CA Rennes, 2e ch., 3 juin 2025, n° 23/01191
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Y
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA), BTSG (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseillers :
M. Pothier, Mme Picot-Postic
Avocats :
Me Grenard, Me Boulaire, Me Castres, Me Reinhard
EXPOSÉ DU LITIGE:
Suivant bon de commande du 30 janvier 2013, M. [Y] [F] et Mme [V] [T], son épouse, ont commandé à la société Next génération France l'installation d'un pack solaire photovoltaïque pour un montant de 16 300 euros. Afin de financer cette acquisition, les époux [Y] ont contracté le même jour, auprès de la société Sygma banque, un emprunt de 16 300 euros remboursable en 180 mensualités de 136,68 euros au taux de 5,16% après un différé de 12 mois.
Par jugement du 25 juin 2013, la société Next génération France a été placée en liquidation judiciaire et la SCP BTSG a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Suivant acte du 5 novembre 2020, les époux [Y] ont assigné la SCP BTSG, es qualité de mandataire de la société Next génération France, et la société BNP Paribas Personal Finance (ci-après dénommée la banque), venant aux droits de la société Sygma banque, afin d'obtenir notamment l'annulation des contrats de vente et de crédit devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes.
Suivant jugement du 5 décembre 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes a :
- débouté M. et Mme [Y] de leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. et Mme [Y] aux dépens.
Suivant déclaration du 24 février 2023, les époux [Y] ont interjeté appel.
En leurs dernières conclusions du 21 janvier 2025, les époux [Y] demandent à la cour de :
Vu l'article liminaire du code de la consommation,
Vu les anciens articles 1109 et 1116 du code civil,
Vu l'article 16 de la loi n°2012-354 du 14 mars 2012 de finance rectificative pour 2012,
Vu les articles L.121-23 à L.121-26 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi n°93-946 du 26 juillet 1993,
Vu l'article L.121-28, tel qu'issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008,
- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes et condamnés aux dépens,- statuant à nouveau et y ajoutant,
- déclarer leurs demandes recevables et bien fondées,
- prononcer la nullité du contrat de vente conclu avec la société Next génération France,
- mettre à la charge de la liquidation judiciaire de la société Next génération France l'enlèvement de l'installation litigieuse et la remise en état de l'immeuble à ses frais,
- prononcer en conséquence la nullité du contrat de prêt affecté,
- constater que la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque, a commis une faute dans le déblocage des fonds et doit être privée de sa créance de restitution du capital emprunté et la condamner à procéder au remboursement de l'ensemble des sommes qu'ils ont versées au titre de l'exécution normale du contrat de prêt litigieux,
- condamner la société BNP Paribas Personal Finance à leur verser la somme de 16 300 euros correspondant à l'intégralité du prix de vente de l'installation,
- condamner la société BNP Paribas Personal Finance à leur verser la somme de 8 313,20 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais qu'ils lui ont payés,
- condamner la société BNP Paribas Personal Finance à leur verser la somme de de 5 000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner la société BNP Paribas Personal Finance à leur verser la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société BNP Paribas Personal Finance de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions contraires,
- condamner la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque, aux dépens.
En ses dernières conclusions du 17 janvier 2025, la société BNP Paribas Personal Finance demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- subsidiairement,
- débouter les époux [Y] de leur demande d'annulation du contrat principal,
- débouter les époux [Y] de leur demande d'annulation subséquente du contrat de crédit,
- par conséquent,
- débouter les époux [Y] de l'intégralité de leurs demandes,
- plus subsidiairement,
- débouter les époux [Y] de leur demande visant à la voir privée de son droit à restitution du capital prêté dès lors qu'elle n'a pas commis de faute,
- débouter les époux [Y] de leur demande visant à la voir privée de son droit à restitution du capital prêté dès lors qu'ils ne justifient pas de l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité à l'égard du prêteur,
- par conséquent,
- juger qu'elle conservera le bénéfice du capital prêté remboursé par anticipation,
- juger qu'elle devra rembourser aux époux [Y] les intérêts et frais versés, au titre du crédit après justification de leur part de la résiliation du contrat conclu avec EDF et de la restitution à EDF des sommes perçues au titre de la revente d'énergie,
- débouter les époux [Y] de toute autre demande, fin ou prétention,
- subsidiairement,
- juger que les époux [Y] devront tenir le matériel à disposition du liquidateur pendant un délai de 2 mois à compter de la signification de la décision, et qu'à défaut de récupération de matériel dans ce délai, il ne sera dû aucune somme en réparation du préjudice devenu inexistant,
- en tout état de cause,
- condamner solidairement les époux [Y] à lui payer la somme de 2 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'instance.
