CA Toulouse, 2e ch., 3 juin 2025, n° 24/00390
TOULOUSE
Arrêt
Autre
03/06/2025
ARRÊT N°25/222
N° RG 24/00390 - N° Portalis DBVI-V-B7I-P7ST
IMM CG
Décision déférée du 11 Janvier 2024
Cour de Cassation de PARIS
(4 FS-B)
COMMUNAUTE DE COMMUNES DE HAUTE CHARENTE
C/
[A], [S] [Y]
[C], [B] [M] épouse [Y]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à Me PIQUEMAL
Me [Localité 8]
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ
***
DEMANDEUR A LA SAISINE DE RENVOI APRES CASSATION
COMMUNAUTE DE COMMUNES DE HAUTE CHARENTE Etablissement public de coopération intercommunal prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Olivier PIQUEMAL de la SCP PIQUEMAL & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Raphaël SOLTNER de la SELARL SELARL SOLTNER-MARTIN, avocat plaidant au barreau de LIMOGES
DEFENDEURS A LA SAISINE DE RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [A], [S] [Y]
Lieudit [Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Christophe POUZIEUX de la SCP CMCP, avocat plaidant au barreau de CHARENTE
Représenté par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
Madame [C], [B] [M] épouse [Y]
Lieudit [Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Christophe POUZIEUX de la SCP CMCP, avocat plaidant au barreau de CHARENTE
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
MINISTERE PUBLIC
Cour d'Appel
[Adresse 6]
[Localité 2]
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère, chargée du rapport et S. MOULAYES, conseillère. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
S. MOULAYES, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
Aux débats, Madame BRUNIN, avocat général, a fait connaître son avis.
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre
Exposé des faits et de la procédure
Par acte authentique du 15 janvier 1999, le syndicat intercommunal d'aménagement touristique de la retenue de Lavaud (SIAT) a donné à bail à M. et Mme [Y] (les preneurs) un local commercial à usage de restaurant, un mini-golf, une plage et une licence IV situé sur le site touristique de [Localité 7]. Le contrat de bail était conclu pour une durée de 9 années à compter du 1er novembre 1998 pour se terminer le 31 octobre 2007.
En 2000 et 2001, la SIAT a édifié sur le site touristique, un ensemble immobilier dont la propriété a été transférée à la communauté des communes de la Haute Charente aux droits de laquelle vient désormais la communauté des communes Charente limousine.
Aux termes d'un acte authentique du 04 novembre 2005, le bail original a été modifié afin de prévoir, notamment un transfert au 1er décembre 2005 du fonds de commerce appartenant aux époux [Y] dans les nouveaux locaux.
Par acte du 19 avril 2007, les preneurs ont sollicité le renouvellement du bail commercial auprès de la communauté des communes de la Haute Charente. Cette dernière n'ayant pas contesté la demande de renouvellement, le bail a été reconduit pour une durée de 9 années pour se terminer le 31 octobre 2016.
Par acte du 29 avril 2016, la communauté des communes de la Haute Charente a donné congé pour le 31 octobre 2016 avec offre de renouvellement aux preneurs dans les termes suivants :
- régularisation d'un nouveau bail conforme aux textes actuellement en vigueur et notamment en ce qui concerne la clause d'indexation des loyers ;
- modification de la contenance des lieux loués (notamment : exclusion obligatoire des lieux publics dont la plage et le poste de secours) ;
- modification des obligations du preneur (notamment quant à l'entretien des espaces verts ' golf ' compris dans les lieux loués) ;
le loyer principal annuel proposé ne pourra être inférieur au loyer annuel soit : 10.194 euros hors taxes outre charges'.
Courant octobre 2016, les époux [Y] ont quitté les lieux donnés à bail commercial.
Par exploit du 27 juin 2017, les époux [Y] ont fait assigner la communauté de communes de Haute Charente devant le tribunal de grande instance d'Angoulême aux fins de la voir condamner à leur verser l'indemnité d'éviction.
Par jugement du 24 octobre 2019, le tribunal de grande instance d'Angoulême a notamment
- dit que le congé avec renouvellement délivré par la communauté de communes de Charente limousine venant aux droits de la communauté de communes de Haute Charente à Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] le 26 avril 2016 n'encourt pas la nullité
- dit que le congé avec renouvellement délivré par la communauté de communes de Charente limousine venant aux droits de la communauté de communes de Haute Charente à Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] le 26 avril 2016 doit s'analyser en un refus de renouvellement au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations des preneurs.
- dit que la communauté de communes de Charente limousine venant aux droits de la communauté de communes de Haute Charente est débitrice envers Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] d'une indemnité d'éviction,
- avant dire droit ordonne une expertise et désigne pour y procéder Monsieur [T] [K] avec mission de notamment de rechercher et fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de se prononcer sur le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice résultant pour Monsieur et Madame [Y] de la perte du fonds de commerce.
