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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 3 juin 2025, n° 23/01786

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/01786

3 juin 2025

03/06/2025

ARRÊT N°25/220

N° RG 23/01786 - N° Portalis DBVI-V-B7H-POLP

SM CG

Décision déférée du 17 Avril 2023

Tribunal de Commerce de TOULOUSE

( 2021J00693)

M. RIGAUD

S.A.R.L. GERSIM

C/

Société COMMERZ REALINVESTMENTGESELLSCHAFT MBH

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à Me STEVA-TOUZERY

Me SOREL

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

S.A.R.L. GERSIM prise en la personnedeson représentant légal domicilié en ce tte qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Virginie STEVA-TOUZERY de la SELARL STV AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE

(Intimée dans le dossier N°RG 23/01950 joint au N°RG 23/01786.)

INTIMEE

Société COMMERZ REAL INVESTMENTGESELLSCHAFT MBH société de droit allemand, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité à son établissement principal en France

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dominique COHEN TRUMER de la SELASU CABINET COHEN-TRUMER, avocat plaidant au barreau de PARIS

Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE

(Appelante dans le dossier N°RG 23/01950 joint au N°RG 23/01786.)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant V. SALMERON, présidente et S. MOULAYES, conseillère, chargée du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

S. MOULAYES, conseillère

M. NORGUET, conseillère

Greffier, lors des débats : A. CAVAN

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre

Faits et procédure

Suivant acte sous seing privé en date du 1er avril 1977, Madame [P] a donné à bail à Monsieur [T] ' aux droits duquel vient la Sarl Gersim ' un local à usage commercial portant le n°3086 et 3090 [Adresse 5] à [Localité 7].

Ce bail a été initialement consenti pour une durée de neuf années ayant commencé à courir le 1er avril 1977 pour se terminer le 31 mars 1986.

Par la suite, ce bail a fait l'objet de plusieurs renouvellements.

La société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh a acquis le centre commercial [6] à l'entrée duquel se trouve le local objet du litige, lui-même acquis le 22 avril 2010.

A partir de 2014, plusieurs procédures ont opposé la société locataire, et la bailleresse, notamment quant au montant du loyer, à son paiement, et à la réalisation de travaux d'ampleur au sein du centre commercial.

Par ordonnances de référé des 8 août 2017 (confirmée par arrêt du 5 février 2018), 19 juin 2018 et 9 juin 2020, la société Gersim a été condamnée à payer à la société bailleresse des sommes provisionnelles correspondant aux loyers impayés, l'autorisant à se libérer de sa dette par versements mensuels.

Par ordonnance de référé du 9 juin 2020, la résiliation du bail commercial a été prononcée, mais les effets de la clause résolutoire ont été suspendus pendant le délai alloué à la société preneuse pour s'acquitter du paiement de l'arriéré de loyers.

La suspension du paiement des loyers à compter du mois de septembre 2019 et jusqu'à la fin des travaux, a par ailleurs été prononcée.

Un expert a été désigné afin de donner son avis sur la valeur du fonds ; il a déposé son rapport le 2 avril 2021.

Les parties ont continué à s'opposer sur le respect de l'échéancier fixé par l'ordonnance de référé du 9 juin 2020, jusqu'à sa modification par ordonnance de référé du 7 décembre 2021.

Par exploit d'huissier en date du 1er octobre 2021, la Sarl Gersim a assigné devant le tribunal de commerce de Toulouse la société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh afin qu'elle soit condamnée au paiement de la somme de 300 000 euros à titre de dommages-intérêts pour divers préjudices.

Par jugement du 17 avril 2023, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- s'est déclaré compétent pour traiter de la demande formée par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de paiement d'arriérés de loyers ;

- s'est déclaré incompétent pour traiter de la demande formée par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de résiliation judiciaire du bail consenti à la Sarl Gersim ainsi que de son expulsion au profit du tribunal judiciaire de Toulouse;

- dit que le greffier devra notifier la présente décision par Lrar aux parties ;

- dit qu'à défaut d'appel et sur l'obtention d'un certificat de non-appel auprès du greffe de la cour d'appel de Toulouse, le greffier de ce tribunal transmettra cette affaire au greffier du tribunal judiciaire de Toulouse en vue de la reprise des débats au fond;

- déclaré l'action de la Sarl Gersim contre la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh recevable et non prescrite ;

- débouté la Sarl Gersim de sa demande de paiement par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de la somme de 300 000 euros en réparation de préjudices ;

- débouté la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de sa demande de paiement par la SARL GERSIM de la somme de 67 721,73 euros au titre d'arriérés de loyers, charges et accessoires ;

- condamné la Sarl Gersim au versement de la somme de 2 500 euros à la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sarl Gersim aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration en date du 17 mai 2023, la Sarl Gersim a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :

- débouté la Sarl Gersim de sa demande de paiement par la société Commerz Ream Invesmentgesellschaft Mbh de la somme de 300 000 euros en réparation des préjudices,

- condamné la Sarl Gersim au versement de la somme de 2 500 euros à la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sarl Gersim aux entiers dépens de l'instance.

La procédure a été enregistrée au greffe de la Cour sous le n°23/1786.

