CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 mai 2025, n° 23/08780
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Allopicnic (SAS)
Défendeur :
Valor Consultants (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Depelley
Conseiller :
M. Richaud
Conseiller :
Mme Dallery
Avocats :
Me Rubinsohn, Me Mendes
FAITS ET PROCÉDURE
La société Allopicnic, exerçant une activité de traiteur et de livraison de paniers repas, et M. [O] [R], placé sous portage salarial de la société Valor Consultants, ayant pour activité le portage salarial, sont entrés en relation en décembre 2017 afin que la société Allopicnic assure la livraison de paniers repas pour des entreprises clientes de M. [O] [R], via son site vitrine " Le Club des restaurants de [Localité 6] ".
Un courant d'affaires s'est alors instauré entre M. [R] et la société Allopicnic en 2018, M. [R] exerçant l'activité d'organisateur de prestations de repas de groupe sous l'enseigne " Le Club des restaurants de [Localité 6] ".
Pour ces prestations de restauration, la société Allopicnic a directement été rémunérée par les entreprises clientes de M. [R], puis a versé une commission de 8 % à la société Valor Consultants, prélevée sur le chiffre d'affaires généré par les commandes de la clientèle du "Club des restaurants de [Localité 6]".
Par contrat à durée déterminée du 14 février 2019, la société Allopicnic et M. [R] ont formalisé leur relation commerciale, le contrat prenant fin au 31 novembre 2019 avec une possible tacite reconduction.
Par courriel du 2 avril 2019, M. [R] a notifié à la société Allopicnic sa décision de mettre fin à la relation commerciale.
C'est dans ces circonstances que, par acte de commissaire de justice du 6 août 2020, la société Allopicnic a assigné la société Valor Consultants devant le tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales, de la rupture abusive du contrat, et d'actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 3 mars 2021, le tribunal de commerce de Nanterre s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 11 avril 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la société Allopicnic de toutes ses demandes,
- Condamné la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 863,09 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2020,
- Ordonné la capitalisation des intérêts,
- Condamné la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 80 euros au titre de l'indemnité de recouvrement,
- Débouté la société Valor Consultants de ses demandes reconventionnelles,
- Condamné la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- Condamné la société Allopicnic aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 71,35 euros dont 11,68 euros de TVA.
La société Allopicnic a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 12 mai 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 29 février 2024, la société Allopicnic demande à la Cour de :
Vu les articles 1212, 1240 et 1241 du code civil,
Vu l'article L.442-6 II du code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées au débat énumérées selon le bordereau ci-annexé,
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 avril 2023 en ce qu'il a :
- Débouté la société Allopicnic de toutes ses demandes,
- Condamné la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 863,09 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2020,
- Ordonné la capitalisation des intérêts,
- Condamné la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 80 euros au titre de l'indemnité de recouvrement,
- Condamné la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- Condamné la société Allopicnic aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 71,35 euros dont 11,68 euros de TVA.
Et, statuant à nouveau,
Condamner la société Valor Consultants à verser à la Société Allopicnic la somme de 22 220,13 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture injustifiée et brutale de ses relations contractuelles et commerciales établies avec l'appelante,
Condamner la société Valor Consultants à verser à la société Allopicnic la somme de 131 437,74 euros en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale et parasitaire de M. [O] [R] au détriment de l'appelante,
Condamner la société Valor Consultants à régler à la société Allopicnic la somme de 30 000,00 euros en réparation du préjudice moral subi,
Condamner la société Valor Consultants à régler à la société Allopicnic la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés pour les besoins du procès,
Condamner la société Valor Consultants aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 30 octobre 2023, la société Valor Consultants demande à la Cour de :
Vu les articles 1212, 1240 et 1241 du code civil,
Vu les articles L.442-1, L.442-4 et D.442-3 et son annexe 4-2-1 du code du commerce,
