CA Paris, Pôle 5 - ch. 4, 28 mai 2025, n° 23/03462
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRÊT DU 28 MAI 2025
(n° 74 , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03462 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHE2G
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2022-Tribunal de commerce de Bordeaux- RG n° 2021F00797
APPELANTE
S.A.S.U. FEERIE GOURMANDE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualités audit siège
N° SIRET : 432 76 0 1 97
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnaud Guyonnet de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris, toque : L0044
INTIMÉE
S.A.R.L. BONBONS [D], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 321 51 3 0 79
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de Paris, toque : P0241
INTERVENANTES
S.A.R.L. LA SOCIETE EKIP, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnaud Guyonnet de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris, toque: L0044
S.A.R.L. LA SOCIETE FHB,prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie Depelley, conseillère, faisant fonction de présidente
M. Julien RIchaud, conseiller
Mme Marie-Laure Dallery, magistrate à titre honoraire - fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Dallery dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière , lors des débats : Mme Elisabeth Verbeke
ARRÊT :
- contradicoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie Depelley, et par Elisabeth Verbeke, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
La société Bonbons [D] fabrique et commercialise, depuis les années 2000, une confiserie chocolatée dénommée "Les Raisins Dorés".
Depuis 2006, elle vend ce produit sous l'appellation " Perles de Vignes " à la société Féérie Gourmande, qui a pour activité la commercialisation de confiseries chocolateries, en appliquant une remise commerciale de 35%.
Entre 2017 et 2020, cette remise a été étendue à d'autres produits de confiserie commercialisés par la société Bonbons [D] au profit de la société Féérie Gourmande.
Par courriel du 9 juillet 2020, la société Bonbons [D], a informé la société Féérie Gourmande de sa volonté de redéterminer les conditions commerciales de leur collaboration, faisant état d'un transfert de pouvoir et d'un audit interne.
Par courrier recommandé du 24 juillet 2020, la société Bonbons [D] a indiqué que les commandes des 7 et 15 juillet 2020 seraient les dernières soumises à ces conditions commerciales.
Par lettre du 11 août suivant, la société Féérie Gourmande a demandé à la société Bonbons [D] de lui préciser les nouvelles conditions commerciales envisagées, lui rappelant l'obligation légale de respecter un préavis en cas de rupture de la relation commerciale établie.
Le 1er septembre 2020, la société Bonbons [D] a répondu :
"Comme annoncé à M [H] [K] lors de notre négociation commerciale, notre nouvelle offre est la suivante :
- 17,50' le kg de "Raisins Dorés" justifiant sa proposition tarifaire par la nécessité de préserver l'équilibre financier de l'entreprise.
- Revente exclusivement sous la marque " Raisons Dorés ".
Ensuite, la société Féérie Gourmande n'a plus passé de commandes auprès de la société Bonbons [D].
Par acte du 29 juillet 2021, la société Féérie Gourmande a assigné la société Bonbons [D] devant le tribunal de commerce de Bordeaux, pour obtenir réparation de son préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie depuis 14 ans.
Par jugement du 14 octobre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué en ces termes :
- Déboute la société Feerie Gourmande SASU de l'ensemble de ses demandes.
- Déboute la société Bonbons [D] SARL de l'ensemble de ses demandes.
- Condamne la société Feerie Gourmande SASU à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000,00 ' (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la société Feerie Gourmande SASU aux dépens de l'instance.
- Dont frais de Greffe liquidés à la somme de : 70,91 ' Dont TVA : 11,82 '
Par jugement du 5 mars 2024, le tribunal de commerce de Pau a prononcé le placement de la société Féérie Gourmande en redressement judiciaire.
Le 30 avril 2024, la société EKIP, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Féérie Gourmande, a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour, intimant la société Bonbons [D].
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 30 avril 2024, la société Féérie Gourmande et la société EKIP ès qualités demandent à la Cour de :
Vu l'article L 442-1 2° du Code de commerce,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu les jurisprudences citées,
Déclarer recevable et bien fondé l'appel diligenté par la société Féérie Gourmande contre le jugement rendu le 18 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux sous le RG 2021F00797.
Juger recevable et bien fondée l'intervention de la SELARL Ekip en la personne de Maître [G] [N], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Féérie Gourmande, désignée à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de Pau en date du 05 mars 2024 qui a ordonné le redressement judiciaire de la société Feerie Gourmande.
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes.
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Féérie Gourmande à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la Société Féérie Gourmande aux dépens d'instance.
Statuant à nouveau
- Dire et juger que la rupture des relations commerciales opérée par la SARL Bonbons [D] est brutale,
- Dire et juger que la SARL Bonbons [D] est responsable de la rupture brutale des relations commerciales avec la société Féérie Gourmande,
- Constater l'absence de préavis notifié à la société Féérie Gourmande par la SARL Bonbons [D]
- Dire et juger que la SARL Bonbons [D] aurait dû respecter un préavis de 12 mois,
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 63.883 ' au titre de son préjudice financier,
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 5.000 ' au titre de son préjudice moral,
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 4.000' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande aux entiers dépens.
Y ajoutant
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 4.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
- Sur l'appel incident de la SARL Bonbons [D]
A titre principal
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la SARL Bonbons [D] de l'ensemble de ces demandes, fins et conclusions
A titre subsidiaire,
- Fixer l'indemnité de réparation du préjudice de la société Bonbons [D] à de plus juste proportions
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 17 juin 2024, la société Bonbons [D] demande à la Cour de :
Vu les articles L. 441-2 I et L. 441-2 II du Code de commerce,
Vu l'article L. 622-22 du Code de commerce,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,
A titre principal et subsidiaire :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes et condamné ladite société à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Le réformer pour le surplus ;
Fixer la créance de dommages et intérêts de la Société Bonbons [D] au passif de la Société Feerie Gourmande pour un montant de 5.065,71 ' ;
Fixer la créance de dommages et intérêts de la société Féérie Gourmande au passif de la société Féérie Gourmande pour un montant de 5.000 ' en réparation de son préjudice moral.