Par déclaration du 22 novembre 2019, la communauté de communes de Haute-Charente a relevé appel du jugement.
Par arrêt du 21 juin 2022, la cour d'appel de Bordeaux a infirmé en toutes ses dispositions le jugement et statuant à nouveau déclaré nul et de nul effet le congé avec offre de renouvellement délivré par la communauté des communes de Haute-Charente à Monsieur et Madame [Y] le 29 avril 2016 et ainsi débouté ces derniers de leur demande d'indemnité d'éviction.
Monsieur et Madame [Y] ont formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt du 11 janvier 2024, la Cour de cassation, 3ème chambre civile, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux et renvoyé l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Toulouse.
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait violé les articles 1103 du code civil et L145-8 et L145-9 du code de commerce en rejetant la demande des locataires en paiement d'une indemnité d'éviction.
Elle a retenu qu'un congé avec offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.
Par déclaration transmise par RPVA le 30 janvier 2024, la communauté des communes de Haute-Charente a saisi la cour d'appel de renvoi de Toulouse.
La clôture est intervenue le 13 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 17 février 2025 à 9h30.
Exposé des prétentions et des moyens
Vu les conclusions n°3 notifiées par RPVA le 06/01/2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la communauté des communes Charente limousine venant aux droits de la communauté des communes de haute Charente demandant au visa des articles L145-8 et L145-9 du code de commerce de :
- Réformer le jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême du 24 octobre
2019 ;
Statuant à nouveau,
- Juger que l'intention commune des parties a été de maintenir le bail commercial dans les mêmes conditions que par le passé ;
- Juger que le départ des époux [Y] au mois d'octobre 2016 s'analyse comme une volonté d'abandonner le bail et l'exploitation de leur activité ;
- Juger que dans ces conditions, les époux [Y] ne peuvent tirer aucune conséquence du congé au titre notamment d'une demande d'indemnité d'éviction ;
- Rejeter toutes demandes contraires et autres demandes des époux [Y] ;
- Condamner les époux [Y] à verser à la communauté de communes de Charente limousine une somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
Vu les conclusions n°2 notifiées par RPVA le 23 décembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [A] [J] [F] [Y] et Madame [C] [B] [M] épouse [Y] demandant au visa de l'article L145-9 du code de commerce de:
A titre principal,
- Constater la caducité de la déclaration d'appel de la communauté de communes Charente limousine en date du 22 novembre 2019
A titre subsidiaire,
- Juger qu'en réponse aux conclusions de la Communauté de communes de Charente limousine en date du 12 février 2024, la confirmation du jugement en date du 24 octobre 2019 doit être prononcée,
- Dire et juger Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] recevables et bien
fondés en leur appel incident
En conséquence,
- Débouter la Communauté de communes Charente limousine de toutes ses demandes, fins et conclusions
- Confirmer le jugement en date du 24 octobre 2019 en ce qu'il a constaté l'éviction des époux [Y]
- Réformer le jugement en date du 24 octobre 2019 en ses dispositions relatives à la nullité du congé et à la détermination du montant de l'indemnité d'éviction.
Et statuant à nouveau,
- Constater la nullité du congé en date du 29 avril 2016
- Condamner la communauté de communes Charente limousine, venant aux droits de la Communauté de communes de la Haute Charente à verser à Monsieur [A] [Y] et à Madame [C] [Y] la somme de 501.000 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date la signification de l'acte introductif d'instance.
A titre infiniment subsidiaire,
- Confirmer le jugement en date du 24 octobre 2019 en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
- Condamner la communauté de communes Charente limousine, venant aux droits de la Communauté de communes de la Haute Charente à verser à Monsieur [A] [Y] et à Madame [C] [Y] la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- La condamner aux entiers dépens,
Motifs
- Sur la sanction du défaut de demande d'infirmation ou d'annulation
Les époux [Y] font valoir que les conclusions notifiées par la communauté des communes Charente limousine devant la cour de renvoi ne contiennent aucune demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déféré. Ils en déduisent qu'en application des dispositions des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est caduque, ou à défaut de caducité que la cour de renvoi ne peut que confirmer le jugement entrepris.
La communauté des communes rappelle que la jurisprudence de la cour de cassation issue de l'arrêt de la deuxième chambre civile du 17 septembre 2020 qui a retenu qu'à défaut de demande d'infirmation, la cour ne peut que confirmer n'est pas applicable aux déclarations d'appel antérieures au 17 septembre 2020.
La cour constate que la communauté des communes qui avait précisé dans sa déclaration d'appel les chefs du jugement déféré quelle entendait critiquer n'a pas formé dans ses premières écritures saisissant la cour de renvoi de demande d'infirmation ou d'annulation de ces dispositions.
