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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 30 mai 2025, n° 22/02704

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Florwell (SCI)

Défendeur :

Florwell (SCI), Eiffage Constructions Alsace (SNC), Menuiserie Ebenisterie Erhard Roger (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Denort, Mme Hery

Avocats :

Me Renaud, Me Litou-Wolff, Me Levy, Me Bischhoff-de Oliveira, Me Chevallier-Gaschy

TJ Strasbourg, du 8 juin 2022, n° 22/027…

8 juin 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Selon acte authentique du 21 juin 2006, M. [B] [P] a acquis de la SCI Florwell un appartement en l'état futur d'achèvement.

Un procès-verbal de livraison a été établi le 19 décembre 2008, avec réserves.

Se plaignant de différents désordres et défauts d'achèvement, M. [P] a assigné la SCI Florwell devant le juge des référé aux fins de voir ordonner une expertise le 10 février 2010.

Cette mesure d'instruction a été ordonné le 27 avril 2010 et confiée à M. [G]. Les opérations d'expertise ont été étendues à la société Eiffage construction Alsace par ordonnance du 3 mai 2011. L'expert a déposé son rapport le 30 décembre 2013.

Selon exploit du 16 février 2018, M. [P] a fait citer la SCI Florwell devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins d'indemnisation de son préjudice. Celle-ci a formé des appels en garantie contre les sociétés Menuiserie ébénisterie Erhard Roger et Eiffage construction Alsace.

Par jugement du 8 juin 2022, le tribunal a :

- écarté les conclusions récapitulatives n°2 de la société Eiffage construction Alsace ;

- déclaré irrecevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la société Eiffage construction Alsace ;

- déclaré l'action de M. [P] prescrite s'agissant des travaux de reprise et d'achèvement concernant les défauts de conformité ;

- débouté M. [P] de sa demande indemnitaire s'agissant des travaux de reprise et d'achèvement concernant des vices de construction ;

- débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir leu à exécution provisoire ;

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres fins, moyens, demandes et prétentions ;

- condamné M. [P] aux dépens.

Sur la nullité de l'assignation, le tribunal a relevé qu'il s'agissait d'une exception de procédure relevant de la compétence exclusive du juge de la mise en état qui avait statué par une ordonnance du 5 mai 2021.

Le tribunal a relevé que M. [P] demandait indemnisation au titre de différents défauts de conformité apparents, tels que siphon en PVC au lieu d'être en inox, absence de mise en oeuvre des équipements de robinetterie, positionnement des commandes, non-conformités relatives à la réglementation en matière d'habitation pour les personnes à mobilité réduite... ; que la livraison était intervenue le 19 décembre 2008, quand bien-même l'appartement n'était-il pas achevé ; que selon le contrat de vente en l'état futur d'achèvement, l'action au titre des défauts de conformité apparents devait être engagée dans un délai de 13 mois à compter de la livraison, soit avant le '20 janvier 2009", de sorte que l'action était prescrite avant même l'assignation en référé.

S'agissant des vices de construction, tels que manipulation difficile de la porte d'entrée, rayures des vitrages, défaut de fixation du ballon d'eau chaude, absence de finition du carrelage..., le tribunal a considéré qu'il s'agissait de vices apparents, pour lesquels le délai pour agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle était de 5 ans à compter du 19 décembre 2008. Le tribunal a relevé que ce délai avait été interrompu par l'assignation en référé, qu'un nouveau délai avait commencé à courir le 27 avril 2010, date de l'ordonnance ayant fait droit à la demande, qui avait été suspendu par les opérations d'expertise, et en a déduit que la demande était recevable.

Le tribunal a ensuite rappelé que s'agissant d'une vente en l'état futur d'achèvement, l'acquéreur bénéficiait de la garantie spécifique prévue par l'article 1642-1 dans sa version antérieure à la loi du 25 mars 2009, pour les vices de construction apparents, et que cette action était exclusive de l'action en responsabilité contractuelle de droit commun. Or, M. [P] n'agissant pas sur ce fondement, sa demande devait être rejetée.