Vu les articles L441-10 II et D 441-5 du code du commerce,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 avril 2023 sauf en ce qu'il a débouter la société Valor Consultants de ses demandes suivantes :
- Déclarer la société Allopicnic irrecevable à agir à l'encontre de la société Valor Consultants sur le fondement de la rupture brutale d'une relation commerciale établie et d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle reproche à M. [O] [R],
- Condamner la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et agissements parasitaires à l'endroit de son salarié porté M. [R],
- Condamner la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
L'infirmer pour le surplus,
Et statuant à nouveau :
Déclarer la société Allopicnic irrecevable à agir à l'encontre de la société Valor Consultants sur le fondement de la rupture injustifiée et brutale de ses relations contractuelles et commerciales établies avec l'appelante et d'actes de concurrence déloyale et de parasitaire qu'elle reproche à M. [O] [R],
Condamner la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 50000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et agissements parasitaires à l'endroit de son salarié porté M. [R],
Condamner la société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 50000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamner la Société Allopicnic à payer à la société Valor Consultants la somme de 20000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamner la société Allopicnic aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir
Moyens des parties,
A titre principal, la société Valor Consultants soulève l'irrecevabilité des demandes indemnitaires formulées par la société Allopicnic, exposant que celle-ci exerce à titre exclusif une activité de portage salarial impliquant qu'elle ne s'immisce pas dans la gestion de l'activité de son salarié porté, M. [O] [R], lequel demeure libre de définir et de choisir l'objectif qu'il entend réaliser et répond d'une obligation générale de loyauté et de bonne foi envers son entreprise cliente. Dans ces conditions, la société Valor Consultant soutient que la société Allopicnic est irrecevable à agir à son encontre sur les fondements suivants :
- De la rupture fautive du contrat d'adhésion à durée indéterminée du 14 février 2019, auquel la société Valor Consultant n'est pas partie,
- De la rupture brutale de la relation commerciale prétenduement établie,
- D'actes de concurrence déloyale et de parasitisme prétendus, poursuivi sur un fondement délictuel et qui auraient été commis postérieurement à la rupture des relations,
La société Allopicnic ne répond pas spécifiquement sur l'irrecevabilité de ses demandes formulées à l'encontre de la société Valor Consultants mais expose que :
- La société Allopicnic proposait à des clients divers paniers pique-niques composés de menus autant que de tarifs avalisés par M. [R],
- M. [R] et la société Valor Consultants diffusaient les offres de paniers pique-niques de la société Allopicnic sur la plateforme du Club des restaurants de [Localité 6],
- La société Valor Consultants percevait une commission de 8% sur le chiffre d'affaires TTC généré par les commandes honorées par le Club des restaurants de [Localité 6] au profit de la société Allopicnic.
Réponse de la Cour,
Conformément aux articles 30 à 32 du code de procédure civile, l'action, qui est le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée et pour son adversaire celui de discuter son bien-fondé, est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable.
Ainsi, en application de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'intérêt, comme de la qualité, à agir, condition de recevabilité de l'action, n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, condition de son succès.
S'agissant en particulier de l'action fondée sur l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, visant à obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies, appartient à toute personne justifiant d'un intérêt à agir sur ce fondement. Ainsi, les dispositions de l'article L442-6 précité permettent l'introduction d'une action en réparation de pratiques restrictives de concurrence sans subordonner l'intérêt à agir de son titulaire à la qualité de partie à un contrat. De même, l'existence et la caractérisation d'une relation commerciale établie ne conditionne pas la recevabilité de l'action, mais son bien-fondé.
Aussi, les moyens de la société Valor Consultants au soutien de sa fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir à son encontre tendent en réalité à contester le bien-fondé des actions en responsabilité contractuelle et délictuelle et des demandes indemnitaires formulées à son encontre. Ces moyens ne remettent en cause ni l'intérêt à agir de la société Allopicnic, ni la qualité à se défendre de la société Valor Consultants à telles actions.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Valor Consultants.