A titre plus infiniment subsidiaire :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes et condamné ladite société à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
A titre encore plus infiniment subsidiaire :
Juger que le préjudice subi par la société Féérie Gourmande doit se limiter à quatre fois la différence entre la marge réalisée sur la vente du produit " Les Raisons Dorés " achetés auprès de la société Bonbons [D] et celle réalisée sur la vente des raisins achetés auprès de son nouveau fournisseur, sur une période de quatre mois à compter de la date de la rupture ;
Constater que la société Féérie Gourmande ne verse aux débats aucun élément permettant d'établir l'existence de ce préjudice ;
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes et condamné ladite société à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En tout état de cause :
Ajoutant à la décision attaquée :
Condamner la société Féérie Gourmande à payer à la société Bonbons [D] la somme de 4.000 ' au titre des frais irrépétibles d'appel ;
La condamner aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Eric Allerit, membre de la SELARL TBA, selon les dispositions de l'article 699 du C.P.C.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 décembre 2024.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Exposé des moyens,
Sur l'appel principal
La société Feerie Gourmande, par son mandataire judiciaire, soutient que la société Bonbons [D] a mis fin de manière brutale et unilatérale à la relation commerciale établie depuis 2006, en violation de l'article L.442-1, II° du code de commerce, en supprimant à l'été 2020 la remise de 35 % sur les commandes sans préavis ni concertation. Elle conteste la décision des premiers juges, faisant valoir que les preuves apportées ne démontrent pas l'existence de discussions claires sur cette modification tarifaire, soutenant que les échanges des 17, 18 et 22 juillet 2020 ne portaient que sur l'organisation d'un rendez-vous et que le déjeuner du 23 juillet 2020, auquel participait M. [T] [D], ne peut être considéré comme une communication officielle, d'autant que celui-ci n'était pas encore gérant de la société Bonbons [D] à cette date. Elle ajoute que les documents produits, tels qu'un catalogue de Schaal chocolatier et un relevé comptable de 2018/2019, ne justifient en rien l'impossibilité de maintenir la remise sans vendre à perte.
Selon elle, la suppression de la remise n'a été officiellement notifiée que par courrier du 24 juillet 2020, sans concertation. Ce n'est que le 1er septembre 2020, après une sommation interpellative, que la société Bonbons [D] a précisé la fin définitive de la remise et l'instauration d'une revente exclusive sous la marque "Les Raisins Dorés". Elle soutient que cette modification substantielle unilatérale des conditions de vente du produit constitue une rupture brutale en l'absence de préavis écrit, dit qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique du fait que les produits concernés étant difficilement substituables en période de forte demande. Elle ajoute que cette absence de préavis l'a privée de la possibilité de se réorganiser, en particulier en raison de la période de Noël, et d'examiner des solutions alternatives. Elle invoque le code des bonnes conduites commerciales qui imposerait un préavis proportionné à la durée de la relation commerciale, en l'espèce 14 années de collaboration entre les deux sociétés, estimant qu'un préavis de douze mois aurait dû lui être accordé. Elle se prévaut de l'expertise comptable réalisée par le cabinet SAS CFCAExpert évaluant son préjudice financier à la somme de 63.883 euros, à partir de sa marge brute annuelle après déduction des charges.
En réplique, la société Bonbons [D] soutient que la fin des relations commerciales avec la société Féérie Gourmande ne résulte pas d'une rupture brutale de sa part, mais du refus de cette dernière de négocier des conditions commerciales révisées, proposées afin de rétablir l'équilibre contractuel relativement à la vente à perte du produit " Les Raisins Dorés " révélé par l'audit interne réalisé. Elle soutient avoir proposé dès juillet 2020, une révision tarifaire visant à ajuster la remise appliquée, portant ainsi le prix du kilogramme de 13,37 euros à 17,50 euros hors taxes, fait état de plusieurs tentatives de discussion, notamment lors d'une rencontre le 28 juillet 2020 et d'un courriel explicite du 1'' septembre 2020, ainsi que le refus adverse de toute négociation. Elle fait valoir que sa démarche de renégociation des prix était légitime, fondée sur des données financières objectives, et qu'aucune condition n'a été imposée de manière unilatérale.
Elle dit que c'est la société Féérie Gourmande qui a cessé de passer des commandes après le 31 juillet 2020, de sorte que la rupture des relations commerciales n'émane pas de sa volonté, mais du comportement unilatéral adverse. Elle ajoute que l'intéressée a continué à s'approvisionner en produits similaires auprès d'autres fournisseurs, y compris pendant la période des fêtes de fin d'année 2020.
S'agissant du préjudice sollicité par l'appelante, elle soutient qu'en application de l'article L.442-1 du Code de commerce, la responsabilité extracontractuelle liée à la rupture d'une relation commerciale ne peut être engagée qu'à condition de prouver l'existence d'un préjudice réel, qu'en l'espèce, la société Féérie Gourmande a continué à commercialiser le produit "Perles de vignes" aussi bien en ligne que dans ses boutiques (sa pièce 24), qu'elle a aussi trouvé un autre fournisseur pour la production de ses raisins au Sauternes. Par conséquent, elle estime que la société Féérie Gourmande n'a pas subi de préjudice.
En tout état de cause, elle conteste la note de calcul produite validée par l'expert-comptable de la société en ce qu'aucun document comptable ne permet d'en vérifier l'exactitude. Elle ajoute que la société Féérie Gourmande a continué de vendre son produit "Perles de vignes" pendant la période de 12 mois invoquée, et n'a pas justifié la différence de marge entre les produits "Raisins Dorés" et ceux fournis par son nouveau fournisseur. Elle soutient que la rupture de la relation commerciale représente une part négligeable du chiffre d'affaires de l'appelante soit moins de 5 %. Quant à la durée du préavis, elle estime que si préjudice il y a, celui-ci ne peut être évalué que sur une période de quatre mois et ne peut être supérieur à la différence de marge constatée durant les quatre mois suivant la rupture, en l'absence de pièces justificatives.
Sur l'appel incident
La société Bonbons [D] soutient à son tour, que la société Feerie Gourmande a mis fin de manière brutale et fautive à leur relation commerciale, en violation des dispositions de l'article L. 442-1 II du Code de commerce. Elle estime que conformément au code de bonnes pratiques commerciales établi par la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France, s'agissant d'une relation ayant duré entre 10 et 20 ans et représentant environ 5% du chiffre d'affaires du partenaire, un préavis de quatre mois lui était dû.
Elle fait grief à la société Féérie Gourmande d'avoir cessé ses commandes à compter du 31 juillet 2020 sans respecter ce préavis, procédant ainsi à une rupture brutale.
