CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 30 mai 2025, n° 22/09035
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Franki Fondation (SAS)
Défendeur :
Elimmo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Delacourt
Conseillers :
Mme Tardy, Mme Szlamovicz
Avocats :
Me Filmont, Me Samama-Samuel, Me Dumoulin
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société Elimmo a sollicité l'intervention de la société Immobio pour effectuer des travaux de terrassement sur un chantier situé [Adresse 1].
La société Elimmo a été désignée comme maître d'ouvrage.
Le 15 octobre 2018, la société Immobio a adressé un devis n°00288 comportant la réalisation de travaux de terrassement pour un montant de 100 300 euros HT soit 120 360 euros TTC.
La société Immobio a devisé la réalisation des pieux à la société Elimmo pour 62 400 euros HT (préparation des têtes de pieux pour 10 400 euros HT et réalisation des pieux forés pour 52 000 euros HT).
Pour la réalisation des travaux, elle a fait appel à un sous-traitant.
Le 23 avril 2019, la société Franki Fondation a fait une proposition technique et financière pour 60 000 euros HT qui a été acceptée par la société Immobio, le 20 juin 2019.
Le 31 juillet 2019, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la société Franki Fondation a adressé à la société Immobio sa facture n°19 07 1 020 8 (situation n°1) d'un montant de 57 000 euros avec une date d'échéance à 60 jours et une caution bancaire de 3 000 euros de la banque LCL.
Le 8 août 2019, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la société Franki Fondation a adressé le contrat de sous-traitance simplifié du BTP régularisé le 1er juillet 2019, à la société Immobio.
Le 30 août 2019, la société Immobio a facturé la société Elimmo pour les montants devisés.
Le 3 octobre 2019, la société Franki Fondation a mis en demeure la société Immobio de lui régler la somme de 57 000 euros HT.
Le 23 octobre 2019, la facture finale de 3 000 euros HT n° 19.10.1 031 8 (situation n°2) a été adressée.
Le 24 octobre 2019, le conseil de la société Franki Fondation a une nouvelle fois mis en demeure la société Immobio.
Le 8 janvier 2020, la liquidation judiciaire de la société Immobio a été prononcée par le tribunal de commerce de Bobigny avec une date de cessation des paiements au 8 juillet 2018.
Le 30 janvier 2020, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la société Franki Fondation a une nouvelle fois mis en demeure la société Immobio de lui payer les deux factures pour un montant total de 60 000 euros. Cette mise en demeure n'a pas été adressée au liquidateur de la société Immobio.
Le même jour, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la société Franki Fondation a adressé la copie de cette mise en demeure à la société Elimmo revendiquant le paiement direct à défaut de règlement de la société Immobio dans le délai d'un mois.
Le 13 novembre 2020, la société Franki Fondation a attrait la société Elimmo devant le tribunal de commerce de Bobigny aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 60 000 euros.
Par jugement du 15 mars 2022, le tribunal de commerce de Bobigny a statué en ces termes :
Reçoit la société Franki Fondation en sa demande, la dit infondée, n'y fait pas droit,
Déboute la société Franki Fondation de l'intégralité de ses demandes,
Condamne la société Franki Fondation à payer à la société Elimmo la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit, et qu'il n'y a pas lieu de l'écarter,
Condamne la société Franki Fondation aux dépens de l'instance,
Liquide les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 70,91 euros TTC (dont 11,82 euros de TVA).