II - Sur la demande en réparation d'un préjudice subi du fait de la rupture
"injustifiée et brutale" des relations contractuelles et commerciales
Moyens des parties,
La société Allopicnic réclame la condamnation de la société Valor Consultants à lui verser la somme de 22 220,13 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture " injustifiée et brutale de ses relations contractuelles et commerciales établies " avec la société Valor Consultants. Elle fait d'abord valoir, au visa des articles 1103, 1104, 1193 et 1212 alinéa 1er du code civil qu'elle était en relation contractuelle informelle depuis décembre 2017 avec la société Valor Consultants par l'intermédiaire de M. [R] et qu'elle a signé le 14 février 2019 un contrat d'adhésion prévoyant une durée d'engagement et une tacite reconduction d'une année. Elle reproche à M. [R] d'avoir en février 2019 subitement et unilatéralement, sans préavis ni justification, rompu le référencement de la société Allopicnic de la plateforme du Club des restaurants de [Localité 6] et annulé toutes les commandes effectives, et ce en " infraction manifeste " aux obligations contractuelles du contrat d'adhésion, ce comportement constituant une faute. Elle en déduit que la société Valor Consultants doit supporter les conséquences de cette rupture déloyale et abusive du contrat. La société Allopicnic fait ensuite valoir, au visa de l'article L.442-1 du code de commerce, que les parties ont entretenu une relation d'affaires pendant près de 15 mois sans interruption avérée, qu'elle a tiré de cette relation pérenne un chiffre d'affaires cumulé substantiel et que la formalisation du contrat d'adhésion lui avait permis de réaliser des investissements propres à répondre aux demandes des clients de la plateforme du Club des Restaurants de [Localité 6]. Elle en déduit que la société Valor Consultants, sous l'impulsion de M. [X], doit être reconnue responsable d'avoir rompu brutalement, sans motif ni préavis, la relation commerciale établie.
La société Allopicnic fait état d'un préjudice à hauteur de 22 220,13 euros du fait de la rupture " injustifiée et brutale " de ses relations contractuelles et commerciales avec la société Valor Consultants se décomposant de la manière suivante :
- La somme de 8 737,33 euros en réparation de la perte de marge brute qui aurait dû être perçue au titre des commandes qui lui ont été transmises en 2019 par le biais de la plateforme "Le Club des Restaurants de [Localité 6] "
- La somme de 13 482,80 euros en remboursement des investissements en pure perte réalisés entre fin 2018 et début 2019 pour répondre à l'accroissement d'activité annoncée au travers des estimations de M. [R] (acquisition d'un véhicule pour les livraisons pour 2640 euros TTC, matériel rofessionnels pour 2 442,80 euros et changement de local commerciale sur 14 mois pour 8 400 euros TTC).
En réponse, la société Valor Consultants fait valoir, en premier lieu, l'inopposabilité du contrat à durée déterminée du 14 février 2019 pour ne pas en être signataire. Elle rappelle ainsi n'être intervenue qu'en qualité de société de portage salarial pour les commissions dues sur les prestations réalisées par la société Allopicnic au profit de M. [R]. S'agissant de la rupture du contrat à durée déterminée du 14 février 2019 intervenue par courriel du 2 avril 2019, la société Valor Consultants indique que la société Allopicnic n'est pas fondée à solliciter une indemnisation au motif que M. [R] aurait abusivement rompu le contrat, dans la mesure où celui-ci reste libre, en vertu du contrat, de passer le nombre de commande qu'il souhaite et de travailler avec d'autres prestataires, dès lors qu'il n'a consenti aucune exclusivité à la société Allopicnic. En outre, elle soutient que la rupture intervenue selon les explications de M. [R] était justifiée par de multiples problèmes et difficultés imputables à la société Allopicnic. Sur le fondement de la rupture brutale, la société Valor Consultants conteste l'existence d'une relation commerciale établie et qu'en toute hypothèse la rupture de la relation sans préavis était justifiée par les fautes de la société Allopicnic.
S'agissant du préjudice allégué, la société Valor Consultants affirme que la société Allopicnic sollicite, sans pièce comptable, une indemnisation à hauteur de 22 220,13 euros correspondant au cumul du préjudice résultant de l'action en responsabilité contractuelle et de l'action délictuelle. En outre, elle souligne que M. [R] conteste le montant estimé des annulations des pré-réservations et que les investissements dont elle demande le remboursement, qu'elle ne démontre pas avoir été effectués en pure perte, ont été réalisés avant le contrat. Dès lors, faute de justifier des bénéfices et charges fixes réellement exposées pour la période postérieure à la rupture et des économies réalisées, la société Valor Consultants fait valoir que la société Allopicnic n'est pas fondée à solliciter une quelconque indemnisation.