Elle fait valoir qu'elle aurait réalisé, durant cette période, une marge de 5.065,71 euros sur la base du prix de 17,50 euros hors taxes le kilo du produit "Les Raisins Dorés" (Bonbons [D] n°21) et demande réparation de ce préjudice.
En réponse, la société Féérie Gourmande par son mandataire judiciaire, soutient que la rupture des relations commerciales résulte du comportement de la Société Bonbons [D], qui a imposé de nouvelles conditions de vente à compter du 1er septembre 2020, sans l'en informer avant cette date. En conséquence, ignorante de ces nouvelles conditions, elle ne pouvait passer de commande à partir du 31 juillet 2020, date à laquelle sa commande a été refusée. Elle relève que la modification des conditions contractuelles était exclusivement l'initiative de la Société Bonbons [D] et non la sienne. Enfin, elle souligne que la modification unilatérale des conditions commerciales, opérée en période stratégique de préparation des fêtes de fin d'année, a créé une situation d'incertitude, conduisant ainsi à la rupture des relations commerciales.
A titre infiniment subsidiaire, elle soutient que si la Cour l'estimait responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies, le montant des indemnités sollicitées par la société Bonbons [D] doit être réduit. Elle fait ainsi valoir que la société Bonbons [D] réclame la somme de 5.065,71 euros en réparation de son préjudice qu'elle calcule sur la base d'un prix de vente des " Raisins Dorés " à 17,50 euros hors taxes le kilo pendant une période de 4 mois alors qu'elle a acquis ce produit au prix de 13,37 euros hors taxes le kilo, de sorte qu'il convient d'appliquer ce tarif pour recalculer le préjudice de la société Bonbons [D].
Réponse de la Cour
L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne eut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".
La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.
La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.
Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.
Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.
En l'espèce, il n'est pas contesté que les relations commerciales entre les parties pour la distribution du produit de confiserie chocolaté "Les Raisons Dorés" ont commencé en 2006 et présentaient un caractère établi.
Il résulte de la lettre du 21 février 2006 de la société [D] (pièce 1 de l'appelante) qu'une remise de 35 % sur le tarif de ce produit était accordée à la société Féérie Gourmande en tant que revendeur.
Il est également établi que, par courriel du 9 juillet 2020, la société Bonbons [D] a souhaité modifier ses conditions commerciales faisant état " d'un transfert de pouvoir " au sein de la société (pièce 11 de l'intimée), que par lettre recommandée datée du 24 juillet 2020, elle a informé la société Féérie Gourmande que ses commandes des 7 et 15 juillet 2020 étaient acceptées et que compte tenu des points abordés ensemble, il s'agissait de la dernière commande soumise à ces conditions commerciales, confirmant par ailleurs leur réunion du 28 juillet pour discuter de l'avenir de leur collaboration (pièce 15 de l'intimée).
Par lettre du 11 août 2020 (pièce 17 de l'intimée), la société Féérie Gourmande demandait à la société Bonbons [D] de lui préciser les conditions commerciales envisagées dans son courriel du 3 août, lui rappelant qu'aucun accord sur de nouvelles relations commerciales n'était intervenu.
Par lettre recommandée du 1er septembre 2020 (pièce 18 de l'intimée), la société Bonbons [D] répondait :
"Comme annoncé à M [H] [K] lors de notre négociation commerciale, notre nouvelle offre est la suivante :
- 17,50' le kg de "Raisins Dorés"
- Revente exclusivement sous la marque " Raisons Dorés ".
Compte tenu de la situation pandémique et des conséquences dramatiques qu'elle entraîne pour la Maison [D], je me refuse à mettre en, péril des emplois juste pour vous accorder une remise qui n'a plus et pas lieu d'être. "
La commande passée par la société Féérie Gourmande du 31 juillet 2020, que la société Bonbons [D] a soumise aux nouvelles conditions commerciales (pièce 16 de l'intimée) n'a pas été honorée en l'absence d'accord des parties sur les conditions commerciales et la société Féérie Gourmande a cessé de passer de nouvelles commandes.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que la société Bonbons [D] a tenté d'imposer à la société Féérie Gourmande une modification substantielle de ses conditions de vente en supprimant le rabais de 35% sur le prix de vente des " Bonbons Dorés" qu'elle lui accordait depuis le mois de février 2006, que cette modification est intervenue brutalement au cours du mois de juillet 2020 sans accorder aucun délai de préavis à l'intéressée pour lui permettre de se réorganiser, peu important à cet égard, la légitimité alléguée de cette augmentation de prix.
En conséquence, il convient, infirmant le jugement entrepris de dire que la société Bonbons [D] a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société Féérie Gourmande depuis 14 ans.
Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la perte de marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis éludé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).
En l'espèce, l 'appelante produit un rapport de son expert-comptable ainsi qu'une attestation de ce dernier faisant apparaître une marge moyenne annuelle sur les années 2016 à 2019 de 63 833', déduction faite des frais de port, d'emballage et de VRP.
S'il est regrettable que les pièces comptables de la société Féérie Gourmande ne soient pas produites, il n'en demeure pas moins que l'expert-comptable, aux termes de son attestation indique avoir procédé à la vérification des informations relatives à l'état récapitulatif des achats et de la marge dégagée sur les années 2016 à 2019 quant à la concordance de ces informations avec la comptabilité et que cette vérification a été établie dans le cadre de la rupture de livraison de raisins en vrac par la SARL [D].
Cependant, les éléments fournis ne permettent pas de connaitre la part de ce produit dans le chiffre d'affaires de la victime de la rupture.
En outre, s'agissant de livraison de raisins en vrac, ce produit apparaît aisément substituable. A cet égard, la société Les bonbons [D] indique que la société Schaal, acteur majeur du secteur, vendait des produits similaires (Pièce Bonbons [D] n° 23),
Au regard de ces éléments et étant rappelé que le délai de préavis doit être apprécié au jour de la rupture sans tenir compte des évènements postérieurs, un préavis de 5 mois aurait dû être accordé par la société Bonbons [D] à la société victime pour se réorganiser.
En conséquence, la Cour retient sur les 3 dernières années (2017 à 2019), une moyenne annuelle de frais d'achat 84 752' et un prix de vente HT de 161 643', soit une marge commerciale annuelle moyenne de 76 891' et après déduction des coûts non supportés (frais de port, d'emballage et de VRP), une marge annuelle sur coûts variables moyenne de 63 458', soit mensuellement la somme de 5 288'.