Par déclaration en date du 31 mai 2023, la société Commerz Ream Invesmentgesellschaft Mbh a également relevé appel du jugement, sollicitant l'infirmation des chefs de jugement par lesquels le tribunal :

- s'est déclaré incompétent pour traiter de la demande formée par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de résiliation judiciaire du bail consenti à la Sarl Gersim ainsi que de son expulsion au profit du tribunal judiciaire de Toulouse;

- a débouté la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de sa demande de paiement par la société Gersim de la somme de 67 721,73 euros au titre d'arriérés de loyers et charges accessoires.

La procédure a été enregistrée au greffe de la Cour sous le n°23/1950.

Par ordonnance du 2 janvier 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction de ces deux procédures, et dit que les instances seraient désormais appelées sous le seul n°23/1786.

La clôture initialement fixée au 17 février 2025, est finalement intervenue le 11 mars 2025 ; l'affaire a été appelée à l'audience du 18 mars 2025.

Lors de l'audience, la société Gersim a été autorisée à produire par note en délibéré, et avant le 26 mars 2025, ses observations sur le dernier décompte actualisé des loyers versé aux débats par la société bailleresse ; elle n'a toutefois fait parvenir aucun élément à la Cour dans ce délai.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions de l'appelante n°3 notifiées le 28 février 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Gersim demandant, au visa des articles 1134 ancien du code civil, 1719 du code civil, 1103, 1104 et 1193 du code civil, de :

- réformer le jugement dont appel rendu par le tribunal de commerce de Toulouse le 17 avril 2023 en ce qu'il a débouté la Société Gersim de sa demande de paiement par la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh de la somme de 300 000 euros en réparation de ses préjudices ;

- le réformer en ce qu'il a condamné la Société Gersim au versement de la somme de 2 500 euros à la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance ;

Statuant à nouveau et en conséquence :

- condamner la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh à payer à la Société Gersim la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la dédommager de ses préjudices ;

- la condamner à payer à la société Gersim la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;

- rejeter toute demande ou prétention contraire de la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh au titre de l'appel présenté par la Société Gersim ;

Sur l'appel incident de la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh :

- rejeter les prétentions de la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh en cause d'appel tendant à confirmer le jugement sur le débouté des demandes de la Société Gersim et sur la condamnation de cette dernière aux frais irrépétibles et dépens de première instance ;

Vu les dispositions des articles 211-4 et R. 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire,

- rejeter les prétentions de la société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh tendant à infirmer le jugement sur l'incompétence du tribunal de commerce au titre de la demande de résiliation du bail et d'expulsion de la Société Gersim ;

Vu les dispositions de l'article 1353 du code civil et celles de l'article 1184 ancien du code civil,

- rejeter les prétentions de la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh tendant à infirmer le jugement sur le débouté de sa demande de condamnation dirigée contre la Société Gersim en paiement d'arriérés de loyers, charges et accessoires ;

- rejeter les prétentions de la Société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh tendant non seulement à la condamnation de la Société Gersim au paiement de la somme actualisée de 75.021,73 euros d'arriéré de loyers, charges et accessoires mais également au prononcé de la résiliation du bail et de l'expulsion de la société Gersim;

- confirmer le jugement dont appel pour le surplus.

Elle reproche à la société bailleresse des manquements à son obligation de garantie, lui imposant d'assurer un environnement favorable au preneur, en s'abstenant d'abord de procéder aux travaux nécessaires à l'entretien, l'attractivité et la mise à niveau continue du contre commercial, et en cherchant à les désertifier afin de favoriser des opérations immobilières.

Elle fait ensuite état de nuisances constantes liée à la réalisation d'importants travaux dans le centre commercial à compter du mois de septembre 2019, l'ayant conduite à fermer son magasin.

Elle ajoute que la société bailleresse a modifié, à l'issue des travaux de rénovation, la configuration des lieux, rendant son local commercial moins visible et plus difficile d'accès.

Elle soutient par ailleurs que la société bailleresse a manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi, en omettant de l'informer du projet de restructuration du centre commercial, en procédant à un acharnement procédural, et en refusant de lui accorder des réductions de loyers et / ou indemnisation du préjudice subi pendant la période de travaux.

Elle sollicite ainsi réparation de la perte de son chiffre d'affaires, et de la dépréciation de valeur du fonds de commerce.

En réponse à l'appel incident soulevé par l'intimée, elle rappelle les dispositions du code de l'organisation judiciaire donnant compétence exclusive au tribunal judiciaire pour statuer sur les litiges en matière de résiliation de baux commerciaux.

Elle ajoute que la créance invoquée par la société bailleresse ne peut pas intégrer le paiement de loyers dont elle a été dispensée par ordonnance de référé, et que les décomptes présentés ne sont pas suffisamment détaillés pour être vérifiés.

Vu les conclusions récapitulatives n°2 après jonction notifiées le 10 mars 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh demandant, au visa des articles 1134, 1719 du code civil, 700 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse rendu le 17 avril 2023 en ce qu'il a jugé ainsi :

- se déclare compétent pour traiter de la demande formée par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de paiement d'arriérés de loyers ;

- déboute la Sarl Gersim de sa demande de paiement par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de la somme de 300 000 euros en réparation de préjudices ;

- condamne la Sarl Gersim au versement de la somme de 2 500 euros à la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la Sarl Gersim aux entiers dépens de l'instance.

