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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 4, 28 mai 2025, n° 21/07227

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/07227

28 mai 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 28 MAI 2025

(n° /2025, 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07227 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGGY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/08797

APPELANTE

Madame [P] [W]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Amélie NAJSZTAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D2149

INTIMEES

UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST, représentée par sa Directrice nationale, Madame [V] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Hélène NEGRO-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197

S.E.L.A.R.L. ATHENA prise en la personne de Me [R] [J] es qualité de mandataire ad hoc de la « SAS [B] FRANCE »

[Adresse 1]

[Localité 6]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mars 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme MEUNIER Guillemette, présidente de chambre

Mme NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice

Mme MARQUES Florence, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Clara MICHEL, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 8 décembre 2014, la société [B] France, société employant moins de 11 salariés et ayant une activité de commerces de détail spécialisés divers, a conclu avec la société P&M Consulting, société ayant une activité de conseil pour les affaires et présidée par Mme [P] [W], un contrat de prestations de services.

Le 15 avril 2017, la société [B] France a consenti à Mme [W] un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein en qualité de directrice générale, statut cadre, à compter du 2 mai 2017.

La relation contractuelle était soumise à la convention collective du commerce des articles de sport et des équipements de loisirs.

Au dernier état de la relation contractuelle, la rémunération brute mensuelle de Mme [W] état de 5 000 euros.

Par courrier du 2 novembre 2018, Mme [W] s'est vu notifier la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants : « Conformément à l'article 8 du contrat de travail conclu le 15 avril 2017 entre la SASU [B] FRANCE et vous-même, la SASU [B] France vous avise par la présente de la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée du 15 avril 2017. Ce contrat est considéré comme résilié à compter du 2 février 2019 ».

Par acte du 3 octobre 2019, Mme [W] a assigné la société [B] France devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, dire et juger son licenciement nul à titre principal et dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire et condamner son employeur à lui verser diverses sommes relatives à l'exécution et à la rupture de la relation contractuelle.

Le 3 novembre 2020 a été prononcé la cessation des paiements à l'encontre de la société [B] France.

Par jugement du 3 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société [B] France.

La SELARL Athena prise en la personne de Me [J] ès mandataire liquidateur de la société [B] France et l'AGS CGEA Ile de France Ouest ont été convoqués à l'audience du 28 mai 2021.

Par jugement du 21 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a statué en ces termes :

- Fixe la créance de Mme [P] [W] sur le passif de la société [B] à la somme de :

* 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

* 700,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision.

- Dit que le présent jugement est opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA IDF Ouest dans la limite de ses garanties

- Déboute Mme [P] [W] du surplus de ses demandes.

- Met les dépens à la charge de la liquidation judiciaire.

Par déclaration du 6 août 2021, Mme [W] a interjeté appel de ce jugement, intimant la société Athena prise en la personne de Me [J] es qualité de mandataire liquidateur de la société [B] France et l'AGS CGEA Île-de-France Ouest.

A la requête de Mme [W] du 9 octobre 2024, la société Athena prise en la personne de Me [J] es qualité de mandataire ad hoc de la société [B] France a été assignée en intervention forcée devant la cour d'appel de Paris.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 janvier 2025.

EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 janvier 2024, Mme [W] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société [B] France les sommes suivantes :

' Sur le licenciement

A titre principal

- 40 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire :

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir écarté l'application du barème institué par les ordonnances du 22 septembre 2017 ;

A titre infiniment subsidiaire :

- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre très infiniment subsidiaire :

- 5 000 à titre de dommages et intérêt pour licenciement irrégulier ;

' Sur les autres demandes

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêt pour travail dissimulé,

- 20 000 euros à titre de dommage et en raison des circonstances vexatoires et abusives entourant la rupture du contrat de travail,

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêt en raison du préjudice lié au harcèlement moral et sexuel dont elle a été victime tout au long de la relation de travail,

- 15 000 euros à titre subsidiaire si le harcèlement n'était pas retenu au titre du manquement de l'employeur a l'obligation de sécurité de résultat,