La SCP BTSG, es qualité de mandataire de la société Next génération France, n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement ainsi qu'aux dernières conclusions précitées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action
Le premier juge a débouté les époux [Y] de leurs demandes après avoir constaté que celles-ci étaient tardives et prescrites tant sur le fondement du dol que sur celui de la violation des dispositions du code de la consommation.
Les époux [Y] agissent en annulation du contrat de vente d'une part, sur le fondement du dol en faisant grief à la société Next Generation de les avoir engagés dans une opération désavantageuse sur la base de fausses promesses, de leur avoir communiqué des informations mensongères quant à l'auto-financement de l'installation et la rentabilité de l'opération, et, d'autre part, pour non-respect du formalisme du code de la consommation.
Prétendant que le délai de prescription doit être un délai utile, ils soutiennent que leur action en nullité sur le fondement du dol ne peut être prescrite puisqu'ils ne pouvaient apprécier la rentabilité de l'installation qu'au bout de plusieurs années de fonctionnement de celle-ci et non dès la signature du contrat de vente ou même lors du déblocage des fonds.
S'agissant de leur action en nullité fondée pour irrégularité du bon de commande, ils prétendent qu'aucune prescription ne peut leur être opposée puisqu'ils ont pu légitimement ignorer les irrégularités découlant de mentions absentes du bon de commande. Ils font valoir que l'absence des mentions obligatoires ne pouvait ressortir de la seule lecture du bon de commande sauf à exiger qu'ils réalisent ou fassent réaliser une analyse des contrats relevant de la compétence d'un tiers sachant professionnel ou expert.
Ils invoquent en outre la responsabilité du prêteur pour s'être dessaisi des fonds entre les mains du fournisseur sans s'assurer de la régularité du contrat principal.
La Banque soutient quant à elle que l'ensemble de ces demandes seraient prescrites comme ayant été formées plus de cinq ans après la signature du contrat principal, ou en tout cas, s'agissant de l'action fondée sur le dol, au plus tard au jour de leur deuxième facture d'électricité, soit le 15 septembre 2015.
Elle prétend également que le bon de commande comportait au versant les conditions générales de vente reprenant les articles du code de la consommation permettant aux époux [Y] de connaître les mentions devant figurer sur le contrat sous peine de nullité.
D'une part, en application de l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, l'action en nullité d'un contrat se prescrit par cinq ans, commençant à courir à compter du jour où les vices ont été découverts.
La règle française de prescription de l'action apparaît parfaitement conforme au principe d'effectivité des droits tel qu'entendu par les règlements européens en ce que le délai de prescription ne court qu'à compter du moment où le titulaire se trouve en possession des éléments lui permettant d'exercer son action et que le délai de 5 ans apparaît suffisamment long pour permettre au bénéficiaire de ce droit de l'exercer utilement.
Il convient de relever que la promesse d'un autofinancement du contrat de prêt par le rendement de la production électrique n'est pas mentionnée au contrat de vente et ne peut résulter implicitement de l'existence d'un différé de remboursement des échéances du prêt de sorte que les époux [Y] étaient en mesure de s'assurer à la simple lecture du bon de commande que celui-ci ne contenait aucune promesse d'autofinancement.
De surcroît, même à supposer que les acheteurs devaient disposer d'un délai pour vérifier la rentabilité énergétique de l'installation, les époux [Y] ont pu se convaincre de l'insuffisance de performance alléguée dès la réception de la première facture émise par EDF au titre de la revente de l'électricité produite par l'installation photovoltaïque, soit le 12 septembre 2014, ou, au plus tard, le 15 septembre 2015, date de la deuxième facture.
Comme le soutient à juste titre la banque, les époux [Y] qui avaient reçu le tableau d'amortissement avec l'offre de prêt, étaient en mesure, dès l'émission de la première facture de production, le 12 septembre 2014 d'un montant de 1 147,98 €, de s'apercevoir que le montant annuel du crédit (1 640,88 €) n'était pas couvert par le montant annuel des revenus tirés de la revente. Ils étaient en effet en mesure de constater que le prix de revente de l'électricité produite était notoirement inférieur au coût de l'emprunt et que l'installation n'était pas financièrement rentable.