Réponse de la Cour,
La Cour rappelle que les régimes juridiques de la rupture des relations commerciales et de la résolution d'une convention sont distincts, la première relevant en droit interne de la responsabilité délictuelle (en ce sens, Com., 13 janvier 2009, n° 08-13.971) tandis que le second ressort de la responsabilité contractuelle de son auteur. En vertu des dispositions combinées des articles 1103, 1231 et suivants et 1240 du code civil, la responsabilité délictuelle ne peut pas régir les rapports contractuels entre les parties qui ne disposent ni d'une option entre ces deux régimes de responsabilité, l'existence d'une faute commise dans l'exécution d'un contrat imposant la mise en 'uvre exclusive de la responsabilité contractuelle de son auteur qui à l'inverse ne régit pas les relations hors convention, ni, en l'absence d'objet distinct des demandes, d'une possibilité de cumul des actions dont les fondements sont juridiquement incompatibles.
Les préjudices réparables résultant du caractère brutal de la rupture sont la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé outre éventuellement le montant non amorti des investissements spécifiques à la relation, alors qu'en application des articles 1212, 1217 et 1231-2 du code civil les préjudices réparables de la rupture abusive ou anticipée du contrat sont la perte faite et le gain manqué dont a été privé le cocontractant du fait de la résiliation du contrat.
Or, la Cour constate que la société Allopicnic formule une seule demande de réparation de préjudice à hauteur de 22 220,13 euros, calculée sur la base d'une perte de marge sur les commandes annulées et de la somme de frais d'investissements et de charge locatives, en se prévalant tout à la fois d'une rupture abusive du contrat d'adhésion et d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie entre les parties.
Force est de constater que la société Allopicnic demande la réparation d'un même préjudice en cumulant les fondements contractuel et délictuel et que les éléments de préjudice invoqués ne correspondent ni à la réparation de la brutalité d'une rupture de relation commerciale ni à la réparation d'une rupture abusive et anticipée d'un contrat.
En toute hypothèse, les pièces produites aux débats par la société Allopicnic (pièces n°25, 12, 40), se limitant à une liste de commandes annulées, des factures d'achats et une quittance de loyer, sont manifestement insuffisantes pour établir l'existence même des préjudices allégués.
Dans ces conditions, la société Allopicnic sera déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts à hauteur de 22 220, 13 euros et le jugement sera confirmé sur ce point.
III - Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme
Moyens des parties,
Au soutien de son appel, la société Allopicnic expose avoir mis au point et développé un service original de livraison de repas pique-niques au profit des opérateurs de tourisme de groupe. Elle indique à ce titre avoir joui d'une exclusivité sur ce type de repas proposés via la plateforme du " Club des restaurants de [Localité 6] ". Ceci établi, elle indique que M. [R] s'est, concomitamment à la rupture du contrat, approprié son offre et son savoir-faire en faisant appel à un fournisseur tiers. Aussi, elle fait valoir que M. [R] a, dès la fin du mois de mars 2019, sous-traité à la société Sercoz la préparation et la livraison de paniers repas pique-nique aux clients de la plateforme. Elle précise que cette opération de sous-traitance a pu être opérée selon un cahier des charges identiques, des tarifs similaires et une présentation parfaitement semblable des produits (visuel identique au regard du nombre d'articles proposés, de leurs marques et de la disposition des sandwichs ou du choix du dessert). Elle explique que la reproduction, à l'identique, de son offre, est nécessairement parasitaire en ce qu'elle est source de confusion pour la clientèle et génère ainsi une rupture d'égalité dans les moyens de la concurrence par appropriation du travail d'autrui. Elle ajoute que de tels actes ont procuré à la société Valor Consultants un profit indéniable dans la mesure où, le démarchage des groupes pour la passation de commandes ayant lieu de janvier à mars, M. [R] a pu jouir de l'offre proposée par la société Allopicnic diffusée sur la plateforme " Le Club des restaurants de [Localité 6] " tout en en nouant de nouvelles relations avec la société L'Ardoisier, avec laquelle il allait sous-traiter les commandes initiées par la société Allopicnic, après la rupture de leur relation commerciale. Dans ces circonstances, elle indique que M. [R] s'est positionné, sous l'enseigne "Le Club des restaurants de [Localité 6] ", dans son sillage, afin de tirer profit de son offre et de ses investissements, en reprenant à l'identique la formule et les descriptifs développés par la société Allopicnic, et l'accroissement de la clientèle y étant associé.