- Assortir les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- Condamner la Société [B] Fance à payer à Mme [W] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Mettre les dépens à la charge de Me [R] [J] es qualité de mandataire ad hoc de la société [B] France ;

- Condamner Me [R] [J] es qualité de mandataire ad hoc de la société [B] France à remettre à Mme [W] les bulletins de salaire et attestation Pole Emploi rectifiés ;

- Juger la décision à intervenir opposable au CGEA IDF Ouest ;

- Juger que le CGEA IDF Ouest garantira les sommes fixées au profit de Mme [W], dans la limite de sa garantie légale et réglementaire.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 février 2022, l'AGS demande à la cour de :

- Donner acte à la concluante des conditions d'intervention de l'AGS notamment dans le cadre des dispositions du code de commerce rappelées ci-dessus, et des limites et plafonds de la garantie de l'AGS prévus notamment par les articles L.3253-6 à L.3253-17, L.3253-19 à L.3253-20 du code du travail et dire que la décision à intervenir ne pourra être déclarée opposable à l'AGS que dans ces conditions, limites et plafonds ;

- Confirmer le jugement dont appel ;

- Débouter Mme [W] de ses demandes, fins et conclusions ;

- Subsidiairement, rejeter les demandes de fixation de créances qui ne sont ni fondées dans leur principe ni justifiées dans leur montant et en tout état de cause, réduire aux seuls montants dûment justifiés les créances susceptibles d'être fixées, notamment à titre de salaires et à titre d'indemnités et dommages et intérêts.

La société Athena prise en la personne de Me [J] es qualité de mandataire liquidateur de la société [B] France n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l'existence d'un contrat de travail depuis le 8 décembre 2014 :

Mme [W] sollicite la requalification de la relation contractuelle depuis le 8 décembre 2014 en contrat de travail. Elle fait valoir qu'en exécution du contrat de prestations de services, elle assumait en réalité toutes les fonctions attribuées habituellement à une directrice administrative et financière et que les critères du contrat de travail sont réunis.

L'AGS réplique que le contrat du 8 décembre 2014 avait été consenti par la société [B] France au profit de la société P&M Conseils, immatriculée au RCS et présidée par Mme [W] depuis 2011, et non au profit de Mme [W] elle-même.

Il résulte des dispositions de l'article 1315 devenu 1353 du code civil qu'il appartient à celui qui s'en prévaut d'établir l'existence d'un contrat de travail, lequel est caractérisé par l'existence d'une prestation de travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination juridique entre l'employeur et le salarié, caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements.

Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail que l'existence d'une relation de travail ne dépend en effet ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.

Si, selon l'article L. 8221-6, I, du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce, les personnes physiques ou dirigeants de personnes morales, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription sur les registres que ce texte énumère, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail, cette présomption légale de non-salariat qui bénéficie aux personnes sous le statut d'auto-entrepreneur peut être détruite s'il est établi qu'elles fournissent directement ou par une personne interposée des prestations au donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme [W] assumait, à compter du mois de décembre 2014, des missions relatives à la gestion financière du compte bancaire de la société et des communications avec la banque, à la gestion comptable, en partenariat avec l'expert-comptable de la société, à la gestion sociale au sein de l'entreprise, comprenant le suivi des dossier sociaux, du dialogue social, et le contrôle des paies, ainsi qu'à la gestion juridique et administrative de la société, comprenant l'établissement des documents légaux de la société et réalisations des formalités administratives.

Il est établi qu'elle exerçait ainsi donc les fonctions attribuées habituellement à une directrice administrative et financière.

Il ressort également des éléments produits, et notamment des échanges de courriels, que Mme [W], qui s'était vu attribuer une adresse mail de la société (@grishko.fr), était intégrée au sein d'un service organisé et devait demeurer en contact étroit avec le dirigeant M. [B], qui déterminait sa rémunération et lui donnait des directives soit directement, soit par l'intermédiaire de ses salariées en Russie.