Toutefois, cette omission n'est sanctionnée par la caducité de l'appel, ou n'impose la confirmation du jugement déféré par la cour d'appel, que lorsque l'appel a été formé par une déclaration postérieure au 17 septembre 2020.
Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque l'appel a été formé par déclaration en date du 29 novembre 2019 et que l'instance introduite par cette déclaration d'appel se poursuit devant la cour de renvoi.
Il n'y a donc pas lieu à caducité et la cour d'appel est régulièrement saisie par la déclaration d'appel et les dernières écritures de la communauté des communes d'une demande d'infirmation du jugement, notamment en ce qu'il a accueilli les demandes des époux [Y] relatives aux effets du congé qui leur a été délivré.
- sur la portée de la cassation
Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.
La cour de cassation, troisième chambre civile a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux.
La cour de renvoi est donc saisie par l'effet de la déclaration de saisine et des conclusions des parties de l'ensemble des dispositions du jugement du tribunal judiciaire d'Angoulème et il lui appartient de statuer tant sur demandes des preneurs en constat de la nullité du congé et condamnation de la bailleresse à leur payer une indemnité d'éviction que sur les demandes de cette dernière qui sollicite le débouté des prétentions des preneurs.
- sur la validité et les effets du congé
Les époux [Y] soutiennent que le congé donné par la communauté bailleresse est nul à défaut de préciser son motif. Ils estiment que le motif donné à savoir ' régularisation d'un nouveau bail conforme à la clause d'indexation des loyers ' n'est pas sérieux puisque le bail initial comportait une clause d'indexation et que la bailleresse était en mesure d'en demander l'application à chaque révision triennale
La communauté bailleresse ne forme aucune observation sur la validité du congé. Elle se borne à faire valoir que par leur attitude, les époux [Y] qui se sont maintenus dans les lieux sans solliciter le bénéfice d'une indemnité d'éviction ont accepté que le bail se renouvelle aux conditions initiales et ont quitté les lieux de leur plein gré.
L'article L 145-9 du code de commerce dispose que 'par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.
A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. (...)
Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.'
La cour constate que le congé adressé par la bailleresse aux époux [Y] le 29 avril 2016 pour le 31 octobre 2016 porte les mentions suivantes :
'le présent congé vous est donné pour éviter la reconduction ou la prolongation du bail 'tant précisé que la requérante est disposée à discuter amiablement avec vous des conditions d'un nouveau bail commercial d'une durée de neuf années sur les bases suivantes :
- regularisation d'un nouveau bail conforme aux textes actuellement en vigueur et notamment en ce qui concerne la clause d'indexation des loyers;
- modification de la contenance des lieux loués(notamment : exclusion obligatoire des lieux publics dont la plage et le poste de secours) ;
- modification des obligations du preneur (notamment quant à l'entretien des espaces verts - golf-compris dans les lieux loués) ;
Vous indiquant d'ores et déja que le loyer principal annuel proposé ne pourra étre inférieur au loyer annuel soit : 10.194 euros hors taxes outre charges.
Le congé de bail commercial indique en outre que, s'agissant du montant de ce loyer "il s'agit d'une évaluation approximative devant étre modifiée et 'xée définitivement, en application du coefficient prévu par l'article L 145-34 du code du commerce, ou en fonction des éléments légaux d'évaluation ou de leur modification définie par les articles L 145-33 du même code et des articles 23 -1 et 23-9 du décret n°53-960 du 30 septembre 1953.
Les autres conditions du bail expiré conformes aux textes en vigueur pourraient étre maintenues..."
Par cet acte, la communauté bailleresse a entendu mettre fin au bail, tout en précisant qu'elle était disposée à discuter amiablement avec les locataires des conditions d'un nouveau bail commercial d'une durée de neuf années sous un certain nombre de conditions ayant pour effet de modifier les obligations des parties telles qu'elles résultaient du bail venant à expiration.
Toutefois, en application du texte susvisé, le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix.
Un congé avec une offre de renouvellement du bail à des conditions distinctes du bail expiré, hors le prix, s'analyse par conséquent comme un congé avec refus de renouvellement, ouvrant droit à indemnité d'éviction.
Certes, aucun autre motif que celui résultant du souhait de la bailleresse de conclure un nouveau bail n'est exprimé dans ce congé, mais un congé délivré sans motif ou pour des motifs équivoques par le bailleur produit néanmoins ses effets et met fin au bail commercial dès lors que le bailleur est toujours en droit de refuser le renouvellement du bail à la condition de payer une indemnité d'éviction (3ème Civ, 28 juin 2018, n° 17-18.756)
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que le congé n'était pas nul mais que, s'analysant comme un congé avec refus de renouvellement, il ouvrait au preneur le droit à indemnité d'éviction.
