissement d'un compromis de vente et de la réitération de la vente par acte authentique une condition de leur consentement, mais seulement une modalité de mise en oeuvre de leur accord.

L'offre d'achat ne prévoyait aucune sanction en cas de non-respect de la date stipulée pour la régularisation de l'acte de vente.

En conséquence, le non-respect de ce délai n'a pas entraîné la caducité de l'offre d'achat acceptée par Monsieur [R] [V].

Il ressort d'ailleurs des pièces versées aux débats que les parties ont continué à échanger en vue de la rédaction de l'acte après la date du 31 août 2021.

L'offre n'est donc pas devenue caduque.

Monsieur [V] fait valoir qu'après relecture avec son comptable, il ne pouvait accepter les termes du compromis dès lors qu'il devait obtenir de ses fournisseurs l'agrément de Mme [N] et de leurs engagements en matière de relation commerciale avec elle dans les conditions actuelles et que cette stipulation constituait pour lui une véritable trahison.

Toutefois, cet engagement pris par le cédant est simplement un engagement de bonne foi et de loyauté une telle clause s'inscrivant dans tous les actes de cession à savoir le maintien des relations commerciales avec les fournisseurs, ce qui est la base même de la valeur d'une entreprise.

De plus , il a continué à discuter directement avec les acheteurs leur précisant au terme d'un mail du 1er octobre 2021 " ceci ne fait pas obstacle à notre vente... ".

Enfin, cette condition était déjà prévue dans l'offre d'achat signée et acceptée aux termes de laquelle il était fait état d'une clause de non rétablissement pour Monsieur [V] et d'un " accompagnement gratuit par Monsieur [V] pendant une période de 3 mois à plein temps suivant la réitération des actes. Cet accompagnement sera mis à profit pour présenter au preneur les procédures de l'entreprise ainsi que l'ensemble des clients et foumisseurs ".

L'argumentation de M. [V] doit donc être écartée.

Sur le mandat de vente

Par mandat de vente exclusif signé par les parties le 20 octobre 2020, Monsieur [R] [V] a confié à la SARL ACTION ENTREPRISES la mission de lui rechercher un acquéreur pour les parts sociales de ses deux SARL.

Il est stipulé que le mandat est conclu "pour une durée de six mois l'expiration de laquelle il se renouvellera par tacite reconduction aux mêmes conditions, par périodes de même durée, la durée totale du mandat ne pouvant toutefois excéder deux ans. Par dérogation aux dispositions de l'article 2004 du Code civil, le présent mandat ne peut être évoqué unilatéralement par le mandant".

Le mandat de vente fixe la rémunération due à la SARL ACTION ENTREPRISES, en cas de réalisation de l'opération d'achat pendant la période d'exclusivité, à 8 % hors-taxe du montant total de la transaction à la charge du vendeur.

Il est précisé que le montant de la commission sera diminué d'un tiers dans l'hypothèse d'un apport du client par Monsieur [V].

La clause d'irrévocabilité du mandat, stipulée dans le mandat de vente exclusif signé par les parties le 20 octobre 2020, n'est pas applicable.

En effet, il ne saurait être dérogé à l'article 2004 du Code civil, applicable à la Nouvelle Calédonie, qui dispose que "le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble et contraindre, s'il y a lieu, le mandataire à lui remettre soit l'écrit sous seing privé qui la contient, soit l'original de la procuration, si elle a été délivrée en brevet, soit l'expédition, s'il en a été gardé minute".

En application de ces dispositions, Monsieur [R] [V] disposait d'un droit à révocation du mandat, sous réserve de sa responsabilité l'égard du mandataire, dans l'hypothèse d'un manquement à ses obligations contractuelles ou d'un abus de droit.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 7 septembre 2021, Monsieur [R] [V] a résilié le mandat exclusif de vente, révocation prenant effet 30 jours après la réception du courrier.

Il ressort des éléments du dossier que la SARL ACTION ENTREPRISES n'a pas commis de faute dans l'exécution de sa mission, qui a abouti à une proposition chiffrée d'achat de la totalité des parts sociales des SARL DIETISHOP et B55.

L'offre d'achat a été acceptée par Monsieur [R] [V] le 5 juillet 2021, date à laquelle le mandat produisait pleinement ses effets.

Le refus de régulariser la vente des parts sociales des SARL DIETISHOP et B55, alors même que Monsieur [R] [V] avait accepté l'offre d'achat et qu'un accord était intervenu sur la chose et sur le prix, est constitutif d'un comportement fautif de sa part, qui a nécessairement causé un préjudice à la SARL ACTION ENTREPRISES, puisque celle-ci a été privée de son droit de percevoir la commission, qu'elle avait une chance très sérieuse d'obtenir à la réalisation de l'acte de vente.

En conséquence, la SARL ACTION ENTREPRISES peut prétendre à des dommages-intérêts pour l'indemnisation de son préjudice, qui s'analyse en une perte de chance de percevoir la commission si Monsieur [R] [V] n'avait pas, par son comportement fautif, empêché la réalisation de la vente.

Cette perte de chance ne peut être évaluée au montant de la commission qui aurait dû être perçue.

En effet, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

En l'espèce, l'aléa que la vente ne puisse aboutir tenait seulement à l'obtention par les acheteurs de leur prêt bancaire dans le cadre de la condition suspensive.

La chance qu'avait la SARL ACTION ENTREPRISES de percevoir sa commission était sérieuse à hauteur de 70 %.

En conséquence, les dommages et intérêts, que Monsieur [R] [V] devra verser à la SARL ACTION ENTREPRISES doivent être fixés à la somme de 1.306.667 F CFP selon le calcul suivant : [(35.000.000 x 8 %) x 2/3 ] x 70 %.

Il convient de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Sur les autres demandes

Monsieur [R] [V], partie perdante, sera condamné aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL CALEXIS.

Par voie de conséquence, il est redevable d'une somme titre de l'article 700 du code de procédure civile sera fixé à 150'000 Fr. pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement du tribunal de première instance de Nouméa du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions.

Condamne M. [R] [V] à payer à la SOCIÉTÉ ACTION ENTREPRISE la somme de 150'000 Fr. CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

Condamne M.[R] [V] aux dépens avec distraction au profit de la SELARL CALEXIS.

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