M. [P] a interjeté appel de ce jugement selon déclaration reçue par voie électronique le 12 juillet 2022, intimant la SCI Florwell. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 22/02704.

Par conclusions du 27 décembre 2022, signifiées respectivement les 29 et 31 décembre 2022, la SCI Florwell a formé des appels provoqués dirigés contre les sociétés Menuiserie ébénisterie Erhard Roger et Eiffage construction Alsace, aux fins de rechercher leur garantie.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 3 septembre 2024 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoiries du 24 janvier 2025.

Par requête transmise le 11 octobre 2024, le conseil de la société Menuiserie ébénisterie Erhard Roger a demandé que soit ordonnée l'interruption de l'instance suite au placement en liquidation judiciaire de cette société le 6 août 2024.

Par ordonnance du 15 novembre 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture, déclaré l'instance interrompue et imparti aux parties un délai expirant le 7 janvier 2025 pour reprendre l'instance, et a dit que sauf demande de prorogation expresse des parties, l'affaire serait radiée d'office, et que l'affaire était renvoyée au 7 janvier 2025 pour clôture.

M. [P] a saisi la cour de deux 'actes de reprise de l'instance et conclusions d'appel', transmis par voie électronique, le 10 décembre 2024, qui ont donné lieu à l'ouverture de deux dossiers distincts portant respectivement les numéros RG 24/04385 et 24/04386.

Par requête transmise le 6 janvier 2025, la SCI Florwell a demandé qu'il soit constaté que l'instance n'avait pas été valablement reprise par l'appelant et en conséquence, que soit ordonnée la radiation de l'affaire, en l'absence de mise en cause des organes de la procédure collective dont fait l'objet la société Menuiserie ébénisterie Erhard Roger.

Par ordonnance du 9 janvier 2025, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des procédures suivies sous les numéros RG 24/04385 et 24/04386 à la procédure suivie sous le numéro RG 22/02704, rejeté la demande de radiation, constaté que l'instance demeurait interrompue à l'égard de la société Menuiserie ébénisterie Erhard Roger, que l'instance se poursuivait dans les rapports entre M. [B] [P] et la SCI Florwell, d'une part, et entre la SCI Florwell et la société Eiffage construction Alsace, d'autre part, et a ordonné la clôture de l'instruction.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 octobre 2023 dans le dossier RG 22/2704 et le 10 décembre 2024 pour ses conclusions de reprise d'instance dans les dossiers joints, M. [P] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de :

- condamner la SCI Florwell à lui payer les sommes de :

* 92 680 euros au titre des travaux de reprise, d'achèvement et de mise en conformité augmentée de la variation de l'indice 'TP' 01 à compter du 1er janvier 2014,

* 750 euros par mois à compter du 1er janvier 2009 au titre de la perte d'exploitation locative jusqu'à la reprise des travaux,

* 12 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 8 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* 4 461,01 euros au titre des frais de l'expert,

- la condamner aux dépens,

- la débouter ainsi que la société Eiffage construction Alsace de leurs prétentions.

Il fait valoir que la cour est bien saisie de prétentions puisqu'il demande l'infirmation du jugement et reprend les demandes de condamnation formulées en première instance.

Il soutient que sa demande n'est pas prescrite puisqu'elle a été interrompue par l'assignation en référé.

Il fait valoir qu'au jour de la livraison, l'appartement n'était pas achevé au sens de l'article R.261-1 du code de la construction et de l'habitation puisque les éléments sanitaires n'étaient pas posés sans qu'il se soit réservé ces travaux, qu'aucun certificat d'achèvement du maître d'oeuvre, comme prévu par les stipulations contractuelles, n'avait été établi, et que le procès-verbal de livraison et de remise des clés n'atteste aucunement de l'achèvement légal, la SCI Florwell qui appartient au groupe Spiral ayant conservé un jeu de clés, de sorte que c'est à tort que le premier juge a considéré que les dispositions des articles 1642-1 et suivants du code civil devaient s'appliquer.