Par déclaration en date du 5 mai 2022, la société Franki Fondation a interjeté appel du jugement, intimant devant la société Elimmo la cour.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2024, la société Franki Fondation demande à la cour de :
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny (n° RG 2021F01772) le 15 mars 2022 ;
Et statuant à nouveau :
Condamner la société Elimmo à payer à la société Franki Fondation la somme de 60 000 euros avec intérêt au taux légal et ce, à compter du 30 janvier 2020, date de la mise en demeure, avec capitalisation des intérêts de droit, en vertu de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamner la société Elimmo à payer à la société Franki Fondation la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Elimmo aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELAR FL avocats en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 octobre 2024, la société Elimmo demande à la cour de :
Confirmer le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bobigny;
Y ajoutant,
Condamner la société Franki Fondation à payer à la société Elimmo la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 24 octobre 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 21 novembre 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Sur la demande en paiement direct de la société Franki Fondation
Moyens des parties
La société Franki Fondation critique le jugement qui a considéré qu'elle ne rapportait pas la preuve de son agrément par le maître d'ouvrage et que celui-ci n'avait pas connaissance de sa présence sur le chantier. Elle soutient que la société Elimmo savait que la prestation était traitée par elle et non par la société Immobio qui ne disposait pas des moyens techniques ni humains pour l'exécuter.
Elle conteste le paiement de ses prestations par la société Elimmo au profit de la société Immobio selon facture du 30 août 2019, en l'absence de référence et dès lors que les paiements sont intervenus avant le démarrage des travaux de fondation.
Elle fait valoir que la société Elimmo a failli dans l'exécution de ses obligations en sa qualité de maître d'ouvrage et engage de ce fait sa responsabilité délictuelle vis-à-vis d'elle et réclame sa condamnation à lui payer la somme de 60.000 euros avec intérêt au taux légal et ce à compter du 30 janvier 2020, date de la mise en demeure.
La société Elimmo fait valoir que les conditions de paiement direct du sous-traitant ne sont pas remplies et que l'examen de ses relevés bancaires permet d'établir qu'elle a procédé au paiement de la société Immobio par le versement de 50 % soit 55 000 euros à l'acceptation du devis en novembre 2018, puis de 45 % soit 64 900 en décembre, janvier et février 2019.
Elle soutient encore que la société Franki Fondation ne justifie pas de la réalisation des travaux et qu'elle n'a pas déclaré sa créance à la liquidation judiciaire de la sté Immobio.
Réponse de la cour
Selon l'article 3 de la loi 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande.
Lorsque le sous-traitant n'aura pas été accepté ni les conditions de paiement agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, l'entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous-traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l'encontre du sous-traitant.
Selon l'article 12 de la loi d'ordre public précitée, le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l'ouvrage. Toute renonciation à l'action directe est réputée non écrite.
Cette action directe subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites.
Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1799-1 du code civil sont applicables au sous-traitant qui remplit les conditions édictées au présent article.
Selon l'article 13 de la loi d'ordre public précitée, l'action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l'ouvrage est effectivement bénéficiaire. Les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure prévue à l'article précédent.
La faute du maître d'ouvrage
Selon l'article 14-1 de la loi d'ordre public précitée, pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :
le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ;
si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution. [']
Selon l'article 1382 du code civil devenu 1240 du même code, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il résulte de la combinaison des articles précités que le maître d'ouvrage qui a manqué aux obligations lui incombant en application de l'article 14-1 précité , ne peut être tenu de payer, à titre de dommages et intérêts que des sommes dont il est redevable à l'entrepreneur principal au jour où il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.
La connaissance par le maître de l'ouvrage de la présence du sous-traitant est une question de fait appréciée souverainement par les juges du fond.
Le maître de l'ouvrage est tenu des obligations instituées par l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 dès qu'il a connaissance de l'existence du sous-traitant, nonobstant son absence sur le chantier et l'achèvement de ses travaux ou la fin du chantier (3ème Civ., 11 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.077, Bull. 2013, III, n° 105).
En l'espèce, les sociétés Franki Fondation et Immobio sont bien liées par un contrat de sous-traitance en date du 1er juillet 2019 qu'elles ont cosigné.
La société Elimmo a eu connaissance de la présence de la société Franki Fondation sur le chantier de construction des logements du [Adresse 1] car celle-ci lui a diffusé pour information, en cours d'exécution du chantier, le dossier de synthèse des travaux de sous-sol (note de calcul fondations), document à son en-tête lequel mentionnait également sa spécificité en maîtrise des technologies du sol et du sous-sol (pieux, micropieux, soutènements, parois clouées, amélioration de sols, soil-mixing).