Il résulte des échanges de courriels des 2 septembre et 16 novembre 2015 que M. [B] avait ainsi indiqué à Mme [W] que si elle ne trouvait pas une solution afin d'obtenir un crédit, il gèlerait « tout ce qui est lié à l'activité de la société (') pour un délai indéterminé » et que le service comptabilité avait ensuite informé Mme [W] qu'il avait pris la décision d'annuler la rémunération d'une stagiaire, de ne plus payer le loyer du bureau et de modifier unilatéralement à la baisse sa rémunération à hauteur de 900 euros nets par mois.

En outre, la circonstance, relevée par la juridiction prud'homale, que Mme [W] ait reçu une formation de juriste n'est nullement de nature à faire obstacle à la requalification du contrat litigieux.

Il ressort ainsi des pièces produites que l'existence d'un contrat de travail, caractérisé par l'existence d'une prestation de travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination juridique entre Mme [W] et la société [B] France est établie. Le jugement sera donc infirmé à cet égard.

Il en résulte que Mme [W] est fondée à solliciter la reconnaissance d'un contrat de travail et, partant, de la qualité de salariée dès le 8 décembre 2014.

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur la demande au titre du travail dissimulé :

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Il résulte de l'article L. 8223-1 du même code qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours sans s'être soumis aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Pour allouer une indemnité pour travail dissimulé en application de l'article L. 8221-5 précité du code du travail, le juge doit rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation.

En l'espèce, au regard des éléments du dossier, l'intention de dissimulation de l'employeur n'est pas établie, le seul fait de recourir à un contrat inapproprié ne suffisant pas à caractériser une telle intention.

Par suite, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de l'appelante tendant à l'octroi d'une indemnité pour travail dissimulé.

Sur la caractérisation d'un harcèlement moral et d'un harcèlement sexuel :

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce en vigueur du 8 août 2012 au 31 mars 2022, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

L'article L. 1153-4 dans sa version applicable à l'espèce sanctionne par la nullité toute disposition ou tout acte contraire à ces dispositions.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1152-3 sanctionne par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2.

L'article L.1154-1 de ce code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral ou sexuel, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.

En l'espèce, en premier lieu, Mme [W] soutient qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement sexuel de la part du dirigeant de la société [B] qui n'a cessé de lui faire des avances pour tenter de bénéficier de ses faveurs, de proférer des remarques déplacées ou humiliantes et dégradantes, en la menaçant régulièrement de rompre son contrat.

La salariée produit, au soutien de ses allégations, outre une attestation émanant de son époux :

- la retranscription par un traducteur de deux messages audio laissés par M. [B] sur son répondeur indiquant : « ta voix est magnifique, même sur le répondeur », ou « encore la voix douce de ton répondeur » ;

- une attestation d'une ancienne collègue, Mme [X], qui déclare que « les réunions [avec M. [B]] avaient lieu dans son hôtel (') et cela principalement le week-end et ou en horaire décalé », qu'elle-même a « dès le début » « remarqué son attitude étrange envers » Mme [W] , étant témoin de « remarques déplacées » concernant notamment sa « voix sexy qu'il adorait écouter etc. », du fait que « après chaque réunion dans l'état d'ivresse, il insistait auprès d'elle pour qu'elle l'accompagne dans sa chambre », qu'il exerçait sur elle (Mme [W]) « une pression mentale » et lui faisait des « avances personnelles et propositions déplacées et vulgaires » ;

- une attestation d'une autre ancienne stagiaire, Mme [D], qui confirme que M. [B] tenait des propos « sexistes et souvent humiliants » à [P] [W], et rapporte notamment qu'en plein milieu d'une discussion d'affaires, il avait déclaré à celle-ci « tu as une voix sexy sur ton répondeur téléphonique. J'adore te laisser les messages » et suggéré aux autres salariées, à la fin du dîner, de rentrer chez elles, indiquant qu'il avait des « choses à voir » avec [P] [W] dans sa chambre d'hôtel, « avec un sourire malicieux » ;

- des retranscriptions de messages audio attestant des menaces alléguées, notamment en ces termes : « tu penses pouvoir te débrouiller seule ' Et que diras-tu si on ferme tout ce bordel ' Rappelle immédiatement » ; « cette histoire avec le répondeur ne passera pas. Sois-tu me rappelles soit ça va chauffer. Je peux être très mauvais ».