C'est de façon inopérante que la communauté bailleresse reproche aux locataires de s'être maintenus dans les lieux jusqu'au mois d'octobre 2016 et à tort qu'elle soutient que, par ce comportement, ils ont accepté la prolongation du bail aux conditions initiales et renoncé au bénéfice de l'indemnité d'éviction.
En effet, d'une part, le congé ayant été donné pour le 31 octobre 2016, les preneurs, qui ont quitté les lieux courant octobre 2016 ne sont pas restés dans les lieux après l'expiration du bail et aucun des éléments débattus ne permet de retenir qu'ils ont renoncé à se prévaloir de leur droit à indemnité d'éviction, une telle renonciation devant être exprès et ne pouvant se présumer.
D'autre part, rien ne permet de retenir qu'un accord s'est noué entre la bailleresse et le preneur pour que le bail expiré se poursuive aux conditions initiales.
Certes, les preneurs, constatant l'irrégularité du congé ont clairement exprimé, par courrier officiel de leur conseil en date du 24 juin 2016, à réception du congé donné pour le 31 octobre 2016, qu'ils entendaient se maintenir dans les lieux et qu'à défaut l'indemnité d'éviction leur serait due.
Mais la bailleresse ne démontre pas que, renonçant aux exigences exprimées dans le congé, elle a accepté la prolongation ou le renouvellement du bail aux conditions initiales, ce qu'elle n'a jamais exprimé.
C'est vainement qu'elle soutient que son accord sur la poursuite du bail aux conditions initiales se déduit de ce qu'elle n'a pas engagé de poursuite aux fins d'expulsion, ni revendiqué l'application des nouvelles conditions exprimées dans le congé litigieux, puisqu'elle admet qu'à la date d'expiration du bail, le 31 octobre 2016, les preneurs avaient déjà quitté les lieux, ce qui rendait sans objet toute mesure d'expulsion comme toute modification des conditions du bail.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit la communauté de communes bailleresse débitrice d'une indemnité d'éviction.
- sur le montant de l'indemnité d'éviction
Les preneurs demandent à la cour au principal d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné, avant dire droit sur la détermination de l'indemnité d'éviction, une mesure d'expertise et de fixer le montant de cette indemnité à la somme de 500 000 € et à titre subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris relativement à la mesure d'expertise.
La communauté de communes fait valoir qu'appelante du jugement du tribunal de grande instance d'Angoulème, elle n'a pas sollicité l'infirmation de la disposition du jugement déféré qui a ordonné la mesure d'expertise, qui n'est donc pas dévolue à la cour.
La cour constate néanmoins que les preneurs, intimés, ont saisi la cour d'appel de Bordeaux, comme la présente cour de renvoi, d'un appel incident par lequel ils sollicitent l'infirmation de la disposition ayant ordonné une mesure d'expertise et la fixation à la somme de 500 000 € de l'indemnité d'éviction qui leur est due. La cour est donc bien saisie d'une demande d'infirmation de cette disposition.
Le premier juge a relevé à juste titre que l'expertise amiable réalisée à la demande des preneurs de façon non contradictoire ne pouvait servir de base à l'évaluation de l'indemnité d'éviction. En cause d'appel, devant la cour de renvoi, les preneurs ne produisent au soutien de leur demande de fixation de l'indemnité d'éviction que le rapport d'expertise amiable établi par M.[E], non corroboré par d'autres éléments de nature à permettre l'évaluation des différentes composantes de l'indemnité d'éviction. La mesure d'expertise demeure donc indispensable et le jugement déféré sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise, précisé sa mission ainsi que les modalités de cette mesure et fixé la consignation à la charge de la communauté de communes de Charente limousine.
Il convient d'ordonner le renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Angoulème pour qu'il statue, après dépôt du rapport d'expertise, sur la fixation de l'indemnité d'éviction et l'ensemble des demandes qui ont été réservées.
Partie perdante, la communauté de communes de Charente limousine supportera les dépens comprenant, en application des dispositions de l'article 639 du code de procédure civile, ceux afférents à l'instance devant la cour d'appel de Bordeaux ayant conduit à l'arrêt cassé du 21 juin 2022 et devra indemniser M.et Madame [Y] du montant des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'exposer pour les besoins de leur défense.
Par ces motifs
- Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions,
- Ordonne le renvoi devant le tribunal judiciaire d'Angoulême pour qu'il statue, après dépôt du rapport d'expertise sur la fixation de l'indemnité d'éviction et les demandes qui ont été réservées,
- Condamne la communauté des communes de Charente limousine aux dépens comprenant ceux afférents à l'instance devant la cour d'appel de Bordeaux ayant conduit à l'arrêt cassé du 21 juin 2022,
- Condamne la communauté des communes de Charente limousine à payer à M.et Madame [Y] la somme de 4000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procedure civile.