Ainsi la société Bonbons [D] doit être condamnée à payer à la société Féérie Gourmande prise en la personne de son mandataire judiciaire la somme de 26 440 ' en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies.
Le sens de l'arrêt commande de débouter la société Bonbons [D] de son appel incident portant sur la réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies qu'elle impute à tort à la société Féérie Gourmande.
Sur le préjudice moral
Exposé des moyens
L'appelante soutient que les circonstances de la rupture des relations commerciales par la société Bonbons [D] lui ont causé un préjudice moral dont elle demande réparation sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil.
Elle fait état à cet égard, de l'annonce du changement des conditions commerciales le 24 juillet 2020 sans autre précision et de l'annonce des nouvelles conditions de vente du produit "les raisins dorés" le 1er septembre 2020 portant sur le prix et sur les modalités de la commercialisation.
La société Bonbons [D] s'y oppose, faisant notamment valoir qu'elle est vainement entrée en discussion pour négocier les nouvelles conditions de vente.
Réponse de la Cour
La preuve d'un préjudice moral subi par la société Féérie Gourmande n'est pas rapportée à l'appui de la demande de dommages-intérêts, étant observé qu'une réunion a eu lieu entre les parties le 28 juillet 2020.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande
Sur l'existence d'un avantage sans contrepartie
Exposé des moyens
La société Bonbons [D] soutient que la société Féérie Gourmande a enfreint les dispositions de l'article L. 442-1 I du Code de commerce en cherchant à obtenir un avantage manifestement disproportionné par rapport à la contrepartie consentie dans les négociations commerciales. Elle affirme qu'en vendant ses produits "Les Raisins Dorés" au prix de 13,37 euros hors taxes le kilo, elle était en situation de vente à perte, comme en attestent les pièces versées aux débats (Pièces Bonbons [D] n° 8 et 19). Face à cette situation, la société Bonbons [D] a proposé une révision du tarif à 17,50 euros hors taxes le kilo, en adéquation avec les prix du marché. À titre de comparaison, elle fait valoir que la société Schaal, acteur majeur du secteur, vendait des produits similaires à 16,27 euros hors taxes le kilo (Pièce Bonbons [D] n° 23), ce qui démontrerait que la révision du prix était raisonnable. Elle fait valoir que la société Féérie Gourmande a néanmoins rejeté ce tarif sans discussion et mis fin brutalement à leur relation commerciale. Elle analyse cette rupture comme une conséquence du refus de son partenaire commercial de discuter les nouvelles conditions, ce qui, selon elle, viole les principes de loyauté dans les négociations commerciales, en contradiction avec les exigences de l'article L. 442-1 I du Code de commerce. Elle plaide qu'après quatorze années de collaboration, la révision des conditions commerciales, notamment dans le contexte économique difficile de la crise sanitaire, apparaît légitime. En conséquence, la société Bonbons [D] sollicite la réparation du préjudice subi en raison de cette rupture brutale et injustifiée, demandant une indemnité conforme aux prescriptions de l'article L. 442-1 I du Code de commerce.
La société Féérie Gourmande par son mandataire judiciaire, la société Ekip, rétorque qu'elle n'a pas imposé un avantage disproportionné à la société Bonbons [D], alors qu'elle bénéficiait d'une remise de 35 % sur l'ensemble des commandes passées, s'appliquant à tous les produits commandés (pièce 9 Bonbons [D]) et que la suppression de cette remise pour les autres produits habituellement commandés n'a jamais été mentionnée. Elle estime que cette remise commerciale qui s'applique à tous les produits, ne peut être qualifiée d'avantage disproportionné, mais s'inscrit dans une pratique commerciale normale à l'égard d'un partenaire important.
Réponse de la Cour
L'article L 442-1, 1° du code de commerce applicable à la cause dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;".
Ces dispositions exigent seulement que soit constaté l'obtention d'un avantage sans contrepartie ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage. Ainsi le contrôle des conditions tarifaires par le juge peut s'opérer sur le fondement de cet article (en ce sens Com.11 janvier 2023, n°21-11.163).
En l'espèce, il est établi que la société Féérie Gourmande bénéficiait depuis le début de la relation commerciale avec la société Bonbons [D] en 2006 d'une remise de 35% sur la distribution du produit " Raisins Dorés au Sauternes " en tant que revendeur (pièce 1 de l'appelante). Cette remise a été étendue à d'autres produits de la société Bonbons [D] depuis le 1er janvier 2017 (factures pièce 9 de la société Bonbons [D]). Son refus de revenir sur cet avantage s'agissant du produit " Les Raisins Dorés " lui est reproché sur le fondement de l'obtention d'un avantage sans contrepartie.
Or, il est seulement établi que la société Féérie Gourmande a refusé de commander les " Raisins Dorés " au nouveau prix qu'a tenté d'imposer la société Bonbons [D] de 17,50 HT le kilo au lieu de 13,37' HT le kilo et qu'aucun accord n'est intervenu.
La société Bonbons [D] est ainsi brutalement revenue sur un avantage commercial qu'elle avait accordé à un partenaire historique.
Cet avantage obtenu de longue date par la société Féérie Gourmande était la contrepartie de sa fidélité et le caractère manifestement disproportionné d'une remise commerciale de 35% n'est pas établi. Il sera ajouté à cet égard que la circonstance invoquée d'une vente à perte ne résulte pas de la pièce 8 qui fait apparaître un prix de revient de 12,22'HT le kilo pour les " Raisins Sauternes ".
Par conséquent, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société Bonbons [D] de sa demande de dommages-intérêts du chef de l'obtention ou de la tentative d'obtention d'un avantage sans contrepartie.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Feerie Gourmande aux dépens de première instance et à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Bonbons [D], qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civil, rejette la demande de la société Bonbons [D] et la condamne à verser à la société Feerie Gourmande prise en la personne de son mandataire judiciaire, la somme de 4000 '.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a :
- Débouté la société Bonbons [D] de ses demandes,
- Débouté la société Féérie Gourmande de sa demande en réparation d'un préjudice moral
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Bonbons [D] à verser à la société Ekip en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Féérie Gourmande la somme de 26 440 ' en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Condamne la société Bonbons [D] aux dépens de première instance et d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Bonbons [D] et la condamne à verser à la société Ekip en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Féérie Gourmande la somme de 4 000'.