Il reproche au vendeur d'avoir manqué à son obligation d'achèvement et soutient qu'il n'a pas renoncé à demander l'achèvement tel que prévu par l'article L.261-2 du code de la construction et de l'habitation. Il considère que seule la constatation de l'achèvement donne lieu à application de l'article 1642-1 du code civil, et aux garanties légales des constructeurs.

Il sollicite, par application de l'article 256 du code local de procédure civile, que soit constatée la disqualification des effets juridiques du procès-verbal de livraison.

Il soutient que la SCI Florwell a manqué à son obligation de délivrer un bien exempt de vices, en application de l'article 1603 du code civil, qu'elle a commis divers manquements essentiellement de conformités et relevant d'inexécutions contractuelles, outre le défaut de conformité de l'ensemble à la destination d'habitation pour les personnes à mobilité réduite, le vendeur ayant dûment accepté ce souhait de M. [P], et qu'elle devra l'indemniser des préjudices découlant de ces manquements, ainsi que de la perte de loyers subie depuis le 1er janvier 2009, et du préjudice moral qu'il a subi dans un contexte de forte détérioration de son état de santé.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 juillet 2023, la SCI Florwell demande à la cour, au visa des articles 910-1, 910-4 et 954, alinéa 3 du code de procédure civile, de dire que la cour n'est pas saisie du chef de la prescription constatée et jugée par le tribunal, et en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a dit prescrite l'action de M. [P] relative aux défauts de conformité, de dire irrecevable comme prescrite, subsidiairement infondée, la prétention de M. [P] au titre des travaux d'achèvement et de mise en conformité, ainsi que ses autres demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens d'appel y compris ceux afférents à ses appels en garantie.

Elle forme des appels provoqués subsidiaires, aux fins de voir condamner in solidum les sociétés Menuiserie ébénisterie Erhard Roger et Eiffage construction Alsace à la garantir de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre, en principal, intérêts, dommages et intérêts, article 700 du code de procédure civile et frais, ainsi qu'aux dépens des appels provoqués et au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle conclut au rejet de toutes conclusions contraires ou prétentions dirigées contre elle.

Elle fait valoir que la cour ne peut que confirmer le jugement qui a dit l'action prescrite puisque le dispositif des conclusions de M. [P] ne comporte aucune prétention relative à la prescription, le seul fait de demander l'infirmation du jugement de ce chef n'étant pas suffisant, le jugement n'étant donc pas dévolu à la cour de ce chef.

Subsidiairement, elle soutient qu'il est clair que la demande est prescrite, puisqu'elle est fondée sur l'existence de réserves telles que dénoncées, soit dans un procès-verbal de réception, soit dans l'assignation qui se réfère à un constat d'huissier du 23 octobre 2008.

Elle relève que la demande est fondée expressément et exclusivement sur la responsabilité contractuelle ; que les délais de prescription ont été interrompus par l'assignation en référé et que l'ordonnance de référé du 27 avril 2010 a fait 'repartir' les deux délais en matière de levée des réserves, à savoir le délai d'un an de l'article 1792-6 du code civil et le délai de cinq ans du droit général pour agir en responsabilité contractuelle, lesquels étaient expirés avant l'assignation au fond.

En outre, s'agissant d'une vente en l'état futur d'achèvement le délai pour agir concernant les vices ou défauts de conformité apparents est de 13 mois à compter de l'entrée en possession de l'acquéreur, conformément à l'article 1648, alinéa 2 du code civil, ce délai étant d'ordre public. Elle souligne que si la désignation d'un expert par voie de référé a interrompu le délai de prescription, ce délai a recommencé à courir à compter du dépôt du rapport augmenté seulement de six mois.

La SCI Florwell ajoute que M. [P] a accepté la livraison et signé le procès-verbal de livraison et que le délai de cinq ans pour le contester est lui aussi expiré.