Le greffier La présidente
.
ARRÊT N°25/222
N° RG 24/00390 - N° Portalis DBVI-V-B7I-P7ST
IMM CG
Décision déférée du 11 Janvier 2024
Cour de Cassation de PARIS
(4 FS-B)
COMMUNAUTE DE COMMUNES DE HAUTE CHARENTE
C/
[A], [S] [Y]
[C], [B] [M] épouse [Y]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à Me PIQUEMAL
Me [Localité 8]
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ
***
DEMANDEUR A LA SAISINE DE RENVOI APRES CASSATION
COMMUNAUTE DE COMMUNES DE HAUTE CHARENTE Etablissement public de coopération intercommunal prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Olivier PIQUEMAL de la SCP PIQUEMAL & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Raphaël SOLTNER de la SELARL SELARL SOLTNER-MARTIN, avocat plaidant au barreau de LIMOGES
DEFENDEURS A LA SAISINE DE RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [A], [S] [Y]
Lieudit [Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Christophe POUZIEUX de la SCP CMCP, avocat plaidant au barreau de CHARENTE
Représenté par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
Madame [C], [B] [M] épouse [Y]
Lieudit [Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Christophe POUZIEUX de la SCP CMCP, avocat plaidant au barreau de CHARENTE
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
MINISTERE PUBLIC
Cour d'Appel
[Adresse 6]
[Localité 2]
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère, chargée du rapport et S. MOULAYES, conseillère. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
S. MOULAYES, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
Aux débats, Madame BRUNIN, avocat général, a fait connaître son avis.
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre
Exposé des faits et de la procédure
Par acte authentique du 15 janvier 1999, le syndicat intercommunal d'aménagement touristique de la retenue de Lavaud (SIAT) a donné à bail à M. et Mme [Y] (les preneurs) un local commercial à usage de restaurant, un mini-golf, une plage et une licence IV situé sur le site touristique de [Localité 7]. Le contrat de bail était conclu pour une durée de 9 années à compter du 1er novembre 1998 pour se terminer le 31 octobre 2007.
En 2000 et 2001, la SIAT a édifié sur le site touristique, un ensemble immobilier dont la propriété a été transférée à la communauté des communes de la Haute Charente aux droits de laquelle vient désormais la communauté des communes Charente limousine.
Aux termes d'un acte authentique du 04 novembre 2005, le bail original a été modifié afin de prévoir, notamment un transfert au 1er décembre 2005 du fonds de commerce appartenant aux époux [Y] dans les nouveaux locaux.
Par acte du 19 avril 2007, les preneurs ont sollicité le renouvellement du bail commercial auprès de la communauté des communes de la Haute Charente. Cette dernière n'ayant pas contesté la demande de renouvellement, le bail a été reconduit pour une durée de 9 années pour se terminer le 31 octobre 2016.
Par acte du 29 avril 2016, la communauté des communes de la Haute Charente a donné congé pour le 31 octobre 2016 avec offre de renouvellement aux preneurs dans les termes suivants :
- régularisation d'un nouveau bail conforme aux textes actuellement en vigueur et notamment en ce qui concerne la clause d'indexation des loyers ;
- modification de la contenance des lieux loués (notamment : exclusion obligatoire des lieux publics dont la plage et le poste de secours) ;
- modification des obligations du preneur (notamment quant à l'entretien des espaces verts ' golf ' compris dans les lieux loués) ;
le loyer principal annuel proposé ne pourra être inférieur au loyer annuel soit : 10.194 euros hors taxes outre charges'.
Courant octobre 2016, les époux [Y] ont quitté les lieux donnés à bail commercial.
Par exploit du 27 juin 2017, les époux [Y] ont fait assigner la communauté de communes de Haute Charente devant le tribunal de grande instance d'Angoulême aux fins de la voir condamner à leur verser l'indemnité d'éviction.
Par jugement du 24 octobre 2019, le tribunal de grande instance d'Angoulême a notamment
- dit que le congé avec renouvellement délivré par la communauté de communes de Charente limousine venant aux droits de la communauté de communes de Haute Charente à Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] le 26 avril 2016 n'encourt pas la nullité
- dit que le congé avec renouvellement délivré par la communauté de communes de Charente limousine venant aux droits de la communauté de communes de Haute Charente à Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] le 26 avril 2016 doit s'analyser en un refus de renouvellement au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations des preneurs.
- dit que la communauté de communes de Charente limousine venant aux droits de la communauté de communes de Haute Charente est débitrice envers Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] d'une indemnité d'éviction,
- avant dire droit ordonne une expertise et désigne pour y procéder Monsieur [T] [K] avec mission de notamment de rechercher et fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de se prononcer sur le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice résultant pour Monsieur et Madame [Y] de la perte du fonds de commerce.
