TUE, 3e ch., 11 juin 2025, n° T-231/23
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Akgün Seramik Sanayi ve Ticaret AŞ
Défendeur :
Commission européenne
Antécédents du litige
2 Les requérantes sont des productrices-exportatrices turques de carreaux en céramique.
3 À la suite d'une plainte déposée le 3 novembre 2021 par l'Association européenne des producteurs de carreaux en céramique, la Commission européenne, sur le fondement de l'article 5 du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21), dans sa version applicable aux faits de l'espèce (ci-après le « règlement de base »), a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de carreaux en céramique originaires de l'Inde et de Turquie.
4 L'enquête s'est déroulée au cours de la période allant du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 (ci-après la « période d'enquête »).
5 Les produits soumis à l'enquête étaient des carreaux et des dalles de pavement ou de revêtement en céramique, des cubes, des dés et des articles similaires pour mosaïques en céramique, même sur un support, et des pièces de finition en céramique. Ces produits, qu'ils soient originaires de Turquie et exportés vers l'Union européenne, originaires de Turquie et vendus sur le marché domestique turc ou encore fabriqués et vendus dans l'Union par l'industrie de l'Union, sont similaires (ci-après les « produits en cause »).
6 Les requérantes ont coopéré à l'enquête, mais n'ont pas été retenues dans l'échantillon de producteurs-exportateurs turcs sélectionnés par la Commission sur le fondement de l'article 17 du règlement de base.
7 Le 9 février 2023, la Commission a adopté le règlement attaqué instituant un droit antidumping sur les importations du produit en cause allant de 4,8 à 20,9 %.
Conclusions des parties
8 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
– annuler le règlement attaqué en tant qu'il les concerne ;
– condamner la Commission aux dépens.
9 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
10 Au soutien du recours, les requérantes invoquent quatre moyens, tirés, le premier, de l'absence de préjudice pour l'industrie de l'Union, le deuxième, de l'absence de lien de causalité entre le dumping et le préjudice, le troisième, d'une méconnaissance de l'article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement de base et, le quatrième, de l'existence d'une entité économique unique ainsi que, à titre subsidiaire, de l'absence de comparaison équitable entre la valeur normale et le prix à l'exportation.
11 Il y a lieu de relever que les trois premiers moyens concernent le préjudice causé à l'industrie de l'Union.
12 À cet égard, dans le règlement attaqué, la Commission a procédé à un échantillonnage des producteurs de l'Union pour les besoins de la détermination de l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping sur l'industrie de l'Union (ci-après l'« échantillon »). Elle a établi une distinction entre les indicateurs macroéconomiques et microéconomiques du préjudice. Elle a évalué les indicateurs macroéconomiques sur la base des données contenues dans la réponse de l'Association européenne des producteurs de carreaux en céramique au questionnaire qu'elle lui avait envoyé et portant sur tous les producteurs de l'Union, recoupées si nécessaire avec les statistiques du commerce disponibles auprès d'Eurostat (office statistique de l'Union européenne) et les questionnaires remplis par les six producteurs de l'Union retenus dans l'échantillon. Quant aux indicateurs microéconomiques, ils ont été analysés sur la base des réponses de ces six producteurs auxdits questionnaires.
13 La Commission a indiqué au considérant 304 du règlement attaqué que les indicateurs macroéconomiques pris en compte pour évaluer le préjudice subi par l'industrie de l'Union étaient la production, les capacités de production, l'utilisation des capacités, le volume des ventes, la part de marché, la croissance, l'emploi, la productivité, l'importance de la marge de dumping et le rétablissement à la suite de pratiques de dumping antérieures.
14 La Commission a indiqué au considérant 305 du règlement attaqué que les indicateurs microéconomiques pris en compte pour évaluer le préjudice subi par l'industrie de l'Union étaient les prix unitaires moyens, le coût unitaire, les coûts de la main-d'œuvre, les stocks, la rentabilité, le flux de liquidités, les investissements, le rendement des investissements et l'aptitude à mobiliser des capitaux.
15 Ainsi, dans la mesure où les requérantes contestent, dans le cadre du troisième moyen, la validité de l'échantillon et où, si ce moyen était retenu, il serait susceptible de réduire le nombre d'éléments factuels pertinents sur la base desquels la Commission pouvait se fonder pour conclure à l'existence d'un préjudice pour l'industrie de l'Union, il convient d'examiner ce moyen au préalable.
Sur le troisième moyen, tiré d'une méconnaissance de l'article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement de base
16 Les requérantes soutiennent que l'évaluation du préjudice effectuée par la Commission est erronée, car cette dernière n'a pris en compte, dans son évaluation du préjudice, ni les producteurs de l'Union dans leur ensemble ni une proportion majeure de la production totale du produit en cause dans l'Union, contrairement à ce qu'exigerait l'article 4 du règlement de base.
17 Les requérantes se fondent sur le fait que l'échantillon représente à peine 6 % de la production totale de l'industrie de l'Union. Elles soutiennent que, si la Commission n'est pas tenue d'inclure dans l'échantillon tous les producteurs de l'Union, elle doit, pour déterminer si les importations en provenance des pays concernés ont causé un préjudice important à l'industrie de l'Union, tenir compte, en application de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base, d'une proportion de la production totale du produit en cause dans l'Union pouvant être qualifiée de « majeure ».
18 Or, les requérantes soutiennent que le terme « majeure » devrait être interprété comme signifiant « proportionnellement relativement élevée ». En outre, selon elles, plus la proportion de la production totale du produit en cause dans l'Union serait faible, plus l'autorité chargée de l'enquête devrait être attentive à faire en sorte que la proportion utilisée reflète largement la production totale de l'ensemble des producteurs. Les requérantes se fondent à cet égard sur une décision de l'organe d'appel de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
19 Les requérantes soutiennent que la Commission aurait pu augmenter la proportion de la production du produit en cause représentée dans l'échantillon en incluant dans celui-ci les trois plus grands producteurs de l'Union. Elles ajoutent que la Commission aurait pu également inclure les trois producteurs les plus importants pour chacune des trois catégories de producteurs qu'elle avait retenues, à savoir les grands producteurs, les producteurs de taille moyenne et les petits producteurs.
20 Les requérantes ajoutent que l'article 4 du règlement de base est une condition préalable et essentielle de l'évaluation du préjudice au titre de l'article 3 de ce même règlement.
21 Les requérantes invoquent également l'article 3, paragraphe 5, du règlement de base, lequel prévoit, notamment, que l'examen de l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping sur l'industrie de l'Union concernée comporte une évaluation de tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette industrie.
22 Selon les requérantes, une analyse du préjudice, telle que celle opérée dans le règlement attaqué, dans laquelle certains des indicateurs économiques pertinents énumérés à l'article 3, paragraphe 5, du règlement de base ne respectent pas la condition de « proportion majeure » imposée par l'article 4, paragraphe 1, dudit règlement est viciée. Les requérantes soutiennent que, alors même que l'échantillon est prétendument conforme à l'article 17 du règlement de base, une telle analyse ne prend pas réellement en considération l'« industrie de l'Union », telle que définie à l'article 4 de ce même règlement.
23 Les requérantes concluent leur argumentation en rappelant qu'un pourcentage de seulement 6 % de l'industrie de l'Union ne pouvait être considéré comme une « proportion majeure » de celle-ci, au sens de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base.
24 La Commission conclut au rejet du moyen.
25 À cet égard, il convient de rappeler que l'industrie de l'Union est définie à l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de base comme étant l'ensemble des producteurs du produit en cause dans l'Union ou ceux d'entre eux dont les productions additionnées constituent une proportion majeure de la production totale de ce produit dans l'Union.
26 En matière d'échantillonnage, l'article 17, paragraphe 1, du règlement de base instaure deux méthodes. Il prévoit ainsi, dans les cas où le nombre de producteurs de l'Union, d'exportateurs ou d'importateurs, de types de produits ou de transactions est important, que l'enquête peut se limiter soit à un nombre raisonnable de parties, de produits ou de transactions en utilisant des échantillons statistiquement valables d'après les renseignements disponibles au moment du choix, soit au plus grand volume représentatif de production, de ventes ou d'exportations sur lequel l'enquête peut raisonnablement porter compte tenu du temps disponible.
27 En l'espèce, la Commission a fait application de l'article 17, paragraphe 1, du règlement de base. À cet égard, il est indiqué au considérant 67 du règlement attaqué ce qui suit :
« L'échantillon […] représentait 6 % de la production totale estimée de l'Union et 8 % des ventes totales de l'industrie de l'Union au cours de la période d'enquête, et il couvrait quatre États membres où se situait environ 90 % de la production de l'Union. La Commission a considéré que l'échantillon […] était représentatif sur le plan de la production et des ventes totales de l'Union ainsi que de la répartition géographique et qu'il tenait compte de la fragmentation de l'industrie de l'Union. »
28 Les requérantes allèguent que la Commission a méconnu l'article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement de base, dans la mesure où elle n'a pris en compte dans son évaluation du préjudice ni une proportion majeure de la production totale des produits en cause, ni les producteurs de l'Union dans leur ensemble.
29 Au soutien de cette allégation, les requérantes critiquent l'échantillon, lequel aurait dû correspondre à une proportion plus importante de la production du produit en cause par l'industrie de l'Union, en incluant, en particulier, les trois producteurs les plus importants de l'Union. Elles soutiennent à cet égard que l'échantillon, qui représente seulement 6 % de la production totale du produit en cause dans l'Union, ne saurait être regardé comme constitutif d'une proportion majeure de la production de l'industrie de l'Union au sens de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base.
30 De même, les requérantes rappellent que, si les indicateurs macroéconomiques du préjudice ont été évalués au regard de l'ensemble de l'industrie de l'Union, ce n'est pas le cas des indicateurs microéconomiques, dès lors que les informations pertinentes à l'égard de ces derniers ont été recueillies auprès d'un échantillon de producteurs de l'Union représentant seulement 6 % de la production totale de celle-ci.
31 Il convient de relever que l'argumentation des requérantes repose sur la prémisse selon laquelle l'échantillon lui-même devrait être constitué d'une proportion majeure de la production totale des produits en cause dans l'Union au sens de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base, voire des producteurs de l'Union dans leur ensemble.
32 Or, l'article 4 du règlement de base ne concerne pas la détermination de l'échantillon, mais vise, comme son titre l'indique, à définir l'industrie de l'Union.
33 Par conséquent, les requérantes ne sauraient utilement invoquer une méconnaissance de l'article 4 du règlement de base pour contester la manière dont l'échantillon lui-même a été constitué.