La société Allopicnic allègue l'existence d'un préjudice résultant d'actes de parasitisme consistant en une perte de chance d'accroitre sa clientèle et de maintenir son chiffre d'affaires avec la clientèle existante au jour de la rupture du contrat. Elle précise que la clientèle de tourisme représentait, fin 2018, 50 % de son chiffre d'affaires global, le taux d'évolution entre le premier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019 étant de plus de 342 %. Sur cette base, elle indique que le chiffre d'affaires attendu pour 2019 était estimé à 197 292,85 euros. Ayant été privée de ce chiffre d'affaires du fait de la rupture, la société Allopicnic se prévaut d'un préjudice évalué à la somme de 131 437,74 euros correspondant au chiffre d'affaires qu'elle escomptait pour le restant de l'année 2019. En outre, elle allègue l'existence d'un préjudice moral résultant de ces actes, compte tenu de l'atteinte portée à son image de marque et donc à sa notoriété suite à la reprise de son concept par M. [R]. Elle évalue ce préjudice à la somme de 30 000 euros.
En réponse, la société Valor Consultants expose que M. [R] proposait, avant sa rencontre avec la société Allopicnic, des offres de paniers repas de sorte qu'il ne s'agit pas d'un service original proposé par la société Allopicnic. Elle explique que la recherche de M. [R] avait pour objet de trouver un prestataire assurant des services de livraison, la société Allopicnic ne pouvant faire valoir son caractère original. Elle ajoute que M. [R] n'a jamais référencé la société Allopicnic à travers son club pour la mettre en relation avec sa clientèle mais a négocié, auprès d'elle, deux offres de panier repas basiques, très différentes de celles qu'elle proposait initialement, afin de répondre aux besoins de sa clientèle. Par ailleurs, elle rappelle que M. [R] n'était tenu d'aucune obligation d'exclusivité envers la société Allopicnic de sorte qu'il demeurait libre de contracter avec d'autres partenaires, d'autant plus que la société Allopicnic ne réglait pas ses factures. De surcroit, elle indique que la société Allopicnic n'est pas à l'origine des présentations, des formules et du concept de vente proposé. Dans ces conditions, elle soutient que la société Allopicnic ne démontre pas qu'elle se serait appropriée son offre et son savoir-faire, ni qu'elle se serait placée dans son sillage pour tirer profit de son offre et de ses investissements en reprenant à l'identique sa formule et l'accroissement de la clientèle associée. Par conséquent, elle affirme n'avoir, à l'instar de M. [R], commis aucun acte de concurrence déloyale et de parasitisme à l'égard de la société Allopicnic, avec laquelle ils n'étaient, par ailleurs, pas dans une situation de concurrence.
S'agissant du préjudice allégué au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, la société Valor Consultants fait valoir que la demande indemnitaire formulée par la société Allopicnic est injustifiée, dans la mesure où elle n'a réalisé, pour l'année 2018, qu'un chiffre d'affaires de 35 505 euros, correspondant à 3 900 paniers repas, dans le cadre du courant d'affaires avec M. [R]. Elle relève que la demande de la société Allopicnic portant sur la somme de 131 437,74 euros à titre de dommages -intérêts pour la perte d'une chance d'accroître sa clientèle, alors que la clientèle est celle de M. [R], et de maintenir son chiffre d'affaires avec la clientèle existante au jour de la rupture, qu'elle chiffrait elle-même dans ses écritures à 13.115,05 euros, sans tenir compte de ses manquements graves successifs et des restrictions qu'elle avait elle-même émises pour l'année 2019 et de ses agissements, n'est pas, compte tenu de ces éléments, justifiée. En outre, elle indique que sa demande de 30 000 euros, formulée au titre du préjudice moral, est aussi injustifiée.
Réponse de la Cour,
L'action en concurrence déloyale est une modalité particulière de mise en 'uvre de la responsabilité civile délictuelle pour fait personnel de droit commun, consacrée aux articles 1240 et 1241 du code civil. Elle suppose ainsi la caractérisation d'une faute, d'une déloyauté appréciée à l'aune de la liberté du commerce et de l'industrie et du principe de la libre concurrence, ainsi que d'un préjudice et d'un lien de causalité les unissant.