Par déclaration du 22 novembre 2019, la communauté de communes de Haute-Charente a relevé appel du jugement.
Par arrêt du 21 juin 2022, la cour d'appel de Bordeaux a infirmé en toutes ses dispositions le jugement et statuant à nouveau déclaré nul et de nul effet le congé avec offre de renouvellement délivré par la communauté des communes de Haute-Charente à Monsieur et Madame [Y] le 29 avril 2016 et ainsi débouté ces derniers de leur demande d'indemnité d'éviction.
Monsieur et Madame [Y] ont formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt du 11 janvier 2024, la Cour de cassation, 3ème chambre civile, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux et renvoyé l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Toulouse.
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait violé les articles 1103 du code civil et L145-8 et L145-9 du code de commerce en rejetant la demande des locataires en paiement d'une indemnité d'éviction.
Elle a retenu qu'un congé avec offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.
Par déclaration transmise par RPVA le 30 janvier 2024, la communauté des communes de Haute-Charente a saisi la cour d'appel de renvoi de Toulouse.
La clôture est intervenue le 13 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 17 février 2025 à 9h30.
Exposé des prétentions et des moyens
Vu les conclusions n°3 notifiées par RPVA le 06/01/2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la communauté des communes Charente limousine venant aux droits de la communauté des communes de haute Charente demandant au visa des articles L145-8 et L145-9 du code de commerce de :
- Réformer le jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême du 24 octobre
2019 ;
Statuant à nouveau,
- Juger que l'intention commune des parties a été de maintenir le bail commercial dans les mêmes conditions que par le passé ;
- Juger que le départ des époux [Y] au mois d'octobre 2016 s'analyse comme une volonté d'abandonner le bail et l'exploitation de leur activité ;
- Juger que dans ces conditions, les époux [Y] ne peuvent tirer aucune conséquence du congé au titre notamment d'une demande d'indemnité d'éviction ;
- Rejeter toutes demandes contraires et autres demandes des époux [Y] ;
- Condamner les époux [Y] à verser à la communauté de communes de Charente limousine une somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
Vu les conclusions n°2 notifiées par RPVA le 23 décembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [A] [J] [F] [Y] et Madame [C] [B] [M] épouse [Y] demandant au visa de l'article L145-9 du code de commerce de:
A titre principal,
- Constater la caducité de la déclaration d'appel de la communauté de communes Charente limousine en date du 22 novembre 2019
A titre subsidiaire,
- Juger qu'en réponse aux conclusions de la Communauté de communes de Charente limousine en date du 12 février 2024, la confirmation du jugement en date du 24 octobre 2019 doit être prononcée,
- Dire et juger Monsieur [A] [Y] et Madame [C] [Y] recevables et bien
fondés en leur appel incident
En conséquence,
- Débouter la Communauté de communes Charente limousine de toutes ses demandes, fins et conclusions
- Confirmer le jugement en date du 24 octobre 2019 en ce qu'il a constaté l'éviction des époux [Y]
- Réformer le jugement en date du 24 octobre 2019 en ses dispositions relatives à la nullité du congé et à la détermination du montant de l'indemnité d'éviction.
Et statuant à nouveau,
- Constater la nullité du congé en date du 29 avril 2016
- Condamner la communauté de communes Charente limousine, venant aux droits de la Communauté de communes de la Haute Charente à verser à Monsieur [A] [Y] et à Madame [C] [Y] la somme de 501.000 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date la signification de l'acte introductif d'instance.
A titre infiniment subsidiaire,
- Confirmer le jugement en date du 24 octobre 2019 en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
- Condamner la communauté de communes Charente limousine, venant aux droits de la Communauté de communes de la Haute Charente à verser à Monsieur [A] [Y] et à Madame [C] [Y] la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- La condamner aux entiers dépens,
Motifs
- Sur la sanction du défaut de demande d'infirmation ou d'annulation
Les époux [Y] font valoir que les conclusions notifiées par la communauté des communes Charente limousine devant la cour de renvoi ne contiennent aucune demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déféré. Ils en déduisent qu'en application des dispositions des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est caduque, ou à défaut de caducité que la cour de renvoi ne peut que confirmer le jugement entrepris.
La communauté des communes rappelle que la jurisprudence de la cour de cassation issue de l'arrêt de la deuxième chambre civile du 17 septembre 2020 qui a retenu qu'à défaut de demande d'infirmation, la cour ne peut que confirmer n'est pas applicable aux déclarations d'appel antérieures au 17 septembre 2020.
La cour constate que la communauté des communes qui avait précisé dans sa déclaration d'appel les chefs du jugement déféré quelle entendait critiquer n'a pas formé dans ses premières écritures saisissant la cour de renvoi de demande d'infirmation ou d'annulation de ces dispositions.