34 En outre, il ne saurait être exigé des institutions de l'Union, sauf à priver d'effet utile l'article 17, paragraphe 1, du règlement de base, d'inclure dans l'échantillon une proportion majeure de la production totale des produits en cause. Au contraire, il suffit, comme en l'espèce, que l'enquête se limite, conformément à ce que prévoit cette disposition, au plus grand volume représentatif de production sur lequel elle peut raisonnablement porter compte tenu du temps disponible.
35 Ainsi, la prémisse sur laquelle repose le présent moyen étant erronée, celui-ci doit être écarté.
36 En outre, la Commission a indiqué au considérant 262 du règlement attaqué que l'industrie des carreaux en céramique dans l'Union était très fragmentée. Elle a ainsi relevé que le produit en cause avait été fabriqué par plus de 300 producteurs dans l'Union au cours de la période d'enquête. Elle a conclu que ces producteurs constituaient l'« industrie de l'Union » au sens de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base.
37 Ainsi, comme elle l'indique à juste titre dans ses écritures, la Commission a défini l'industrie de l'Union sur la base des producteurs dans leur ensemble et non sur la base d'une proportion majeure de ceux-ci, retenant ainsi la première des deux options envisagées à l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base (voir point 25 ci-dessus).
38 Par conséquent, le grief tiré de la circonstance que l'échantillon ne constituerait pas une « proportion majeure » de la production totale du produit en cause, outre qu'il repose, comme le moyen dans son ensemble, sur une prémisse erronée, ne peut, en tout état de cause, utilement être invoqué en l'espèce compte tenu du choix opéré par la Commission.
39 La conclusion figurant au point 35 ci-dessus ne saurait être remise en cause par les considérations qui suivent.
40 Premièrement, il est vrai que, dans l'hypothèse où la définition de l'industrie de l'Union adoptée par une institution de l'Union méconnaîtrait les dispositions de l'article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement de base, un tel vice aurait nécessairement pour conséquence de fausser l'échantillon appliqué, le cas échéant, par cette institution, dès lors qu'un tel échantillon est nécessairement constitué sur la base de la définition de l'industrie de l'Union retenue par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2012, Marine Harvest Norway et Alsaker Fjordbruk/Conseil, T‑113/06, non publié, EU:T:2012:135, points 59 et 70 à 72).
41 Toutefois, en l'espèce, les requérantes ne critiquent pas, en tant que telle, la définition de l'industrie de l'Union retenue par la Commission dans le règlement attaqué, telle qu'elle ressort, notamment, du considérant 262 dudit règlement (voir point 36 ci-dessus). Les requérantes se prévalent, en substance, de l'absence de conformité de l'échantillon au regard des dispositions de cet article, lequel est relatif à la détermination de l'industrie de l'Union et non à la constitution de l'échantillon.
42 Par conséquent, la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus ne saurait utilement être invoquée en l'espèce.
43 Deuxièmement, les requérantes invoquent la définition, qui, selon elles, aurait été donnée dans une décision de l'organe d'appel de l'OMC, de la notion de « proportion majeure de la production nationale » figurant à l'article 4.1 de l'accord sur la mise en œuvre de l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) (JO 1994, L 336, p. 103), figurant à l'annexe 1 A de l'accord instituant l'OMC (JO 1994, L 336, p. 3).
44 Or, quelle que soit la définition ainsi retenue, celle-ci n'est pas susceptible, en tout état de cause, d'avoir une incidence sur le traitement du présent moyen, compte tenu des réponses apportées à celui-ci aux points 31 à 38 ci-dessus. En effet, premièrement, l'exigence relative à ce que les productions additionnées des producteurs constituent une « proportion majeure » de la production totale du produit en cause dans l'Union ne s'applique pas à l'échantillon, contrairement à ce que soutiennent les requérantes. Deuxièmement, en l'espèce, la Commission n'a pas défini l'industrie de l'Union sur la base de la notion de « proportion majeure » de la production totale du produit en cause dans l'Union. Elle a choisi de prendre en compte l'ensemble des producteurs dudit produit dans l'Union.
45 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le troisième moyen doit être écarté.
Sur le premier moyen, tiré de l'absence d'un préjudice important
46 Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en concluant que l'industrie de l'Union avait subi un préjudice important.
47 La Commission soutient que le moyen est irrecevable. Quant au fond, elle conclut au rejet du moyen.
Sur la recevabilité du moyen
48 La Commission soutient que le moyen est irrecevable dans la mesure où sa présentation dans la requête ne satisfait pas aux exigences de l'article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal du fait de son manque de clarté.
49 Il convient de rappeler que, en vertu de l'article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l'Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l'article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l'article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir l'objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu'un exposé sommaire desdits moyens.
50 À ce dernier égard, il y a lieu de rappeler également que, selon la jurisprudence, l'« exposé sommaire des moyens », qui doit être indiqué dans toute requête, au sens des dispositions mentionnées au point 49 ci-dessus, signifie que la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé (voir arrêt du 16 mars 2023, GABO:mi/Commission, C‑696/21 P, non publié, EU:C:2023:217, point 47 et jurisprudence citée).
51 La partie requérante est tenue d'exposer d'une manière suffisamment systématique les développements relatifs à chaque moyen qu'elle présente, sans que le Tribunal puisse être contraint, du fait du manque de structure de la requête ou de manque de rigueur de cette partie, de reconstituer l'articulation juridique censée soutenir un moyen en rassemblant divers éléments épars de cette requête, au risque de reconstruire ce moyen en lui donnant une portée qu'il n'avait pas dans l'esprit de ladite partie (voir arrêt du 16 mars 2023, GABO:mi/Commission, C‑696/21 P, non publié, EU:C:2023:217, point 49 et jurisprudence citée).
52 Il résulte des considérations exposées au point 52 ci-dessus et, en particulier, de la référence qui y est faite à « chaque moyen » que les exigences formelles qui déterminent la recevabilité du recours pris dans son ensemble (voir points 49 à 51 ci-dessus) valent mutatis mutandis pour l'examen de la recevabilité d'un moyen pris isolément, voire d'un des griefs composant ce moyen (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission, T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317, points 111 à 114).
53 Il convient enfin de rappeler que les exigences qu'impliquent l'application de l'article 76, sous d), du règlement de procédure sont justifiées dans la mesure où elles visent, d'une part, à permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et, d'autre part, au Tribunal d'exercer son contrôle et, dans ce contexte, à éviter qu'il ne statue ultra petita ou n'omette de statuer sur un grief (voir arrêt du 16 mars 2023, GABO:mi/Commission, C‑696/21 P, non publié, EU:C:2023:217, point 50 et jurisprudence citée).
54 En l'espèce, le contenu du présent moyen ressort du texte de la requête de manière suffisamment claire, précise et cohérente pour permettre à la Commission de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours.
55 En outre, la Commission a, dans son mémoire en défense, identifié les différents griefs composant ce moyen et réfuté de manière détaillée chacun d'entre eux.
56 Par conséquent, le présent moyen est recevable, contrairement à ce que soutient la Commission.
Sur le bien-fondé du moyen
57 Afin de démontrer que la conclusion de la Commission tirée de l'existence d'un préjudice important est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, les requérantes font valoir que tant les indicateurs macroéconomiques que les indicateurs microéconomiques portant sur l'industrie de l'Union ont affiché une tendance positive ou sont restés stables au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2018 et la fin de la période d'enquête, c'est-à-dire le 30 juin 2021 (ci-après la « période considérée »).
58 Les requérantes invoquent également le considérant 405 du règlement attaqué et le fait qu'il ressortirait dudit considérant que le manque d'investissements n'a pas été perçu par l'industrie de l'Union comme un facteur préjudiciable.
59 Les requérantes rappellent aussi que l'industrie de l'Union détenait toujours une part de marché de plus de 87 % dans l'Union au cours de la période d'enquête.
60 Compte tenu de l'ensemble des éléments qu'elles invoquent, les requérantes concluent que la Commission a estimé à tort qu'une diminution de seulement trois points de pourcentage de la part de marché de l'industrie de l'Union était suffisante pour constater que cette dernière avait subi un préjudice important. La Commission aurait ainsi appréhendé de façon isolée un seul facteur, ce qui ne serait pas suffisant au regard des exigences de la jurisprudence. Le même argument est invoqué par les requérantes s'agissant cette fois de la rentabilité de l'industrie de l'Union, qui aurait été également appréhendée de manière isolée par la Commission. Les requérantes se prévalent, à cet égard, d'une jurisprudence interdisant, selon elles, une telle appréhension isolée de certains indicateurs économiques.
61 En outre, les requérantes soutiennent que le préjudice pour l'industrie de l'Union, à supposer même qu'il existe, ne peut être qualifié d'important.
62 Enfin, les requérantes soutiennent qu'il convient d'accorder une attention particulière aux tendances économiques les plus récentes. Or, en l'espèce, selon elles, l'analyse de l'évolution récente montrerait clairement que l'industrie de l'Union s'était remise des difficultés qu'elle avait rencontrées au début de la période considérée.
63 En application d'une jurisprudence constante, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l'Union disposent d'un large pouvoir d'appréciation en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu'elles doivent examiner. Quant au contrôle juridictionnel d'une telle appréciation, celui-ci doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir arrêt du 7 avril 2016, ArcelorMittal Tubular Products Ostrava e.a./Hubei Xinyegang Steel, C‑186/14 P et C‑193/14 P, EU:C:2016:209, point 34 et jurisprudence citée).
64 En outre, la détermination de l'existence d'un préjudice suppose l'appréciation de situations économiques complexes, pour lesquelles les institutions de l'Union disposent d'un large pouvoir d'appréciation, et le contrôle juridictionnel d'une telle appréciation doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, EU:C:2007:547, point 40).
65 L'article 3 du règlement de base est intitulé « Détermination de l'existence d'un préjudice ». Son paragraphe 1 prévoit que, pour les besoins dudit règlement, le terme « préjudice » s'entend, sauf indication contraire, d'un préjudice « important » pour l'industrie de l'Union.
66 L'article 3, paragraphe 2, du règlement de base, relatif à l'existence d'un préjudice, dispose ce qui suit :
« La détermination de l'existence d'un préjudice se fonde sur des éléments de preuve positifs et comporte un examen objectif :
a) du volume des importations faisant l'objet d'un dumping et de l'effet de ces importations sur les prix des produits similaires sur le marché de l'Union ; et
b) de l'incidence de ces importations sur l'industrie de l'Union. »
67 Dans le cadre du présent moyen, l'argumentation des requérantes se limite à une contestation relative à l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement de base, à savoir à l'existence d'un préjudice important subi par l'industrie de l'Union en tant que l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping sur l'industrie de l'Union n'est pas démontrée par la Commission dans le règlement attaqué. En effet, les requérantes n'invoquent aucun argument spécifique relatif au volume des importations faisant l'objet d'un dumping et à l'effet de ces importations sur les prix des produits en cause.