Elle indique qu'il a été très difficile d'entrer en relation avec M. [P] pour la levée des réserves et que ce dernier a été débouté par l'ordonnance de référé du 27 octobre 2010 de sa demande tendant à voir prononcer la 'livraison judiciaire' de l'appartement, sans engager aucune procédure au fond à cette fin.

Au fond, le rapport a été déposé en l'état, M. [P] n'ayant pas souhaité poursuivre les opérations d'expertise, il est donc inopposable tant à l'égard de la SCI Florwell que des appelés en garantie qui n'ont pas été convoqués. L'expert n'a pas répondu aux dires, ni établi de pré-rapport. Subsidiairement, les demandes sont mal fondées car les entreprises se sont heurtées à un refus d'intervention ou une absence de M. [P] qui ne donnait pas suite aux rendez-vous. Par ailleurs, il demande des prestations qui n'étaient pas prévues. Enfin, elle souligne que l'appartement est loué depuis dix ans.

La SCI Florwell forme des appels provoqués aux fins d'être garantie par les sociétés Menuiserie ébénisterie Erhard Roger et Eiffage construction Alsace.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 février 2024, la société Eiffage construction Alsace conclut à l'irrecevabilité en tous cas au rejet de l'appel de M. [P] et à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de M. [P] et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes. Elle demande à la cour de déclarer la SCI Florwell irrecevable, en tous cas mal fondée en son appel en garantie, et de le rejeter, de déclarer la société Menuiserie ébénisterie Erhard Roger irrecevable, en tous cas mal fondée, en son appel provoqué et le rejeter.

Elle forme appel incident pour demander la réformation du jugement et que la cour statuant à nouveau, prononce la nullité de l'assignation et des conclusions de la SCI Florwell faute de préciser les fondements et moyens juridiques à l'appui de la condamnation sollicitée, et au débouté des demandes de celle-ci dirigées contre elle.

Elle sollicite en outre la nullité du rapport d'expertise, que la cour déboute la SCI Florwell de ses demandes et en tant que de besoin, dise et juge que la garantie de parfait achèvement est expirée depuis le 19 décembre 2009 sans aucun acte interruptif à l'égard de la société Eiffage construction Alsace et que la prescription de la responsabilité contractuelle est acquise depuis le 3 mai 2016, et déclare la SCI Florwell prescrite et forclose à agir. Subsidiairement, elle demande de limiter toute éventuelle condamnation au seul poste 'porte d'entrée' et de condamner la société Menuiserie ébénisterie Erhard Roger à la garantir. En tout état de cause, elle demande à la cour de condamner la SCI Florwell aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle approuve le jugement en ce qu'il a déclaré la demande de M. [P] irrecevable, la contestation de la réalité de la livraison lui étant inopposable et le prétendu défaut d'achèvement étant inopérant à son égard.

Elle rappelle que le délai de l'article 1648, alinéa 2 du code civil est un délai de forclusion qui n'est pas susceptible de suspension.

Elle soutient par ailleurs que l'assignation délivrée par la SCI Florwell est nulle faute d'indication des moyens et du fondement juridique de sa demande. Le tribunal a estimé que l'exception relevait de la compétence du juge de la mise en état, or ce même juge avait estimé qu'il n'y avait aucun grief par une ordonnance du 5 mai 2021. La SCI Florwell n'a pas régularisé la procédure puisqu'elle n'a invoqué aucun fondement ni aucun moyen de droit dans ses conclusions, en méconnaissance de l'article 753 du code de procédure civile.

Elle invoque ensuite la nullité du rapport d'expertise, le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté, observant que la réunion qui a fait suite à sa mise en cause n'a concerné que des défauts d'acoustique et qu'aucune pièce ne lui a été communiquée, de sorte qu'il n'y a eu ni constatation, ni débats la concernant.

Elle estime que la SCI Florwell est elle aussi forclose à agir que ce soit sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ou de la responsabilité contractuelle, s'agissant de vices apparents à la réception intervenue le 19 décembre 2008, car elle aurait dû être assignée avant le 18 décembre 2009.