LA GREFIÈRE LA PRÉSIDENTE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRÊT DU 28 MAI 2025
(n° 74 , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03462 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHE2G
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2022-Tribunal de commerce de Bordeaux- RG n° 2021F00797
APPELANTE
S.A.S.U. FEERIE GOURMANDE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualités audit siège
N° SIRET : 432 76 0 1 97
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnaud Guyonnet de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris, toque : L0044
INTIMÉE
S.A.R.L. BONBONS [D], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 321 51 3 0 79
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de Paris, toque : P0241
INTERVENANTES
S.A.R.L. LA SOCIETE EKIP, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnaud Guyonnet de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris, toque: L0044
S.A.R.L. LA SOCIETE FHB,prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie Depelley, conseillère, faisant fonction de présidente
M. Julien RIchaud, conseiller
Mme Marie-Laure Dallery, magistrate à titre honoraire - fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Dallery dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière , lors des débats : Mme Elisabeth Verbeke
ARRÊT :
- contradicoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie Depelley, et par Elisabeth Verbeke, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
La société Bonbons [D] fabrique et commercialise, depuis les années 2000, une confiserie chocolatée dénommée "Les Raisins Dorés".
Depuis 2006, elle vend ce produit sous l'appellation " Perles de Vignes " à la société Féérie Gourmande, qui a pour activité la commercialisation de confiseries chocolateries, en appliquant une remise commerciale de 35%.
Entre 2017 et 2020, cette remise a été étendue à d'autres produits de confiserie commercialisés par la société Bonbons [D] au profit de la société Féérie Gourmande.
Par courriel du 9 juillet 2020, la société Bonbons [D], a informé la société Féérie Gourmande de sa volonté de redéterminer les conditions commerciales de leur collaboration, faisant état d'un transfert de pouvoir et d'un audit interne.
Par courrier recommandé du 24 juillet 2020, la société Bonbons [D] a indiqué que les commandes des 7 et 15 juillet 2020 seraient les dernières soumises à ces conditions commerciales.
Par lettre du 11 août suivant, la société Féérie Gourmande a demandé à la société Bonbons [D] de lui préciser les nouvelles conditions commerciales envisagées, lui rappelant l'obligation légale de respecter un préavis en cas de rupture de la relation commerciale établie.
Le 1er septembre 2020, la société Bonbons [D] a répondu :
"Comme annoncé à M [H] [K] lors de notre négociation commerciale, notre nouvelle offre est la suivante :
- 17,50' le kg de "Raisins Dorés" justifiant sa proposition tarifaire par la nécessité de préserver l'équilibre financier de l'entreprise.
- Revente exclusivement sous la marque " Raisons Dorés ".
Ensuite, la société Féérie Gourmande n'a plus passé de commandes auprès de la société Bonbons [D].
Par acte du 29 juillet 2021, la société Féérie Gourmande a assigné la société Bonbons [D] devant le tribunal de commerce de Bordeaux, pour obtenir réparation de son préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie depuis 14 ans.
Par jugement du 14 octobre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué en ces termes :
- Déboute la société Feerie Gourmande SASU de l'ensemble de ses demandes.
- Déboute la société Bonbons [D] SARL de l'ensemble de ses demandes.
- Condamne la société Feerie Gourmande SASU à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000,00 ' (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la société Feerie Gourmande SASU aux dépens de l'instance.
- Dont frais de Greffe liquidés à la somme de : 70,91 ' Dont TVA : 11,82 '
Par jugement du 5 mars 2024, le tribunal de commerce de Pau a prononcé le placement de la société Féérie Gourmande en redressement judiciaire.
Le 30 avril 2024, la société EKIP, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Féérie Gourmande, a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour, intimant la société Bonbons [D].
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 30 avril 2024, la société Féérie Gourmande et la société EKIP ès qualités demandent à la Cour de :
Vu l'article L 442-1 2° du Code de commerce,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu les jurisprudences citées,
Déclarer recevable et bien fondé l'appel diligenté par la société Féérie Gourmande contre le jugement rendu le 18 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux sous le RG 2021F00797.
Juger recevable et bien fondée l'intervention de la SELARL Ekip en la personne de Maître [G] [N], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Féérie Gourmande, désignée à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de Pau en date du 05 mars 2024 qui a ordonné le redressement judiciaire de la société Feerie Gourmande.
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes.
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Féérie Gourmande à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la Société Féérie Gourmande aux dépens d'instance.
Statuant à nouveau
- Dire et juger que la rupture des relations commerciales opérée par la SARL Bonbons [D] est brutale,
- Dire et juger que la SARL Bonbons [D] est responsable de la rupture brutale des relations commerciales avec la société Féérie Gourmande,
- Constater l'absence de préavis notifié à la société Féérie Gourmande par la SARL Bonbons [D]
- Dire et juger que la SARL Bonbons [D] aurait dû respecter un préavis de 12 mois,
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 63.883 ' au titre de son préjudice financier,
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 5.000 ' au titre de son préjudice moral,
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 4.000' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande aux entiers dépens.
Y ajoutant
- Condamner la SARL Bonbons [D] à payer à la société Féérie Gourmande la somme de 4.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
- Sur l'appel incident de la SARL Bonbons [D]
A titre principal
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la SARL Bonbons [D] de l'ensemble de ces demandes, fins et conclusions
A titre subsidiaire,
- Fixer l'indemnité de réparation du préjudice de la société Bonbons [D] à de plus juste proportions
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 17 juin 2024, la société Bonbons [D] demande à la Cour de :
Vu les articles L. 441-2 I et L. 441-2 II du Code de commerce,
Vu l'article L. 622-22 du Code de commerce,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,
A titre principal et subsidiaire :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes et condamné ladite société à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Le réformer pour le surplus ;
Fixer la créance de dommages et intérêts de la Société Bonbons [D] au passif de la Société Feerie Gourmande pour un montant de 5.065,71 ' ;
Fixer la créance de dommages et intérêts de la société Féérie Gourmande au passif de la société Féérie Gourmande pour un montant de 5.000 ' en réparation de son préjudice moral.
