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Décisions

CA Lyon, 6e ch., 28 mai 2025, n° 24/01248

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 24/01248

28 mai 2025

N° RG 24/01248 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PPB4

arrêt de la Cour de cassation du 26 octobre 2023

N°pourvoi : B21-23.361

arrêt de la cour d'appel de LYON du 31 août 2021

N°RG : 20/06540

ordonnance du juge des référés de LYON du 16 novembre 2020

N°RG :20/00363

[L] [G]

[H]

S.A.S. ODG MOBILITY

C/

S.A.R.L. LASER FORCE

S.A.R.L. METALIC

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 28 Mai 2025

SUR RENVOI APRES CASSATION

DEMANDEURS A LA SAISINE

APPELANTS :

Mme [F] [L] [G]

née le 28 Juin 1973 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

M. [Z] [H]

né le 11 Février 1971 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 6]

S.A.S. ODG MOBILITY

[Adresse 2]

[Adresse 10]

[Localité 7]

Représentés par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

assistés de Me Eric CESAR de LEGI AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DEFENDERESSES A LA SAISINE

INTIMEES :

S.A.R.L. LASER FORCE

[Adresse 8]

[Localité 5]

S.A.R.L. METALIC

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représentées par Me Guillaume BAULIEUX de la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocat au barreau de LYON, toque : 719

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 01 Avril 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 01 Avril 2025

Date de mise à disposition : 28 Mai 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Joëlle DOAT, présidente

- Evelyne ALLAIS, conseillère

- Stéphanie ROBIN, conseillère

assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES

La société Metalic a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation d'équipements destinés aux acteurs des transports publics et à l'aménagement urbain.

M. [Z] [H] et Mme [F] [L]-[G], anciens salariés de la société Metalic, ont créé en avril 2016 la société ODG Mobility qui a pour activité notamment l'étude, la conception intellectuelle, le développement et la réalisation de projets techniques et industriels, société dont ils sont tous les deux associés et directeurs.

Statuant sur la requête présentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile par les sociétés Metalic et Laser Force qui invoquaient des actes de concurrence déloyale de la part de la société ODG Mobility, le président du tribunal de grande instance de Lyon, par ordonnance en date du 4 décembre 2019, complétée par une ordonnance en date du 19 décembre 2019, a désigné un huissier de justice, avec mission de rechercher la détention et l'utilisation du savoir faire des requérantes, qu'il soit technique ou commercial, sur tout support numérique mais également papier, notamment dans les locaux de la société ODG Mobility et au domicile de M. [Z] [H], de Mme [F] [L]-[G] et de M. [W] [O], ce dernier étant un salarié de la société Metalic.

Les opérations de saisie ont été pratiquées le 12 février 2020.

La société ODG Mobility, M. [H] et Mme [L]-[G] ont demandé la rétractation des deux ordonnances.

Par ordonnance en date du 16 novembre 2020, le juge des référés a rejeté les demandes de rétractation et condamné la société ODG Mobility aux dépens et à payer aux sociétés Metalic et Laser Force la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt en date du 31 août 2021, la cour d'appel de Lyon a :

- infirmé l'ordonnance qui a rejeté la demande de rétractation

statuant à nouveau,

- rétracté les deux ordonnances

en conséquence,

- prononcé la nullité des mesures exécutées

- ordonné la restitution des pièces saisies

- ordonné la destruction de toutes copies éventuellement faites par les huissiers instrumentaires, des procès-verbaux de constat et des procès-verbaux de saisie qui auraient éventuellement été établis à l'occasion de l'exécution des deux ordonnances

- fait interdiction aux sociétés Laser Force et Metalic de faire état ou usage des constats d'huissier ou de toutes pièces annexées en exécution des ordonnances rétractées

- infirmé la décision en ce qui concerne l'indemnité de procédure

statuant à nouveau,

- condamné in solidum les sociétés Laser Force et Metalic aux dépens de première instance

- rejeté la demande présentées par les sociétés Laser Force et Metalic sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance

- condamné in solidum les sociétés Laser Force et Metalic aux dépens d'appel

- condamné in solidum les sociétés Laser Force et Metalic à payer à la société ODG Mobility, à M. [H] et à Mme [L]-[G] la somme globale de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.

La cour d'appel a estimé en substance que les requérantes n'avaient ni caractérisé, ni établi les circonstances de fait susceptibles de justifier qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.

Par arrêt en date du 26 octobre 2023, la Cour de cassation a cassé l'arrêt en toutes ses dispositions, a remis les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

La Cour de cassation considère qu'en se déterminant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que les sociétés Metalic et Laser Force dénonçaient dans leur requête des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, faisaient état d'éléments circonstanciés laissant craindre un risque de dissimulation des preuves et invoquaient la nécessité d'un effet de surprise pour l'exécution des mesures, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, n'a pas donné de base légale à sa décision.