Les circonstances invoquées par l'AGS tenant à l'existence de liens personnels unissant les auteurs des attestations à l'appelante ou à l'absence de traduction par un tiers assermenté, alors qu'il ne résulte d'aucune pièce que la traduction litigieuse serait erronée, ne sont pas de nature à ôter à ces éléments toute valeur probante.

Il en va de même de l'absence de réclamation antérieure ou de signalement de la part Mme [W] auprès de l'inspection du travail ou du médecin du travail.

Les éléments présentés par la salariée caractérisent ainsi amplement la matérialité des faits allégués.

L'appelante produit, en outre, des éléments médicaux attestant de la dégradation de son état de santé.

Il en résulte que les éléments ainsi présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel.

L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement sexuel étant donc présumée, il incombe à l'employeur ou à son représentant de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'absence de telle preuve, le harcèlement sexuel est caractérisé.

En second lieu, Mme [W] soutient également qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral de la part du dirigeant de la société [B] qui a utilisé son statut de supérieur hiérarchique pour exercer sur elle une pression quotidienne, multipliant les actes et les remarques déplacées et humiliantes.

La salariée produit notamment, au soutien de ses allégations :

- un courriel du 8 décembre 2017 aux termes duquel elle était informée par les équipes en Russie qu'elle avait « jusqu'au mois d'avril 2018 pour rendre le chiffre d'affaires de la boutique rentable » faute de quoi M. [B] prendrait « une décision sur le changement de toute l'équipe » ;

- la traduction d'un message adressé à la salariée sur facebook messenger le 24 juillet 2018 lui indiquant qu'il faudrait qu'une des autres salariées en Russie vienne délivrer une présentation à l'équipe française afin de lui apprendre à faire son travail ;

- une traduction d'échanges dématérialisés via facebook messenger du 2 août 2018 dont il résulte que le dirigeant a annulé sans prévenir son équipe ses venues prévues en France en indiquant : « [Localité 6], petit et totalement perdu m'intéresse que très peu en ce moment' » et que l'équipe « devrait apprendre (') comment travailler dans une entreprise ».

Les éléments présentés par la salariée caractérisent la matérialité des faits allégués.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A défaut d'une telle preuve, le harcèlement moral est caractérisé.

Sur la demande de dommages et intérêts :

Il ressort du certificat médical établi par le Dr [E], que celui-ci atteste avoir reçu régulièrement Mme [W] depuis janvier 2019 en raison d'un « trouble anxiodépressif réactionnel à une problématique professionnelle », constitué par des symptômes dépressifs, des ruminations anxieuses, une perte d'appétit et des insomnies et nécessitant l'administration d'un traitement antidépresseur.

Au regard des éléments du dossier, les harcèlements moral et sexuel doivent être indemnisés, au vu de leur durée, de leurs circonstances et de leur impact sur la santé de la salariée, par l'octroi de la somme demandée de 10 000 euros de dommages et intérêts.

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur la nullité du licenciement et la demande indemnitaire correspondante :

En application des dispositions précitées des articles L. 1153-4 et L. 1152-3 du code du travail, le licenciement de Mme [W], qui s'inscrit dans le cadre du harcèlement moral et sexuel dont elle a été victime, ne peut qu'être annulé.

Le jugement doit donc être également infirmé sur ce point.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-14 du code du travail qu'en cas de nullité du licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise ou de licenciement opéré par un employeur employant habituellement moins de onze salariés, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi, sans que l'indemnité minimale prévue par l'article L. 1235-3-1 du code du travail ne soit applicable.

Contrairement à ce qu'allègue l'AGS, l'indemnisation du préjudice résultant du harcèlement moral et sexuel est distincte de celle résultant de la nullité du contrat.