A titre plus infiniment subsidiaire :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes et condamné ladite société à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
A titre encore plus infiniment subsidiaire :
Juger que le préjudice subi par la société Féérie Gourmande doit se limiter à quatre fois la différence entre la marge réalisée sur la vente du produit " Les Raisons Dorés " achetés auprès de la société Bonbons [D] et celle réalisée sur la vente des raisins achetés auprès de son nouveau fournisseur, sur une période de quatre mois à compter de la date de la rupture ;
Constater que la société Féérie Gourmande ne verse aux débats aucun élément permettant d'établir l'existence de ce préjudice ;
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 14 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société Féérie Gourmande de l'ensemble de ses demandes et condamné ladite société à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En tout état de cause :
Ajoutant à la décision attaquée :
Condamner la société Féérie Gourmande à payer à la société Bonbons [D] la somme de 4.000 ' au titre des frais irrépétibles d'appel ;
La condamner aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Eric Allerit, membre de la SELARL TBA, selon les dispositions de l'article 699 du C.P.C.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 décembre 2024.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Exposé des moyens,
Sur l'appel principal
La société Feerie Gourmande, par son mandataire judiciaire, soutient que la société Bonbons [D] a mis fin de manière brutale et unilatérale à la relation commerciale établie depuis 2006, en violation de l'article L.442-1, II° du code de commerce, en supprimant à l'été 2020 la remise de 35 % sur les commandes sans préavis ni concertation. Elle conteste la décision des premiers juges, faisant valoir que les preuves apportées ne démontrent pas l'existence de discussions claires sur cette modification tarifaire, soutenant que les échanges des 17, 18 et 22 juillet 2020 ne portaient que sur l'organisation d'un rendez-vous et que le déjeuner du 23 juillet 2020, auquel participait M. [T] [D], ne peut être considéré comme une communication officielle, d'autant que celui-ci n'était pas encore gérant de la société Bonbons [D] à cette date. Elle ajoute que les documents produits, tels qu'un catalogue de Schaal chocolatier et un relevé comptable de 2018/2019, ne justifient en rien l'impossibilité de maintenir la remise sans vendre à perte.
Selon elle, la suppression de la remise n'a été officiellement notifiée que par courrier du 24 juillet 2020, sans concertation. Ce n'est que le 1er septembre 2020, après une sommation interpellative, que la société Bonbons [D] a précisé la fin définitive de la remise et l'instauration d'une revente exclusive sous la marque "Les Raisins Dorés". Elle soutient que cette modification substantielle unilatérale des conditions de vente du produit constitue une rupture brutale en l'absence de préavis écrit, dit qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique du fait que les produits concernés étant difficilement substituables en période de forte demande. Elle ajoute que cette absence de préavis l'a privée de la possibilité de se réorganiser, en particulier en raison de la période de Noël, et d'examiner des solutions alternatives. Elle invoque le code des bonnes conduites commerciales qui imposerait un préavis proportionné à la durée de la relation commerciale, en l'espèce 14 années de collaboration entre les deux sociétés, estimant qu'un préavis de douze mois aurait dû lui être accordé. Elle se prévaut de l'expertise comptable réalisée par le cabinet SAS CFCAExpert évaluant son préjudice financier à la somme de 63.883 euros, à partir de sa marge brute annuelle après déduction des charges.
En réplique, la société Bonbons [D] soutient que la fin des relations commerciales avec la société Féérie Gourmande ne résulte pas d'une rupture brutale de sa part, mais du refus de cette dernière de négocier des conditions commerciales révisées, proposées afin de rétablir l'équilibre contractuel relativement à la vente à perte du produit " Les Raisins Dorés " révélé par l'audit interne réalisé. Elle soutient avoir proposé dès juillet 2020, une révision tarifaire visant à ajuster la remise appliquée, portant ainsi le prix du kilogramme de 13,37 euros à 17,50 euros hors taxes, fait état de plusieurs tentatives de discussion, notamment lors d'une rencontre le 28 juillet 2020 et d'un courriel explicite du 1'' septembre 2020, ainsi que le refus adverse de toute négociation. Elle fait valoir que sa démarche de renégociation des prix était légitime, fondée sur des données financières objectives, et qu'aucune condition n'a été imposée de manière unilatérale.
Elle dit que c'est la société Féérie Gourmande qui a cessé de passer des commandes après le 31 juillet 2020, de sorte que la rupture des relations commerciales n'émane pas de sa volonté, mais du comportement unilatéral adverse. Elle ajoute que l'intéressée a continué à s'approvisionner en produits similaires auprès d'autres fournisseurs, y compris pendant la période des fêtes de fin d'année 2020.
S'agissant du préjudice sollicité par l'appelante, elle soutient qu'en application de l'article L.442-1 du Code de commerce, la responsabilité extracontractuelle liée à la rupture d'une relation commerciale ne peut être engagée qu'à condition de prouver l'existence d'un préjudice réel, qu'en l'espèce, la société Féérie Gourmande a continué à commercialiser le produit "Perles de vignes" aussi bien en ligne que dans ses boutiques (sa pièce 24), qu'elle a aussi trouvé un autre fournisseur pour la production de ses raisins au Sauternes. Par conséquent, elle estime que la société Féérie Gourmande n'a pas subi de préjudice.
En tout état de cause, elle conteste la note de calcul produite validée par l'expert-comptable de la société en ce qu'aucun document comptable ne permet d'en vérifier l'exactitude. Elle ajoute que la société Féérie Gourmande a continué de vendre son produit "Perles de vignes" pendant la période de 12 mois invoquée, et n'a pas justifié la différence de marge entre les produits "Raisins Dorés" et ceux fournis par son nouveau fournisseur. Elle soutient que la rupture de la relation commerciale représente une part négligeable du chiffre d'affaires de l'appelante soit moins de 5 %. Quant à la durée du préavis, elle estime que si préjudice il y a, celui-ci ne peut être évalué que sur une période de quatre mois et ne peut être supérieur à la différence de marge constatée durant les quatre mois suivant la rupture, en l'absence de pièces justificatives.
Sur l'appel incident
La société Bonbons [D] soutient à son tour, que la société Feerie Gourmande a mis fin de manière brutale et fautive à leur relation commerciale, en violation des dispositions de l'article L. 442-1 II du Code de commerce. Elle estime que conformément au code de bonnes pratiques commerciales établi par la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France, s'agissant d'une relation ayant duré entre 10 et 20 ans et représentant environ 5% du chiffre d'affaires du partenaire, un préavis de quatre mois lui était dû.
Elle fait grief à la société Féérie Gourmande d'avoir cessé ses commandes à compter du 31 juillet 2020 sans respecter ce préavis, procédant ainsi à une rupture brutale.