68 S'agissant de l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping sur l'industrie de l'Union, l'article 3, paragraphe 5, du règlement de base dispose ce qui suit :
« L'examen de l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping sur l'industrie de l'Union concernée comporte une évaluation de tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette industrie, y compris le fait pour une industrie de ne pas encore avoir surmonté entièrement les effets de pratiques passées de dumping ou de subventionnement ; l'importance de la marge de dumping effective ; la diminution effective et potentielle des ventes, des bénéfices, de la production, de la part de marché, de la productivité, du rendement des investissements ou de l'utilisation des capacités ; les facteurs qui influent sur les prix dans l'Union ; les effets négatifs, effectifs et potentiels, sur les flux de liquidités, les stocks, l'emploi, les salaires, la croissance, l'aptitude à mobiliser les capitaux ou l'investissement. Cette liste n'est pas exhaustive et un seul ou plusieurs de ces facteurs ne constituent pas nécessairement une base de jugement déterminante. »
69 Il résulte de l'article 3, paragraphe 5, du règlement de base qu'il incombe aux institutions de l'Union d'évaluer tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de l'industrie de l'Union, un seul ou plusieurs de ces facteurs ne constituant pas nécessairement une base de jugement déterminante. Cette disposition donne ainsi à ces institutions un pouvoir discrétionnaire dans l'examen et l'évaluation des différents indices (arrêt du 10 juillet 2019, Caviro Distillerie e.a./Commission, C‑345/18 P, non publié, EU:C:2019:589, point 21).
70 Il ressort également de la jurisprudence que, si l'examen des institutions doit mener à la conclusion que le préjudice causé à l'industrie de l'Union est important, il n'est pas exigé que tous les facteurs et indices économiques pertinents démontrent une tendance négative (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, CHEMK et KF/Conseil, T‑190/08, EU:T:2011:618, point 114).
71 En effet, la conclusion de l'existence d'un préjudice important n'est pas forcément incompatible avec le fait que certains, voire plusieurs, facteurs visés à l'article 3, paragraphe 5, du règlement de base témoignent d'une tendance positive, à condition toutefois que, dans un tel cas de figure, l'institution de l'Union concernée livre une analyse convaincante qui démontre que le développement positif de certains facteurs est contrebalancé par un développement négatif d'autres facteurs (voir arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 145 et jurisprudence citée).
72 En l'espèce, l'examen de l'ensemble des indicateurs économiques relatifs au préjudice subi par l'industrie de l'Union a porté sur la période considérée, comprise entre le 1er janvier 2018 et la fin de la période d'enquête, c'est-à-dire le 30 juin 2021, ainsi qu'il ressort du considérant 102 du règlement attaqué.
73 Il convient de constater que, au cours de la période considérée, la production, les capacités de production, l'utilisation de ces capacités, l'emploi et la productivité de l'industrie de l'Union ont très peu varié ou sont restés au même niveau dans un marché en expansion.
74 Il convient également de rappeler que, au cours de la période considérée, les ventes des producteurs de l'Union ont augmenté plus lentement que la consommation du produit en cause dans l'Union. Ainsi, elles n'ont augmenté que de 3 % sur un marché qui a augmenté de 6 %. Par conséquent, la part de marché de l'industrie de l'Union a diminué, passant de 90,1 % en 2018 à 87,1 % au cours de la période d'enquête.
75 En outre, il convient de relever que, de 2018 à 2020, la rentabilité des ventes était déficitaire et elle n'est devenue bénéficiaire, très légèrement, à savoir à hauteur de 0,6 % du chiffre d'affaires, qu'au cours de la période d'enquête.
76 Enfin, il convient de constater que, au cours de la période considérée, les investissements de l'industrie de l'Union ont diminué de 62 % et que ses capacités de production sont restées inchangées. À cet égard, il n'est pas contesté que la majorité des investissements en cause visaient à maintenir les capacités et à assurer les remplacements ni que, ainsi, les investissements dans la recherche, le développement et l'innovation, qui représentaient 38 % des investissements totaux effectués par les producteurs retenus dans l'échantillon en 2018, avaient diminué de 97 % au cours de la période considérée et ne représentaient que 3 % de leurs investissements au cours de la période d'enquête.
77 Sur la base de la diminution de la part de marché de l'industrie de l'Union au cours de la période considérée, de la situation déficitaire de cette industrie ou de sa très faible rentabilité et, enfin, de la baisse considérable de ses investissements, la Commission a conclu, au considérant 338 du règlement attaqué, à l'existence d'un préjudice important subi par l'industrie de l'Union.
78 Les requérantes ne contestent pas la matérialité des éléments mentionnés aux points 72 à 77 ci-dessus, mais l'interprétation que fait la Commission de ces éléments.
79 À cet égard, les requérantes insistent sur la stabilité ou l'évolution parfois légèrement positive des indicateurs macroéconomiques, en particulier, d'une part, l'augmentation des prix de l'industrie de l'Union lors de la période d'enquête supérieure à l'augmentation des coûts et suffisante pour permettre l'apparition d'une rentabilité des ventes et, d'autre part, la faible diminution de la part de marché de cette industrie, qui restait toujours très importante, selon elles, à la fin de la période considérée. Elles invoquent aussi une diminution des stocks, mais sans expliquer quelles conséquences il conviendrait de tirer d'une telle diminution.
80 Toutefois, compte tenu du caractère convaincant des éléments mentionnés aux points 72 à 77 ci-dessus, les arguments figurant au point 79 ci-dessus ne suffisent pas pour constater que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation, lorsqu'elle a conclu à l'existence d'un préjudice important de l'industrie de l'Union.
81 Il en va ainsi également lorsque sont pris en compte, d'une part, les flux de liquidités, qui ont augmenté de 400 % au cours de la période considérée, et, d'autre part, le rendement des investissements, qui a augmenté de 600 % au cours de ladite période.
82 S'agissant de l'augmentation des flux de liquidité, lesquels représentent, selon la Commission, la capacité des producteurs de l'Union à autofinancer leur activité, elle a distingué, au considérant 330 du règlement attaqué, deux périodes au sein de la période considérée : d'une part, les années 2018 et 2019 et, d'autre part, l'année 2020 et la période d'enquête.
83 En ce qui concerne les années 2018 et 2019, la Commission a indiqué que l'essentiel de l'augmentation des flux de liquidités observée en 2019 s'expliquait par une forte augmentation des stocks de produits finis en 2018, ce qui signifie que, pour cette dernière année, la production était destinée aux stocks. Ainsi, alors que les coûts restaient constants, les ventes et, par conséquent, les entrées de trésorerie diminuaient, ce qui a eu pour conséquence un faible niveau des flux nets de liquidités. Lorsque les ventes ont repris en 2019, les flux de liquidités, qui étaient bas en 2018, ont fortement augmenté en valeur relative par rapport à l'année précédente. Ainsi, l'année 2018 étant prise comme année de référence, les flux de liquidités sont passés de la valeur de 100 en 2018 à une valeur de 187 en 2019.
84 En ce qui concerne l'année 2020 et la période d'enquête, la Commission a indiqué que la production avait été temporairement interrompue en raison des fermetures d'usines liées à la pandémie de COVID-19, alors que les ventes s'étaient poursuivies, ce qui avait entraîné une diminution des stocks. De la baisse des décaissements due à la diminution de la production et donc des coûts de production, accompagnée d'un maintien des encaissements dû à la poursuite des ventes, avait résulté une très forte augmentation des flux de liquidités. Ainsi, l'année 2018 étant prise comme année de référence, les flux de liquidité sont passés d'une valeur de 100 en 2018 à une valeur de 369 en 2020 et à une valeur de 400 pour la période d'enquête.
85 Les requérantes n'invoquent aucun argument susceptible de remettre en cause les explications plausibles avancées dans le règlement attaqué et figurant aux points 83 et 84 ci-dessus, lesquelles permettent de comprendre que l'augmentation des flux de liquidités ne résultait pas de la bonne santé de l'industrie de l'Union, mais de circonstances conjoncturelles.
86 Or, afin d'établir qu'une institution a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de faits complexes de nature à justifier l'annulation de l'acte qu'elle a adopté, les éléments de preuve au soutien d'une telle allégation doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenues dans cet acte (arrêt du 14 juin 2018, Lubrizol France/Conseil, C‑223/17 P, non publié, EU:C:2018:442, point 39 ; voir également, en ce sens, arrêt du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission, C‑148/19 P, EU:C:2020:354, point 72).
87 S'agissant du rendement des investissements, s'il est vrai que, après avoir très fortement baissé en passant de 1 % en 2018 à – 9 % en 2019 et à – 10 % en 2020, il s'est accru au cours de la période d'enquête en atteignant 4 %, il demeure néanmoins trop faible pour qu'il soit possible, sur la base de cet élément, pris en compte avec l'ensemble des autres éléments invoqués par la requérante, de conclure à l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation. En outre, la Commission, sans que cela soit contesté par les requérantes lors de l'audience, a expliqué, en réponse à une mesure d'organisation de la procédure décidée par le Tribunal, que l'augmentation du rendement des investissements était due à une augmentation des bénéfices, mais aussi à une diminution des actifs fixes, dont le montant aurait diminué tout au long de la période considérée. Or, une telle diminution constitue un indice d'une industrie subissant un préjudice.
88 Il résulte des considérations figurant aux points 72 à 87 ci-dessus que les éléments invoqués par les requérantes ne permettent pas de constater que la Commission en concluant, dans le règlement attaqué, à l'existence d'un préjudice important pour l'industrie de l'Union a commis une erreur manifeste d'appréciation.
89 La conclusion qui précède ne saurait être remise en cause par les autres arguments des requérantes.
90 Premièrement, s'agissant de l'argument des requérantes tiré de l'existence de tendances positives à la fin de la période considérée, lesquelles auraient dû conduire la Commission à constater une absence de préjudice important pour l'industrie de l'Union, il convient de rappeler, s'agissant des principaux indicateurs pris en compte par la Commission dans le règlement attaqué en ce qui concerne l'existence dudit préjudice, que la part de marché relative de l'industrie de l'Union pour les produits en cause a continué de diminuer au cours de la période la plus récente, à savoir la période d'enquête, et que, si les investissements ont légèrement augmenté entre 2020 et la période d'enquête, ils étaient beaucoup plus faibles à la fin de la période considérée qu'au début de cette période, représentant seulement 38 % de leur montant initial.