Au fond, elle soutient que la SCI Florwell ne recherche sa responsabilité qu'au titre de la porte d'entrée qui frotte ce qui rend sa manipulation difficile, or ce vice était apparent à la réception intervenue en 2008 et a été purgé par la réception sans réserves. Subsidiairement, elle se prévaut d'un procès-verbal de levée des réserves signé le 4 juin 2010 emportant acceptation par le 'promoteur' de l'ouvrage tel que réalisé. Enfin la preuve d'une faute de sa part n'est pas rapportée, et le montant réclamé par M. [P] est exorbitant au regard du caractère mineur des malfaçons dénoncées et du prix d'acquisition de 142 500 euros.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel et la saisine de la cour

La société Eiffage construction Alsace conclut à l'irrecevabilité de l'appel de M. [P] mais sans soulever aucun moyen précis. En l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, il y a lieu de déclarer l'appel de M. [P] recevable.

La SCI Florwell soutient que la cour n'est saisie par M. [P] d'aucune prétention concernant la prescription, puisqu'il ne sollicite pas de la cour qu'elle déclare sa demande recevable.

La cour constate que M. [P] demande l'infirmation du jugement qui a déclaré sa demande pour partie irrecevable, et présente par ailleurs des prétentions au fond, ce qui implique la recevabilité de sa demande.

La jurisprudence dont se prévaut la SCI Florwell - Civ. 2ème 4 fév.2021 n° 19-23.615 - qui se rapporte à une absence de prétention relative à une exception de procédure rejetée en première instance, n'est pas transposable, dans la mesure où dans la situation présente, ce n'est pas M. [P] qui avait soulevé la fin de non-recevoir qui a été admise par le tribunal.

La cour est donc bien saisie du rejet de la fin de non-recevoir puisque M. [P] demande qu'il soit statué au fond, alors que la SCI Florwell et la société Eiffage construction Alsace demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré sa demande pour partie prescrite.

Enfin, la cour relève que la procédure en tant que dirigée contre la société Menuiserie ébénisterie Erhard Roger étant interrompue du fait de son placement en liquidation judiciaire, elle n'a pas à statuer sur les demandes formées contre cette société par la SCI Florwell et la société Eiffage construction Alsace qui n'ont pas régularisé la procédure en appelant en cause le liquidateur judiciaire.

Sur la nullité de l'assignation délivrée à la société Eiffage construction Alsace et des conclusions de la SCI Florwell dirigées contre elle

La société Eiffage construction Alsace forme appel incident pour demander l'infirmation du jugement en tant qu'il a déclaré irrecevable l'exception de nullité de l'assignation qui lui a été délivrée, sans toutefois critiquer les motifs pertinents du premier juge, qui a relevé que l'exception relevait de la compétence exclusive du juge de la mise en état qui avait statué par une ordonnance du 5 mai 2021.

Aucun moyen n'est par ailleurs expressément soulevé relatif à la recevabilité des conclusions d'appel de la SCI Florwell dirigées contre la société Eiffage construction Alsace, lesquelles seront déclarées recevables.

Sur la recevabilité des demandes de M. [P]

Il est constant que M. [P] a pris possession le 19 décembre 2008 de l'appartement qu'il avait acquis en l'état futur d'achèvement, les clés lui ayant été remises à cette date.

Une clé a certes été conservée par la société Spiral, gérante de la SCI Florwell, pour la levée des réserves, mais il résulte toutefois d'un courrier de la société Spiral adressé au conseil de M. [P] le 26 octobre 2009 et de messages électroniques échangés entre les parties les 18 et 19 février 2009 que cette clé a été restituée le 18 février 2009, ce que l'appelant avait d'ailleurs admis dans un courriel du 19 février 2009 tout en prétendant que des entreprises avaient pu avoir accès à l'appartement après cette remise, ce qui a été formellement démenti par la SCI Florwell.