Elle fait valoir qu'elle aurait réalisé, durant cette période, une marge de 5.065,71 euros sur la base du prix de 17,50 euros hors taxes le kilo du produit "Les Raisins Dorés" (Bonbons [D] n°21) et demande réparation de ce préjudice.
En réponse, la société Féérie Gourmande par son mandataire judiciaire, soutient que la rupture des relations commerciales résulte du comportement de la Société Bonbons [D], qui a imposé de nouvelles conditions de vente à compter du 1er septembre 2020, sans l'en informer avant cette date. En conséquence, ignorante de ces nouvelles conditions, elle ne pouvait passer de commande à partir du 31 juillet 2020, date à laquelle sa commande a été refusée. Elle relève que la modification des conditions contractuelles était exclusivement l'initiative de la Société Bonbons [D] et non la sienne. Enfin, elle souligne que la modification unilatérale des conditions commerciales, opérée en période stratégique de préparation des fêtes de fin d'année, a créé une situation d'incertitude, conduisant ainsi à la rupture des relations commerciales.
A titre infiniment subsidiaire, elle soutient que si la Cour l'estimait responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies, le montant des indemnités sollicitées par la société Bonbons [D] doit être réduit. Elle fait ainsi valoir que la société Bonbons [D] réclame la somme de 5.065,71 euros en réparation de son préjudice qu'elle calcule sur la base d'un prix de vente des " Raisins Dorés " à 17,50 euros hors taxes le kilo pendant une période de 4 mois alors qu'elle a acquis ce produit au prix de 13,37 euros hors taxes le kilo, de sorte qu'il convient d'appliquer ce tarif pour recalculer le préjudice de la société Bonbons [D].
Réponse de la Cour
L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne eut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".
La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.
La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.
Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.
Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.
En l'espèce, il n'est pas contesté que les relations commerciales entre les parties pour la distribution du produit de confiserie chocolaté "Les Raisons Dorés" ont commencé en 2006 et présentaient un caractère établi.
Il résulte de la lettre du 21 février 2006 de la société [D] (pièce 1 de l'appelante) qu'une remise de 35 % sur le tarif de ce produit était accordée à la société Féérie Gourmande en tant que revendeur.
Il est également établi que, par courriel du 9 juillet 2020, la société Bonbons [D] a souhaité modifier ses conditions commerciales faisant état " d'un transfert de pouvoir " au sein de la société (pièce 11 de l'intimée), que par lettre recommandée datée du 24 juillet 2020, elle a informé la société Féérie Gourmande que ses commandes des 7 et 15 juillet 2020 étaient acceptées et que compte tenu des points abordés ensemble, il s'agissait de la dernière commande soumise à ces conditions commerciales, confirmant par ailleurs leur réunion du 28 juillet pour discuter de l'avenir de leur collaboration (pièce 15 de l'intimée).
Par lettre du 11 août 2020 (pièce 17 de l'intimée), la société Féérie Gourmande demandait à la société Bonbons [D] de lui préciser les conditions commerciales envisagées dans son courriel du 3 août, lui rappelant qu'aucun accord sur de nouvelles relations commerciales n'était intervenu.
Par lettre recommandée du 1er septembre 2020 (pièce 18 de l'intimée), la société Bonbons [D] répondait :
"Comme annoncé à M [H] [K] lors de notre négociation commerciale, notre nouvelle offre est la suivante :
- 17,50' le kg de "Raisins Dorés"
- Revente exclusivement sous la marque " Raisons Dorés ".
Compte tenu de la situation pandémique et des conséquences dramatiques qu'elle entraîne pour la Maison [D], je me refuse à mettre en, péril des emplois juste pour vous accorder une remise qui n'a plus et pas lieu d'être. "
La commande passée par la société Féérie Gourmande du 31 juillet 2020, que la société Bonbons [D] a soumise aux nouvelles conditions commerciales (pièce 16 de l'intimée) n'a pas été honorée en l'absence d'accord des parties sur les conditions commerciales et la société Féérie Gourmande a cessé de passer de nouvelles commandes.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que la société Bonbons [D] a tenté d'imposer à la société Féérie Gourmande une modification substantielle de ses conditions de vente en supprimant le rabais de 35% sur le prix de vente des " Bonbons Dorés" qu'elle lui accordait depuis le mois de février 2006, que cette modification est intervenue brutalement au cours du mois de juillet 2020 sans accorder aucun délai de préavis à l'intéressée pour lui permettre de se réorganiser, peu important à cet égard, la légitimité alléguée de cette augmentation de prix.
En conséquence, il convient, infirmant le jugement entrepris de dire que la société Bonbons [D] a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société Féérie Gourmande depuis 14 ans.
Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la perte de marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis éludé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).
En l'espèce, l 'appelante produit un rapport de son expert-comptable ainsi qu'une attestation de ce dernier faisant apparaître une marge moyenne annuelle sur les années 2016 à 2019 de 63 833', déduction faite des frais de port, d'emballage et de VRP.
S'il est regrettable que les pièces comptables de la société Féérie Gourmande ne soient pas produites, il n'en demeure pas moins que l'expert-comptable, aux termes de son attestation indique avoir procédé à la vérification des informations relatives à l'état récapitulatif des achats et de la marge dégagée sur les années 2016 à 2019 quant à la concordance de ces informations avec la comptabilité et que cette vérification a été établie dans le cadre de la rupture de livraison de raisins en vrac par la SARL [D].
Cependant, les éléments fournis ne permettent pas de connaitre la part de ce produit dans le chiffre d'affaires de la victime de la rupture.
En outre, s'agissant de livraison de raisins en vrac, ce produit apparaît aisément substituable. A cet égard, la société Les bonbons [D] indique que la société Schaal, acteur majeur du secteur, vendait des produits similaires (Pièce Bonbons [D] n° 23),
Au regard de ces éléments et étant rappelé que le délai de préavis doit être apprécié au jour de la rupture sans tenir compte des évènements postérieurs, un préavis de 5 mois aurait dû être accordé par la société Bonbons [D] à la société victime pour se réorganiser.
En conséquence, la Cour retient sur les 3 dernières années (2017 à 2019), une moyenne annuelle de frais d'achat 84 752' et un prix de vente HT de 161 643', soit une marge commerciale annuelle moyenne de 76 891' et après déduction des coûts non supportés (frais de port, d'emballage et de VRP), une marge annuelle sur coûts variables moyenne de 63 458', soit mensuellement la somme de 5 288'.