91 Par ailleurs, si la production a augmenté sensiblement au cours de la période d'enquête, cela n'a eu pour effet que le retour au niveau de production observé en 2018. La même évolution peut s'observer pour l'utilisation des capacités de production. S'agissant du volume des ventes, il n'a augmenté que de manière limitée au cours de la période d'enquête, à savoir d'un peu plus de 1 %. Quant au flux de trésorerie, ils ont surtout augmenté au cours de l'année 2020. En outre, il y a lieu de renvoyer à cet égard aux considérations figurant au point 84 ci-dessus quant à cette tendance et à l'absence d'argument invoqué par les requérantes qui permettrait de remettre en cause les explications plausibles avancées à cet égard dans le règlement attaqué (voir point 85 ci-dessus). Pour le rendement des investissements, il convient de renvoyer au constat figurant au point 87 ci-dessus. Enfin, même si le niveau de rentabilité des ventes à des acheteurs indépendants dans l'Union s'est amélioré au cours de la période d'enquête, il est demeuré très faible, atteignant seulement 0,6 %.
92 Il résulte de ce qui précède que, à supposer même qu'il convienne de prêter une attention plus importante aux tendances apparaissant à la fin de la période considérée, celles-ci ne permettraient pas, en tout état de cause, de remettre en question la conclusion exposée au point 88 ci-dessus.
93 Deuxièmement, s'agissant de l'invocation par les requérantes du considérant 405 du règlement attaqué, il ressort dudit considérant qu'aucun des producteurs retenus dans l'échantillon n'a formulé d'argument étayé ou n'a fourni le moindre élément prouvant que son niveau d'investissement, de recherche et développement et d'innovation au cours de la période considérée aurait été plus élevé dans des conditions normales de concurrence.
94 Il y a lieu de relever que le considérant 405 du règlement attaqué figure dans la partie dudit règlement consacrée au calcul de la marge de préjudice. Il concerne, en particulier, l'application de l'article 7, paragraphe 2 quater, du règlement de base, lequel prévoit que le bénéfice cible de l'industrie de l'Union utilisé pour définir un prix cible permettant de calculer la marge de préjudice est établi en tenant compte, notamment, du niveau de rentabilité nécessaire pour couvrir l'ensemble des coûts et des investissements, la recherche, le développement et l'innovation.
95 C'est sur la base, notamment, du considérant 405 du règlement attaqué que la Commission a pu faire application des dispositions de l'article 7, paragraphe 2 quater, dernière phrase, du règlement de base, aux termes desquelles la marge de bénéfice ne doit, en toute hypothèse, pas être inférieure à 6 %.
96 Ainsi, le considérant 405 du règlement attaqué ne concerne pas l'existence d'un préjudice subi par l'industrie de l'Union et, une fois replacé dans son contexte, il ne peut être interprété comme un indice allant à l'encontre du constat fait par ailleurs dans le règlement attaqué quant à l'existence d'une baisse substantielle de l'investissement des producteurs de l'Union, en particulier en matière de recherche, de développement et d'innovation (voir point 76 ci-dessus).
97 Il en va d'autant plus ainsi que le considérant 405 concerne l'absence d'arguments ou d'éléments communiqués par les producteurs de l'Union retenus dans l'échantillon pour établir leur bénéfice cible, notamment en démontrant que leur niveau d'investissement aurait été plus élevé en l'absence de dumping. Or, il est probable que les producteurs retenus dans l'échantillon ont considéré qu'ils n'avaient pas nécessairement intérêt à apporter de tels éléments compte tenu du fait que le texte prévoit, en toute hypothèse, l'application d'une marge de bénéfice minimale de 6 % pour déterminer le prix cible permettant de calculer la marge de préjudice (voir point 95 ci-dessus).
98 Troisièmement, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir pris en considération de manière isolée certains indicateurs, à savoir la diminution de la part de marché de l'industrie de l'Union et l'absence de rentabilité ou la faible rentabilité de celle-ci. Toutefois, la Commission a, au contraire, procédé à une appréciation globale de la situation qui lui était soumise. Cette appréciation globale l'a conduite à identifier trois éléments concordants et non démentis par les autres éléments du dossier, à savoir la diminution de la part de marché de l'industrie de l'Union au cours de la période considérée, la situation déficitaire de cette industrie ou sa très faible rentabilité et, enfin, la baisse considérable de ses investissements, sur la base desquels elle a conclu à l'existence d'un préjudice important pour l'Union (voir point 77 ci-dessus).
99 Il résulte de tout ce qui précède qu'il convient d'écarter le présent moyen.
Sur le deuxième moyen, tiré d'une absence de lien de causalité entre le dumping et le préjudice subi par l'industrie de l'Union
100 Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en surestimant, dans le règlement attaqué, les effets des importations faisant prétendument l'objet d'un dumping sur la situation économique de l'industrie de l'Union.
101 La Commission soutient que le moyen est irrecevable et, en toute hypothèse, non fondé.
Sur la recevabilité du moyen
102 La Commission soutient que le moyen est irrecevable dans la mesure où sa présentation dans la requête ne satisfait pas aux exigences de l'article 76, sous d), du règlement de procédure du fait de son manque de clarté.
103 Il convient de rejeter cette fin de non-recevoir sur la base des considérations exposées aux points 48 à 56 ci-dessus, les points 54 et 55 étant appliqués mutatis mutandis au présent moyen.
Sur le bien-fondé du moyen
104 Les requérantes relèvent que la part de marché attribuable aux importations en provenance des pays concernés, à savoir l'Inde et la Turquie, n'a augmenté que de trois points de pourcentage au cours de la période considérée. Elles relèvent également que, au début de cette période, l'industrie de l'Union détenait une part de marché d'environ 90 %, qui n'a diminué que de trois points de pourcentage. Les requérantes concluent, au regard du caractère limité de ces évolutions, qu'un lien de causalité entre l'augmentation des importations en cause et le préjudice subi par l'Union n'est pas établi.
105 Les requérantes soutiennent aussi que le volume des ventes de l'industrie de l'Union a augmenté de trois points de pourcentage.
106 Les requérantes ajoutent qu'une augmentation des prix de vente unitaires moyens de l'industrie de l'Union plus importante que la hausse de son coût de production tend à corroborer l'absence de pression exercée sur les prix par les importations.
107 Enfin, les requérantes invoquent une augmentation des flux de liquidités ainsi que de la rentabilité au cours de la période considérée.
108 Par ailleurs, les requérantes soutiennent que la pandémie de COVID-19 a eu une incidence sur la situation économique de l'industrie de l'Union.
109 L'article 3 du règlement de base dispose ce qui suit :
« […]
6. Il doit être démontré à l'aide de tous les éléments de preuve pertinents présentés en relation avec le paragraphe 2 que les importations faisant l'objet d'un dumping causent un préjudice au sens du présent règlement. En l'occurrence, cela implique la démonstration que le volume et/ou les niveaux des prix visés au paragraphe 3 ont un impact sur l'industrie de l'Union au sens du paragraphe 5 et que cet impact est tel qu'on puisse le considérer comme important.
7. Les facteurs connus, autres que les importations faisant l'objet d'un dumping, qui, au même moment, causent un préjudice à l'industrie de l'Union sont aussi examinés de manière que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l'objet d'un dumping au sens du paragraphe 6. Les facteurs qui peuvent être considérés comme pertinents à cet égard comprennent : le volume et les prix des importations non vendues à des prix de dumping ; la contraction de la demande ou les modifications de la configuration de la consommation ; les pratiques commerciales restrictives des producteurs de pays tiers et de l'Union et la concurrence entre ces mêmes producteurs ; l'évolution des techniques ainsi que les résultats à l'exportation, et la productivité de l'industrie de l'Union.
[…] »
110 Il convient de rappeler, dans le prolongement de la jurisprudence déjà mentionnée au point 63 ci-dessus, que la détermination de l'existence d'un préjudice causé à l'industrie de l'Union suppose l'appréciation de situations économiques complexes et que le contrôle juridictionnel d'une telle appréciation doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir jurisprudence citée au point 63 ci-dessus). Tel est notamment le cas en ce qui concerne la détermination des facteurs qui causent un préjudice à l'industrie de l'Union dans le cadre d'une enquête antidumping (voir arrêt du 16 avril 2015, TMK Europe, C‑143/14, EU:C:2015:236, point 34 et jurisprudence citée).
111 En outre, il appartient aux parties invoquant l'illégalité d'un règlement antidumping de présenter les éléments de preuve de nature à démontrer que les facteurs autres que ceux qui se rapportent aux importations ont pu avoir une importance telle qu'ils étaient de nature à remettre en cause l'existence du lien causal entre le préjudice subi par l'industrie de l'Union et les importations faisant l'objet d'un dumping (voir arrêt du 16 avril 2015, TMK Europe, C‑143/14, EU:C:2015:236, point 42 et jurisprudence citée).
112 En l'espèce, les requérantes invoquent deux griefs. En premier lieu, elles contestent l'existence d'effets des importations faisant l'objet d'un dumping sur la situation de l'industrie de l'Union. En second lieu, elles invoquent les effets d'un autre facteur, à savoir la pandémie de COVID-19.
113 S'agissant, en premier lieu, de la contestation des effets des importations faisant l'objet d'un dumping sur la situation de l'industrie de l'Union, premièrement, les requérantes soutiennent que la part de marché dans l'Union des importations faisant l'objet d'un dumping est trop limitée pour qu'un effet sur la situation de l'industrie de l'Union soit établi, d'autant plus que celle-ci détenait, y compris à la fin de la période considérée, une très large part de marché et que ses ventes avaient augmenté.
114 À cet égard, il convient de relever que la Commission, dans la partie du règlement attaqué consacrée aux effets des importations faisant l'objet d'un dumping, a indiqué que le volume des importations en provenance des pays concernés avait augmenté de 72 % au cours de la période considérée, pour une part de marché passant de 5 % environ en 2018 à 8 % environ pendant la période d'enquête. Elle a ajouté que l'augmentation du volume des importations en provenance des pays concernés avait nettement dépassé à la fois celle de la consommation sur le marché de l'Union, qui avait été de 6 %, et celle des ventes des producteurs de l'Union, qui avait été de 3 %. La Commission a alors relevé que l'augmentation de plus de trois points de pourcentage de la part de marché des importations faisant l'objet d'un dumping avait été concomitante à une baisse de trois points de pourcentage de la part de marché de l'industrie de l'Union, qui était passée de 90,1 % en 2018 à 87,1 % au cours de la période d'enquête. La Commission a conclu que les importations faisant l'objet d'un dumping avaient donc gagné cette part de marché aux dépens de l'industrie de l'Union, qui n'avait pu tirer profit de la hausse de la consommation (considérants 353 et 354 du règlement attaqué).