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse rendu le 17 avril 2023 en ces termes :

- se déclare incompétent pour traiter de la demande formée par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de résiliation judiciaire du bail consenti à la Sarl Gersim ainsi que de son expulsion au profit du tribunal judiciaire de Toulouse;

- déboute la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de sa demande de paiement par la Sarl Gersim de la somme de 67 721,73 euros au titre d'arriéré de loyers, charges et accessoires ;

Et statuant à nouveau :

- se déclarer compétent pour prononcer la résiliation judiciaire du bail,

- condamner la société Gersim à payer, à la société Commerz Real Investmentgesellschaft Mbh, la somme totale de 67 721,73 euros ttc arrêté au 23 janvier 2023 au titre de ses arriérés de loyers, charges, accessoires et actualisé au montant de 95 021,73 € ttc arrêté au 28 février 2025 ;

- prononcer la résiliation judiciaire du bail consenti à la société Gersim, pour fautes graves de la société Gersim et ordonner en conséquence l'expulsion de la société Gersim ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'aide d'un serrurier, du local à usage commercial portant le n° 3086 et 3090 qu'elle exploite [Adresse 5] à [Localité 7].

Elle soutient que le tribunal de commerce était compétent pour statuer sur sa demande reconventionnelle en résiliation du bail commercial et en expulsion, du fait de la nature commerciale des deux sociétés parties à la procédure.

Sur le fond des demandes de la société preneuse, elle conteste tout manquement à son obligation de garantie, affirme que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'agissements fautifs visant à la désertification des locaux, et rappelle qu'elle n'a pas pour obligation d'assurer la commercialité du centre commercial [6].

Elle soulève la contradiction de la société preneuse, qui lui reproche d'une part de ne pas avoir réalisé de travaux, et d'autre part d'avoir causé des nuisances lorsque des travaux ont été réalisés.

Elle invoque une clause de non recours figurant au contrat de bail, et subsidiairement réfute toute responsabilité dans la baisse du chiffre d'affaires du preneur et la dévaluation de son fonds de commerce.

Elle affirme que les loyers sont dus sur toute la période, l'ordonnance de référé ayant prononcé la suspension du paiement n'étant que temporaire et provisoire, et que le décompte présenté est justifié.

A titre reconventionnel, elle conclut à la résiliation du bail commercial, le preneur ayant manqué à son obligation principale de paiement des loyers.

MOTIFS

Sur l'étendue de la saisine de la Cour

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En dépit des développements en ce sens dans les conclusions de la société bailleresse, la Cour n'est pas saisie, au dispositif de ses conclusions, d'un appel incident relatif aux questions de la prescription, de défaut de qualité en défense, et d'irrecevabilité de l'exception d'incompétence, soulevées devant le premier juge.

Il ne peut d'ailleurs qu'être relevé que ces chefs de décision ne sont pas visés dans la déclaration d'appel de la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh du 31 mai 2023, joint à l'appel initial du preneur.

La Cour n'est pas non plus saisie de la demande de la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, qui n'apparaît pas au dispositif de ses conclusions.

Sur la compétence du tribunal de commerce en matière de résiliation du bail commercial

En première instance, à titre reconventionnel, la société bailleresse a demandé au tribunal de commerce de condamner le preneur au paiement des loyers, et de prononcer la résiliation du bail.

Les premiers juges se sont déclarés compétents s'agissant du paiement du loyer, mais incompétents concernant la résiliation du bail.

Cette dernière disposition est contestée par la société bailleresse, qui forme appel incident de ce chef ; elle estime en effet que s'agissant de deux sociétés commerciales, le tribunal de commerce est compétent pour connaître des demandes purement contractuelles, qui ne touchent pas au statut des baux commerciaux.

La société preneuse rappelle que le tribunal judiciaire a compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs au statut des baux commerciaux.

Il ressort des dispositions de l'article R. 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire que :

« Le tribunal judiciaire a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent les matières suivantes :

[']

11° Baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale »

L'article L721-3 du code de commerce dispose : « Les tribunaux de commerce connaissent :

1o Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;

2o De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3o De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes. »

L'article R. 211-4 2° du code de l'organisation judiciaire dans sa version issue du décret n° 2019-912 du 30 août 2019 dispose que les tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent seuls « des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L145-1 à L145-60 du code de commerce ».

Il résulte de la combinaison de ces textes que la compétence exclusive des tribunaux judiciaires en matière de bail commercial ne s'entend que des seuls litiges fondés sur le statut des baux commerciaux et non ceux fondés sur le droit commun des obligations, étant précisé que l'article R. 211-4 2° dans sa nouvelle rédaction non applicable au présent contrat, consacre ainsi la jurisprudence déjà dégagée par la cour de cassation (3ème civ. 11 avril 2019 n° 18-16061).

Sur ce fondement, le tribunal de commerce a décliné sa compétence pour connaître de la demande en résiliation du bail commercial et en expulsion du preneur, qu'il a qualifiée d'action en acquisition de la clause résolutoire du bail fondée sur l'article L145-41 du Code de commerce.