Toutefois, cette omission n'est sanctionnée par la caducité de l'appel, ou n'impose la confirmation du jugement déféré par la cour d'appel, que lorsque l'appel a été formé par une déclaration postérieure au 17 septembre 2020.
Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque l'appel a été formé par déclaration en date du 29 novembre 2019 et que l'instance introduite par cette déclaration d'appel se poursuit devant la cour de renvoi.
Il n'y a donc pas lieu à caducité et la cour d'appel est régulièrement saisie par la déclaration d'appel et les dernières écritures de la communauté des communes d'une demande d'infirmation du jugement, notamment en ce qu'il a accueilli les demandes des époux [Y] relatives aux effets du congé qui leur a été délivré.
- sur la portée de la cassation
Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.
La cour de cassation, troisième chambre civile a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux.
La cour de renvoi est donc saisie par l'effet de la déclaration de saisine et des conclusions des parties de l'ensemble des dispositions du jugement du tribunal judiciaire d'Angoulème et il lui appartient de statuer tant sur demandes des preneurs en constat de la nullité du congé et condamnation de la bailleresse à leur payer une indemnité d'éviction que sur les demandes de cette dernière qui sollicite le débouté des prétentions des preneurs.
- sur la validité et les effets du congé
Les époux [Y] soutiennent que le congé donné par la communauté bailleresse est nul à défaut de préciser son motif. Ils estiment que le motif donné à savoir ' régularisation d'un nouveau bail conforme à la clause d'indexation des loyers ' n'est pas sérieux puisque le bail initial comportait une clause d'indexation et que la bailleresse était en mesure d'en demander l'application à chaque révision triennale
La communauté bailleresse ne forme aucune observation sur la validité du congé. Elle se borne à faire valoir que par leur attitude, les époux [Y] qui se sont maintenus dans les lieux sans solliciter le bénéfice d'une indemnité d'éviction ont accepté que le bail se renouvelle aux conditions initiales et ont quitté les lieux de leur plein gré.
L'article L 145-9 du code de commerce dispose que 'par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.
A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. (...)
Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.'
La cour constate que le congé adressé par la bailleresse aux époux [Y] le 29 avril 2016 pour le 31 octobre 2016 porte les mentions suivantes :
'le présent congé vous est donné pour éviter la reconduction ou la prolongation du bail 'tant précisé que la requérante est disposée à discuter amiablement avec vous des conditions d'un nouveau bail commercial d'une durée de neuf années sur les bases suivantes :
- regularisation d'un nouveau bail conforme aux textes actuellement en vigueur et notamment en ce qui concerne la clause d'indexation des loyers;
- modification de la contenance des lieux loués(notamment : exclusion obligatoire des lieux publics dont la plage et le poste de secours) ;
- modification des obligations du preneur (notamment quant à l'entretien des espaces verts - golf-compris dans les lieux loués) ;
Vous indiquant d'ores et déja que le loyer principal annuel proposé ne pourra étre inférieur au loyer annuel soit : 10.194 euros hors taxes outre charges.
Le congé de bail commercial indique en outre que, s'agissant du montant de ce loyer "il s'agit d'une évaluation approximative devant étre modifiée et 'xée définitivement, en application du coefficient prévu par l'article L 145-34 du code du commerce, ou en fonction des éléments légaux d'évaluation ou de leur modification définie par les articles L 145-33 du même code et des articles 23 -1 et 23-9 du décret n°53-960 du 30 septembre 1953.
Les autres conditions du bail expiré conformes aux textes en vigueur pourraient étre maintenues..."
Par cet acte, la communauté bailleresse a entendu mettre fin au bail, tout en précisant qu'elle était disposée à discuter amiablement avec les locataires des conditions d'un nouveau bail commercial d'une durée de neuf années sous un certain nombre de conditions ayant pour effet de modifier les obligations des parties telles qu'elles résultaient du bail venant à expiration.
Toutefois, en application du texte susvisé, le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix.
Un congé avec une offre de renouvellement du bail à des conditions distinctes du bail expiré, hors le prix, s'analyse par conséquent comme un congé avec refus de renouvellement, ouvrant droit à indemnité d'éviction.
Certes, aucun autre motif que celui résultant du souhait de la bailleresse de conclure un nouveau bail n'est exprimé dans ce congé, mais un congé délivré sans motif ou pour des motifs équivoques par le bailleur produit néanmoins ses effets et met fin au bail commercial dès lors que le bailleur est toujours en droit de refuser le renouvellement du bail à la condition de payer une indemnité d'éviction (3ème Civ, 28 juin 2018, n° 17-18.756)
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que le congé n'était pas nul mais que, s'analysant comme un congé avec refus de renouvellement, il ouvrait au preneur le droit à indemnité d'éviction.