115 En plus de la concomitance constatée entre l'augmentation de la part de marché des importations faisant l'objet d'un dumping et la baisse de la part de marché de l'industrie de l'Union, la Commission, pour établir l'existence d'un lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et le préjudice subi par l'industrie de l'Union, s'est fondée également sur l'existence d'une marge de sous-cotation importante. Elle a ajouté que les prix pratiqués sur le marché de l'Union par les producteurs-exportateurs retenus dans l'échantillon avaient été inférieurs aux prix de l'industrie de l'Union tout au long de la période considérée et qu'ils avaient même été inférieurs à ses coûts de production au cours de la période d'enquête (considérants 355 et 356 du règlement attaqué).
116 La matérialité des éléments rappelés aux points 114 et 115 ci-dessus n'étant pas contestée par les requérantes, il en découle que c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que la Commission a pu retenir l'existence d'un lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et le préjudice subi par l'industrie de l'Union en dépit de la faible part de marché dans l'Union des importations faisant l'objet d'un dumping et de la très large part de marché de l'industrie de l'Union, ainsi que de l'augmentation des ventes des producteurs de l'Union, mise en exergue par les requérantes (voir point 113 ci-dessus).
117 Deuxièmement, les requérantes se prévalent du fait que le prix de vente unitaire moyen dans l'Union des producteurs de l'Union a augmenté au cours de la période considérée de manière plus rapide que leur coût de production unitaire, ce qui impliquerait une absence de pression concurrentielle sur les prix exercée par les importations faisant l'objet d'un dumping.
118 Certes, en 2020 et au cours de la période d'enquête, les prix unitaires de l'industrie de l'Union ont augmenté plus que ses coûts de production, ainsi qu'il ressort du tableau 7 figurant dans le règlement attaqué. Toutefois, il ressort du même tableau que ces prix sont restés inférieurs aux coûts de production durant toute la période considérée. Cette tendance est confirmée par le fait que l'industrie de l'Union, ainsi qu'il ressort du tableau 10 figurant dans le règlement attaqué, est restée en dessous du seuil de rentabilité de 2018 à 2020 et ne l'a dépassé, très faiblement, qu'au cours de la période d'enquête, laquelle coïncidait avec la reprise postérieure à la pandémie de COVID-19 et le rétablissement du secteur de la construction, ainsi qu'il ressort du considérant 357 du règlement attaqué.
119 Au regard des éléments rappelés au point 118 ci-dessus, lesquels ne sont pas contestés par les requérantes, les éléments invoqués par celles-ci au point 117 ci-dessus ne suffisent pas pour démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne retenant pas que les importations faisant l'objet d'un dumping n'avaient pas exercé de pression concurrentielle sur les prix de l'industrie de l'Union.
120 Troisièmement, les requérantes invoquent l'augmentation des flux de liquidités nette et de la rentabilité de l'industrie de l'Union. Ces arguments, s'ils sont pertinents pour établir une absence de préjudice, ne le sont cependant pas pour démontrer une absence de lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et le préjudice subi par l'industrie de l'Union. En tout état de cause, ces arguments ne sont pas fondés, ainsi qu'il ressort des considérations, exposées aux points 81 à 87 ci-dessus, figurant dans la partie du présent arrêt consacrée au premier moyen tiré d'une absence de préjudice subi par l'industrie de l'Union.
121 S'agissant, en second lieu, des effets préjudiciables que d'autres facteurs que les importations faisant l'objet d'un dumping auraient eus sur l'industrie de l'Union, les requérantes se bornent à indiquer qu'il ne fait aucun doute que la pandémie de COVID-19 a eu une incidence sur la situation économique de l'industrie de l'Union, sans apporter la moindre précision de nature à remettre en cause les éléments figurant aux considérants 353 à 356 du règlement attaqué, lesquels fondent le constat d'un lien de causalité entre l'augmentation des importations faisant l'objet d'un dumping et le préjudice subi par l'industrie de l'Union (voir points 114 et 115 ci-dessus).
122 En outre, au point 5.2.5 du règlement attaqué, intitulé « Effets de la COVID-19 », la Commission a indiqué, sans que ces appréciations soient contestées par les requérantes, notamment, d'une part, que la production, qui avait baissé en 2020, s'était rétablie au cours de la période d'enquête avec une augmentation réduite des coûts de production et, d'autre part, que le marché de l'Union avait continué de croître pendant la pandémie et que l'industrie de l'Union avait pu maintenir son volume de vente en 2020 en vendant sur ses stocks.
123 Par conséquent, l'argument des requérantes ne permet pas de démontrer qu'un facteur autre que ceux qui se rapportent aux importations ayant fait l'objet d'un dumping, en l'occurrence la pandémie de COVID-19, a pu avoir en l'espèce une importance telle qu'il aurait été de nature à remettre en cause l'existence du lien causal entre le préjudice subi par l'industrie de l'Union et les importations faisant l'objet d'un dumping (voir jurisprudence citée au point 111 ci-dessus).
124 Il résulte des considérations figurant aux points 104 à 123 ci-dessus que les éléments invoqués par les requérantes ne permettent pas de constater que la Commission, en concluant, dans le règlement attaqué, à l'existence d'un lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et le préjudice subi par l'industrie de l'Union a commis une erreur manifeste d'appréciation. Par conséquent, il convient d'écarter le présent moyen.
Sur le quatrième moyen, portant, en substance, sur les erreurs entachant le calcul de la marge de dumping d'autres producteurs-exportateurs turcs
125 Dans le cadre de ce moyen, les requérantes contestent le calcul de la marge de dumping d'autres producteurs-exportateurs turcs effectué par la Commission et font valoir que l'erreur de cette dernière à cet égard a eu une incidence sur les droits antidumping qui leur ont été appliqués.
126 La Commission soutient que le présent moyen est irrecevable et, en toute hypothèse, non fondé.
Sur la recevabilité du moyen
127 La Commission ayant soulevé deux fins de non-recevoir, il convient de les examiner successivement.
– Sur la première fin de non-recevoir
128 La Commission soutient que le présent moyen est irrecevable dans la mesure où sa présentation ne satisfait pas aux exigences de l'article 76, sous d), du règlement de procédure en raison de son manque de clarté.
129 Il convient de rejeter cette fin de non-recevoir sur la base des considérations exposées aux points 48 à 56 ci-dessus, les points 54 et 55 étant appliqués mutatis mutandis au présent moyen.
– Sur la seconde fin de non-recevoir
130 La Commission soutient que le présent moyen est également irrecevable dans la mesure où les requérantes contestent le calcul de la marge de dumping d'autres producteurs-exportateurs turcs, dès lors que la réponse qu'elle serait amenée à fournir pourrait impliquer des informations qu'elle ne peut dévoiler sans violer son devoir de préserver leur confidentialité à l'égard des requérantes. L'examen du bien-fondé d'un tel moyen méconnaîtrait, partant, le principe d'égalité des armes à son détriment.
131 En application d'une jurisprudence constante, l'égalité des armes fait partie intégrante du principe de la protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union, consacré à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (arrêts du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 48, et du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 61). Il incombe, ainsi, au Tribunal de s'assurer, au cours de la procédure juridictionnelle, que le principe d'égalité des armes est respecté (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2015, Dalli/Commission, T‑562/12, EU:T:2015:270, points 54 à 60).
132 Certes, dans la mesure où les requérantes soutiennent, notamment, que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne retenant pas la qualification d'entité économique unique à l'égard des autres producteurs-exportateurs turcs, la défense par la Commission du bien-fondé de ses appréciations implique l'examen d'éléments potentiellement confidentiels à l'égard des requérantes, se rapportant, notamment, à la structure des ventes et des prix de ces producteurs-exportateurs, à leurs circuits de ventes internes ainsi qu'aux relations, y compris contractuelles, qu'ils entretiennent.
133 Toutefois, une telle éventualité ne saurait constituer un motif d'irrecevabilité du présent moyen.
134 Il appartient, en effet, au Tribunal de faire en sorte que le principe d'égalité des parties soit respecté devant lui et l'institution concernée pourra, si elle l'estime utile, se prévaloir d'une violation dudit principe dans le cadre d'un pourvoi introduit à l'encontre du jugement du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, points 30 à 34).
135 En toute hypothèse, il convient de rappeler que l'article 103 du règlement de procédure vise précisément à répondre aux difficultés soulevées par ce type de situations en assurant un équilibre entre la protection des données confidentielles et le respect du principe d'égalité des armes.
136 Il résulte des considérations exposées aux points 128 à 135 ci-dessus que le présent moyen est recevable.
Sur le bien-fondé du moyen
137 Les arguments figurant dans le présent moyen relèvent de deux branches distinctes. Par la première, les requérantes invoquent l'existence d'une entité économique unique. Par la seconde, présentée à titre subsidiaire, elles soutiennent que la Commission aurait dû procéder à un ajustement pour le calcul de la valeur normale équivalent à celui auquel elle avait procédé pour le calcul du prix à l'exportation.
– Sur la première branche du moyen
138 Les requérantes soutiennent que c'est à tort que la Commission a conclu à une absence d'entité économique unique, ce qui lui a permis de faire application de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base.
139 Par conséquent, selon les requérantes, c'est de manière erronée que la Commission a déduit du prix à l'exportation les frais de vente, les dépenses administratives et les autres frais généraux (ci-après les « frais VAG ») ainsi que la marge bénéficiaire de négociants liés appartenant au même groupe que celui de certains des producteurs de l'échantillon des producteurs-exportateurs turcs (ci-après le « groupe »).
140 Les requérantes soutiennent également que c'est à tort que la Commission a considéré, dans le règlement attaqué, qu'un contrôle commun, une gestion commune et le fait que les vérifications pendant l'enquête concernaient les mêmes lieux pour l'ensemble du groupe ne permettaient pas nécessairement de conclure à l'existence d'une entité économique unique.
141 Les requérantes ajoutent que, contrairement à ce que la Commission a estimé dans le règlement attaqué, le fait que les producteurs et les négociants liés soient situés à des endroits différents n'est pas un critère pertinent. Elles soutiennent qu'il en va de même s'agissant de l'existence de départements de ventes dans différentes entités, y compris les entités de production.
142 Les requérantes invoquent une pratique, qui serait courante dans le secteur de la céramique, selon laquelle « seuls compte[raient] pour le client final le produit final et la conception, et non le fabricant ». Selon elles, cette pratique a pour effet de neutraliser la circonstance, sur laquelle s'est fondée la Commission dans le règlement attaqué, selon laquelle les négociants liés avaient souvent des fournisseurs indépendants et travaillaient avec d'autres produits que le produit en cause.
143 Les requérantes ajoutent que, au sein du groupe, les négociants liés ne pouvaient finaliser les achats auprès de producteurs non liés sans l'accord de la société mère. Elles soutiennent aussi que ces achats auprès de producteurs non liés étaient limités aux produits que le groupe avait décidé de ne pas fabriquer lui-même pour des raisons de rentabilité. Enfin, elles soutiennent que ces ventes représentaient une part négligeable des exportations du groupe vers l'Union.