A ce titre, si une situation de concurrence effective n'est pas une condition préalable de sa mise en 'uvre (en ce sens, Cass. Com. 10 novembre 2012, n° 1-25.873), l'absence d'incidence prouvée de la faute sur la situation du demandeur à l'action fera obstacle à la caractérisation du préjudice et du lien de causalité (en ce sens, Com. 16 mars 2022, n° 20-18.882). Un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial, fut-il seulement moral, et la perte d'une chance implique seulement la disparition d'une éventualité favorable (Cass. Com., 12 janvier 2022, n°20-11.139). La victime doit toutefois prouver l'étendue de son entier préjudice (en ce sens, Cass. Com. 12 février 2020, n° 17-31.614). Dans ce cadre, le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Cass. Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500), apprécie souverainement son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Cass. Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).
Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion (en ce sens, Com. 20 mai 2014, n° 13-16.943) et plus insensible encore à l'absence de situation de concurrence effective à raison de sa nature (en ce sens, Com., 15 novembre 2011, n° 10-25-473), se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire (en ce sens, Cass. Com. 26 janvier 1999, n°96-22.457).
La société Allopicnic déduit l'existence d'actes parasitaires de la présentation en mars 2019, sur le site vitrine " Le Club des restaurants de [Localité 6] ", d'une offre proposée par la société Sercoz, exerçant son activité sous l'enseigne L'Ardoisier, similaire à celle qu'elle proposait à M. [R] dans le cadre de leur partenariat commercial.
Dans le cadre de ce partenariat, ayant pris fin le 2 avril 2019, la société Allopicnic proposait à M. [R] plusieurs offres de paniers-repas, dont une intitulée " Frenchy " comprenant un sandwich, un paquet de chips, une part de flan, une cannette de soda, une petite bouteille d'eau, et un rince-doigt au citron (pièce n°10 et 42 de Allopicnic). Cette offre a été présentée sur le site " Le Club des restaurants de [Localité 6] " par une photographie sur laquelle apparaissent les produits du pack disposés sur une nappe Vichy (pièce n°42 de Allopicnic).
S'il apparait exister une ressemblance évidente entre l'offre proposée par la société Allopicnic et l'offre proposée par la société Sercoz en mars 2019 (pièce n°36 de Valor Consultants) sur le site " Le Club des restaurants de [Localité 6] ", comprenant également un sandwich, un paquet de chips de marque Vico, une part de flan, une cannette de soda de marque Coca-Cola, une petite bouteille d'eau de marque Cristalline et un rince-doigt au citron (pièce n°23 et n°42 de Allopicnic), force est de constater que le site vitrine " Le Club des restaurants de [Localité 6] " proposait, avant tout partenariat avec la société Allopicnic, des offres de panier-repas similaires comprenant un sandwich, un paquet de chips, un dessert, une cannette de soda et une petite bouteille d'eau (pièce n°6 de Valor Consultants).
Par ailleurs, la société Allopicnic n'établit pas la valeur économique du savoir-faire qu'elle allègue, consacrant son argumentation à l'analyse comparée des offres et ne communiquant ainsi aucun élément susceptible de démontrer quantitativement et qualitativement les investissements engagés pour concevoir et promouvoir cette offre de panier-repas. A ce titre, il apparait que les similitudes constatées s'expliquent, non par l'imitation de caractéristiques spécifiques impliquant la mise en 'uvre d'un savoir-faire particulier, mais par la banalité de l'offre proposée dans le cadre de prestations de livraison de paniers-repas à des entreprises (pièce n°2 de Valor Consultants).
En outre, la notion de parasitisme économique étant indifférente au risque de confusion engendré par la présentation d'offres similaires, la circonstance tenant à l'envoi par erreur de courriels destinés à la société Sercoz par M. [R] à la société Allopicnic (pièce n°21 de Allopicnic), ne permet pas de suppléer à cette carence.
De plus, la société Allopicnic ne rapporte pas la preuve de ce que la société Sercoz aurait repris, après la rupture du partenariat intervenue le 2 avril 2019, ses commandes en cours.
Il s'en déduit que la société Allopicnic ne démontre pas que la société Valor Consultants, société de portage salarial dont l'activité est définie à l'article L1254-1 du code du travail, se serait immiscée dans son sillage afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.
En conséquence, aucun acte parasitaire n'étant démontré, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Allopicnic de sa demande de condamnation de la société Valor Consultants au paiement de la somme de 131 437,74 euros en réparation d'un préjudice économique lié à des actes de parasitisme et de sa demande tendant au paiement de la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral en résultant.