Ainsi la société Bonbons [D] doit être condamnée à payer à la société Féérie Gourmande prise en la personne de son mandataire judiciaire la somme de 26 440 ' en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies.
Le sens de l'arrêt commande de débouter la société Bonbons [D] de son appel incident portant sur la réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies qu'elle impute à tort à la société Féérie Gourmande.
Sur le préjudice moral
Exposé des moyens
L'appelante soutient que les circonstances de la rupture des relations commerciales par la société Bonbons [D] lui ont causé un préjudice moral dont elle demande réparation sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil.
Elle fait état à cet égard, de l'annonce du changement des conditions commerciales le 24 juillet 2020 sans autre précision et de l'annonce des nouvelles conditions de vente du produit "les raisins dorés" le 1er septembre 2020 portant sur le prix et sur les modalités de la commercialisation.
La société Bonbons [D] s'y oppose, faisant notamment valoir qu'elle est vainement entrée en discussion pour négocier les nouvelles conditions de vente.
Réponse de la Cour
La preuve d'un préjudice moral subi par la société Féérie Gourmande n'est pas rapportée à l'appui de la demande de dommages-intérêts, étant observé qu'une réunion a eu lieu entre les parties le 28 juillet 2020.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande
Sur l'existence d'un avantage sans contrepartie
Exposé des moyens
La société Bonbons [D] soutient que la société Féérie Gourmande a enfreint les dispositions de l'article L. 442-1 I du Code de commerce en cherchant à obtenir un avantage manifestement disproportionné par rapport à la contrepartie consentie dans les négociations commerciales. Elle affirme qu'en vendant ses produits "Les Raisins Dorés" au prix de 13,37 euros hors taxes le kilo, elle était en situation de vente à perte, comme en attestent les pièces versées aux débats (Pièces Bonbons [D] n° 8 et 19). Face à cette situation, la société Bonbons [D] a proposé une révision du tarif à 17,50 euros hors taxes le kilo, en adéquation avec les prix du marché. À titre de comparaison, elle fait valoir que la société Schaal, acteur majeur du secteur, vendait des produits similaires à 16,27 euros hors taxes le kilo (Pièce Bonbons [D] n° 23), ce qui démontrerait que la révision du prix était raisonnable. Elle fait valoir que la société Féérie Gourmande a néanmoins rejeté ce tarif sans discussion et mis fin brutalement à leur relation commerciale. Elle analyse cette rupture comme une conséquence du refus de son partenaire commercial de discuter les nouvelles conditions, ce qui, selon elle, viole les principes de loyauté dans les négociations commerciales, en contradiction avec les exigences de l'article L. 442-1 I du Code de commerce. Elle plaide qu'après quatorze années de collaboration, la révision des conditions commerciales, notamment dans le contexte économique difficile de la crise sanitaire, apparaît légitime. En conséquence, la société Bonbons [D] sollicite la réparation du préjudice subi en raison de cette rupture brutale et injustifiée, demandant une indemnité conforme aux prescriptions de l'article L. 442-1 I du Code de commerce.
La société Féérie Gourmande par son mandataire judiciaire, la société Ekip, rétorque qu'elle n'a pas imposé un avantage disproportionné à la société Bonbons [D], alors qu'elle bénéficiait d'une remise de 35 % sur l'ensemble des commandes passées, s'appliquant à tous les produits commandés (pièce 9 Bonbons [D]) et que la suppression de cette remise pour les autres produits habituellement commandés n'a jamais été mentionnée. Elle estime que cette remise commerciale qui s'applique à tous les produits, ne peut être qualifiée d'avantage disproportionné, mais s'inscrit dans une pratique commerciale normale à l'égard d'un partenaire important.
Réponse de la Cour
L'article L 442-1, 1° du code de commerce applicable à la cause dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;".
Ces dispositions exigent seulement que soit constaté l'obtention d'un avantage sans contrepartie ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage. Ainsi le contrôle des conditions tarifaires par le juge peut s'opérer sur le fondement de cet article (en ce sens Com.11 janvier 2023, n°21-11.163).
En l'espèce, il est établi que la société Féérie Gourmande bénéficiait depuis le début de la relation commerciale avec la société Bonbons [D] en 2006 d'une remise de 35% sur la distribution du produit " Raisins Dorés au Sauternes " en tant que revendeur (pièce 1 de l'appelante). Cette remise a été étendue à d'autres produits de la société Bonbons [D] depuis le 1er janvier 2017 (factures pièce 9 de la société Bonbons [D]). Son refus de revenir sur cet avantage s'agissant du produit " Les Raisins Dorés " lui est reproché sur le fondement de l'obtention d'un avantage sans contrepartie.
Or, il est seulement établi que la société Féérie Gourmande a refusé de commander les " Raisins Dorés " au nouveau prix qu'a tenté d'imposer la société Bonbons [D] de 17,50 HT le kilo au lieu de 13,37' HT le kilo et qu'aucun accord n'est intervenu.
La société Bonbons [D] est ainsi brutalement revenue sur un avantage commercial qu'elle avait accordé à un partenaire historique.
Cet avantage obtenu de longue date par la société Féérie Gourmande était la contrepartie de sa fidélité et le caractère manifestement disproportionné d'une remise commerciale de 35% n'est pas établi. Il sera ajouté à cet égard que la circonstance invoquée d'une vente à perte ne résulte pas de la pièce 8 qui fait apparaître un prix de revient de 12,22'HT le kilo pour les " Raisins Sauternes ".
Par conséquent, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société Bonbons [D] de sa demande de dommages-intérêts du chef de l'obtention ou de la tentative d'obtention d'un avantage sans contrepartie.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Feerie Gourmande aux dépens de première instance et à payer à la société Bonbons [D] la somme de 2.000,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Bonbons [D], qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civil, rejette la demande de la société Bonbons [D] et la condamne à verser à la société Feerie Gourmande prise en la personne de son mandataire judiciaire, la somme de 4000 '.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a :
- Débouté la société Bonbons [D] de ses demandes,
- Débouté la société Féérie Gourmande de sa demande en réparation d'un préjudice moral
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Bonbons [D] à verser à la société Ekip en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Féérie Gourmande la somme de 26 440 ' en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Condamne la société Bonbons [D] aux dépens de première instance et d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Bonbons [D] et la condamne à verser à la société Ekip en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Féérie Gourmande la somme de 4 000'.
LA GREFIÈRE LA PRÉSIDENTE