144 Par ailleurs, les requérantes allèguent que la Commission n'a pas examiné certains éléments, alors qu'il lui incombait de le faire.
145 Premièrement, les requérantes invoquent le niveau d'intégration commerciale entre les négociants liés et les producteurs.
146 À cet égard, les requérantes soutiennent que seuls les producteurs du groupe et non les négociants liés disposaient d'un site Internet. Toutefois, selon elles, les employés des négociants liés établissaient les premiers contacts avec les clients par le biais de l'organisation de foires internationales, de visites aux clients ou d'autres formes d'interactions. Les requérantes en concluent que les producteurs n'étaient pas directement impliqués dans la relation avec le client.
147 De plus, selon les requérantes, lorsque les clients envoyaient un bon de commande à un négociant lié, ce dernier enregistrait la commande directement dans le système de planification des ressources du producteur auquel il était lié.
148 En outre, les requérantes soutiennent que les négociants liés ne gardaient pas de stock et que, dès qu'ils recevaient la commande d'un client, les producteurs émettaient les factures et envoyaient les marchandises aux négociants liés qui, à leur tour, les livraient aux destinataires finaux. Ainsi, selon les requérantes, les marchandises étaient conservées dans les entrepôts des producteurs jusqu'à leur expédition et, dès qu'elles quittaient ces entrepôts, elles étaient acheminées au port le jour même.
149 Deuxièmement, les requérantes soutiennent que les négociants liés revendaient les produits aux clients indépendants dans l'Union avec une marge bénéficiaire, qui constituait leur seule rémunération. Ainsi, selon elles, ils ne recevaient pas de commission de la part des producteurs.
150 Troisièmement, en règle générale, selon les requérantes, les producteurs du groupe n'exportaient pas directement vers l'Union, les ventes à l'exportation vers l'Union étant réalisées par l'intermédiaire des négociants liés.
151 Enfin, quatrièmement, les requérantes soutiennent que leur argumentation « n'est pas remis[e] en cause par l'allégation de la Commission au considérant 234 du règlement attaqué, selon laquelle, quand bien même il existerait une entité économique unique, aux termes de l'article 2, paragraphe 9, du règlement de base, l'autorité compétente est prétendument tenue d'établir le prix à l'exportation sur la base du prix auquel le produit importé est revendu pour la première fois aux clients indépendants dans l'Union ».
152 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base prévoit des ajustements destinés à rendre comparables la valeur normale et le prix à l'exportation en vue de la détermination de la marge de dumping. En outre, l'article 2, paragraphe 10, sous i), dudit règlement prévoit plus spécifiquement qu'un ajustement est opéré au titre des différences dans les commissions versées pour les ventes considérées. Le second alinéa de cette disposition précise que le terme « commissions » couvre aussi la marge perçue par un opérateur commercial du produit en cause si les fonctions de cet opérateur sont assimilables à celles d'un agent travaillant sur la base de commissions.
153 S'agissant de l'intensité du contrôle juridictionnel, dans le prolongement de la jurisprudence déjà mentionnée au point 63 ci-dessus, ledit contrôle, en ce qui concerne l'application des ajustements prévus à l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base suppose l'appréciation de situations économiques complexes et le contrôle juridictionnel d'une telle appréciation doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2009, Shanghai Excell M&E Enterprise et Shanghai Adeptech Precision/Conseil, T‑299/05, EU:T:2009:72, points 254 et 255).
154 S'agissant de la charge de prouver que les ajustements spécifiques énumérés à l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base doivent être opérés, une telle charge incombe à ceux qui souhaitent s'en prévaloir. Ainsi, lorsqu'un producteur revendique l'application d'un ajustement, en principe à la baisse, de la valeur normale ou, logiquement à la hausse, des prix à l'exportation, il revient à cet opérateur d'indiquer et de démontrer que les conditions pour l'octroi d'un tel ajustement sont satisfaites. À l'inverse, lorsque les institutions de l'Union considèrent qu'il y a lieu d'appliquer un ajustement à la baisse du prix à l'exportation au motif qu'une société de vente liée à un producteur exerce des fonctions assimilables à celles d'un agent travaillant sur la base de commissions, il appartient à ces institutions de rapporter à tout le moins des indices convergents démontrant que cette condition est remplie (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, points 83 et 84).
155 Dans l'hypothèse où les institutions de l'Union ont rapporté des indices convergents qu'un distributeur lié à un producteur exerçait des fonctions assimilables à celles d'un agent travaillant sur la base de commissions, il incombe à ce distributeur ou à ce producteur de rapporter la preuve qu'un ajustement au titre de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base n'était pas justifié, par exemple en démontrant qu'ils formaient une entité économique unique (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, point 85).
156 En effet, un ajustement au titre de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base ne saurait être opéré lorsque le producteur établi dans un État tiers et son distributeur lié en charge des exportations vers l'Union forment une entité économique unique (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, point 39).
157 Les considérations exposées au point 155 ci-dessus valent également pour toute partie qui souhaite se prévaloir de l'existence d'une entité économique unique, y compris lorsque, comme en l'espèce, cette partie n'appartient pas à l'entité économique unique en cause.
158 En effet, tous ceux qui souhaitent se prévaloir d'un des ajustements spécifiques énumérés à l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base, « quels qu'ils soient », doivent apporter la preuve que leur demande est justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P, EU:C:2012:78, point 60). De la même manière, dans l'hypothèse où les institutions de l'Union ont donné des indices convergents qu'un distributeur lié à un producteur exerçait des fonctions assimilables à celles d'un agent travaillant sur la base de commissions, toute partie, quelle qu'elle soit, peut rapporter la preuve qu'un ajustement au titre de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base n'est pas justifié en démontrant qu'il existe une entité économique unique.
159 S'agissant de la notion d'« entité économique unique », il y a lieu de rappeler que le partage des activités de production et de vente à l'intérieur d'un groupe formé par des sociétés juridiquement distinctes ne saurait rien enlever au fait qu'il s'agit d'une entité économique unique qui organise de cette manière un ensemble d'activités exercées, dans d'autres cas, par une entité qui est unique aussi du point de vue juridique (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, point 40).
160 Dans ces circonstances, la reconnaissance de l'existence d'une entité économique unique permet d'éviter que des coûts qui sont manifestement englobés dans le prix de vente d'un produit lorsque cette vente est effectuée par un département de ventes intégré dans l'organisation du producteur ne le soient plus lorsque la même activité de vente est exercée par une société juridiquement distincte, bien qu'économiquement contrôlée par le producteur (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, point 41).
161 Selon une jurisprudence constante, il existe une entité économique unique entre un producteur et une société de distribution lorsque le premier commercialise ses produits par l'intermédiaire de la seconde, qu'il contrôle économiquement et à laquelle il confie des tâches relevant normalement d'un département de vente interne à l'organisation de ce producteur (arrêt du 25 juin 2015, PT Musim Mas/Conseil, T‑26/12, non publié, EU:T:2015:437, point 43 ; voir également, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1988, Canon e.a./Conseil, 277/85 et 300/85, EU:C:1988:467, point 39, et du 10 mars 1992, Ricoh/Conseil, C‑174/87, EU:C:1992:108, point 14).
162 En outre, il convient de rappeler que, dans le cadre de l'analyse de l'existence d'une entité économique unique entre un producteur et son distributeur lié, il est déterminant de considérer la réalité économique des relations existant entre ce producteur et ce distributeur. Compte tenu de l'exigence d'un constat reflétant la réalité économique des relations entre ledit producteur et ledit distributeur, les institutions de l'Union sont tenues de prendre en compte l'ensemble des facteurs pertinents permettant de déterminer si ce distributeur exerce ou non les fonctions d'un département de vente intégré de ce producteur (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, point 43).
163 Ainsi, ces facteurs ne sauraient se limiter aux fonctions exercées par le distributeur lié en relation avec les seules ventes du produit concerné fabriqué par le producteur qui prétend former une entité économique unique avec ce distributeur. Il peut donc être tenu compte des ventes par le distributeur lié de produits autres que le produit concerné par l'enquête antidumping afin de déterminer la part des ventes réalisées par ce distributeur pour des produits provenant de producteurs non liés (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, points 44 et 45).
164 De même que les institutions de l'Union sont en droit de tenir compte des ventes de produits autres que le produit concerné fabriqué par le producteur lié aux fins de la détermination de l'existence d'une entité économique, la facturation directe par le producteur établi dans un État tiers d'une partie des ventes à l'exportation vers l'Union est un facteur pertinent que ces institutions peuvent également prendre en compte. À cet égard, plus la proportion de telles ventes directes est importante, plus il est difficile de soutenir que le distributeur lié exerce les fonctions d'un département interne des ventes (arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, point 49).
165 En outre, l'existence d'un contrat conclu entre le producteur et son distributeur lié constitue un élément important dans les relations entre ces deux sociétés. L'ignorer reviendrait à occulter une partie de la réalité économique de ces relations (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2016, PT Musim Mas/Conseil, C‑468/15 P, EU:C:2016:803, points 56 et 57). L'existence d'un tel contrat tend en effet à démontrer que la relation entre le distributeur lié et son producteur est organisée sur la base de conditions commerciales normales, en particulier lorsque ce contrat comprend différentes stipulations qui sont difficilement conciliables avec l'existence d'une entité économique unique entre ces opérateurs (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2015, PT Musim Mas/Conseil, T‑26/12, non publié, EU:T:2015:437, points 60 à 64).
166 C'est au regard des considérations qui précèdent qu'il convient d'examiner les arguments invoqués par les requérantes.
167 En l'espèce, les requérantes estiment que la Commission a fait une application erronée de l'article 2, paragraphe 10, sous i), second alinéa, du règlement de base. Toutefois, il convient de souligner qu'elles ne soutiennent pas que les négociants liés n'exerçaient pas des fonctions assimilables à celles d'un agent travaillant sur la base de commissions, mais se bornent à invoquer l'existence d'une entité économique unique (voir points 138 à 151 ci-dessus).
168 Ainsi, compte tenu des considérations exposées aux points 154 à 158 ci-dessus, il appartient aux requérantes de rapporter la preuve de l'existence d'une telle entité.
169 Il y a lieu de rappeler que, au cours de la procédure d'adoption du règlement attaqué, la Commission a proposé, en application de l'article 2, paragraphe 10, sous i), second alinéa, du règlement de base, de déduire du prix à l'exportation les frais VAG ainsi que la marge bénéficiaire des négociants liés au sein du groupe. Le groupe a contesté l'application de cette disposition envisagée par la Commission en se fondant sur la notion d'« entité économique unique », mais la Commission a considéré que l'existence d'une telle entité n'était pas établie.