Comme l'a retenu le tribunal, M. [P] ne peut, pour contester l'effectivité de la livraison, exciper du fait que la SCI Florwell avait conservé une clé, avec son accord, pour pouvoir effectuer les travaux de levée des réserves, alors qu'il indiquait lui-même dans différents courriels être toujours en déplacement.

Le procès-verbal de livraison du 19 décembre 2008 mentionne différentes réserves concernant notamment la pose d'une cuvette de WC suspendu, de la robinetterie douche et de la faïence murale dans la salle de bains. Il sera toutefois relevé que ce dernier poste a fait l'objet d'une moins-value dûment acceptée par M. [P] le 15 décembre 2008.

Selon l'article 1642-1 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de la loi n°2009-323 du 25 mars 2009, 'le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction alors apparents'.

Selon l'article 1648, alinéa 2 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n°2005-136 du 17 février 2005, 'dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices apparents'.

Le délai d'un an prévu par ce texte, s'agissant de l'action relative aux vices de construction apparents, commence à courir soit à l'expiration du délai d'un mois suivant la livraison, soit au jour de la réception des travaux si elle est postérieure à la livraison.

M. [P] ne soutient nullement que la réception des travaux serait intervenue postérieurement à la livraison.

Le tribunal a relevé, à juste titre, que bien que les dispositions précitées ne visent que les vices de construction apparents, les parties étaient toutefois convenues de soumettre, à peine de forclusion, l'action en garantie des défauts de conformité apparents à un délai d'un an courant à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la livraison, - cf clause figurant en page 27 de l'acte, reproduite par le tribunal -.

Pour contester l'application de ces dispositions légales et contractuelles, et soutenir que le procès-verbal de livraison serait dépourvu d'effet, et qu'il n'a donc pas pu faire courir les délais précités, l'appelant se prévaut d'un défaut d'achèvement de l'immeuble au sens des articles 1601-2 et L. 261-2 du code de la construction et de l'habitation qui définissent la vente d'immeuble à construire, et R. 261-1 de ce même code qui définit l'achèvement.

Or, ni l'article 1642-1 du code civil qui fait référence à la prise de possession par l'acquéreur, ni la disposition contractuelle précitée qui fait référence à la livraison, ne visent l'achèvement de l'immeuble.

Si la livraison suppose l'achèvement, elle ne prive pas pour autant l'acquéreur de la possibilité de prendre possession de l'immeuble en l'état et d'émettre des réserves relatives à d'éventuels défauts d'achèvement concernant des éléments d'équipement.

En l'espèce, M. [P] a accepté de prendre livraison de l'appartement et la remise des clés d'une part, sans se prévaloir de l'absence de notification préalable d'un certificat d'achèvement établi par le maître d'oeuvre tel que cela était prévu contractuellement, certificat qu'il ne prétend ni ne justifie avoir réclamé avant ou après la livraison, d'autre part, en mentionnant dans le procès-verbal de livraison des réserves s'agissant des défauts d'achèvement concernant les équipements sanitaires.

À cet égard, il peut-être relevé qu'il ressort des échanges de courriels versés aux débats par l'appelant que le 4 décembre 2008, alors qu'il s'inquiétait de savoir si l'appartement pourrait être livré mi-décembre, la SCI Florwell lui rappelait qu'il n'avait toujours pas fait connaître son choix pour la faïence murale de la salle de bains ; que l'appelant acceptait de prendre ces travaux à sa charge, un avenant en moins-value étant établi le 15 décembre 2008 ; que M.[P] confirmait ultérieurement son accord pour prendre possession de l'appartement le 19 décembre 2008 afin de pouvoir ensuite 'faire terminer les travaux (faïence murale, salle de bains, cuisine et placards...)', afin que l'appartement puisse être habitable 'courant ou fin Q1 2009", ce qui démontre qu'il avait pleinement conscience de l'inachèvement des travaux et du fait que l'appartement n'était pas immédiatement habitable, étant enfin observé que la pose d'une vasque avec robinetterie dans la salle de bains avait également fait l'objet d'un avenant en moins-value le 15 décembre 2008, M. [P] prenant ces travaux à sa charge.