C'est de façon inopérante que la communauté bailleresse reproche aux locataires de s'être maintenus dans les lieux jusqu'au mois d'octobre 2016 et à tort qu'elle soutient que, par ce comportement, ils ont accepté la prolongation du bail aux conditions initiales et renoncé au bénéfice de l'indemnité d'éviction.
En effet, d'une part, le congé ayant été donné pour le 31 octobre 2016, les preneurs, qui ont quitté les lieux courant octobre 2016 ne sont pas restés dans les lieux après l'expiration du bail et aucun des éléments débattus ne permet de retenir qu'ils ont renoncé à se prévaloir de leur droit à indemnité d'éviction, une telle renonciation devant être exprès et ne pouvant se présumer.
D'autre part, rien ne permet de retenir qu'un accord s'est noué entre la bailleresse et le preneur pour que le bail expiré se poursuive aux conditions initiales.
Certes, les preneurs, constatant l'irrégularité du congé ont clairement exprimé, par courrier officiel de leur conseil en date du 24 juin 2016, à réception du congé donné pour le 31 octobre 2016, qu'ils entendaient se maintenir dans les lieux et qu'à défaut l'indemnité d'éviction leur serait due.
Mais la bailleresse ne démontre pas que, renonçant aux exigences exprimées dans le congé, elle a accepté la prolongation ou le renouvellement du bail aux conditions initiales, ce qu'elle n'a jamais exprimé.
C'est vainement qu'elle soutient que son accord sur la poursuite du bail aux conditions initiales se déduit de ce qu'elle n'a pas engagé de poursuite aux fins d'expulsion, ni revendiqué l'application des nouvelles conditions exprimées dans le congé litigieux, puisqu'elle admet qu'à la date d'expiration du bail, le 31 octobre 2016, les preneurs avaient déjà quitté les lieux, ce qui rendait sans objet toute mesure d'expulsion comme toute modification des conditions du bail.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit la communauté de communes bailleresse débitrice d'une indemnité d'éviction.
- sur le montant de l'indemnité d'éviction
Les preneurs demandent à la cour au principal d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné, avant dire droit sur la détermination de l'indemnité d'éviction, une mesure d'expertise et de fixer le montant de cette indemnité à la somme de 500 000 € et à titre subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris relativement à la mesure d'expertise.
La communauté de communes fait valoir qu'appelante du jugement du tribunal de grande instance d'Angoulème, elle n'a pas sollicité l'infirmation de la disposition du jugement déféré qui a ordonné la mesure d'expertise, qui n'est donc pas dévolue à la cour.
La cour constate néanmoins que les preneurs, intimés, ont saisi la cour d'appel de Bordeaux, comme la présente cour de renvoi, d'un appel incident par lequel ils sollicitent l'infirmation de la disposition ayant ordonné une mesure d'expertise et la fixation à la somme de 500 000 € de l'indemnité d'éviction qui leur est due. La cour est donc bien saisie d'une demande d'infirmation de cette disposition.
Le premier juge a relevé à juste titre que l'expertise amiable réalisée à la demande des preneurs de façon non contradictoire ne pouvait servir de base à l'évaluation de l'indemnité d'éviction. En cause d'appel, devant la cour de renvoi, les preneurs ne produisent au soutien de leur demande de fixation de l'indemnité d'éviction que le rapport d'expertise amiable établi par M.[E], non corroboré par d'autres éléments de nature à permettre l'évaluation des différentes composantes de l'indemnité d'éviction. La mesure d'expertise demeure donc indispensable et le jugement déféré sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise, précisé sa mission ainsi que les modalités de cette mesure et fixé la consignation à la charge de la communauté de communes de Charente limousine.
Il convient d'ordonner le renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Angoulème pour qu'il statue, après dépôt du rapport d'expertise, sur la fixation de l'indemnité d'éviction et l'ensemble des demandes qui ont été réservées.
Partie perdante, la communauté de communes de Charente limousine supportera les dépens comprenant, en application des dispositions de l'article 639 du code de procédure civile, ceux afférents à l'instance devant la cour d'appel de Bordeaux ayant conduit à l'arrêt cassé du 21 juin 2022 et devra indemniser M.et Madame [Y] du montant des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'exposer pour les besoins de leur défense.
Par ces motifs
- Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions,
- Ordonne le renvoi devant le tribunal judiciaire d'Angoulême pour qu'il statue, après dépôt du rapport d'expertise sur la fixation de l'indemnité d'éviction et les demandes qui ont été réservées,
- Condamne la communauté des communes de Charente limousine aux dépens comprenant ceux afférents à l'instance devant la cour d'appel de Bordeaux ayant conduit à l'arrêt cassé du 21 juin 2022,
- Condamne la communauté des communes de Charente limousine à payer à M.et Madame [Y] la somme de 4000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procedure civile.
Le greffier La présidente
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