170 À cet égard, les considérants 240 à 244 du règlement attaqué indiquent ce qui suit :
« (240) Les négociants liés du [groupe] en Turquie qui intervenaient dans les ventes vers l'Union percevaient une marge pour leurs services et exerçaient des fonctions assimilables à celles d'un agent rémunéré à la commission.
(241) La Commission a divulgué de plus amples détails sur ces conclusions dans le cadre d'une communication individuelle adressée uniquement au groupe concerné, pour des raisons de confidentialité.
(242) Eu égard à ce qui précède, pour [le groupe], et pour les ventes vers l'Union faisant intervenir des parties liées en Turquie, le prix à l'exportation a été ajusté au titre de l'article 2, paragraphe 10, point i), du règlement de base. La Commission a déduit du prix à l'exportation les frais VAG de la ou des parties liées ainsi que la marge bénéficiaire décrite à la fin du considérant 232.
(243) À la suite de l'information finale, le [groupe] a affirmé qu'aucune déduction des frais VAG et de la marge bénéficiaire n'était justifiée au titre de l'article 2, paragraphe 10, point i), du règlement de base, car les différentes entités du groupe formaient une entité économique unique.
(244) Selon la Commission, plusieurs facteurs contredisent l'allégation selon laquelle ce groupe constitue une entité économique unique. Le fait que les entités du [groupe] aient été économiquement contrôlées et gérées par les mêmes personnes et que les visites de vérification aient essentiellement été effectuées dans les locaux des producteurs ne faisait pas nécessairement du groupe une entité économique unique. La Commission a observé que les producteurs et les négociants liés étaient établis à des endroits différents (et n'avaient pas leur siège au même endroit que les fabricants liés) et que les négociants liés avaient souvent des fournisseurs indépendants et/ou travaillaient avec des produits autres que le produit soumis à l'enquête. Il y avait, en outre, des départements de vente dans différentes entités, y compris les entités de fabrication, qui jouaient des rôles différents. On ne pouvait donc pas dire que ces négociants liés agissaient en tant que département interne des ventes des producteurs liés. Ces éléments, compte tenu également de l'absence d'informations suffisamment étayées permettant de comprendre clairement les accords entre les entités liées du [groupe], ont empêché la Commission d'accepter l'argument général du [groupe] relatif à l'existence d'une entité économique unique. »
171 Il résulte des considérants du règlement attaqué cités au point 170 ci-dessus que la Commission a estimé que les négociants liés du groupe situés en Turquie, qui intervenaient dans les ventes vers l'Union, exerçaient des fonctions assimilables à celles d'un agent rémunéré sur la base de commissions et qu'il ne pouvait être conclu qu'ils formaient une entité économique unique avec les producteurs du groupe. Elle a pris en compte à ce dernier égard, notamment, d'une part, le fait que les négociants liés, lesquels vendaient également des produits autres que le produit en cause, avaient souvent des fournisseurs indépendants et, d'autre part, l'absence d'informations suffisamment étayées permettant de comprendre clairement les accords entre les entités liées du groupe.
172 Il convient d'examiner successivement le bien-fondé de ces deux motifs.
173 En premier lieu, compte tenu de la jurisprudence citée au point 163 ci-dessus, c'est à juste titre que la Commission a pris en compte le fait que les négociants liés avaient souvent des fournisseurs indépendants que ce soit pour le produit concerné ou pour d'autres produits.
174 À cet égard, les requérantes allèguent que, au sein du groupe, les négociants ne pouvaient pas finaliser les achats auprès de sources non liées sans l'accord de la société mère du groupe. Elles soutiennent aussi que ces achats auprès de sources non liées étaient limités aux produits que le groupe décidait de ne pas produire lui-même pour des raisons de rentabilité. Enfin, elles soutiennent que ces achats représentaient une part négligeable des exportations du groupe vers l'Union.
175 Or, ainsi que le constate à juste titre la Commission, les allégations figurant au point 174 ci-dessus ne sont étayées par aucun élément de preuve.
176 En outre, ces allégations ont d'autant moins de valeur probante qu'elles concernent un groupe de sociétés distinct des requérantes et que celles-ci n'ont présenté aucune explication quant à la manière dont elles avaient pris connaissance des informations en cause.
177 Par ailleurs, les requérantes contestent également l'incidence sur la qualification d'entité économique unique de la circonstance selon laquelle les négociants liés avaient souvent des fournisseurs indépendants.
178 À cet égard, les requérantes soutiennent que l'achat de carreaux entre fournisseurs est une pratique courante dans l'industrie de la céramique.
179 Toutefois, les requérantes se bornent à faire référence à des affirmations non étayées exprimées par le groupe lors de la procédure d'adoption du règlement attaqué.
180 Ainsi, les requérantes ne produisent aucun document permettant d'étayer la réalité de la pratique dont elles se prévalent et, en particulier, de constater que les producteurs eux-mêmes se fournissent régulièrement auprès d'autres producteurs indépendants pour compléter les commandes adressées par leurs clients, lorsqu'ils ne peuvent répondre à celles-ci sur la base de leurs stocks.
181 Or, les requérantes sont quinze productrices turques du produit concerné. Elles auraient donc été en mesure de fournir au Tribunal des éléments susceptibles d'étayer leurs allégations à cet égard.
182 Il résulte des considérations figurant aux points 174 à 181 ci-dessus que les arguments invoqués par les requérantes ne permettent pas de remettre en cause, d'une part, le constat fait par la Commission selon lequel les négociants liés avaient souvent des fournisseurs indépendants ni, d'autre part, la pertinence d'un tel constat pour la qualification d'entité économique unique.
183 En second lieu, il convient de rappeler que, eu égard à l'exigence d'un constat reflétant la réalité économique des relations entre le producteur et le distributeur lié (voir point 162 ci-dessus), tous les facteurs pertinents afin de déterminer si ce distributeur exerce les fonctions d'un département interne des ventes doivent être pris en compte.
184 Or, l'existence d'un contrat conclu entre le producteur et son distributeur lié constitue un élément important dans les relations entre ces deux sociétés, car elle tend à démontrer que la relation entre eux est organisée sur la base de conditions commerciales normales, en particulier lorsque ce contrat comprend différentes dispositions qui sont difficilement conciliables avec l'existence d'une entité économique unique entre ces opérateurs (voir point 165 ci-dessus).
185 Par ailleurs, il convient de rappeler que l'article 18, paragraphe 1, du règlement de base prévoit que, lorsqu'une partie intéressée refuse l'accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas dans les délais prévus par ledit règlement, ou fait obstacle de façon significative à l'enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, peuvent être établies sur la base des données disponibles. L'article 18, paragraphe 6, de ce même règlement précise que, si une partie intéressée ne coopère pas ou ne coopère que partiellement et que, de ce fait, des renseignements pertinents ne sont pas communiqués, il peut en résulter pour ladite partie une situation moins favorable que si elle avait coopéré.
186 Dans des circonstances qui se caractérisaient par un défaut total de coopération des producteurs-exportateurs, la Cour a jugé que, quand bien même le règlement de base établissait le principe selon lequel la charge de la preuve d'un contournement des mesures antidumping incombait aux institutions de l'Union, l'article 18, paragraphes 1 et 6, de ce règlement visaient nettement à assouplir ladite charge, en prévoyant que ces institutions pouvaient fonder les conclusions d'une enquête sur l'existence d'un contournement sur les données disponibles et que les parties qui n'y avaient pas coopéré risquaient de se trouver dans une situation moins favorable que si elles avaient coopéré à ladite enquête. La Cour a précisé, à cet égard, qu'il ressortait de l'article 18 du règlement de base que le législateur de l'Union n'avait pas entendu établir une présomption légale permettant de déduire directement du défaut de coopération des parties intéressées ou concernées l'existence d'un contournement et, partant, dispensant les institutions de l'Union de toute exigence de preuve. Toutefois, compte tenu de la possibilité d'établir des conclusions, même définitives, sur la base des données disponibles et de traiter la partie qui ne coopère pas ou qui ne coopère que partiellement de façon moins favorable que si elle avait coopéré, il est tout aussi évident que les institutions de l'Union sont autorisées à se fonder sur un faisceau d'indices concordants. Toute autre solution risquerait de compromettre l'efficacité des mesures de défense commerciale de l'Union toutes les fois que les institutions de l'Union sont confrontées au refus de coopération dans le cadre d'une enquête visant à établir un contournement (arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, points 63 à 67).
187 Cette jurisprudence, qui concerne la démonstration d'un « contournement », notion qui relève de l'article 13 du règlement de base, vaut également pour établir l'existence d'un dumping et donc pour la détermination du prix à l'exportation.
188 En l'espèce, il ressort des considérants 209 à 212 ainsi que 248 du règlement attaqué que, bien que la Commission ait demandé à de nombreuses reprises des précisions sur les accords contractuels que les producteurs du groupe avaient conclus avec les entités liées actives dans la vente de leurs produits, notamment dans l'Union, le groupe n'a fourni ces précisions à aucun moment de l'enquête. Dès lors, pour conclure à l'absence d'entité économique unique, la Commission, faisant application de l'article 18 du règlement de base, a pris en compte, au considérant 244 du règlement attaqué, l'absence d'informations suffisamment étayées permettant de comprendre clairement les accords entre les entités liées du groupe pour conclure à l'absence d'entité économique unique.
189 Compte tenu du caractère pertinent des éléments qui avaient été demandés en l'espèce par la Commission afin de déterminer l'existence d'une entité économique unique (voir point 184 ci-dessus) et du défaut, non contesté, de coopération du groupe, c'est à bon droit que celle-ci a pu faire application de l'article 18 du règlement de base dans le règlement attaqué.
190 Il résulte des considérations exposées aux points 173 à 189 ci-dessus que le fait que les négociants liés du groupe situés en Turquie avaient souvent des fournisseurs indépendants est un indice suffisamment important, dans un contexte d'absence de coopération du groupe s'agissant de la production d'éléments relatifs à un autre indice important, à savoir l'existence d'un contrat conclu entre les producteurs et leurs distributeurs liés (voir point 184 ci-dessus), pour constater que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation lorsqu'elle a conclu au considérant 244 du règlement attaqué à l'absence d'entité économique unique pour le groupe.