Si ce raisonnement n'est pas contestable sur le fondement des dispositions pré-citées et du litige soumis à la juridiction de première instance, la Cour ne peut que constater qu'en cause d'appel, la société bailleresse se limite à fonder sa demande en résiliation du bail sur l'unique moyen de la faute grave de la société Gersim, en ce qu'elle s'est abstenue de s'acquitter du paiement du loyer pendant cinq ans.

Cette action relève du droit commun des obligations, et non du statut des baux commerciaux, de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef, et que la compétence du tribunal de commerce sera retenue.

Sur les obligations du bailleur

La société Gersim reproche à son bailleur, qui est également propriétaire du centre commercial [6], d'avoir manqué à son obligation de délivrance et de garantie, en s'abstenant d'entretenir les lieux et notamment les parties communes, en ne réalisant pas les travaux nécessaires au maintien de l'attractivité du centre démontrant ainsi une volonté de désertification ; puis lorsque les travaux ont débuté, elle lui reproche des nuisances importantes bloquant l'accès à son commerce, et la modification de la configuration complexifiant l'accès à son local.

Elle affirme également que le bailleur a manqué à son obligation de loyauté en ne lui délivrant aucune information sur la restructuration du centre commercial, en ne lui faisant aucune proposition de suspension des loyers ou d'indemnisation, et en procédant à un acharnement procédural.

La société bailleresse conteste tout manquement, dans la mesure d'une part où le bail ne lui fait aucune obligation liée au maintien de la commercialité du centre commercial, et d'autre part où les travaux de rénovation n'ont pas causé d'impossibilité d'exploiter les locaux, la société preneuse ayant fait le choix de fermer son magasin alors que d'autres sont restés ouverts.

A titre liminaire, il convient de préciser que les locaux donnés à bail à la société Gersim ne sont pas directement situés dans le centre commercial [6], mais se trouvent dans le passage Saint Jérôme, dont un des accès donne sur ce centre commercial.

Sur l'obligation de délivrance

Il ressort de la combinaison des articles 1134 et 1135 du code civil, dans leurs versions antérieures à l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; elles obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.

Par ailleurs, l'article 1719 du code civil dispose que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1o De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;

2o D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3o D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4o D'assurer également la permanence et la qualité des plantations.

Sur ce fondement il été jugé que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité.

Ainsi, le bailleur d'un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire n'est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre. (3e Civ., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-14.423, 20-16.570)

En l'espèce, le contrat de bail liant les parties ne fait état d'aucune clause imposant au bailleur de garantir la commercialité du centre commercial, ou de maintenir un certain taux d'occupation des emplacements.

La baisse de fréquentation du centre commercial, ou un faible taux d'occupation des locaux commerciaux de ce centre, ne suffisent en conséquence pas à établir un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, et ce d'autant plus que la société preneuse ne fait aucune démonstration d'une quelconque responsabilité du propriétaire des locaux quant à ce qu'elle décrit comme une désertification.

Elle reproche en effet au bailleur un défaut d'entretien du centre, sans produire de justificatif en ce sens, les nombreux constats d'huissier produits se limitant à lister les commerces fermés et les locaux inoccupés.

Elle ne procède par ailleurs que par affirmation en indiquant que le bailleur a volontairement fait en sorte de vider le centre commercial de ses occupants pour procéder à une opération immobilière.

La Cour relève par ailleurs que dans un précédent litige ayant opposé les parties quant à la fixation du loyer commercial, ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour d'Appel de Toulouse du 6 juillet 2016, la société Gersim elle-même affirmait que l'emplacement de ses locaux, dans le passage Saint Jérôme, à l'écart du centre commercial Saint Georges, la rendait étrangère à la commercialité du centre commercial ; ainsi, l'arrêt a retenu que le local de la société Gersim ne fait pas partie de l'unité autonome de marché que constitue le centre commercial.

La société Gersim, qui lorsque le centre commercial bénéficiait d'une bonne attractivité, faisait valoir pour la fixation de son loyer commercial qu'elle n'en bénéficiait pas du fait de son emplacement en retrait du centre, n'est donc pas fondée au surplus, à reprocher à son bailleur un manquement à ses obligations lorsque l'attractivité de ce centre décline.

Ainsi, aucun manquement du bailleur n'est démontré s'agissant de l'entretien des locaux ou de la commercialité du centre commercial, avant la réalisation des travaux d'ampleur.

Sur la période de travaux, la société preneuse affirme avoir subi une gêne importante, la contraignant à fermer temporairement son commerce.

A l'appui de ses affirmations, elle produit plusieurs constats d'huissier réalisés soit à l'initiative du bailleur, soit à son initiative, entre le mois de septembre 2019 et le mois de février 2021 ; elle communique également diverses photographies qui ne sont pas horodatées, et dont il n'est pas établi qu'elles concernent la période litigieuse.

La société Gersim produit deux constats, dont elle affirme qu'ils permettent d'attester de l'entrave à l'accès au local donné à bail à la société Gersim :

- le constat du 19 septembre 2019 fait état de plaques de façade au-dessus de l'enseigne qui ont été déposées, de gaines électriques pendantes, et d'un accès condamné par des panneaux de chantier ; les photographies prises à cette occasion afin de démontrer l'impossibilité d'accès ne concernent qu'un côté du passage Saint Jérôme.