Il est constant que la perte de son emploi par Mme [W] a eu d'importantes conséquences sur sa vie personnelle, alors qu'elle était la seule source de revenus du foyer avec un jeune enfant à charge, qu'elle est suivie et sous traitement médical, et n'a ainsi pas été en mesure de retrouver du travail pendant plus de 3 ans.

Compte tenu de l'âge de la salariée au jour de la rupture, de son ancienneté et de sa capacité à retrouver un emploi, la cour évalue à 20 000 euros le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement nul, infirmant le jugement sur ce point

Sur la demande de dommages et intérêts en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement :

Le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation.

En l'espèce, il ressort des courriels et copies d'écran produites que la salariée, qui a été dénigrée par la direction au moment de son licenciement, n'a pu obtenir de documents de fin de contrat dès lors que son employeur, s'étant aperçu de l'existence de difficultés juridiques entourant le licenciement en l'absence de tout motif, lui a demandé au préalable d'envisager l'hypothèse de démission ou de rupture conventionnelle.

Il en résulte également que l'employeur a multiplié les appels téléphoniques afin de l'inciter à accepter rétroactivement une rupture conventionnelle ou une démission.

Il est ainsi établi que son licenciement a eu lieu dans des conditions brutales et vexatoires, ce qui a occasionné à la salariée un préjudice distinct qu'il y a lieu d'évaluer, au regard des pièces produites, à la somme de 3 000 euros.

Sur la remise des documents sociaux :

L'employeur devra remettre à la salariée les documents conformes au présent arrêt.

Sur les intérêts :

Il sera rappelé que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

En application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à la salariée licenciée, à compter du jour de son licenciement, dans la limite de six mois.

Sur l'incidence de la procédure collective :

En premier lieu, en vertu de l'article L. 622-7 du code du commerce, le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.

En application de l'article L. 622-21 du code de commerce, les sommes dues par l'employeur en raison de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement, qu'il soit par cession ou par continuation, au régime de la procédure collective.

Il en résulte que les juges du fond doivent se borner à se prononcer sur l'existence et le montant des créances alléguées en vue de leur fixation au passif, sans pouvoir condamner le débiteur à payer celles-ci.

En l'espèce, les créances de la salariée ont pris naissance antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. Il sera donc constaté leur existence et leur montant en vue de leur fixation au passif selon les modalités précisées au dispositif.

En second lieu, selon le 1° de l'article L. 3253-8 du code du travail, l'AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après un plan de redressement, au régime de la procédure collective et la garantie de l'AGS doit intervenir selon les principes énoncés par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail.

En conséquence, le présent arrêt est opposable à l'AGS dans les limites légales et réglementaires.

Sur les frais du procès :

Au regard de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société assumera la charge des dépens ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande de Mme [P] [W] à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- statué sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

STATUANT A NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

CONSTATE l'existence des créances suivantes au profit de Mme [P] [W] sur la société [B] France et en FIXE le montant comme suit :

- 10 000 euros de dommages et intérêts de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral et sexuel ;

- 20 000 euros de dommages et intérêts de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement ;

- 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les circonstances brutales et vexatoires du licenciement ;

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et que les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts ;

CONSTATE au profit des organismes intéressés l'existence d'une créance sur la société [B] France, correspondant au remboursement de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [P] [W], à compter du jour de son licenciement, dans la limite de six mois ;

ENJOINT à la société [B] France de remettre à Mme [P] [W] les bulletins de salaires et attestation France travail conformes au présent arrêt ;

CONSTATE l'existence au profit de Mme [P] [W] sur la société [B] France d'une créance correspondant aux dépens en cause d'appel ;

CONSTATE l'existence au profit de Mme [P] [W] sur la société [B] France d'une créance au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et la fixe à 2 000 euros ;

DÉCLARE le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA Île-de-France Ouest qui devra sa garantie dans les conditions légales ;

REJETTE le surplus des demandes.

La greffière La présidente

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