La société Elimmo qui est restée passive en ne respectant pas les obligations du maître de l'ouvrage informé de la présence du sous-traitant telles que rappelées dans les articles précités qui imposent au maître de l'ouvrage de mettre en demeure l'entreprise principale de faire accepter ses sous-traitants et de faire agréer leurs conditions de paiement mais aussi de vérifier qu'ils bénéficient de la garantie de paiement prévue par la loi, est tenue de réparer le préjudice de la société Franki Fondation du fait de la défaillance de la société Immobio, entreprise principale.
Les dommages et intérêts
Le maître de l'ouvrage, qui a connaissance de la présence d'un sous-traitant sur le chantier, s'abstient de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de ses obligations, fait perdre à celui-ci le bénéfice de l'action directe.
Seul le sous-traitant accepté par le maître de l'ouvrage et dont les conditions de paiement ont été agréées, dispose de l'action directe.
Le maître de l'ouvrage, qui a manqué aux obligations lui incombant en application de l'article 14-1 de la loi précitée, ne peut être tenu de payer, à titre de dommages et intérêts, que des sommes dont il est redevable à l'entrepreneur principal au jour où il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier (3ème Civ., 16 mars 2023, pourvoi n° 21-25.724 ; 3ème Civ., 18 janvier 2024, pourvoi n° 22-20.995, 22-22.224, 22-22.302, publié).
La réalisation des travaux n'a jamais été contestée par l'entreprise principale, pas plus que la facturation qui correspond à la proposition technique et financière acceptée.
Le dossier de synthèse de la société Franki Fondations a été diffusé la première fois le 9 juillet 2019, une mise à jour a été diffusée le 22 juillet 2019, puis une seconde concernant le pieu n°26 le 21 août 2019.
La société Franki Fondation a adressé à la société Immobio une mise en demeure le 31 juillet 2019 pour obtenir le paiement de la facture n° 19 07 1 020 8 du 31 juillet 2019, cette demande de paiement a été réitérée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception les 8 août 2019 et 3 octobre 2019.
La société Franki Fondations a mis en demeure la société Elimmo le 30 janvier 2020 d'avoir à lui payer cette somme de 57 000 euros au titre de la situation n° 1 ainsi que celle de 3 000 euros au titre de la situation n°2 (caution bancaire).
Cependant, à la date du 9 juillet 2019, la société Elimmo avait déjà réglé l'entreprise principale puisqu'elle produit ses relevés de comptes sur la période du 31 octobre 2018 au 28 février 2019 mentionnant des virements au profit de la société Immobio pour 119 900 euros, somme qui correspond à 100 euros près au montant de la facture de la société Immobio du 30 août 2019.
Même si les conditions de paiement figurant au devis n'ont pas été respectées, que le versement initial ne correspond pas au 50 %, que des paiements sont intervenus lors de la suspension des travaux et que les sommes ont été payées avant la facturation, la société Elimmo justifie du paiement de la facture de la société Immobio à hauteur de 119 900 euros sur un montant TTC de 120 000 euros antérieurement à la date justifiant qu'elle a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.
Il est ainsi établi qu'à la date où la société Elimmo a pu avoir connaissance de la présence de la société Franki Fondations en qualité de sous-traitant sur le chantier, elle ne devait plus de règlement à l'entreprise principale. Il n'y a donc pas lieu à condamner la société Elimmo à payer la somme de 60 000 euros à la société Franki Fondations et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la demande de la société Elimmo de 2 000 euros est indiquée au titre de l'article 699 du code de procédure civile et doit être interprétée comme une demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Cependant compte tenu de la teneur de la décision, aucune condamnation ne sera prononcée en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevable la demande de la société Franki Fondation à hauteur de la somme de 3 000 euros, et recevable pour le surplus, soit 57 000 euros,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la société Franki Fondation aux dépens d'appel,
Admet les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.