Or, les constats réalisés par la société bailleresse les 17 septembre, 19 septembre et 20 septembre 2019, démontrent que l'accès était toujours possible depuis l'autre côté du passage ; en effet, bien que celui-ci soit partiellement obstrué, l'huissier note que le passage à pied est possible.

- le constat du 20 mai 2020 réalisé à l'initiative de la société Gersim relève que l'accès au local est obstrué, qu'un camion empêche l'accès d'un côté, que des matériaux de chantier sont entreposés, et qu'une tranchée a été creusée dans le passage.

Les photographies annexées au constat permettent de constater que des ouvriers sont en train de poser un nouveau revêtement de sol dans le passage, et que rien ne bloque l'accès par l'autre entrée du passage Saint Jérôme ; d'ailleurs, le commerce voisin du local litigieux est ouvert, et un panneau bien visible « pendant la durée des travaux vos commerces continuent de vous accueillir » est apposé à plusieurs endroits sur le chantier.

Ainsi, si ces constats démontrent que les commerces du [Adresse 4] ont eu à subir des nuisances durant les travaux, ils permettent également de relever que l'accès n'a jamais été totalement fermé.

Le bailleur se prévaut d'une clause du bail initial ainsi rédigée (page 4 paragraphe 7) :

« Le preneur souffrira que la copropriété fasse faire à l'immeuble dont dépendent les locaux loués, pendant tout le cours du bail, tous travaux de réparation, construction, surélévation, agrandissements et autres travaux quelconques qu'elle jugerait nécessaires, sans pouvoir prétendre à aucune indemnité ni réduction de loyer quelle que soit l'importance des travaux et alors même qu'ils dureraient plus de 40 jours ».

Si en application de l'article 1719 du code civil le bailleur doit assurer tout le long de l'exécution du bail la délivrance de la chose louée et la jouissance paisible du preneur, l'article 1724 de ce même code autorise expressément le bailleur à exécuter au sein du local donné à bail, des travaux qui revêtent un caractère urgent, sans que le preneur puisse se prévaloir d'un quelconque préjudice, sous réserve que ces réparations n'excèdent pas 21 jours.

Il est toutefois admis que les baux commerciaux puissent déroger à ces dispositions, en prévoyant une clause dite de souffrance, privant le preneur de la possibilité de solliciter toute indemnité du fait de la réalisation de travaux.

La portée de la clause de souffrance n'est toutefois pas sans limite et les juges encadrent strictement son application. Les travaux entrepris par le bailleur ne doivent en effet pas conduire à rendre les locaux inutilisables ou inexploitables.

Ainsi, si une telle clause est licite, le bailleur ne peut par son biais s'exonérer de son obligation de délivrance, ni de son obligation d'assurer la jouissance paisible des locaux loués en cas de gêne excessive causée par les travaux qu'il réalise dans ces locaux ou dans l'immeuble.

Le caractère anormal de la gêne apportée à la jouissance du preneur relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

En l'espèce, il est démontré qu'à compter du mois de septembre 2019, des travaux d'ampleur ont eu lieu dans le [Adresse 4] ; si l'accès n'a pas été totalement fermé et que le local est demeuré accessible, les photographies annexées aux différents constats d'huissier permettent de constater que le passage était une zone de travaux, peu attractive pour la clientèle.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire de Monsieur [N] que lors de la réunion tenue sur place le 15 septembre 2020, la boutique exploitée par Gersim était fermée, que les travaux de rénovation étaient encore en cours mais n'empêchaient pas l'accès direct au magasin ; il a d'ailleurs relevé que plusieurs autres magasins étaient ouverts (page 6).

L'expert ajoute que les travaux de rénovation ont été réceptionnés en octobre 2020 (page 7).

Le procès-verbal de constat réalisé le 2 février 2021 permet de relever que les travaux sont terminés et qu'aucune trace du chantier ne persiste ; si l'accès au local de la société Gersim a été temporairement fermé le 5 février 2021 pour sécuriser la pose de panneaux de façade sur le local voisin, il n'est pas démontré que cette obstruction se soit poursuivie dans la durée, ou même soit en lien avec les travaux litigieux qui étaient réceptionnés depuis octobre 2020.

Les éléments de la procédure permettent de constater que les travaux au sein du [Adresse 4] ont consisté en une rénovation complète de cet espace commercial ; la société Gersim ne peut pas contester la nécessité de ces travaux, en ce qu'elle reproche elle-même à son bailleur de ne pas y avoir procédé plus tôt lorsqu'elle engage sa responsabilité pour un défaut d'entretien et d'attractivité.

La gêne subie par la société preneuse s'est poursuivie sur 13 mois, et a consisté en une diminution de sa visibilité, et une entrave à son accès, sans toutefois y faire complètement obstacle.

Par ailleurs, sur ces 13 mois de travaux, ainsi que le souligne le bailleur, plusieurs mois de fermeture administrative sont intervenus du fait des restrictions sanitaires liées à la pandémie, pendant lesquels la société preneuse n'aurait en tout état de cause pas pu exploiter son commerce.