La société ODG Mobility, M. [H] et Mme [L]-[G] ont saisi la présente cour d'appel de renvoi par déclaration en date du 13 février 2024.

Ils demandent à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance

statuant à nouveau,

- de rétracter les deux ordonnances sur requête

- de débouter les sociétés Metalic et Laser Force de leur demande de saisie

- de débouter les sociétés Metalic et Laser Force de toutes leurs demandes

- de condamner in solidum les sociétés Metalic et Laser Force à leur payer la somme de

15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Les sociétés Metalic et Laser Force demandent à la cour :

- de confirmer l'ordonnance de référé

y ajoutant,

- de condamner in solidum M. [H] et Mme [L]-[G] et la société ODG Mobility à leur payer une indemnité complémentaire de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- de condamner in solidum M. [H] et Mme [L]-[G] et la société ODG aux dépens de première instance et d'appel avec distraction.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er avril 2025.

SUR CE :

A l'appui de leur demande en rétractation des ordonnances ayant accueilli la requête, la société ODG Mobility, M. [H] et Mme [L]-[G] font valoir que :

- les requérants reconnaissent eux-mêmes que M. [H] et Mme [L]-[G] ne sont pas à l'origine du pillage opéré par voie de connexion au réseau informatique

- aucune atteinte aux droits de propriété intellectuelle des sociétés Metalic et Laser Force, aucune imitation ou pillage de leur prétendu savoir-faire ne résulte de l'activité de la société ODG Mobility

- sur les 29 pièces commercialisées par la société ODG Mobility, 22 sont issues du commerce et 7 sont issues de la conception de celle-ci

- il s'agit à chaque fois de marchés publics soumis à appel d'offres nécessitant des études spécifiques, aucune production de la société Métalic n'a pu être copiée ou imitée

- aucun agissement déloyal, ni perte d'un client au profit de la société ODG Mobility ne sont prouvés

- la société Metalic ne dispose d'aucune exclusivité pour la fourniture de pièces à la RATP

- les sociétés Metalic et Laser Force ne rapportent pas la preuve d'un détournement de fournisseurs

- il n'y a pas de parasitisme tarifaire : les prix de la société ODG Mobility sont moindres car les frais de structure de cette société sont moindres et la marge qu'elle accepte de réaliser est bien moindre que celle de la société Metalic

- l'effet de surprise ne présentait aucune nécessité car il n'y avait pas de risque de disparition de preuve

- le prétendu pillage de savoir-faire juste avant le départ des deux salariés n'est pas démontré

- il n'est pas rapporté la preuve d'une utilisation par la société ODG Mobility des fichiers prétendûment copiés par M. [H]

- il n'existe pas de motifs légitimes justifiant d'ordonner la mesure

- l'argumentation des deux sociétés ne repose que sur le rapport [N].

Les sociétés Metalic et Laser Force font valoir que :

- le demandeur doit seulement démontrer des indices de concurrence déloyale ou de parasitisme et en l'espèce, des éléments concrets sont mis en avant pour établir un risque de dissimulation

- elles démontrent les maneuvres frauduleuses de M. [H], Mme [L] [G] et la société ODG Mobility qui leur ont volé leur savoir-faire

- en effet, la société ODG Mobility a fabriqué les mêmes équipements que les leurs, elle répare la plupart des pièces conçues, référencées, fabriquées et vendues par elles, elle utilise les mêmes fournisseurs que la société Metalic.

- la société ODG Mobility a capté leur clientèle

- ses anciens salariés ont opéré une soustraction frauduleuse et un détournement de leurs fichiers stratégiques commerciaux et techniques et de leurs plans.

****

L'article 145 du code de procédure civile énonce que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Le juge doit seulement caractériser l'existence d'un litige potentiel et n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé ou l'opportunité d'un tel litige.

En application de l'article 493 du même code, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction doivent exister au jour où le juge des requêtes a statué et être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance rendue sur celle-ci, de manière précise et circonstanciée.

La requête doit donc contenir une motivation sur la nécessité de déroger au principe de la contradiction et expliciter les circonstances qui justifient cette dérogation.