Dans ces conditions, l'appelant qui a accepté de prendre livraison du bien en connaissance de cause ne peut soutenir que le procès-verbal de livraison ne pourrait produire effet.

C'est vainement qu'il demande à la cour de 'disqualifier' les effets juridiques du procès-verbal de livraison en faisant application des dispositions de l'article 256 du code local de procédure civile maintenu en vigueur dans les trois départements d'Alsace-Moselle selon lequel : 'le demandeur peut agir en justice pour faire constater l'existence ou la non-existence d'un rapport de droit, pour faire reconnaître un titre ou faire constater sa fausseté toutes les fois qu'il a un intérêt juridique à établir immédiatement, par décision judiciaire, le rapport de droit, la sincérité (Echtheit) ou la fausseté du titre', ce texte n'ayant pas vocation à s'appliquer en l'espèce, puisque les rapports de droit entre les parties découlent du contrat de vente en l'état futur d'achèvement les liant et des dispositions légales régissant ce contrat.

Il n'est pas discuté que l'ensemble des défauts de conformité et vices de construction qui pour l'essentiel consistent en des défauts de finitions, étaient apparents au jour de la livraison, y compris s'agissant du respect des normes applicables pour l'adaptation des locaux aux personne à mobilité réduite.

La cour approuve le tribunal qui a constaté, s'agissant des défauts de conformité, que M. [P] disposait, en vertu des dispositions contractuelles précitées, d'un délai pour agir de 13 mois à compter de la livraison, soit jusqu'au 19 janvier 2010, et non pas 20 janvier 2009 comme indiqué par erreur, de sorte que la forclusion était acquise au jour de la délivrance de l'assignation en référé expertise, le 10 février 2010.

Si la SCI Florwell soutient que la demande relative aux vices de construction apparents, est également irrecevable en vertu des dispositions précitées, elle ne forme pas pour autant appel incident du chef du jugement ayant débouté M. [P] de sa demande à ce titre après avoir admis la recevabilité de sa demande en tant que fondée sur la responsabilité contractuelle.

Comme l'a rappelé le tribunal, il est de principe que l'action en garantie des vices de construction apparents ouverte à l'acquéreur par l'article 1642-1 du code civil, est exclusive, dans ses rapports avec le vendeur en l'état futur d'achèvement, de l'application de la responsabilité contractuelle de droit commun, de sorte que la demande de M. [P] qui n'est pas présentée sur ce fondement mais sur celui d'un manquement de la SCI Florwell à son obligation de délivrance prévue par l'article 1603 du code civil, ne peut qu'être rejetée.

Le jugement sera donc confirmé.

Sur les autres demandes

Au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'examiner l'appel en garantie subsidiaire formé par la SCI Florwell contre la société Eiffage construction Alsace.

Le jugement entrepris étant confirmé en ses dispositions principale, il le sera également en celles relatives aux dépens et frais exclus des dépens.

M. [P] sera condamné aux entiers dépens d'appel et il sera alloué à la SCI Florwell une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

La demande de la société Eiffage construction Alsace sur ce fondement qui n'est dirigée que contre la SCI Florwell qui ne supporte aucune part des dépens sera également rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE l'appel de M. [P] recevable ;

DECLARE les conclusions de la SCI Florwell dirigées contre la société Eiffage construction Alsace recevables ;

CONFIRME, en ses dispositions soumises à la cour, le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 8 juin 2022, dans les rapports entre M. [B] [P] et la SCI Florwell, d'une part et entre la SCI Florwell et la société Eiffage construction Alsace, d'autre part ;

Ajoutant au jugement entrepris,

CONDAMNE M. [B] [P] aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SCI Florwell la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes de M. [B] [P] et de la SNC Eiffage construction Alsace sur ce fondement.

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