IV - Sur les demandes de la société Valor Consultants
Moyens des parties,
La société Valor Consultants sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Allopicnic au paiement de factures correspondant à la commission de M. [R] pour les mois de février et mars 2019 exigibles depuis 4 ans.
En outre, elle sollicite la condamnation de la société Allopicnic sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. En effet, elle affirme que la société Allopicnic a elle-même commis des actes parasitaires en reprenant, depuis la rupture, le propre concept original de M. [R] en créant un service groupes pour des restaurants partenaires, reprenant ainsi le même modèle économique, la même méthodologie, un espace privé pour les pros du tourisme, les mêmes formats de prestations, et les mêmes conditions et procédures, grâce aux documents commerciaux appartenant à M. [R] et à des incursions illégales sur la base d'un code d'accès usurpé dans le site privé de celui-ci. Elle expose ainsi que la société Allopicnic affiche, en première page de son site, les 28 logos d'entreprises issues des références clients de M. [R] n'ayant pourtant jamais réservé auprès de la société Allopicnic, et ceci sans leur autorisation, alors que M. [R] leur garantissait la confidentialité et la non-utilisation de leurs marques à des fins publicitaires. En outre, elle fait état d'un harcèlement continu depuis juin 2019. Compte tenu de ces éléments, elle sollicite la condamnation de la société Allopicnic au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme accomplis à l'endroit de son salarié porté, M. [R].
Enfin, la société Valor Consultants sollicite la condamnation de la société Allopicnic au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive, soulignant que l'action engagée par la société Allopicnic l'a été sans fondement et dans l'unique but de nuire à ses intérêts, en s'attaquant à son salarié porté, M. [R], et en recourant à des procédés déloyaux.
La société Allopicnic ne répond pas à ces demandes.
Réponse de la Cour,
- Sur les factures impayées
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes de l'article 1353 du même code, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En vertu de l'article L441-6 du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée.
En l'espèce, la société Valor Consultants sollicite le paiement de deux factures non réglées à l'issue du délai légal, à savoir une facture émise le 21 mars 2019 et une facture émise le 18 avril 2019, correspondant aux commissions de M. [R] pour les prestations de février et mars 2019, s'élevant à la somme de 863,09 euros (pièce n°48 de Valor Consultants).
La société Allopicnic ne conteste pas cette demande.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Allopicnic au paiement de la somme de 863,09 euros avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2020 et capitalisation des intérêts, ainsi qu'au paiement de la somme de 80 euros au titre de l'indemnité de recouvrement.
- Sur le parasitisme
La société Valor Consultants, société de portage salarial dont l'activité consiste, en application de l'article L1254-1 du code du travail, à conclure un contrat de travail avec un salarié porté lequel effectue une prestation pour le compte d'une entreprise cliente, déduit l'existence d'actes parasitaires de la création, par Mme [N] [U], dirigeante de la société Allopicnic, de la société Welcomepax en décembre 2019, dont l'activité consiste à faciliter la réservation de restaurants pour des groupes par des professionnels du tourisme (pièce n°53 de Valor Consultants).
Faute d'établir la valeur économique du savoir-faire allégué, il sera ainsi relevé que la société Valor Consultants ne rapporte pas la preuve d'actes parasitaires imputables à la société Allopicnic, dans la mesure où elle ne communique aucun élément susceptible de démontrer quantitativement et qualitativement les investissements engagés pour concevoir et promouvoir un concept original de centrale de réservations pour des groupes, facilitant l'organisation de prestations de repas dans des restaurants partenaires recensés au sein d'un réseau de restaurateurs.
En conséquence, aucun acte parasitaire n'étant démontré, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Valor Consultants de sa demande de condamnation de la société Allopicnic au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale et parasitaires.
- Sur l'abus du droit d'ester en justice
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Valor Consultants pour procédure abusive, dès lors que si la société Allopicnic s'est méprise sur l'étendue de ses droits, elle n'a pas fait dégénérer en abus son droit à l'exercice de son action en justice ni en première instance ni en appel.
VI - Sur les dépens
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Allopicnic aux dépens de première instance et à payer à la société Valor Consultants la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Allopicnic qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Allopicnic sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Valor Consultants la somme de 12 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société Allopicnic aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Allopicnic et la condamne à payer la somme de 12 000 euros à la société Valor Consultants.