Le choix fait par la société Gersim de fermer son local et de ne plus exploiter son commerce pendant toute la période de travaux ne résulte pas d'une impossibilité d'accès ou de locaux rendus inexploitables, d'autres commerces du passage ayant fait un choix différent ; du fait de ce choix de fermeture totale, la société preneuse n'est pas en mesure de démontrer que la perte de visibilité et la modification de l'accès aux locaux a pu causer une baisse du chiffre d'affaires.

Le caractère excessif de la gêne subie par la société Gersim du seul fait des travaux n'est donc pas démontré ; il n'y a pas lieu d'écarter la clause de souffrance prévue au bail, ou d'allouer une indemnisation pour un trouble de jouissance anormal, et ce d'autant plus que le preneur lui-même indique dans ses conclusions que la réalisation de travaux était devenue essentielle au maintien de la commercialité de la zone.

Enfin la société Gersim reproche à son bailleur d'avoir, à l'issue de la réalisation des travaux, modifié l'accès à son commerce, en le complexifiant.

Cette nouvelle configuration ressort des photographies annexées aux procès-verbaux de constat les plus récents, et notamment ceux des 2 et 5 février 2021 : le sol du passage a été divisé en 2 espaces contigus, en créant une pente douce d'un côté, et un sol plat avec quelques marches de l'autre côté.

Devant le local objet du litige, une barrière a été apposée afin de sécuriser la différence de niveau entre la pente douce, et le niveau accessible par 4 marches.

La société Gersim estime que cette nouvelle configuration lui est défavorable, en ce qu'elle ne permet pas au chaland d'accéder directement à sa vitrine, notamment s'il emprunte la pente douce.

La Cour constate toutefois que la barrière apposée au milieu du passage est transparente, de sorte que la vitrine du local exploité par la société Gersim est totalement visible, et facilement accessible, soit par la pente douce, en arrivant par une entrée du passage, soit par quatre marches en empruntant l'autre extrémité du passage.

Le détour de quelques pas pour contourner la barrière de sécurité, et le léger contrebas dans lequel se situe la boutique par rapport à la pente douce, ne viennent exclure la boutique ni du regard du passant, ni de l'accessibilité au chaland.

Il n'y a donc aucune entrave à l'accès au magasin, ou à la visibilité de la vitrine, et en conséquence aucun manquement contractuel ne peut être relevé de ce chef.

Sur l'obligation de loyauté

La société Gersim reproche à son bailleur de ne lui avoir délivré aucune information sur le plan global de restructuration du centre commercial, et de ne pas l'avoir accompagnée pendant la période de travaux en lui faisant notamment une proposition de réduction du loyer.

Elle affirme par ailleurs qu'il s'est livré à un acharnement procédural à son encontre.

Il a été précédemment rappelé que les locaux donnés à bail à la société Gersim ne sont pas directement situés dans le centre commercial [6], mais dans le passage Saint Jérôme, dont un des accès donne sur ce centre commercial.

La réalisation de travaux au sein du centre n'est donc pas sans conséquence pour le local considéré, mais la fermeture de ce centre commercial n'entraîne pas nécessairement la fermeture du passage Saint Jérôme.

Si la société preneuse a adressé plusieurs courriers à son bailleur, d'abord en 2017, puis en avril et août 2019, ces demandes concernaient les travaux envisagés dans le centre commercial [6], et force est de constater que les deux derniers courriers consistaient plus en des invectives que des demandes d'explications.

Par ailleurs, et dans la mesure où il n'est pas démontré que le passage Saint Jérôme ait été rendu inaccessible au cours des travaux réalisés, la société Gersim n'est pas fondée à reprocher au bailleur de ne lui avoir donné aucune information sur la date de « réouverture du centre ».

Par ailleurs, l'absence de proposition de baisse du loyer pendant la période des travaux émanant du bailleur ne constitue pas un manquement à son obligation de loyauté, dans la mesure où la société Commerz considère que les travaux ne faisaient pas obstacle à l'exploitation du local, et que par ailleurs le bail commercial comporte une clause de souffrance ; la Cour constate toutefois que les parties ont soumis ce litige au juge des référés, qui a suspendu le paiement des loyers pendant la période de travaux, décision à laquelle le bailleur ne s'est pas opposé, et qu'il a respecté.

Aucun défaut de loyauté ne peut lui être opposé de ce chef.

Enfin, s'agissant de l'acharnement procédural reproché au bailleur par la société preneuse, la Cour constate que les procédures diligentées par la société Commerz résultent du défaut de paiement du loyer par la société Gersim, qu'elle n'a d'ailleurs pas contesté, puis de l'absence de respect de l'échéancier fixé par le juge des référés, qui n'est pas non plus contesté.

Le fait que les juridictions successives aient accordé des aménagements dans le paiement des loyers en retard à la société preneuse, ne donne pas aux actions diligentées par le bailleur un caractère abusif.

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, la société Gersim ne rapporte pas la preuve des manquements du bailleur dont elle se prévaut.

Ainsi, par substitution de motifs, la Cour confirmera le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société preneuse de ses demandes indemnitaires.