La deuxième facture du 15 septembre 2015 faisant apparaître un montant de 1 134,59 € de production pouvait également leur permettre de tirer le même constat et de se convaincre de l'absence d'autofinancement de l'installation et de la nécessité d'engager leur action sur ce fondement, sans qu'il soit nécessaire, selon les époux [Y] d'attendre juin 2019, date à laquelle un rapport d'expertise leur a été remis, pour prendre connaissance de ce fait et d'agir en justice.
Il en résulte que la demande d'annulation du contrat de vente et subséquemment de prêt, pour le dol procédant de l'insuffisance de performance est irrecevable comme étant prescrite.
D'autre part, aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La détermination du point de départ de la prescription de l'action en nullité du bon de commande implique soit de constater que le consommateeur était en mesure de déceler par lui même à la seule lecture du contrat la violation alléguée des dispositions du code de la consommation soit, lorsque cette irrégularité ne résulte pas de la seule lecture de l'acte, de rechercher à quelle date, elle s'est révélée au consommateur.
En l'espèce, l'absence de précision du bon de commande sur les caractéristiques du bien (notamment la marque des panneaux et de l'onduleur), sur le délai et les modalités de livraison et pose des biens et des prestations de service et les modalités de financement invoqués par les appelants au soutien de leur demande d'annulation du contrat de vente pour non-respect du formalisme imposé par le code de la consommation en matière de démarchage à domicile, étaient visibles dès la signature de l'acte.
De plus, suivant l'exemplaire produit tant par les appelants que le prêteur, les articles L. 121-23 et L. 121-26 du code de la consommation étaient reproduits au dos du bon de commande dans les conditions générales de sorte que les époux [Y] disposaient des éléments leur permettant d'apprécier dès la signature les mentions obligatoires de l'acte de vente et les éventuelles irrégularités qui pouvaient l'entacher, sans pouvoir prétendre qu'ils n'ont pu en avoir connaissance qu'au moment de la consultation d'un avocat en novembre 2021 sauf à vider de son sens tout formalisme au contrat.
En effet, un consommateur attentif était en mesure de confronter les dispositions légales précitées avec celles de son contrat, et ainsi déceler les vices qui l'affectaient.
Dans ces conditions, le délai de prescription a commencé à courir dès la conclusion du contrat le 30 janvier 2013.
Dès lors, l'action en annulation du contrat de fourniture du 30 janvier 2013 fondée sur ces vices du bon de commande, exercée par assignation du 5 novembre 2020, est irrecevable comme prescrite.
Il en est nécessairement de même de l'action en annulation du contrat de prêt, qui ne serait que la conséquence de plein droit de la nullité du contrat principal, et de la demande de restitution des sommes remboursées en exécution du contrat de prêt qui en découle.
Enfin, l'action en responsabilité exercée par les emprunteurs contre le prêteur professionnel se prescrit, conformément à l'article L. 110-4 du code de commerce, par cinq ans à compter du jour où ces derniers ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant de l'exercer.
Les époux [Y] font grief au prêteur d'avoir débloqué les fonds au profit du vendeur sans vérifier la régularité du contrat de vente auquel ils font grief de ne pas indiquer de manière précise les caractéristiques, les délais et modalités de livraison des biens et services, et les modalités de financement conformément aux dispositions de l'article L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction alors applicable.
Cependant, s'agissant du grief tiré du défaut de vérification du bon de commande du 30 janvier 2013 et de l'attestation de livraison du 18 février 2013, les époux [Y] étaient en mesure, dès la date du déblocage des fonds entre les mains du fournisseur à la suite de ce certificat de livraison, de connaître les faits de nature à engager la responsabilité de la banque, de sorte que cette action était également prescrite au moment de l'assignation du 5 novembre 2020.
Le jugement déféré sera confirmé.
- Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles étaient justifiées et seront maintenues.
Si c'est par une exacte appréciation de l'équité que le premier juge a estimé ne pas devoir faire application de l'article 700 du code de procédure civile, il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société BNP Paribas Personal Finance l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 décembre 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes ;
Y ajoutant
Condamne in solidum M. [F] [Y] et Mme [T] [V] épouse [Y] à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [F] [Y] et Mme [T] [V] épouse [Y] aux dépens d'appel ;
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.