En l'espèce, la requête aux fins de constat présentée le 4 décembre 2019 par les sociétés Metalic et Laser Force expose en substance que :

- ces sociétés ont été informées qu'une société ODG Mobility développait un savoir-faire identique à celui de la société Metalic auprès des mêmes clients et avec les mêmes fournisseurs

- les directeurs généraux de la société ODG , lesquels détiennent la totalité des parts sociales de celle-ci, sont deux anciens salariés de la société Metalic, M. [Z] [H] qui exerçait la fonction d'ingénieur développeur et Mme [F] [L]-[G] qui était chargée de la relation client

- ces deux salariés ont été déclarés inaptes en une seule visite et licenciés pour inaptitude le 26 mai 2015 et le 28 janvier 2016

- Maître [S], huissier de justice, a constaté que la société ODG Mobility fabrique des équipements similaires à ceux qu'elles fabriquent elles-mêmes et ce dans tous leurs domaines d'activité

- lors d'une réparation de l'une de ses rampes à la demande d'un client historique, la société Keolis Pays d'[Localité 9], la société Metalic a constaté que cette rampe avait été réparée auparavant par la société ODG Mobility

- la société ODG Mobility utilise le même transporteur que la société Metalic, la société Gervais, or, Mme [L]-[G] était chargée de commander les prestations de transport au sein de la société Metalic

- pour certains produits, la société ODG Mobility a fait un 'copié-collé' de la grille tarifaire de la société Metalic

- connaissant les tarifs des sociétés Metalic et Laser Force, la société ODG Mobility commercialise les mêmes produits à un prix inférieur et a su trouver des pièces détachées spécifiques dont seule la société Metalic avait connaissance et dont les références se trouvent dans les stocks de la société Metalic

- en utilisant les mêmes fournisseurs trouvés, formés, outillés par la société Metalic, la société ODG Mobility commercialise les mêmes produits que ceux que la société Metalic a mis des années à concevoir, auprès des mêmes clients qui ont été fidélisés par un service sur mesure.

Les sociétés requérantes ont versé aux débats des pièces démontrant les faits ci-dessus exposés.

Par exemple, il ressort du constat d'huissier de justice dressé le 22 octobre 2018 par Maître [S] qu'il est indiqué sur la page d'accueil du site de la société ODG Mobility 'nous sommes une société d'ingenierie industrielle qui intervient dans les secteurs de l'automobile, de l'énergie, du médical, du ferroviaire et de l'industrie mécanique' 'réalisations : équipements d'aide à l'accessibilité pour less bus et cars, mobilier adapté aux personnes à mobilité réduite et accessoires', qu'une photographie datée du 10 novembre 2016 montre un isoloir de vote modèle ISOKA PMR et qu'une autre photographie datée du 30 août 2017 illustre la proposition de conception et de réalisation d'un portillon bas pour bus.

Or, sur un catalogue de l'année 2001, la société Metalic vend un isoloir pour personnes à mobilité réduite et sa documentation contient des portillons bas pour car et bus.

Un rapport d'expertise privée a été rédigé le 3 août 2018 par la société [N], qui a analysé les disques durs des ordinateurs de la société Metalic utilisés par M. [H], Mme [L]-[G] et M. [O].

La société [N] a constaté :

- sur le poste informatique de M. [H], des consultations de nombreux dossiers et/ou fichiers sur le serveur de l'entreprise et des connexions au PC de supports numériques externes

- sur l'ordinateur de Mme [L]-[G], la présence d'un logiciel de nettoyage du PC appelé Ccleaner visant notamment à effacer des traces d'utilisation de l'ordinateur; ce logiciel a été lancé 185 fois et son dernier lancement remonte au 3 mai 2018; des supports numériques externes ont été connectés au PC

- sur l'ordinateur de M. [O], l'installation du logiciel Ccleaner; la consultation par exemple d'un dossier intitulé virements salaires le 17 mars 2015, la consultation de dossiers de service après-vente et commerciaux le 6 janvier 2016 et la connexion d'un support numérique externe.

Dans son commentaire du rapport d'expertise, la société Metalic relève que les fichiers consultés n'avaient pas à l'être par les salariés dans l'exercice de leurs fonctions, puisqu'il s'agit de tableaux, de fichiers statistiques, de plans de pièces, hors de toute commande et qu'aucune clef USB n'était mise à la disposition du personnel, de sorte que la connexion d'une clef USB ne peut s'expliquer que par la volonté de sortir une information.

Ainsi, d'une part les indices laissant présumer l'existence d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice des sociétés requérantes sont caractérisés, ce qui justifie la mesure de constat ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'autre part, les circonstances justifiant que ladite mesure soit ordonnée de manière non contradictoire, à savoir la nécessité de l'effet de surprise pour prévenir le risque de dissimulation des preuves, sont suffisamment explicitées et caractérisées dans la requête, compte-tenu des éléments qui y sont développés.

Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance qui a rejeté la demande de rétractation des ordonnances des 4 et 19 décembre 2019.

L'ordonnance est également confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

La société ODG Mobility, M. [H] et Mme [L]-[G] sont condamnés in solidum aux dépens d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé, ainsi qu'à payer aux sociétés Metalic et Laser force la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME l'ordonnance

CONDAMNE in solidum la société ODG Mobility, M. [H] et Mme [L]-[G] aux dépens d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé

CONDAMNE in solidum la société ODG Mobility, M. [H] et Mme [L]-[G] à payer aux sociétés Metalic et Laser Force la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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