Sur les demandes reconventionnelles du bailleur

Sur la demande en paiement de la créance de loyer

La société bailleresse demande à la Cour de condamner la société Gersim au paiement des loyers dus et impayés, comprenant notamment les loyers dus pendant la période de réalisation des travaux, ainsi que les loyers courant impayés.

La société Gersim conteste être redevable des loyers échus pendant la période de travaux, en application de l'ordonnance de référé du 9 juin 2020 ayant suspendu le paiement des loyers du fait des nuisances à compter du mois de septembre 2019 et jusqu'à la fin des travaux.

Il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article 488 du code de procédure civile, l'autorité de l'ordonnance du juge des référés est limitée car elle n'a qu'un caractère provisoire ; ainsi, la chose jugée en référé ne s'impose pas au principal, et les parties peuvent saisir le juge du principal sans que ce dernier ne soit lié par la décision prise en référé.

En sollicitant le paiement de l'intégralité des loyers échus impayés, en ce compris les loyers concernés par la période de travaux, la société bailleresse a saisi le tribunal de commerce, puis la Cour en cause d'appel, du fond du litige opposant les parties quant à la suspension des loyers sur cette période.

L'ordonnance de référé du 9 juin 2020 ordonnant la suspension des loyers n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée et ne s'impose pas au juge du fond saisi aux mêmes fins.

Il résulte des développements précédents et de l'examen de l'ensemble des constats d'huissiers versés aux débats, ainsi que des observations et conclusions de l'expert judiciaire, que la réalisation des travaux au sein du [Adresse 4] n'a pas été source de nuisances causant une gêne excessive, susceptible d'écarter l'application de la clause de souffrance prévue au bail.

L'interruption de l'exploitation du local commercial pendant toute la durée des travaux, et même au-delà, résultait d'un choix de la société preneuse, qui ne lui a pas été imposé par une fermeture de l'accès au local ; il n'est pas plus démontré que cette fermeture ait résulté de nécessités de sécurité.

L'impossibilité d'exploitation n'étant pas démontrée, il n'y a pas lieu à suspension des loyers pendant la durée de réalisation des travaux au sein du [Adresse 4].

La Cour constate que la société preneuse ne forme pas devant la Cour saisie du fond du litige, une demande en diminution du loyer pendant cette période.

En conséquence, les loyers étaient dus par la société Gersim pendant la durée des travaux.

La société preneuse reproche ensuite à la société Commerz de ne pas tenir compte d'une saisie-attribution d'un montant de 106 860 euros réalisée le 31 octobre 2017, en application d'une ordonnance de référé du 8 août 2017.

La société bailleresse affirme que cette somme apparaît sur les décomptes produits.

La Cour constate qu'elle n'est pas mise en mesure par les parties de procéder à la vérification des sommes perçues par la société Commerz de ce chef, dans la mesure où aucune pièce relative à la saisie attribution n'est versée aux débats.

Les développements de la société preneuse dans ses conclusions, et la réponse apportée par la bailleresse, sont les seuls éléments relatifs à la perception de cette somme figurant au dossier.

Il ressort de la lecture du jugement du tribunal de commerce que la société Gersim avait présenté en première instance, une dénonce de la saisie-attribution, mais que celle-ci ne comportait aucun élément permettant d'affirmer que la somme de 106 860 euros avait été versée à la société Commerz.

En cause d'appel, la société bailleresse ne conteste pas avoir perçu cette somme ; pourtant le montant reporté sur les décomptes produits quatre mois après la saisie-attribution, s'élève à la somme de 101 378,13 euros ; sans plus d'explication sur le différentiel de 5 481,87 euros qui ne figure pas au décompte, la Cour déduira cette somme des montants réclamés.

Il ressort du dernier décompte produit, actualisé au 28 février 2015, que la société Gersim s'est acquittée de ses obligations de paiement selon l'échéancier fixé par le juge des référés le 9 juin 2020, modifié ultérieurement, concernant la créance de loyer antérieure due en exécution du commandement de payer délivré le 17 avril 2019 concernant les échéances de janvier et avril 2019.

Toutefois, la société preneuse n'a pas payé les loyers trimestriels de juillet, septembre, octobre 2019, ainsi que ceux pour toute l'année 2020, et de janvier et avril 2021.

Les paiements ont ensuite repris à compter de l'échéance de juillet 2021 ; par la suite, les paiements ont été régulièrement effectués jusqu'en octobre 2023 où un paiement partiel a été réalisé.

A compter de l'échéance de janvier 2024, aucun paiement n'est plus intervenu.

Si la société Gersim remet en cause le caractère probant du décompte produit par Commerz, force est de constater qu'elle ne conteste pas avoir été défaillante dans le règlement des loyers, et en particulier pendant la période de travaux dans la mesure où elle estime que l'ordonnance de référé du 9 juin 2020 l'a définitivement dispensée de ce paiement.

Elle ne conteste pas plus les récents impayés.

La société Commerz justifie donc de sa créance de loyer, à l'exception du différentiel de 5 481,87 euros perçu dans le cadre de la saisie-attribution et non reporté sur le décompte des loyers.

Le jugement sera donc infirmé et la société Gersim sera condamnée à payer à son bailleur la somme de 89 539,86 euros (95 021,73 euros - 5 481,87 euros) au titre des loyers échus impayés.