191 Il en va d'autant plus ainsi qu'il a été jugé que la part des ventes réalisées par le négociant lié portant sur des produits provenant de producteurs indépendants était un facteur important pour déterminer si ce négociant formait une entité économique unique avec le producteur lié. Ainsi, si ce négociant réalise une large part de son chiffre d'affaires par la vente de produits provenant de producteurs indépendants, cela constitue un indice de ce que les fonctions de ce négociant ne sont pas celles d'un département interne des ventes (arrêt du 25 juin 2015, PT Musim Mas/Conseil, T‑26/12, non publié, EU:T:2015:437, point 53). Il a même été jugé que la simple circonstance selon laquelle la part du chiffre d'affaires du négociant lié résultant de ses activités avec des producteurs indépendants restait significative constituait un indice sérieux de ce que les fonctions de ce négociant n'étaient pas celles d'un service de ventes interne (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2015, PT Musim Mas/Conseil, T‑26/12, non publié, EU:T:2015:437, points 57 et 58).
192 La conclusion figurant au point 190 ci-dessus n'est pas remise en cause par les autres arguments invoqués par les requérantes.
193 Premièrement, dès lors que les deux motifs du règlement attaqué examinés aux points 173 à 189 ci-dessus permettent de constater que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, lorsqu'elle a conclu au considérant 244 du règlement attaqué à l'absence d'entité économique unique pour le groupe, la critique des requérantes portant sur d'autres motifs du règlement attaqué censés également justifier l'absence d'entité économique (voir points 140 et 141 ci-dessus) est sans incidence quant à la réponse à apporter au présent moyen.
194 Deuxièmement, les éléments factuels non pris en compte par la Commission dans le règlement attaqué dont se prévalent les requérantes pour établir l'existence d'une entité économique unique, à supposer même que les requérantes soient recevables à les invoquer et que leur matérialité soit établie, ne permettraient pas, même considérés collectivement, de remettre en cause la conclusion mentionnée au point 190 ci-dessus.
195 En effet, la circonstance selon laquelle, en l'espèce, les négociants liés ne disposaient pas de stocks du produit en cause n'est pas, en l'absence d'explications complémentaires apportées par les requérantes, un élément pouvant être regardé comme caractérisant de manière spécifique l'existence d'un département de vente intégré. Il en va de même s'agissant du fait que les employés des négociants liés établissaient les premiers contacts avec les clients par le biais de l'organisation de foires internationales, de visites aux clients ou d'autres formes d'interactions.
196 S'agissant de l'allégation selon laquelle les négociants liés ne disposeraient pas de leur propre site Internet, il convient de constater que celle-ci est, en partie au moins, inexacte. En outre, les requérantes n'expliquent pas en quoi une telle circonstance pourrait conduire à conclure à l'existence d'une entité économique unique.
197 Enfin, les requérantes soutiennent que, lorsque des clients envoyaient un bon de commande à un négociant lié, ce dernier enregistrait la commande directement dans le système de planification des ressources du producteur. Cependant, la Commission indique, sur la base des éléments du dossier sur lesquels se fondent les requérantes, que la commande était en réalité enregistrée dans le système des négociants, puis que ce système communiquait avec le système des producteurs, qui était donc distinct, pour y créer une commande. À cet égard, elle conclut à juste titre qu'une telle fonctionnalité ne signifie pas que les deux systèmes étaient intégrés au point qu'un tel élément puisse être un indice de l'existence d'une entité économique unique.
198 Troisièmement, l'absence de commissions versées par les producteurs aux négociants liés ne saurait utilement être invoquée par les requérantes afin de démontrer une méconnaissance de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base, dès lors que le second alinéa de cette disposition prévoit précisément la possibilité d'un ajustement en l'absence d'une véritable commission.
199 En effet, alors que l'article 2, paragraphe 10, sous i), premier alinéa, du règlement de base prévoit qu'un ajustement est opéré au titre des différences dans les commissions versées pour les ventes considérées, le second alinéa précise que le terme « commissions » couvre aussi la marge perçue par un opérateur commercial du produit en cause si les fonctions de cet opérateur sont assimilables à celles d'un agent travaillant sur la base de commissions (voir point 152 ci-dessus).
200 Il convient d'ajouter que, selon le considérant 6 du règlement (CE) no 1972/2002 du Conseil, du 5 novembre 2002, modifiant le règlement (CE) no 384/96 du Conseil, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2002, L 305, p. 1), lequel a inséré dans le règlement no 384/96 la disposition correspondant à l'article 2, paragraphe 10, sous i), second alinéa, du règlement de base en vigueur au moment des faits de l'espèce, des ajustements de la valeur normale et du prix à l'exportation sont pratiqués lorsque des commissions sont payées et, conformément à la pratique constante de la Commission et du Conseil de l'Union européenne, de tels ajustements devraient aussi être opérés si les parties n'entretiennent pas une relation commettant-commissionnaire, mais parviennent au même résultat économique en agissant en tant que vendeur et acheteur.
201 Quatrièmement, si les requérantes se prévalent de la circonstance que les producteurs du groupe n'exportaient pas directement vers l'Union, elles n'expliquent pas de quelle manière une telle circonstance pourrait avoir une incidence sur l'examen de la présente branche.
202 Certes, la Cour a jugé que les institutions de l'Union pouvaient constater qu'un producteur formait avec une ou plusieurs sociétés distributrices contrôlées par lui une entité économique unique, alors même qu'il exerçait directement certaines fonctions de vente (arrêt du 10 mars 1992, Matsushita Electric/Conseil, C‑175/87, EU:C:1992:109, point 14).
203 Toutefois, cela n'implique pas que, lorsqu'un producteur ne procède à aucune vente directe, voire n'exerce directement aucune fonction de vente, les institutions de l'Union devraient constater que ce producteur forme nécessairement une entité économique avec les sociétés qui distribuent ses produits. En effet, il est possible que tous les produits de ce producteur qui sont exportés vers l'Union le soient par l'intermédiaire de négociants ne formant pas une entité économique unique avec ledit producteur.
204 Cinquièmement, la critique par les requérantes du considérant 234 du règlement attaqué (voir point 151 ci-dessus) n'est pas pertinente dans la mesure où ce considérant se rapporte au cas des importateurs liés situés dans l'Union. Il s'agit donc d'une hypothèse différente de celle en cause dans le cadre du présent moyen, lequel concerne les négociants liés, qui ne sont pas situés dans l'Union, mais en Turquie (voir point 171 ci-dessus).
205 Il résulte de ce qui précède qu'il convient d'écarter la première branche du présent moyen.
– Sur la seconde branche du moyen
206 À titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que la Commission, alors qu'elle a procédé à des ajustements à la baisse du prix à l'exportation afin de tenir compte des frais VAG et des marges bénéficiaires des négociants liés pour les ventes sur le marché de l'Union, n'a pas procédé à un ajustement à la baisse similaire de la valeur normale pour tenir compte des frais VAG et des marges bénéficiaires des négociants liés pour les ventes sur le marché domestique turc.
207 Les requérantes soutiennent que, en omettant de le faire, la Commission a créé une asymétrie entre la valeur normale et le prix à l'exportation, en violation du règlement de base, en particulier, de l'article 2, paragraphe 10, dudit règlement, lequel prévoit l'obligation de procéder à une comparaison équitable entre la valeur normale et le prix à l'exportation.
208 Les requérantes soutiennent que certains des négociants liés étaient utilisés par le groupe à la fois sur le marché domestique turc et sur le marché de l'Union et que, ainsi, ils couvraient les deux marchés.
209 À cet égard, la matérialité de l'élément invoqué par les requérantes, selon lequel certains négociants liés aux producteurs du groupe couvraient à la fois le marché domestique turc et les marchés d'exportation, dont le marché de l'Union, n'est pas contestée par la Commission.
210 Or, cet élément est pertinent pour établir une éventuelle méconnaissance de l'exigence de comparaison équitable entre la valeur normale et le prix à l'exportation, laquelle est imposée par l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base.
211 Toutefois, il ressort du considérant 247 du règlement attaqué que, pour les ventes sur le marché domestique turc, la principale stratégie du groupe était de maintenir, sur la base d'un barème de prix commun, une large base de revendeurs locaux. En revanche, pour les ventes sur les marchés d'exportation, lesdits producteurs attendaient des négociants liés qu'ils créent une valeur ajoutée, en commençant par le barème de prix commun.
212 Or, la matérialité de cet élément n'est pas contestée par les requérantes.
213 La Commission déduit des considérations figurant au point 211 ci-dessus que, contrairement aux prix sur le marché domestique turc, les prix à l'exportation contenaient un élément de prix supplémentaire reflétant les coûts spécifiquement liés à la valeur ajoutée par les négociants liés. Par conséquent, selon elle, afin de procéder à une comparaison équitable au titre de l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base, il convenait de supprimer cet élément de prix supplémentaire, qui n'était pas présent dans la valeur normale, en soustrayant les frais VAG et la marge bénéficiaire desdits négociants.
214 Une telle explication, qui n'est pas valablement contestée par les requérantes, est susceptible de pouvoir justifier l'application d'un traitement différent au calcul de la valeur normale par rapport à celui du prix à l'exportation.
215 En outre, il y a lieu de rappeler que l'article 18, paragraphe 1, du règlement de base prévoit que, lorsqu'une partie intéressée refuse l'accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas dans les délais prévus par ledit règlement, ou fait obstacle de façon significative à l'enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, peuvent être établies sur la base des données disponibles (voir point 185 ci-dessus). Il convient également de renvoyer à la jurisprudence citée au point 186 ci-dessus.
216 À cet égard, il ressort du considérant 248 du règlement attaqué que, bien que la Commission ait demandé à de nombreuses reprises des précisions sur les accords contractuels que les producteurs du groupe avaient conclus avec les entités liées actives dans la vente de leurs produits, notamment dans l'Union, le groupe n'a fourni ces précisions à aucun moment de l'enquête, alors qu'elles auraient été utiles afin d'établir l'allégation selon laquelle « toute déduction au titre de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base était dénuée de fondement étant donné qu'elle engendrait des différences injustifiées et une comparaison inéquitable de la valeur normale et du prix à l'exportation » (considérant 247 du règlement attaqué).
217 C'est donc à juste titre que la Commission a pu constater au considérant 248 du règlement attaqué que ce manque d'informations l'avait empêchée d'examiner entièrement l'allégation selon laquelle la situation relative aux ventes intérieures et celle relative à l'exportation étaient exactement identiques pour les négociants liés actifs dans ces deux flux de vente.
218 Il résulte des considérations exposées aux points 209 à 217 ci-dessus que, compte tenu des éléments à sa disposition, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que la Commission n'a pas procédé, s'agissant du calcul de la valeur normale, à un ajustement équivalent à celui qu'elle avait appliqué au prix à l'exportation sur la base de l'article 2, paragraphe 10, sous i), du règlement de base.
219 Il convient donc d'écarter la seconde branche du présent moyen et, par conséquent, ledit moyen dans son ensemble.
220 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'il y a lieu de rejeter le recours.
Sur les dépens
221 Aux termes de l'article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Akgün Seramik Sanayi ve Ticaret AŞ et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnées aux dépens.