Sur la demande en résiliation du bail

La société bailleresse fonde sa demande en résiliation du bail sur la faute grave du preneur, en ce qu'il ne s'est pas acquitté du paiement du loyer de manière régulière depuis cinq ans.

La société Gersim conteste la gravité des défauts de paiement invoqués, et estime que ce manquement ne peut pas à lui seul justifier de la résiliation du bail.

Il ressort des dispositions de l'article 1184 du code civil, dans sa version applicable en l'espèce, que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Il appartient au juge de fond de déterminer si le manquement invoqué est suffisamment grave pour justifier de la résolution du contrat.

Il ressort des éléments de la procédure que plusieurs litiges ont opposé les parties quant au défaut de paiement des loyers :

- par ordonnance de référé du 8 août 2017 confirmée en appel, la société Gersim a été condamnée au paiement à titre provisionnel de la somme de 98 121,70 euros, correspondant au différentiel résultant de l'augmentation du loyer commercial par décision du juge des loyers commerciaux, pour la période du 22 avril 2010 au 8 décembre 2016.

La société Gersim a bénéficié d'un moratoire de 6 mois et d'un échéancier.

- par ordonnance de référé du 19 juin 2018, la société Gersim a été condamnée au paiement de la somme de 30 818,16 euros, correspondant à sa dette de loyer arrêtée au 21 mars 2018.

Elle a été autorisée à se libérer de sa dette par mensualités.

- par ordonnance de référé du 9 juin 2020, la société Gersim a été condamnée au paiement provisionnel de la somme de 14 400 euros à valoir sur les loyers et charges dus au 1er août 2019 ; le juge des référés a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, et a accordé au preneur un délai pour se libérer du paiement des sommes dues selon 12 mensualités.

Une de ces mensualités n'a pas été respectée, et par ordonnance du 7 décembre 2021, une modification de l'échéancier a été accordée au preneur pour tenir compte de ses difficultés liées à la période de crise sanitaire.

Si le preneur a repris le paiement des loyers à l'issue de la période de travaux, ces paiements ont été à nouveau interrompus, et le dernier versement date du mois d'octobre 2023 ; aucun paiement n'est intervenu sur l'année 2024 et le premier trimestre de l'année 2025, et ce alors que les travaux sont terminés depuis leur réception en octobre 2020, que la zone du [Adresse 4] a été complètement rénovée, et qu'à l'exception d'un dégât des eaux ultérieur géré sans difficulté par le bailleur, aucune entrave à l'exploitation des locaux n'a été signalée.

Le paiement du loyer par le preneur constitue son obligation majeure, mais également la contrepartie essentielle de la mise à disposition des locaux par le bailleur.

Les manquements réitérés de la société Gersim à son obligation la plus importante, pendant plusieurs années, et ce en dépit des échéanciers et moratoires accordés par les juridictions successives, constitue une faute contractuelle suffisamment grave pour justifier du prononcé de la résiliation judiciaire du bail.

En conséquence, la résiliation judiciaire du contrat de bail liant les parties sera prononcée à la date du présent arrêt, et l'expulsion de la société preneuse sera ordonnée selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision.

Il convient de préciser que jusqu'à la libération des locaux, la société Gersim sera tenue du versement du loyer jusqu'à la date de la résiliation, et d'une indemnité d'occupation d'un montant égal à celui du loyer fixé entre les parties.

Sur les demandes accessoires

En l'état de la présente décision, la Cour confirmera les dispositions du jugement ayant mis à la charge de la société Gersim les dépens de première instance, ainsi que le paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Gersim, qui succombe, sera par ailleurs condamnée aux entiers dépens d'appel.

Pour ces mêmes motifs, la société Gersim sera déboutée de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans la limite de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré, mais uniquement en ce qu'il :

- s'est déclaré incompétent pour traiter de la demande formée par la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de résiliation judiciaire du bail consenti à la Sarl Gersim ainsi que de son expulsion au profit du tribunal judiciaire de Toulouse;

- a débouté la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh de sa demande de paiement par la Sarl Gersim de la somme de 67 721,73 euros au titre d'arriérés de loyers, charges et accessoires ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Déclare le tribunal de commerce compétent pour statuer sur la demande reconventionnelle en résiliation du bail commercial fondée sur le droit commun contractuel ;

Condamne la Sarl Gersim à payer à la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh la somme de 89 539,86 euros au titre des loyers échus impayés ;

Prononce la résiliation du bail commercial liant la Sarl Gersim à la société Commerz Real Invesmentgesellschaft Mbh, du fait des manquements graves du preneur à son obligation contractuelle de paiement des loyers, à compter du présent arrêt ;

Ordonne l'expulsion de la société Gersim ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'aide d'un serrurier, du local à usage commercial portant le n° 3086 et 3090 qu'elle exploite [Adresse 5] à [Localité 7] ;

Dit que jusqu'à la libération des locaux, la société Gersim restera tenue du paiement du loyer jusqu'à la date de résiliation du bail, puis d'une indemnité d'occupation d'un montant équivalent à celui du dernier loyer du bail ;

Déboute la Sarl Gersim de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la Sarl Gersim aux entiers dépens d'appel ;

La Greffière La Présidente.

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